Un café philo qui a le vent en poupe - 2012 - Daniel Mercier

 

D’année en année, depuis 15ans, le Café Philo Sophia, hébergé la plupart du temps à la Maison du Malpas, n’a pas cessé d’accroître sa popularité, jusqu’à devenir une petite « institution » locale, connue de beaucoup de personnes qui, sans être toujours des habitués, participent de temps en temps à ces séances, au gré des sujets proposés et de leur emploi du temps. C’est en moyenne quarante à cinquante personnes qui se retrouvent donc le deuxième samedi du mois pour échanger et participer à des discussions dites « réglées », car obéissant à des règles précises,  dont les thèmes, toujours philosophiques, sont décidés annuellement à partir des suggestions faites par les participants. Nous avons interrogé Daniel Mercier, président de l’association Philo Sophia, philosophe  et animateur de ces cafés, pour mieux comprendre les raisons de ce succès…

 

Vous avez lancé votre premier café philo il y a plus de quinze ans. Depuis, le succès de vos séances se confirme d’année en année. Comment l’expliquez-vous ?

Le succès de notre café philo s’inscrit dans un phénomène plus large de regain de la philosophie populaire, qui sort désormais largement des enceintes du lycée et de l’Université.  Ce n’est pas un hasard par exemple si La Fête de la Philo organisée à Béziers par La Médiathèque a été un grand succès en janvier 2012, et se trouve par conséquent  reconduite en 2013… Ni la présence maintenant systématique, sur les plateaux télévisés, des « philosophes de service », comme le dit avec humour Raphaël Enthoven ! Ou encore la multiplication des publications de livres ou magazines  de philosophie, mais surtout le développement des ateliers philo pour enfants, particulièrement présents dans toute notre région… Notre café philo ne fait que « surfer » sur cette vague …Ceci dit, il est vrai que nous tenons bien la mer ! Sans doute à cause du pari que nous avons fait depuis le début, à savoir tenir une double exigence : celle d’une philosophie populaire accessible à tous, mais aussi celle d’une réflexion philosophique véritable s’appuyant aussi sur l’histoire de la pensée contemporaine, mais aussi classique et moderne. C’est notre marque de fabrique, et je fais l’hypothèse que ceux qui pensaient trouver exclusivement un groupe d’expression où chacun pouvait donner son opinion sans que cette visée philosophique soit vraiment reconnue, finissent par ne plus revenir… Mais d’autres initiatives, différentes, qui ont cependant en commun la parole individuelle et collective, peuvent se développer également ; il n’y a pas concurrence mais complémentarité…

 

Pensez-vous que la philosophie d’aujourd’hui ressemble à celle d’hier ?

Grande question ! A laquelle il est difficile de répondre simplement. Je ferai plusieurs courtes remarques : premièrement, nous ne pouvons pas philosopher véritablement en oubliant les trésors détenus par tous ceux qui nous précèdent ; deuxièmement, parmi les questions dont se préoccupait la philosophie, certaines d’entre elles  ne sont plus aujourd’hui des questions philosophiques, car le progrès des sciences a permis d’y répondre scientifiquement… par exemple ça n’aurait pas de sens aujourd’hui pour un philosophe d’élaborer une « Physique », comme celle d’Aristote ! Troisièmement, cependant, ce qu’on a appelé le scientisme a voulu croire dans la possibilité de résoudre toutes les énigmes de l’univers. Nous savons aujourd’hui que c’est impossible, et donc que la philo aura toujours sa place ! Il y a des questions que seule la philosophie peut nous aider à affronter, comme par exemple, la conduite de ma vie, le sens que je souhaite lui donner, mais aussi la compréhension de ce qui se passe du point de vue du fonctionnement global de nos sociétés humaines (la philosophe politique), ou encore les questions de bioéthique (qui concerne la philosophie morale) : aucun savoir spécialisé, aucune expertise, même si elles sont utiles, ne peuvent suffire pour répondre à ces questions ! La philo a donc encore de beaux jours devant elle !  C’est justement sur les questions relatives à la  bioéthique contemporaine que nous allons axer notre prochaine conférence avec l’un des  grands spécialistes français …

 

Chaque année vous organisez en effet une conférence avec un philosophe de renom. Pouvez-vous préciser ce que vous proposez en 2013 ?

Nous invitons Mr Ruwen Ogien, qui est directeur de recherche au CNRS, et qui a consacré tous ces travaux à la philosophie morale ; Il défend la thèse d’une éthique minimaliste, que l’on peut résumer dans la formule : « Ne pas nuire à autrui ! Rien de plus », dont son œuvre tend à argumenter la thèse, analyser la proposition, examiner ses implications et conséquences. Elle fait du consentement mutuel des personnes le seul critère de la légitimité morale. A partir de là, il en vient à critiquer ce que nous pourrions appeler « le moralisme d’Etat » sur des questions aussi personnelles que le commerce sexuel, l’euthanasie, ou encore la procréation médicalement assistée. Nous pourrions caractériser sa position d’ « anti-autoritaire ». Le titre de la conférence sera donc : « Pour une morale minimale ? Qu’est-ce qui ne va pas dans le moralisme d’Etat ? ».Il abordera aussi probablement la question de l’enseignement de la morale laïque à l’école, proposé en septembre dernier par notre ministre de l’Education Nationale Vincent Peillon. Ruwen Ogien s’appuiera notamment dans son exposé sur son dernier livre au titre humoristique, « L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine » ( !), qu’il dédicacera ainsi que ces autres livres après la conférence. Celle-ci aura lieu à la Salle du Temps Libre à Colombiers, le vendredi 15 février (18H30). Je voudrai aussi rappeler que dans le cadre de la « Fête de la Philo » organisée par la médiathèque du 23 au 27 janvier sur le thème « Ensemble », et à laquelle nous participons activement, nous accueillons André Comte Sponville.

Qu’est-ce qui explique selon vous ce nouvel intérêt  pour la philo ?

Nous sommes entrés dans une ère nouvelle de l’humanité marquée par l’incertitude de l’avenir, le désenchantement du monde, la mort des grandes religions terrestres (le communisme en particulier) qui prétendaient nous indiquer la voix royale vers la félicité… Mais aussi un empire de la techno science aujourd’hui fortement mis en question, et des savoirs spécialisés et cloisonnés très opérants techniquement, mais qui ne permettent pas de répondre à la globalité des problèmes humains. Puisque les anciens dieux ne nous parlent plus, nous allons en chercher de nouveaux, à travers les sciences occultes, ou des spiritualités de pacotille… Plus que jamais, entre la froide et désincarnée raison instrumentale, et la tentation d’un irrationalisme régressif, la philosophie doit répondre à ces nouveaux défis de la pensée !

 

Vous avez des projets d’avenir ?

Il y a en effet un projet qui courre dans ma tête, mais qui n’est pas pour le moment abouti : de nombreuses Universités Populaires ont vu le jour depuis une quinzaine d’années, et la philosophie y a toujours une place de choix… Je n’ai pas une idée arrêtée sur la manière de procéder - Université Populaire ou pas ? - mais l’idée de cours et d’ateliers philo ouverts à tous, et déroulant dans la durée une réflexion philosophique, donnant lieu à des échanges réguliers avec tous ceux qui désirent s’inscrire dans un tel cheminement personnel, cette idée est excellente ! Je pense donc la soumettre prochainement dans ma communauté de Communes… Par ailleurs, pourrait-on, à terme, faire appel aux médias (les médias audio en particulier) pour nous faire connaître et relayer notre activité ? Il est difficile aujourd’hui de faire l’économie de ce canal de masse… Pourrait-on par exemple imaginer travailler avec des radios locales qui retransmettraient certains moments privilégiés de nos discussions ou conférences ? Pourquoi ne pas enregistrer certains cafés philo ? Pourquoi ce que fait France Culture au plan national (beaucoup d’émissions enregistrées de cette nature en présence d’un public) ne pourrait pas inspirer à une plus petite échelle des radios du « pays », désireuses de développer un volet culturel plus important ? Voilà deux idées qui pourraient fort bien être associées dans le cadre d’un beau projet … Avis aux éventuels partenaires !

 

Daniel Mercier, président de « Philo Sophia » et animateur du café philo de la Maison du Malpas