Comment être libre quand on est déterminé ? Mars 2012 - Pascal Séverac

La présentation du théme

« Comment être libre quand on est déterminé ? »

 

Pascal Séverac est maître de conférences en philosophie à l'Université Paris-Est Créteil, directeur de programme au Collège International de Philosophie, où il co-anime plusieurs séminaires (sur le handicap et la pédagogie notamment). Il est également rédacteur en chef à laviedesidees.fr. Spécialiste de Spinoza, il a publié différents ouvrages sur lui.

Spinoza. Union et désunion, Vrin, 2011; Spinoza (en collaboration avec A. Suhamy), Ellipses, 2008; Le devenir actif chez Spinoza, Honoré Champion, 2005 ; L'Appendice à la première partie de l’Ethique de Spinoza, Ellipses, 1999; L’Ethique de Spinoza, Ellipses, 1997.

Avant de dire quelques mots sur la problématique du sujet de ce soir, typiquement spinoziste, je voudrai dire que Spinoza est un des quelques immenses philosophes de toute notre histoire, et qu’aujourd’hui son actualité, ou vaudrait-il mieux dire, cette « inactualité » qui est la marque des plus grands, est telle que nombre de penseurs des sciences sociales, économiques ou politiques s’en sont saisis et s’en inspirent directement dans leurs travaux.

 

Notre conférence de ce soir a été précédée par un café philo en février où nous avons discuté de la question préalable à la question de ce soir, que l’on pourrait formuler ainsi : « sommes nous libres ou déterminés ? ». Donc nous sommes un certain nombre à avoir « mastiqué » cette question, et en appétit pour recevoir aujourd’hui des éléments de réponse qui permettraient sans doute de dépasser l’alternative, à condition sans doute de mettre en question la conception que nous nous faisons habituellement de la liberté. Mais revenons au libellé même de notre conférence : quelle est précisément la problématique sous-jacente à cette question ?

 

Le titre de cette conférence « comment être libres si l’on est déterminé ? » interroge immédiatement par la contradiction qu’il semble contenir … Dire que les choses de la nature sont déterminées, c’est-à-dire soumises à des lois de causalité, ne semble pas être contesté, même si l’on est obligé de reconnaître que les limites de notre connaissance nous empêchent de dévoiler l’ultime réalité des phénomènes, et que nous ne sommes pas en mesure de prédire tout ce qui va se passer dans le futur à cause de ses limitations mêmes. Mais il est de tradition dans tout un courant de la philosophie de séparer ontologiquement l’ordre de la nature et l’ordre humain, celui de l’histoire et de la culture. Le premier relèverait exclusivement d’un déterminisme causal ; le second, celui de « l’exception humaine », se caractériserait par l’existence de la liberté, c’est-à-dire la faculté de s’arracher aux déterminismes naturels pour poser des actes entièrement libres. L’homme, comme sujet libre, fait deux avec la nature, il est « hors nature ». En face de cette conception, nous trouvons la thèse opposée, dont le spinozisme constitue sans doute la forme la plus achevée. Je citerai ici Henri Atlan, qui est déjà venu ici pour nous parler des rapports corps/esprit, et qui se réclame du spinozisme : il faut bien reconnaître en effet « que notre conscience subjective de libre choix est de plus en plus démentie par notre connaissance objective de causes et de lois impersonnelles qui déterminent ces choix et montrent à l’évidence qu’ils ne sont pas libres comme nous le croyons….. Autrement dit, cessons de nous débattre dans les trous du déterminisme (en effet, il y aura toujours des « trous » dans ce déterminisme puisque la connaissance infinie des causes n’existera jamais… il est donc toujours possible de « profiter de ce manque » pour continuer à « faire comme si » nous étions libres de nos choix…) et posons d’autorité qu’il n’y en a plus. ». Que veut dire au juste Atlan, reprenant exactement le propos de Spinoza : Nous avons tous le sentiment d’être libre, de nos actions comme de nos pensées. Mais le sommes-nous vraiment ? Peut-être que notre impression de liberté n’est due qu’à l’ignorance qui est la nôtre des causes qui nous déterminent ! Si, comme avec Spinoza, cette hypothèse déterministe est retenue, de nombreuses questions se posent : car l’objet de sa grande œuvre, « l’Ethique » est bien de (re)trouver une liberté qui pour lui est à conquérir. Mais comment est-il possible d’être libre si l’on est déterminé ? C’est précisément ce que Pascal Séverac va nous expliquer…

 

Il introduit ainsi son intervention :

 

« Pour Spinoza, l'homme est une partie de la Nature. Loin d’être « un empire dans un empire », il est, comme toute autre chose, soumis à la nécessité naturelle ; conscient de ses désirs, il en ignore cependant les causes, c’est pour cela qu’il se croit libre, alors qu’il est en réalité déterminé. Et pourtant, toute liberté ne lui est pas refusée : le maître ouvrage de Spinoza s'appelle en effet  l'Ethique, et la finalité de cette éthique est d'obtenir la liberté. Comment cela est-il possible? Comment être libre si l'on est déterminé? Spinoza répond : on devient libre par la raison, en comprenant ses propres déterminations, et en augmentant ainsi sa propre puissance. C’est en particulier se comprendre, soi et sa propre vie affective, comme déterminé par des logiques purement naturelles : nous nous  libérons ainsi des affects nuisibles, et nous pouvons vivre d'affects rationnels.

Bien des problèmes se posent alors:  

Cette capacité à comprendre, condition de la liberté,  ne peut qu’être elle-même déterminée de l’extérieur : jouirait donc de liberté celui qui a la chance d’être soumis à une « bonne » détermination !

En quoi se comprendre comme soumis à la nécessité rend plus libre : n’est-ce pas plutôt décourageant ? Que peut-on faire dans ce cas ?

Que signifie au juste jouir d'affects rationnels? L’association de ces deux termes, souvent opposés,  est-elle pertinente ? S'agit-il au fond de substituer par la raison certains sentiments, libérateurs, à d'autres, aliénants? »

Daniel Mercier, le 15/03/2012