Comment penser la crise contemporaine ? - Avril 2014

La présentation du sujet

« Comment penser la crise contemporaine ? »

 

L’expression « c’est la crise ! » cristallise les débats dans de nombreux champs (politique, économique, sociétal etc…) en se banalisant.

La notion de crise — omniprésente aujourd’hui — s’est généralisée dans l’usage courant en se vidant littéralement de son sens originel (jugement, tri, décision).

Les réflexions portant sur le diagnostic, le pronostic et éventuellement la sortie de crise (« la crise sans fin ») achoppent sur la difficulté de penser la crise contemporaine qui semble anormalement s’éterniser.

Quel que soit son domaine d’application, la crise s’inscrit dans une temporalité particulière, relevant d’un certain régime d’historicité dont elle est même le révélateur.

Avons-nous affaire à une crise ou à un changement de modèle ?

Nous essaierons de penser cette crise contemporaine à travers le prisme des sciences humaines combinées telles que la philosophie, la sociologie, l’économie, l’écologie. 

 

Patrice Padilla

 

L'écrit philosophique

Comment penser “la crise” contemporaine ?

 

Texte et présentation par Patrice Padilla

 

Actualités

Les médias presque résignés utilisent à tout bout de champ l’expression « c’est la crise ! », qui cristallise les débats en s’enlisant dans de nombreux champs (politique, économique, sociétal etc…) tout en se banalisant.

On ne parle plus aujourd'hui d'une crise succédant à d'autres crises - et préludant à d'autres encore -, mais de «la crise», et qui plus est d'une crise globale qui touche aussi bien la finance que l'éducation, la culture, le couple ou l'environnement.

 

Définition

Normalement c’est un état censé être passager, transitoire : une période de vaches maigres entre 2 périodes de vaches grasses. La notion de crise — omniprésente aujourd’hui — s’est généralisée dans l’usage courant en se vidant littéralement de son sens originel. Le mot grec krisis, issu du domaine médical, désigne avant tout le jugement, le tri, la séparation, la décision. Il indique le moment décisif, dans l’évolution d’un processus incertain, qui va permettre le diagnostic, le pronostic et éventuellement la sortie de crise. On ne peut donc dissocier le statut de la crise d’une conception et d’une expérience du temps : quel que soit son domaine d’application, la crise s’inscrit dans une temporalité, elle relève d’un certain régime d’historicité dont elle est même le révélateur.

 

Problématique

Les réflexions balbutiantes portant sur le diagnostic, le pronostic et éventuellement la sortie de crise (« la crise sans fin ») achoppent sur la difficulté de penser la crise contemporaine qui tend à s’éterniser « anormalement » en rendant du coup le retour à la situation antérieure peu probable et pour certains peu souhaitable.

Du fait de cette « durée indéfinie » (tout se passe comme si la crise s’était installée durablement) le sens apparaît fortement dévoyé.

Alors que la crise était vue, à la suite de la philosophie grecque, comme le moment de l’hésitation et du jugement, (l’instant où plusieurs voies s’ouvraient sans qu’aucune n’apparaisse l’emporter absolument ; l’instant du choix au pied du mur), la modernité en a fait un état quasi permanent, un univers fluctuant manifesté socialement par les phénomènes de réseau et de flux.

Nous n'en voyons pas l'issue : elle est la trame même de notre existence.

 

 

L’enjeu est de savoir s’il faut appréhender cette nouvelle situation comme

·         une opportunité (afin de trouver une nouvelle voie de progrès) ou plutôt comme une menace (état stationnaire voire empirant) ? (optique asiatique)

·         une crise ou bien un changement de modèle ?

·         comportant de nouveaux maux nécessitant de nouvelles thérapies ?

 

Comment retrouver une action collective orientée par un horizon de sens, qui ne peut plus être un avenir dessiné à l’avance ?

Nous essaierons de penser cette crise contemporaine (la notion de temps n’a pas la même teneur selon la discipline) à travers le prisme des sciences humaines combinées telles que la philosophie, la sociologie, l’économie, l’écologie.

 

Plan

1.La crise d’un point de vue philosophique  (Myriam Revault d’Allonnes)

2.La crise d’un point de vue sociologique (M.Maffesoli)

3.La crise d’un point de vue écologique (A.Lipietz)

4.La crise d’un point de vue économique (M.Aglietta)

La crise d’un point de vue philosophique  (Myriam Revault d’Allonnes)

« La crise sans fin » désigne aujourd’hui un état permanent, une  « normalité », une régularité marquée du sceau de l’indécision, et dont nous ne voyons pas l’issue.

Elle désigne le moment où (avec les pertur­bations) surgissent les incertitudes quant

·         aux causes,

·         au diagnostic,

·         aux effets,

·         à la possibilité même d’une issue, d’une « sortie » de crise.

La crise concerne tous les registres et signifie à la fois la crise

·         du savoir (de notre compréhension de ce qui se passe)

·         de notre vécu subjectif,

·         de la réalité objective (notamment sociale).

Problématique des temps modernes liée à la conception du temps

·         crise des fondements,

·         crise de la norma­tivité,

·         crise de l’identité

 

Désormais privé des repères de la précédence (ne constituent plus des exemples à suivre), l’homme de la modernité doit s’inscrire nécessairement, par son action,  dans un devenir.

Le passé éclaire de moins en moins le présent (en raison de l’écart), c’est  donc à l’avenir de le justifier.

L’individu doit affronter la perte des repères habituels et sa propre désorientation.

Tout se passe comme s’il n’y avait plus rien à trancher, plus rien à décider car la crise est devenue permanente.

Ainsi dilatée, elle apparaît comme le milieu et la norme de notre existence.

Ce retournement radical est le signe d’une transformation profonde de notre rapport au temps :

rapport marqué par l’incertitude de l’avenir mais, à la différence de la perspective ouverte par Rousseau, tout se passe comme si nous ne croyions plus à la possible fécondité de l’existence temporelle. (forme de désenchantement)

C’est la raison pour laquelle la perception d’une crise généralisée dont on ne voit pas l’issue est liée à une crise de la projection dans le futur.

Peut-on envisager la possibilité que La Crise soit devenue le nouveau  « singulier-collectif » de notre temps ?

La crise, plus qu'un concept, est une métaphore qui ne rend pas seulement compte d'une réalité objective mais aussi d'une expérience vécue.

Elle dit la difficulté de l'homme contemporain à envisager son orientation vers le futur.

La modernité, dans sa volonté d'arrachement au passé et à la tradition, a dissous les anciens repères de la certitude qui balisaient la compréhension du monde : l'homme habite aujourd'hui un monde incertain qui a vu s'évanouir tour à tour l'idée de temps nouveaux, la croyance au progrès et l'esprit de conquête.
 

Or, nous sommes aujourd’hui, confrontés à un processus de « temporalisation ». Après l’effondrement de la croyance généralisée au Progrès, de l’espérance d’un avenir téléologiquement orienté vers le mieux, le temps est devenu en quelque sorte un temps sans promesses.       

Le schéma qui prédomine aujourd’hui est celui d’un futur infigurable et indéterminé. Cette nouvelle manière d’être au temps affecte à la fois le regard que la société porte sur son avenir collectif voué à l’incertitude et les représentations que les individus se font de l’orientation (tout aussi incertaine) de leur existence.                                                                                                                                 

Alors que la maîtrise du temps est au cœur des confrontations sociales, de la compétition économique, du domaine financier, le temps du politique est en contradiction avec les contraintes de l’accélération contemporaine (d’où son caractère réactif et non proactif...), il est « synchronisé ».                                                                                                                                                                                               

La société se transforme seule indépendamment de l’action politique (contrepouvoirs). La puissance publique n’est plus souveraine, d’où une dépolitisation. Anachronisme de la politique démocratique ?

Yves Citton

C’est bien à une « crise de la temporalité » que nous assistons.                                                                                                                            Pour la première fois peut-être, nous voyons assez clairement les causes efficientes de bouleversements sociaux potentiellement très violents se mettre en place à l’horizon du moyen terme. Mais nous sommes incapables de construire collectivement des moyens d’organisation politique nous permettant d’en anticiper les résultats calamiteux.

Nos temporalités politiques ne sont pas en phase avec nos temporalités sociales ni avec nos temporalité environnementales. A première vue on est « en crise », parce qu’on n’a pas de croissance du PIB.                                                                                                                        Cela nous aveugle au fait que la véritable crise, la catastrophe en cours, n’est pas une affaire de vitesse, d’accélération ou de ralentissement du mouvement vers davantage de croissance, mais une affaire d’orientation : la question cruciale n’est pas d’aller plus ou moins vite, mais de savoir dans quelle direction réorienter la croissance de nos forces productives. (crise de SENS)

(Marcel Gauchet) La société historique est celle où l’humanité doit désormais « s’inventer collectivement dans le temps », contrairement à la société traditionnelle tournée vers les modèles du passé.

 

 

 

La crise d’un point de vue sociologique

(M.Maffesoli)

 

Mutation, transition plutôt qu’une simple crise.

Délitement social et sociétal/valeurs de la société

Saturation (impermanence/continuité)

Un imaginaire (atmosphère, climat spirituel) social cesse, un autre est en gestation.

Divergences entre la société officielle incarnée par les élites et la société officieuse se manifestant par le ressenti du peuple déconnecté de l’élite bien-pensante (malaise politique illustré par l’abstention électorale, la perte de confiance au politique, le vote FN)

Changement de paradigme à travers 5 valeurs clés et symboliques

·         L’individualisme versus le tribalisme

·         La valeur travail versus la création

·         L’hypertrophie de la raison versus le corps (« homo éroticus »)

·         La conception « utilitariste » du monde versus « l’esthétisation du monde »

·         La conception du temps associé au mythe du progrès (patience) versus « carpe diem » (court terme)

 

La crise d’un point de vue écologique

(A.Lipietz)

 

Crise environnementale, insoutenabilité du mode de développement occidental « industrialisé » (empreinte écologique)  malheureusement repris par la plupart des pays émergents qui contribuent à une crise des « matières premières énergétiques » (flambée des prix) et à une spéculation au niveau de l’agriculture (terres agricoles et récoltes).

Pression des pays émergents pour consommer de la viande (imitation de nos modes de vie, recherche de statut) d’où augmentation du prix des céréales.

Agro carburants en concurrence avec les cultures vivrières. (Brésil)

Inflation des prix des denrées alimentaires d’où la difficulté à supporter les dettes contractées dans d’autres domaines (immobilier, consommation courante etc.).

 

La crise d’un point de vue économique

(M.Aglietta)

 

Crise systémique mettant en évidence l’incohérence du système (vision holistique).

Impasse actuelle à endiguer les problèmes économiques et sociaux résultant de graves dysfonctionnements accentués par la crise financière. (épuisement de ce type de régime d’accumulation, impasse du mode de régulation actuel n’assurant pas le retour à un équilibre satisfaisant)

Stagnation voire baisse des salaires notamment des non-qualifiés des pays développés en raison de la concurrence des travailleurs de pays émergents d’où la difficulté de maintenir un niveau de consommation de masse compatible avec une production de masse (crise des débouchés).

La solution trouvée par le capitalisme anglo-saxon est l’endettement privé. (le crédit)

La solution trouvée par le capitalisme européen est l’endettement public. (dettes souveraines)

Contradiction du système capitaliste financier dérégulé ; la finance (ayant sa propre finalité) impose ses règles et les Etats sont démunis.

« Privatisation des profits et socialisation des pertes »

Les Etats sont intervenus en dernier ressort pour sauver le système (capitalisation des banques, prêts, relance du secteur privé).

En s’endettant ils se sont mis à leur tour en grand difficulté (crise des dettes souveraines) vis-à-vis des marchés financiers en étant sanctionnés par les agences de notation (crise de l’euro, de la Grèce)

 

 

Conclusion

 

La crise financière et la crise écologique sont les manifestations d’une crise plus globale et profonde, la crise de nos rapports à la nature et à la société, caractérisés par une volonté de maîtrise étendue, une instrumentalisation et une artificialité croissantes.

Mais malgré la puissance des outils et techniques modernes, les sociétés sont globalement de plus en plus fragiles, et la recherche de l’efficacité se retourne contre elle-même, engendrant des situations inefficientes voire absurdes.

Ce phénomène de contre productivité, mis en lumière par Ivan Illich dans les années soixante-dix, se repère pareillement dans la sphère financière et dans les relations que l’homme d’aujourd’hui entretient avec la nature.

 

Si la crise semble complexe à analyser il convient de s’interroger sur les types de résilience dont feront preuve les sociétés, les organisations, les individus pour survivre voire même se distinguer.

En GRH la compétence renvoie au savoir-faire dans l’action dans le contexte d’un problème posé à l’entreprise.

Par conséquent si cette crise perdure tant que le paradigme nouveau ne sera pas complètement identifié et conforté il s’agira de former les citoyens à s’adapter en permanence ; à se doter de compétences adaptatives puisque les routines (défensives versus offensives) du quotidien sont appelées à se transformer continuellement.