et développement durable sont-ils compatibles ?  - Décembre 2010

La présentation du sujet

 « Libéralisme et développement durable sont-ils compatibles ? »

 

Pour sa dernière séance de l’année, le café philo vous propose de réfléchir sur un des enjeux les plus importants de l’humanité aujourd’hui : celui de pouvoir « durer » sur Terre dans des conditions de vie raisonnables… L’état des lieux est préoccupant : explosion démographique, épuisement des ressources, et développement de grands pays comme la Chine ou l’Inde ; et cela dans un contexte marqué par des dégâts écologiques importants : changement climatique, productivisme agricole en crise, pénurie d’eau, déforestation, épuisement des ressources en poissons, dissémination des produits toxiques, bio diversité…. La liste des « plaies » de la planète est longue… Pour éviter que ce cocktail soit trop explosif, notre système économique et politique qualifiée souvent de « libéral » peut-il œuvrer efficacement dans la direction du « développement durable », tel que celui-ci a été officiellement adopté par le rapport Bruntland en 87 (ONU) ?

Mais qu’est-ce que le libéralisme ? Peut-on espérer que l’économie de marché et ses mécanismes habituels peuvent contribuer à la profonde mutation dont notre développement a besoin ? Quelles sont les tensions ou même contradictions auxquelles la philosophie libérale s’expose si elle prétend mener ce combat ? Y a-t-il d’autres alternatives ? Et au-delà des réponses économiques ou politiques, n’est-ce pas le rapport même qu’entretient l’homme avec la nature qui est en jeu ?

 

Le café philo communiquera lors de cette séance le nouveau programme 2011.

 

Daniel Mercier, le 5/12/2010

L'écrit philosophique

LIBERALISME ET DEVELOPPEMENT DURABLE SONT-ILS COMPATIBLES ?

 

Quelques ouvrages ou articles qui ont pu alimenter la réflexion…

 

  • Philo Magazine octobre 2007 : « La bombe écologique »
  • Hors série Alternatives Economiques, « l’Economie durable », 4e trimestre 2009, en particulier l’article de Jean Gadrey, professeur Lille I, sur la notion de prospérité
  • Article de Hugues Poltier sur le libéralisme:www.contrepointphilosophique.ch
  • Article de  Vincent Peillon et Jean-Fabien Spitz, « Socialisme et libéralisme », Philo Magazine, juillet-août 2008
  • Article de Serge Audier, la gauche et le libéralisme, Alternatives Economiques nov 2008
  • Article de Bruno Latour sur le site : www.bruno-latour.fr),
  • « Vie et mort de la population mondiale », 2009, Hervé Le Bras
  • « La nouvelle écologie politique – Economie et développement humain », Fitoussi et Laurent Eloi, Seuil
  • « Capitalisme, socialisme, écologie », A. Gortz, 1991, Galilée
  • « La science est le défi du 21ème siècle » Claude Allègre, 2009, Plon,
  • « La Grande Désillusion », Stiglitz Joseph 2003 [2002], Le Livre de Poche
  • « De l’euphorie à la panique. Penser la crise financière », André Orléan
  • « Reclaiming development. An Alternative Economic Policy Manual », Ha-Joon Chang et Ilene Grabel
  • Serge Latouche : tous ses ouvrages sur la décroissance

 

  • « Le capitalisme est-il moral ? », André Comte-Sponville

·         « Le principe responsabilité - Essai d'une éthique pour la civilisation technologique », Jonas, 1990 [1979], Editions du Cerf

  • « La convivialité », ILLICH Ivan, 2003 [1973], Seuil
  • « Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement », Catherine et Raphaël Larrère
  • « Par delà nature et culture », Philippe Descolat
  • « Ethique de la terre », John Baird Callicott

 

·         « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations », Adam Smith,1991 [1776], Flammarion

  • « Essai sur le principe de population », Malthus

·         « La route de la servitude », Hayeck, 2005 [1944], PUF

 

Face à la complexité de la question, des pistes de réflexion qui tiennent compte de cette complexité et qui refusent les réponses binaires. Le gris et le mélange sont préférés au noir et blanc…

 

Première partie : état des lieux, enjeux, problématique…

 

Etat des lieux, enjeux…

Précisons en quelques mots à partir de quel état des lieux et de quels enjeux concernant notre planète, la question du développement durable est posée ; le problème peut se résumer dans la corrélation des faits suivants : explosion démographique après la guerre (aujourd’hui 7 Milliards d’habitants, mais 9M prévus en 2050), épuisement des ressources naturelles (énergies fossiles en particulier), et développement de pays comme la Chine ou l’Inde, ces trois phénomènes combinés créent un cocktail explosif. D’autant plus explosif qu’ils interviennent dans un milieu  marqué par des dégâts écologiques liés à notre mode de développement, énumérés dans le Hors série « L’économie durable » d’Alternatives Economiques, et désignés comme « les sept plaies d’une planète durable » : l’accélération du changement climatique, le productivisme agricole en butée, l’aggravation de la pénurie d’eau, l’épuisement des ressources halieutiques (produits de la pêche), la déforestation, la biodiversité menacée (extinction massive des espèces), la dissémination des produits toxiques (pesticides, dioxines, métaux lourds… etc.). Ce n’est pas l’objet ici de détailler ces « plaies », mais il paraît aujourd’hui évident que la mobilisation pour les soigner a été jusqu’à présent très insuffisante, et que la question se pose de savoir si le système libéral, considéré à tord ou à raison comme le système dominant aujourd’hui (mais encore faudra-t-il s’entendre sur ce que nous entendons par « libéralisme »), peut nous fournir les outils et avoir les ressources nécessaires pour promouvoir un « développement durable » qu’il semble avoir eu du mal à mettre en œuvre jusque là.

Mais qu’est-ce que « le développement durable » ?

La question apparaît avec les travaux du club de Rome dans les années 60 : selon le rapport Meadow (1972), le dynamique d’une population croissante qui consomme et pollue de plus en plus dans un monde fini mènent nécessairement à une catastrophe environnementale. L’ONU à la conférence de Stockolm (1972) parle d’ « éco-développement » mais va préférer très vite le « sustainable dévelopment ». Avec le rapport Bruntland en 87 (ONU), « Le développement durable » s’impose comme référence : « Le développement durable est celui qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins, à commencer par les plus pauvres. ». Au sommet de la Terre à Rio (1992), il est inscrit comme principe fondamental de toutes les politiques d’aménagement et de protection. Le rapport Bruntland introduit l’idée, faisant maintenant consensus, des trois piliers du développement durable : l’environnemental, le social, et l’économique. Il est à l’intersection de l’efficacité économique, de l’équité sociale, et du respect de l’environnement.

L’inconvénient de cette expression, mais qui fait aussi son succès, est qu’elle ne précise pas les modalités qui rendraient durable notre développement ; elle exprime certes une critique de la situation présente et se veut normative, mais il est difficile de traduire cette exigence normative en objectifs précis ; ce qu’elle nous dit en substance, c’est que la croissance ne peut se poursuivre indéfiniment sur le même mode (sous-entendu le mode occidental), mais qu’il n’est pas pour autant nécessaire, pour éviter la catastrophe, de bloquer tout développement. Autrement dit la notion de développement durable (ce n’est pas un concept, plutôt une notion) veut concilier développement et environnement (contrairement à d’autres approches, comme celle de la Décroissance). On peut distinguer une version « light » d’une version plus « hard », sans qu’il s’agisse d’une véritable opposition, mais plutôt d’un dégradé qui combine à des de grés variables l’une et l’autre. La première conception, que l’on peut nommer l’écodéveloppement, insiste sur des modes diversifiés et alternatifs de développement ; sans se déconnecter du marché, il s’agit d’aider les pays du Sud à se déconnecter de la dépendance et du mode de développement occidental en mettant au premier rang la satisfactions des besoins fondamentaux de ces populations, et en utilisant des modes de développement respectueux de l’environnement. La seconde, plus classiquement libérale, fait du développement durable la capacité d’intégrer au modèle de croissance économique un certain nombre de limites et de contraintes écologiques, avec l’exigence qu’il n’y ait pas de diminution de niveau de vie d’une génération à une autre.

 

La question de la « compatibilité » du développement durable avec le libéralisme est alors simple : ce discours sur le DD qui s’inscrit naturellement dans le cadre libéral, et qui a même été enfanté par lui, est-il crédible ? Le libéralisme, associé généralement au développement économique mondialisée tel qu’on le connaît peut-il ainsi se métamorphoser ou se transformer progressivement pour prendre en compte les contraintes écologiques et se fixer ses propres limites ? Peut-il soutenir l’infléchissement du développement dans le sens de la « durabilité » ? Autrement dit, une mutation durable du libéralisme, et dans le cadre du libéralisme, est-elle possible ? Peut-il porter cette évolution d’un développement « vert », c'est-à-dire vivable, durable, qui va dans le sens des grands équilibres éco-biologiques de la planète ? Une deuxième question apparaît aussitôt en embuscade derrière celle-là : la notion même de développement durable, en tant que rejeton de l’idéologie libérale, tentative de récupération des nouvelles donnes écologiques, n’est-elle pas elle-même trompeuse ?

 

Deuxième partie : Qu’est-ce que le libéralisme ?

 

Commençons peut-être par lever un malentendu : le libéralisme politique et économique est intimement relié à notre histoire nationale et européenne, incarné par des penseurs qui ont marqué profondément l’histoire de nos idées. Hobbes, Locke, Montesquieu, J. Stuart Mill, Hume, A. Smith,  Jaurès … etc. sont des libéraux (Jaurès est socialiste mais aussi libéral, ce qui permettait à Bertrand Delanoe de dire en 2008 qu’il était socialiste et libéral, et à bon droit il me semble… Les réactions négatives d’un certain nombre des collègues de son Parti s’expliquant selon moi, par la difficulté récurrente du Parti Socialiste à endosser de ce point de vue sa propre histoire…). Nous confondons souvent dans nos représentations libéralisme avec ultra-libéralisme et dérégulations ; seul un personnage comme Alain Madelin pourrait à la rigueur représenter ce courant en France, au demeurant de moins en moins présent (ils sont beaucoup plus influents et nombreux dans les pays anglo-saxons). Ceci dit, il faut bien reconnaître que sur un plan théorique libéralisme et libertarisme (cf. plus loin) puisent aux même sources. Qu’est-ce donc que le libéralisme ?

 

Le contrat fondateur et la question de la liberté : les hommes acceptent de se dessaisir de leur liberté naturelle génératrice de violence, de désordre et de stagnation, au profit d’un contrat qui établit société et assure leur sécurité. La nature du pouvoir de ceux qui sont chargé de faire appliquer et respecter ce contrat fait discussion (Hobbes, Locke, Rousseau …). Locke représente de ce point de vue la réponse libérale : l’homme ne doit pas, contrairement à ce qu’affirme Hobbes, mettre sa liberté entre les mains d’un pouvoir autoritaire sans le contrôler, mais simplement et raisonnablement, envisager de restreindre sa liberté quand elle empiète sur celle des autres, à condition que ces restrictions soient décidées de façon participative. Il s’agit alors pour le pouvoir d’orienter de manière incitative l’action d’individus libres (il est à noter que même cette « orientation incitative » par le gouvernement des hommes est jugé liberticide par les libéraux les plus « purs »…)

Le droit de propriété comme expression fondamentale de la liberté de chaque homme est également au fondement de ce système ; Locke s’en explique : chaque homme est propriétaire de sa propre personne, et donc aussi du fruit de son travail (la propriété est un droit naturel). Elle est protégée par le contrat.

 

Le marché ; intérêt individuel et égoïsme universel : le marché est, sur le plan économique, l’instance fondamentale de la théorie libérale. C’est le lieu de rencontres des offres et des demandes ; ses règles d’échanges vont encadrer « la guerre de tous contre tous » au sens hobbesien. Nous pouvons ici distinguer des différences entre les plus « ultra » qui croient à l’auto-régulation naturelle du marché, sans que l’Etat doive s’en mêler, et le point de vue du libéralisme classique selon lequel le marché est une institution qu’il s’agit de créer et de réguler (en imposant notamment le droit à la concurrence et l’interdiction du monopole, qui est liberticide). L’objectivité de l’intérêt matériel est ici la règle de base de cette rationalité économique, le désir d’améliorer sa condition étant, selon A. Smith, un des désirs fondamentaux de la condition humaine, avec le désir d’approbation d’autrui. La métaphore de « la main invisible » nous aide à comprendre que le marché contribue au bien-être général, car en travaillant pour son intérêt personnel, on contribue beaucoup mieux à l’intérêt de la société qu’avec les « meilleures intentions du monde ». Dans la société libérale, les individus font le bien qu’à la condition de ne pas le vouloir. Chacun « donne le meilleur de lui-même » (Hayek) ; Cette course au profit assure la croissance économique. Le marché permet ainsi de satisfaire au mieux et à moindre coût les désirs de chacun ; la meilleur défense du consommateur, c’est le libre-échange partout dans le monde et la concurrence à l’intérieur (Friedman, 1980). La théorie exclut par principe toute intervention de l’Etat qui ne peut faire aussi bien que le marché. Les mécanismes des prix doivent être libres ; ce sont eux seuls qui peuvent allouer les ressources selon la loi de l’offre et de la demande. Dans la réalité, les interventions de l’Etat se sont pourtant avérées nombreuses (nous y reviendrons…). L’homo oeconomicus, cet individu rationnel et libre qui maximise son « utilité », est l’archétype « scientifique » de cet individu égoïste qui sert de postulat au libéralisme. Beaucoup de discours contemporains mettent toujours en avant la valorisation du profit, la prise de risque, le travail, et parallèlement fustigent tout ce qui peut entraver cela : les interdits, les solidarités, les institutions, les traditions… A cela est associée l’idéologie du « self-made-man » : chacun peut sortir de la pauvreté s’il se prend en main, étant présupposé que le talent est initialement distribué de façon aléatoire. Concernant la critique de cette idée et de celle, concomitante, de mérite, on peut se reporter au philosophe J. Rawls (faisant pourtant partie de la tradition libérale), mais aussi le sociologue François Dubet (Qu’est-ce qu’une école juste ?). Pour conclure sur ces deux premiers points, nous pourrions résumer le dogme libéral en disant que ce sont toujours les intérêts individuels, portés par la « valeur travail » et le mérite, et médiatisés par le jeu du marché, qui sont censés conduire au plus grand bonheur du plus grand nombre.

 

La neutralité de l’Etat  : est naturellement dans le prolongement de ce qui vient d’être dit. Comme l’a bien montré M. Gauchet, mais aussi P. Manent, le libéralisme est lié à la volonté de construire une société soustraite à l’emprise du théologico-politique, c'est-à-dire indépendante de toute religion. Pour Manent, c’est à la suite des guerres de religions que s’est imposé la nécessité d’édifier un Etat neutre, une « forme politique sans opinion ». L’Etat libéral doit éviter toute confrontation plus ou moins violente entre différentes conceptions du Bien, ferment de toutes les guerres idéologiques. Pour cela, il ne doit pas être dépositaire d’une conception moniste du Bien qu’il prétendrait universalisable. La question du bien (morale, religion, philosophie) doit être renvoyé au niveau de l’individu. Pour Hayek (le chef de file des libéraux radicaux), même la justice sociale en tant qu’objectif politique est une atteinte à la liberté individuelle et premier pas sur la route de la servitude. La justice ne peut être qu’un choix individuel (Rawls est en désaccord avec cette position : au-delà du pluralisme des conceptions du bien, il y a un certain nombre de « biens sociaux premiers » que tous les hommes désirent avoir plus que moins, et qui sont la condition de réalisation de tout projet de vie, quelque soit sa singularité. Ces biens sociaux premiers sont les droits, les libertés et les possibilités offertes, les revenus et la richesse. Ils constituent « les bases sociales du respect de soi-même »).Dans cette perspective, l’Etat n’a pas à imposer au peuple sa foi, même laïque, et même s’il la juge salutaire. Hayek mènera une véritable bataille contre l’attribution à une politique d’objectifs sociaux : il y aurait là risque de totalitarisme car cette politique menace la libre détermination par chacun des fins qu’il s’est attribué. Le seul objectif « social » qui puisse valoir est la maximisation de la liberté, laquelle fait l’essentiel de la dignité humaine (c’est le sens profond de l’expression « économie sociale de marché »).

 

Libéralisme et démocratie : la conséquence d’une telle conception de l’Etat sur la démocratie est claire : le gouvernement libéral donne la priorité à une gestion technique de la démocratie dont le seul critère est l’efficacité. Nous avons là en quelque sorte une vision « minimale » du rôle du pouvoir politique qui réside en deux choses (cf. article de Hugues Poltier : www.contrepointphilosophique.ch) : d’une part assurer la protection de l’individu vis-à-vis des empiètements de ses semblables, et d’autre part le protéger également de l’arbitraire de ce même pouvoir. Cette conception du pouvoir est donc avant tout technique et gestionnaire : il s’agit de réguler la vie sociale et les échanges entre les individus ; veiller aux règles de « juste conduite », de la propriété, des contrats, des conditions d’échanges, le postulat étant que le marché s’auto-régule sans instance centrale et produit le maximum de bienfaits. Encore une fois, la réalité des gouvernements qui se disent libéraux contrevient souvent à ce qui est un idéal à poursuivre… Un tel système repose sur le maintien de la « fragmentation sociale » où chaque individu doit être considéré comme une entité juridique autonome, indispensable aux respects des libertés individuelles. Pour maintenir cette fragmentation sociale, le libéralisme propose trois principes concrets de gouvernance : l’égalité des droits, la séparation des pouvoirs, et la représentation des intérêts divergents. La démocratie est davantage une « technologie » ou une méthode de gouvernement et de prise de décisions : l’important n’est pas tant d’assurer la souveraineté populaire que d’assurer, via les élections (la participation électorale du peuple), la légitimité du gouvernement. Son but principal étant la liberté et la jouissance de l’individu dans la sphère privée. Cette conception de la démocratie est assez éloignée de ce que Marcel Gauchet nomme « le gouvernement de soi collectif », ou encore « le gouvernement de la société par elle-même »,  et qui serait la visée originaire de l’aspiration démocratique.

 

Libéralisme et libertarisme (ou ultra-libéralisme) : il ne serait pas juste de terminer cette présentation sans distinguer l’un et l’autre. Nous avons dû précédemment énoncer quelques éléments du corps de la doctrine libérale, en sachant que l’histoire réelle du libéralisme est celle aussi de débats fréquents entre version « light » et version plus « hard », et que, si dans sa « pureté » la doctrine libérale est plutôt libertarienne, les pensées et les pratiques libérales plus modérées ont été de loin les plus nombreuses, car elles n’évacuent jamais totalement la question de l’égalité. Le libertarisme absolutise en quelque sorte les droits imprescriptibles de l’individu, et pensent que prendre à certains ce qui leur appartient pour le donner à d’autres, c’est du vol et de l’esclavage, alors que le libéralisme n’a jamais prétendu cela, y compris chez ses fondateurs. C’est en effet le discours aujourd’hui de la droite libérale, assez peu représentée en France. En ce sens, le socialisme qui naît vers 1830 « se revendique du libéralisme, c'est-à-dire de la défense des libertés, tout en constatant une impuissance de cette doctrine à réaliser ces libertés, si elle n’est pas accompagnée d’une exigence d’égalité » (Vincent Peillon, Philosophie Magazine août 2008). Le socialisme des origines est républicain et démocratique, et n’est donc pas « anti-libéral »…

 

Troisième partie : Libéralisme et développement durable : des tensions inévitables… ou des contradictions ?

Ce qui précède laisse augurer d’un certain nombre de difficultés quant à la capacité du système libéral à relever les enjeux du développement durable

 

La notion d’empreinte écologique et le principe de réalité

Cet indicateur peut servir à mesurer la tendance qu’ont les activités humaines à dépasser ce que notre planète peut fournir en ressources naturelles. Elle mesure plus précisément, pour une population donnée, la surface « bio-productive » nécessaire pour produire les principales ressources consommées par cette population et pour absorber ses déchets. Soient 12 Milliards d’hectares et 6,5 Milliards d’individus, chacun d’entre nous dispose en moyenne de 1,7 ha. Un français moyen consomme 5ha, un américain 9,6 ha. Pour généraliser durablement le niveau de vie moyen du français, il faudrait trois planètes, et 5 planètes dans le cas du mode de vie américain. Compte-tenu de la hausse régulière de notre empreinte écologique (si nous pronostiquons la même hausse que dans les décennies précédentes…) et de l’augmentation de la population mondiale (9M en 2050 ?), il faudrait dans quelques décennies plusieurs dizaine de planètes… Il faut noter que ces chiffres quelque peu contre-intuitifs doivent se comprendre en gardant à l’esprit que d’une part de nombreux pays pauvres sont très loin d’avoir la même « empreinte écologique » que nous, et que d’autre part, c’est en puisant largement dans le stock disponible en énergie de la Terre que nous pouvons en partie « oublier » la réalité de ces chiffres… Nous sommes là en face du point d’achoppement principal du libéralisme en matière de développement durable, que nous pourrions formuler ainsi : il y a une tension (voire une contradiction) entre l’illimitation potentielle des désirs de l’individu (nous reviendrons sur cette notion), qu’il s’agisse des désirs de consommation du particulier ou du désir de profit de l’entrepreneur, et les contraintes qu’impose la réalité physique et finie de la planète. En termes freudien, ne peut-on pas faire mention du principe de plaisir dans son rapport problématique avec le principe de réalité ? La « jouissance sans entraves », telle qu’elle pouvait être prônée par certains mouvements de mai 68, se heurte autant à des murs psychologiques que matériels…

La croissance, « effet systémique » du système économique libéral

En effet, un raisonnement macroéconomique relativement simple (Mémoire de recherche HEC p 83, Yann Auger 2009) nous montre que le système libéral, pour se maintenir en maintenant l’emploi, compte-tenu de la course à la productivité à travers les innovations techniques, doit produire toujours plus : il serait ainsi « condamné » à la croissance (en termes quantitatif de points de PIB par habitant, indice officiel de la « richesse »). L’auteur de ce travail parle de « dépendance systémique à la croissance ». La corrélation entre le PIB et l’empreinte écologique ou l’émission de CO2 est forte : les riches polluent beaucoup plus que les pauvres. Cependant, et par souci de justesse, il faut également prendre en compte les progrès sociaux, même inégalement répartis, entraînés par la croissance (augmentation du PIB). L’impact environnemental négatif doit être mis en regard avec ces améliorations du niveau de vie… Une dernière observation à ce sujet : si la croissance est un mécanisme incontournable du libéralisme, on peu interpréter le recours à cette notion de développement durable, avec Serge Latouche, porte-parole de la Décroissance,  comme la tentative ultime du système libéral pour « sauver les meubles » : « sauver ce qui peut l’être du paradigme du développement ». Il s’agirait davantage de faire « durer » le développement (la croissance) que de promouvoir un développement durable.

Dans le prolongement de cette dépendance systémique à la croissance du système économique libéral, nous pouvons dégager deux hypothèses :

Soit la production continue de s’accélérer sous l’effet du développement continu des forces productives, démentant ainsi l’affirmation marxiste d’une « contradiction entre rapports de production et forces productives ». Mais alors, apparaît de plus en plus fortement une nouvelle contradiction entre ce développement et la dégradation de l’environnement naturel et humain.

Soit la production ne trouve plus de débouchés correspondant (est-ce le cas aujourd’hui ? Cette tendance est-elle structurelle conformément à l’analyse marxiste, ou conjoncturelle, n’étant pas alors constitutivement liée à la nature de cette économie ?), et nous entrons dans une crise de surproduction qui détruit littéralement l’économie libérale, celle-ci ne pouvons durer et se maintenir qu’en progressant… Il semble que dans les deux cas, l’économie capitaliste doive se transformer. Comment ? C’est toute la question !

 

Finitude de la nature et surpopulation

Le problème de la surpopulation étant extrêmement sensible (pensons à la conférence de A. Comte Sponville à Sortie Ouest, en septembre 2010, brandissant cette menace comme une fatalité génératrice de catastrophes humanitaires majeures), il est utile de s’y arrêter un instant. Le présupposé du libéralisme ne serait-il pas l’existence d’une « corne d’abondance » qui rendrait possible l’accumulation de richesses sans risque de spoliation vis à vie d’autrui et vis-à-vis de la Terre. ? C’est en tout cas ce que prétend par exemple un  économiste comme JB Say : « les réserves naturelles sont inépuisables ». Cependant, les économistes classiques n’évacuent jamais complètement cette question. Le cas le plus connu est celui de Malthus qui, dans « Essai sur le principe de population », explique que la population croît géométriquement alors que la production croît arithmétiquement, et  qu’il n’y a pas de place pour tout le monde « au grand banquet de la nature ». L’augmentation de la population provoquant  immanquablement la paupérisation, les famines, les catastrophes démographiques, il faut par conséquent empêcher la population de croître quitte à avoir recours à la contrainte. La suite des évènements, c’est à dire en particulier la révolution industrielle et l’augmentation très rapide des rendements agricoles (grâce notamment aux engrais chimiques qui remplacent les engrais biologiques…) lui donne très largement tord. Mais il est vrai que les nouvelles donnes concernant ce que certains appellent la « surpopulation mondiale » le font revenir dans l’actualité. Réactualisation du malthusianisme à la faveur de l’augmentation spectaculaire de la population prévue pour les décennies à venir, combinée à l’épuisement des ressources naturelles, fossiles en particulier. Peut-on dire que l’économie politique se « déconnecte » des préoccupations liées à la finitude de la nature ? La peur d’une catastrophe alimentaire (à laquelle on peut ajouter celle relative à l’épuisement des énergies fossiles) due à la surpopulation est-elle justifiée ?  Le démographe Hervé Le Bras (« Vie et mort de la population mondiale », 2009) dément : La faim dans le monde (qui actuellement d’ailleurs dépend plutôt de conflits qui agitent les différentes régions concernées) n’a jamais résulté d’un déficit global de ressources alimentaires, mais de l’utilisation d’une part croissante de la production céréalière pour la nourriture des animaux domestiques. En effet 10 calories végétales correspondent après transformation à une calorie animale … Les pays les plus pauvres ont généralement des régimes alimentaires où seules 5% des calories consommées sont d’origine animale, alors que plus de 45% de celles-ci sont d’origine animale dans les pays les plus riches. Le problème aujourd’hui : de plus en plus de pays émergents (près de la moitié de la population mondiale) adoptent le régime alimentaire des pays développés, ce qui stimule la demande de viande, et accapare une part de plus en plus importante de la production céréalière qui est retirée aux plus pauvres. La solution à ce problème  n’est sans doute pas de devenir végétarien, mais peut-être plus raisonnablement d’adopter un régime moins carnassier… Avec les biocarburants, l’affaire se complique encore un peu plus… Selon ce démographe, Le problème n’est donc pas le problème du nombre des hommes mais celui des régimes alimentaires. Alfred Sauvy disait déjà que les concurrents des pauvres du tiers-monde n’étaient pas les riches du monde développé mais leur vaches… De la même manière un habitant du Nord émet 10 fois plus de CO2 que celui du Sud. Si les pays émergents se dirigent rapidement vers le comportement de ceux du Nord, il n’y aura pas assez d’énergies fossiles et les émissions de CO2 s’emballeront. Incriminer la croissance démographique dans cette situation, n’est-ce pas rejeter la faute sur ceux du Sud et entretenir l’angoisse populationnelle pour ne pas remettre en cause la structure de consommation des pays riches ? La seule réponse cohérente est un changement drastique de type de consommation au Nord, car alors le Nord pourra dire au Sud : faites comme nous. Le libéralisme peut-il relever ce défi ? Une telle réorientation ne contrevient-elle pas à son fonctionnement habituel privilégiant la demande spontanée du consommateur ?

 

Les réponses « techniques » de type libéral

.Au regard de la finitude de la nature, nous pouvons édicter trois règles minimales de prudence :

1)    Le taux de prélèvement des ressources naturelles renouvelables ne doit pas être plus élevé que leur taux de régénération (maintien du stock)

2)    Les taux d’émission des déchets doivent être égaux aux capacités d’assimilation et de recyclage des milieux dans lesquels ils sont rejetés.

3)    L’exploitation des ressources naturelles non renouvelables doit se faire au même rythme que leur substitution par des ressources naturelles renouvelables.

Ces règles s’efforcent de préserver coûte que coûte constant le « capital de ressources » que représente la Terre.

Mais par ailleurs, la plupart des économistes répondent à cet argument de la finitude de la Terre par le postulat de la substituabilité des facteurs, qui n’est pas précisément respectueux de ces règles : soient trois facteurs de production, le travail, le capital (dont le capital naturel mais pas seulement) et le progrès technique. Si le capital naturel vient à manquer (et que son prix augmente), l’entrepreneur peut toujours lui substituer plus de travail ou surtout plus de capital artificiel (essentiellement lié au progrès technique). C’est bien sûr ici le pari opéré sur le progrès technique qui peut résoudre le problème (cf. plus loin). Il ne semble pas que nos sociétés aient tranché ce débat…

Il y a deux approches possibles pour la démocratie libérale quant à la façon de faire prendre en considération ces nouvelles contraintes ou nouvelles exigences de l’écosystème. Pour les libéraux les plus radicaux, fidèles en cela à leur principe fondamental de la liberté comme valeur suprême, ce sont aux individus de faire les choix individuels de consommation qui leur conviennent le mieux ; et si ce que les économistes appellent « le taux de préférence pour le présent » est le plus élevé (par rapport au taux de préférence pour l’avenir), il doit être respecté. La deuxième option est bien sûr celle qui est la plus fréquemment adoptée : il faut agir pour orienter les individus vers des comportements écologiquement « vertueux ». Comment ?

-       Par un système d’incitation par les prix : plutôt que de pures et simples interdictions et réglementations, la pensée libérale préfère taxer les comportements pollueurs ou prédateurs de ressources, et subventionner éventuellement les comportements « vertueux ». L’instauration du bonus/malus à l’achat d’une voiture neuve relève par exemple d’un tel dispositif.

-       Laisser négocier entre eux pollueurs et pollués

-       Créer un marché sur lequel s’échangent des « permis de polluer ». C’est en quelque sorte la technique la plus libérale. A partir d’une entente sur un seuil optimum de pollution, existe un marché au sein duquel les moins pollueurs peuvent vendre leurs droits à ceux dont l’activité nécessite de polluer davantage.

-       La Responsabilité Sociétale des Entreprises : il s’agit ici de prendre systématiquement en compte les « parties prenantes », c'est-à-dire les individus et organisations touchés de près ou de loin par l’entreprise ; c’est en quelque sorte à la société civile de fixer ses propres normes.

Le mécanisme qui est convoqué dans tous ces dispositifs est toujours le même : il s’agit d’intégrer dans le mécanisme du marché des éléments qui en étaient exclus, conformément à la logique libérale de l’intérêt individuel. Ce type de gestion est typiquement néolibéral ; il correspond au rôle de l’Etat que nous avions qualifié de « gestionnaire et technique » ; c’est une réponse purement économique par le mécanisme des prix et de la concurrence, qui ne semble pas à l’expérience déboucher sur des actions d’envergure. 

 

Cependant, et de façon beaucoup plus classique, les « chantiers » de l’économie de l’environnement et de la « croissance verte » (croissance verte ou économie verte ?) ne doit pas être oublié : là encore il est de plus en plus dans l’intérêt des entreprises d’investir dans l’environnement, quand celui-ci correspond à la demande des « clients ». Les colonnes du Financial Times et de l’International Herald Tribune proposent chaque jour des articles consacrés au « green business ». De plus en plus d’industries, notamment l’électronique, le bâtiment, la chimie, profite du cercle vertueux du « développement durable ». Ces nouveaux marchés (par exemple voitures propres, produits fabriqués à partir de matériaux recyclés, agriculture bio etc.), sont facteurs de croissance et donc d’emplois, mais ne peuvent que compenser en partie les ralentissements de croissance dans de nombreux autres secteurs dus aux enjeux environnementaux et à l’épuisement des énergies fossiles, et donc à l’augmentation de leurs prix. C’est ainsi que l’Europe pense avoir une carte importante à jouer dans ce domaine de l’économie verte, elle qui jusqu’à présent est plus que d’autres très dépendante du pétrole et du gaz importé. Mais au-delà de l’évolution forcément lente de la demande des consommateurs en « produits verts », le libéralisme est-il en mesure d’impulser de manière volontariste une telle orientation ? Cela n’est-il pas en décalage sinon étranger à ses propres principes ?

 

Peut-il y avoir convergence d’intérêts ? Le court terme et le long terme

Selon les libéraux, il y a convergence d’intérêts entre la logique de l’intérêt personnel (cf.deuxième partie) et la « croissance verte ». L’entreprise agit certes selon son propre intérêt, elle n’est pas « morale », comme l’a bien montré A. Comte-Sponville (« Le capitalisme est-il moral ? »). Mais quand l’ensemble des consommateurs, suffisamment informés et responsables, formuleront des demandes allant dans le sens de la préservation de l’environnement et du développement durable, les entreprises répondront nécessairement à cette demande. Soucieuses de préserver leur image (il suffit de voir l’effort que font les grands groupes industriels aujourd’hui, et quelque soit la nature de leurs activités – souvent polluantes ou énergétivores – pour montrer une image « verte » -, et de s’assurer des parts de marché, les grandes entreprises ne peuvent qu’être en convergence d’intérêt avec ces nouvelles orientations et exigences. Sur le long terme, l’argument est pertinent : aucune entreprise, comme le dit aussi Sponville, n’a intérêt à travailler dans un environnement saccagé ; mais le fonctionnement de l’entreprise n’est-il pas sur le court terme ? Cette tendance est d’ailleurs fortement accentuée avec la financiarisation de l’économie. Quelle entreprise se préoccupe aujourd’hui de sa rentabilité en 2050 ? Le long terme, tel qu’il peut être convoqué dans un impératif comme celui de Hans Jonas, mimant l’impératif catégorique de Kant : « Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentique sur Terre. », que nous le prenions d’ailleurs comme un impératif moral (un devoir) ou simplement d’un point de vue utilitariste (conforme au devoir sans en être un), ne paraît pas conciliable avec le calcul économique à court terme. Comme le dit Yann Auger, « La question du long terme est l’un des points de tension principaux entre libéralisme et développement durable ». D’autre part, le raisonnement précédent sur la convergence d’intérêts s’appuie sur l’idée du consommateur libre et responsable, pur agent rationnel. En est-il réellement ainsi (cf. plus loin sur les « besoins ») ? 

D’une manière plus générale, il ne peut y avoir en effet antagonisme des intérêts pour le libéralisme, mais au contraire harmonie, car l’intérêt général ne peut être que la somme des intérêts particuliers. Pour en revenir au développement durable sa définition implique un développement harmonieux de ce que les entreprises appellent parfois « les trois P » : people (le social) – planète (l’environnemental) – profit (l’économique), mais nombreux sont les contre-exemples d’une telle harmonie : le commerce équitable est social mais rarement écologique (à cause de l’importance des transports) ; la déforestation vise souvent la survie économique mais est anti-écologique ; L’agriculture bio implique encore aujourd’hui des produits chers difficilement accessibles aux populations les moins aisées (écolo mais pas très social)... Où est l’harmonie naturelle chère aux libéraux ?

 

Néo-moralité durable et double-messages …

Un des piliers de l’action libérale qui n’a pas encore été mentionné est la pression pour une « néo moralité durable », conformément à la possibilité « d’orienter les libertés » caractéristique de la philosophie libérale : il s’agit de ces appels répétés aux« éco-gestes » et à la « consommation responsable » qui seraient susceptibles de lutter efficacement « pour la planète » (« faire un geste pour la planète »). Peut-on vraiment penser – quelque soit la valeur de ces gestes – que la morale peut combattre efficacement des ressorts économiques qui sont, eux, fondés sur les motivations et l’intérêt individuels et égoïstes ? De plus, les messages envoyés apparaissent souvent comme des « double-messages »  ou injonctions paradoxales : par exemple les nombreuses pubs pour le départ en vacances dans les pays étrangers alors qu’il s’agit d’une des activités les plus polluantes et les plus consommatrices de ressources … Que penser du discours qui recommande à chacun de limiter ses déplacements alors que nous sommes dans une civilisation de la voiture où tout est pensé en fonction des déplacements motorisés ? La néo-moralité écologique, individuelle, n’est-elle pas alors en contradiction avec la dimension collective de l’organisation sociale ? Dans un chapitre intitulé « L’idéologie sociale de la bagnole » André Gorz recommande de : « ne jamais poser le problème du transport isolément, toujours le lier au problème de la ville, de la division sociale du travail et de la compartimentation que celle-ci a introduite entre diverses dimensions de l’existence : un endroit pour travailler, un endroit pour « habiter », un troisième pour s’approvisionner, un quatrième pour s’instruire, un cinquième pour se divertir. L’agencement de l’espace continue la désintégration de l’homme commencée par la division du travail à l’usine. » Au-delà du « radicalisme » de la critique de ce modèle social, il faut retenir l’importance de la dimension collective de l’organisation sociale, qui ne peut se dissoudre dans l’addition de gestes individuels « écolo »… Ce qui est en question ici, et qui montre aussi toutes les limites de ces messages moralisateurs : les enjeux ne sont pas purement écologiques et individuels ; ils sont socio-écologiques et politiques. Le libéralisme qui repose sur l’idée de la société comme association libre d’individus autonomes, a tendance à faire reposer l’action sur le mythe de l’individu isolé : les « éco-gestes » reposant sur le seul individu, qu’il soit consommateur ou entrepreneur, suffiraient à entraîner un changement profond, par addition de toutes les volontés. Jacques Ellul disait : on nous oblige à prendre des décisions au sujet de problèmes ou de situations qui nous dépassent infiniment. Ce qui est en cause ici, c’est précisément la représentation que l’on se fait de la société et des rapports de l’individu avec celle-ci (sujet d’un précédent café philo…).

 

L’intérêt général, somme de tous les intérêts particuliers ?

Marcel Gauchet nous explique (La démocratie contre elle-même, 2002) qu’une société de plus en plus libérale est une société qui prétend se délivrer du politique au profit des individus privés et d’une autogestion de la société civile, et bien sûr aux dépens de la souveraineté collective. Elle voudrait nous faire croire que l’on peut se passer presque intégralement du politique, c'est-à-dire que la société peut être quasiment auto-régulée ; cette affirmation se fonde sur une certaine conception de la société que je caractériserai de « pré-sociologique », au sens où l’on parle aussi d’approches « préscientifiques ». Il s’agit en réalité de dénier au fait social toute sa spécificité, irréductible à la somme de ses parties. Sur le plan plus spécifique de la philosophie politique, cela revient à refuser l’idée que le collectif jouit d’une existence indépendante, et que c’est cette indépendance qui permet de lui donner une existence publique, institutionnelle et distincte de l’expression privée des individus (ce qui est le cœur de l’idée républicaine). Au contraire, dans l’esprit du néolibéralisme actuel, il n’existe que des individus réels et leurs intérêts particuliers, et la sphère publique n’est plus que l’instrument des demandes émanées de la sphère privée (il est bien d’ailleurs en cela dans la filiation de l’idée démocratique). Nous savons aujourd’hui que, contrairement à ce que pensait Adam Smith, l’intérêt collectif n’est pas la somme des intérêts individuels, et que l’instance spécifique du politique est beaucoup plus que la représentation des intérêts divergents de chacune des parties. Mais cette difficulté de la « société des individus » « à se penser comme société, c'est-à-dire comme tout susceptible de s’imposer à ses parties » a non seulement tendance à reporter toute la responsabilité sur l’individu isolé (les éco-gestes pour la planète par exemple…), mais se contredit elle-même en le proclamant : car cette responsabilité incomberait désormais à un individu qui a justement tendance à se « défausser » de toute responsabilité ! Il se pense en effet lui-même « comme une entité autonome qui se détache de toute appartenance et veut ignorer la société dans laquelle il vit ». L’individu contemporain est le premier homme sans doute à pouvoir évoluer sans se soucier de ce qui le relie aux autres. Le libéralisme de ce point de vue est l’expression politique la plus achevée de cette mutation anthropologique inséparable de l’avènement de la démocratie.

 

La critique des « besoins » et la « société de consommation ».

La satisfaction des désirs individuels est un des piliers de notre société de consommation, mais aussi la cause des nuisances faites à notre environnement. C’est cette « illimitation » potentielle des désirs humains, et la possibilité permanente d’en créée de nouveaux qui alimentent le productivisme consistant à produire toujours plus de produits, dont l’obsolescence est de plus en plus grande, et à en mettre sans cesse sur le marché de nouveaux. Ceux qui parlent naïvement de « satisfaction des besoins » se trompent : si les « besoins fondamentaux » (notion qui repose sur ce qui est nécessaire à l’organisme) ne sont pas tous satisfaits sur l’ensemble de la planète, en revanche la surconsommation de nos sociétés occidentales courent depuis longtemps vers autre chose que la satisfaction des besoins !  La distinction entre besoin et désir est ici indispensable : la notion de besoin s’enracine dans le biologique, alors que celle du désir appartient au registre symbolique et social. C’est la raison pour laquelle on peut toujours créer de nouveaux désirs, puisque le désir est illimité et sans objet prédéfini (du moins un certain type de désir…). Là encore, l’individu autonome décidant librement de sa consommation est en partie illusoire, car derrière l’individu autonome, se cache « la méga-machine » (Ivan Illitch) sociale. Qui pourrait prétendre en effet être « maître et possesseur » de ses désirs de consommation ? Le grand économiste Galbraith, à la suite de JB Say, a montré comment l’offre crée la demande (et non seulement l’inverse : pour la théorie libérale en effet, l’offre ne fait que répondre à une demande préalable). Il parle à ce sujet de « filière inversée » grâce à laquelle (par la publicité, le marketing…) « le consommateur est au service de la production ». « Il doit assurer à celle-ci les débouchés qu’elle réclame ; il doit avoir les besoins nécessaires à l’expansion des ventes les plus profitables » (André Gorz). Dans cette perspective, le travail et la consommation sont au service de la valorisation du capital. Faire cette analyse, qui consiste simplement sinon à « remettre sur ses pieds la réalité », du moins à ne pas négliger cette dimension sociologique de l’impact du social sur l’individuel, ne signifie pas nécessairement reconduire de façon acritique la dénonciation radicale et dualiste du mode de vie d’un Illitch, au nom d’un « équilibre vital » de l’être humain qui sous-entend à son tour un « âge d’or » où la nature originelle de l’homme serait en accord avec ses fins ultimes… L’opposition entre un essentialisme (« équilibre vital », « authenticité », …etc.), et l’artificialisme du mode de vie capitaliste, ainsi que la « manipulation »sur lequel il repose, est très contestable. En revanche, une telle analyse peut nous aider à ne pas être dupe de l’idéal d’autonomie censé définir l’individu libéral. La nature symbolique de l’acte de consommation, dépassant de loin le supposé « libre-arbitre » de chacun, est attestée notamment par le fait que le besoin « objectif », s’il existe, est minime, et qu’il relève plutôt de phénomènes complexes qui se nomment rivalité, concurrence, imitation (pensons à la théorie du « désir mimétique » de René Girard), désir d’approbation, de reconnaissance, de « distinction » (Bourdieu)… Adam Smith déjà disait : « Nous n’espérons d’autres avantages que d’être remarqués et considérés, rien que d’être regardés avec attention, avec sympathie et approbation. ». Le fait d’ailleurs que la consommation polarise sur elle autant d’enjeux psychologiques et existentiels est peut-être en soi un problème propre à nos sociétés… Victor Lebow, spécialiste américain du marketing, écrivait : « Notre économie remarquablement productive veut que nous fassions de la consommation notre mode de vie, que nous transformions l’achat et l’utilisation de biens et services en rituels, que nous fondions notre spiritualité et notre égocentricité sur la consommation… Il nous faut consommer, remplacer et rejeter à un rythme toujours plus croissant. ». Il paraît de toute façon difficile de réduire cet acte de consommation à la décision libre d’un acteur « froid » et rationnel : homo oeconomicus. N’est-il pas - entre autre chose - un rouage de la mécanique du marché et de ses limites ?  Et rien ne peut nous empêcher désormais, contrairement à ce qu’affirme le libéralisme pour lequel la demande du consommateur ne souffre aucune contestation possible, d’interroger la pertinence de cette demande, et si cet emballement de consommation – inégalement réparti - inséparable de la logique de croissance maximum du mode de production capitaliste, correspond à ce que nous souhaitons vraiment. Si le désir de consommation, comme d’ailleurs tous les autres, relève d’une construction sociale déterminée, et ne repose pas essentiellement sur des données naturelles, il y a alors la possibilité d’envisager d’autres orientations…

 

Quatrième partie : l’alternative de la décroissance. L’opposition nature/culture

 

La décroissance

Face à ces tensions, limites, voire contradictions du libéralisme dans sa capacité à répondre aux défis environnementaux, une alternative se présente aussitôt, celle de la décroissance, qui s’appuie sur une critique radicale de ce même libéralisme. C’est là encore, mais cette fois-ci sur le mode d’une véritable conversion, un appel aux changements des comportements individuels, à une véritable « révolution mentale ». Ce discours, qui s’attaque à tous les aspects selon lui nocifs de la croissance, s’inscrit dans la continuité de la critique radicale de la société de consommation (H. Marcuse et I. Illich en particulier), et au-delà dans le prolongement de toute la tradition philosophique qui dénonce la « prédation » sur la nature, son « arraisonnement » au risque de la détruire, rejoignant souvent la dénonciation de la technique (discours anti-technique de (Heidegger notamment). La source d’une telle contestation n’est-elle pas de nature foncièrement rousseauiste ? Nous retrouvons le thème de l’aliénation sociale de l’homme désormais coupé de ses besoins « authentiques » au profit d’une société qui crée sans cesse de nouveaux besoins artificiels, et l’oblige à recourir à ce que Illich appelle des « monopoles radicaux », institutions d’éducation, de santé, de transport, de traitement de l’eau, de pompes funèbres…etc. dont l’empreinte écologique est très importante, et qui ruineraient donc toute possibilité d’être autodidacte, c'est-à-dire de subvenir soi-même à ses propres besoins élémentaires. En France, les partisans de la Décroissance milite pour des changements d’habitude drastiques : renoncer à la télévision et ses messages publicitaires, boycotter les supermarchés, se passer de voiture, de réfrigérateurs (les produits frais pouvant être conservés dans des armoires extérieures), cultiver son jardin…etc. Nous retrouvons là l’opposition entre l’individu aliéné d’un côté, la société d’essence totalitaire et aliénante de l’autre. Serge Latouche, chef de file de ce mouvement en France, prône « la simplicité volontaire », non seulement nécessaire écologiquement (« vivre simplement, c’est permettre à d’autres.de simplement vivre. », mais aussi et surtout (pensons à l’arrière plan naturaliste de ces théories), moyen de mener une vie meilleure parce que plus « authentique ». Cet objectif général de décroissance des activités humaines et partagé par tous ceux qui se réclament au Etats-Unis de la « Deep-ecology » selon qui l’homme usurpe la place centrale qu’il s’est attribué au sein de la nature, alors que ce qui doit être notre première préoccupation est la nature et le vivant. Cette idéologie peut conduire également, de façon encore plus radicale, à l’établissement en communauté, comme par exemple celle de           en Afrique du Sud.

 

La critique

Il va sans dire que de tels propos ne peuvent que soulever les foudres de la philosophie  libérale : un choix éthique qui serait politiquement imposé à tous n’est pas acceptable. Nous l’avons vu,  l’Etat libéral doit relayer une conception pluraliste du bien, et ne peut imposer sa propre conception. Seul l’individu peut répondre à la question relative aux  besoins et définir éventuellement sa propre norme du suffisant. Hayek est très virulent sur cette question de la décroissance car elle conduit selon lui « à imposer au peuple une foi qu’on estime salutaire pour lui ». Cette tentation autoritaire serait contradictoire avec ce que les libéraux appellent « la démocratie des consommateurs » et remettrait en cause la suprématie de leurs choix. Nous disions au début de ce texte que ce qui faisait le succès de la notion de développement durable était aussi sa faiblesse : elle ne se prononce pas sur un choix de société ou de mode de vie, mais indique seulement, non pas non plus une conception du bien, mais quels sont les « biens premiers », pour reprendre une expression de J. Rawls, qu’il est nécessaire de préserver si nous ne voulons pas compromettre  l’avenir des générations futures. En cela, elle est en effet « soluble » dans cette orientation libérale.

Mais arrêtons nous un instant : nous savons maintenant que le mode de production capitaliste, notamment par le biais de la publicité et du marketing, « formate » également très fortement les choix de consommation et érige en norme sociale un mode de vie particulier. Cela signifie-t-il alors que la critique  des libéraux « tombe à l’eau » ou peut se retourner contre eux-mêmes, puisque dans un cas comme dans l’autre il s’agirait d’une atteinte fondamentale aux libres choix du consommateur ? Il serait à mon sens très dangereux au contraire de ne pas voir la différence : celle qui existe entre la servitude forcée et la « servitude librement consentie » ! Nous sommes sans contestation possible « sous influence » concernant nos choix de consommation, mais cela ne signifie pas qu’ils nous soient imposés autoritairement ! Car ce qui peut inquiéter dans ce fantasme d’une humanité toute puissante qui aurait les clés de son destin entre les mains et pourrait créer un monde issu de l’arbitraire de ses rêves ou de sa raison, c’est l’émergence de solutions éco-fashistes, renouvelant en cela le genre des « théologies de la libération » et du salut terrestre.

A. Comte-Sponville (conférence de septembre à Sortie Ouest : « La nature et nous ») semble écarter cette alternative – « descendre du train du progrès » – uniquement au nom de sa faisabilité, car dit-il « ce serait la meilleure solution d’un point de vue écologique ». Mais elle est « socialement délétère » et « politiquement impensable », donc impraticable… Mais au-delà de la praticabilité d’une telle rupture, n’est-il pas nécessaire de s’interroger aussi sur sa légitimité, en termes philosophique de « fondation » (e que Sponville ne semble pas faire) : elle renvoie notamment au débat philosophique sur la façon dont l’homme doit  penser ses rapports avec la nature. La logique de la décroissance s’inscrit en effet dans une « philosophie de la nature » radicalement à l’opposé de celle implicitement porté par la philosophie libérale. Mais la crise que nous vivons aujourd’hui, tant écologique qu’économique, n’est-elle pas l’occasion philosophique d’un changement de paradigme qui dépasse les termes de cette alternative ?

 

Quel rapport avec la nature ? Des relations pensées sur le mode de la dualité

Nous avons déjà pu le constater, le discours sur le développement durable se distingue fortement du grand courant de contestation radicale dénonçant « l’arraisonnement » de la nature et l’attitude de prédation de l’homme dans ses rapports avec elle. Heidegger est le premier grand philosophe à dénoncer la technique moderne comme manière d’arracher de l’énergie et du profit à la nature ; d’autres après lui, en particulier dans le prolongement du rapport alarmiste du club de Rome (1972), prolongeront sa réflexion : Hans Jonas (son élève), Ivan Illich, André Gorz, l’économiste allemand F. Schumacher.  La philosophie est depuis longtemps traversée par deux courants antagonistes, mais qui ont ceci en commun de penser les rapports avec la nature sur un mode dualiste : homme/nature qui redouble l’opposition nature/culture. Cette alternative se retrouve dans les débats  autour de l’écologie, où l’on voit traditionnellement les « naturalistes » s’opposer aux humanistes, un peu comme s’il s’agissait de choisir entre nature et culture. L’ère de la révolution industrielle et de la croissance économique vertigineuse du dernier siècle ne peut pas ne pas être rattachée à cette idée cartésienne de « l’homme maître et possesseur de la nature ». A partir d’un point de vue très anthropocentrée, la nature est avant tout affaire de conquête, de domination, d’exploitation. Cette vision de la nature est nécessairement instrumentale : celle-ci ne prend son sens et sa valeur que relativement à la vie humaine, aux services qu’elle peut lui rendre, ou aux problèmes qu’elle peut lui causer. En ce sens, la nature n’est ni « bonne » ni « mauvaise », « elle n’a ni conscience, ni morale, ne se souci ni de nous, ni d’écologie » (cf. Sponville, conférence Sortie Ouest), n’est surtout pas Dieu et ne doit pas être considérée comme un être personnel ou panthéiste à qui nous pourrions assigner des fins ultimes. Nous ne devons ni déifier, ni adorer, ni haïr la nature dit Sponville, et la transformation de la nature par l’homme n’est pas un mal, et même parfois un grand bien. L’extériorité de l’homme par rapport à elle est souvent associée à cette vision (Luc Ferry par exemple et son « homme-dieu » dont la liberté lui permet de s’arracher à  tous les déterminismes naturels et fait de lui  un « être hors nature »). Mais n’oublie-t-on pas, dans cette représentation prométhéenne, l’existence de limites naturelles inhérentes à notre « maison » ou « habitat » (« oïkos » en grec) ? Cette séparation entre ces deux « ordres », solidaire d’une représentation de la nature comme natura naturata (opposé à natura naturans, ce qui est vivant dans la nature, et donc susceptible de devenir et de dégradation), c'est-à-dire gigantesque Meccano, objet physique éternel non susceptible de dégradation, a longtemps conduit à penser l’économie et la politique comme appartenant au seul régime de la culture, et facilité l’oubli de la fragilité et de la limitation des ressources naturelles. La rationalité économique se développe alors en dehors de toute considération éco-logique. Le libéralisme, mais au-delà tout le mouvement de l’économie elle-même, se rattache à cette représentation du monde.

A l’inverse, comme nous l’avons vu avec les soubassements philosophiques de tous les mouvements radicaux comme la Décroissance ou la Deep ecology, l’opposition homme/nature est cette fois-ci diabolisée et rendue coupable de tous les pêchés passés et de toutes les malédictions futures. Les thèmes de « la souillure » ou de « l’outrage » d’une nature originairement vierge et intacte (les connotations religieuses sont bien présentes…) sont récurrents. La nature a ici une valeur en elle-même ; elle est elle-même sa propre fin, en dehors de toute référence anthropologique. Il faut donc remplacer « l’anthropocentré » par « l’écocentré », subordonner l’homme au destin de la Nature, pour retrouver une harmonie désormais perdue.

 

Dépassement de l’opposition entre naturalistes et humanistes ?

Le rapport traditionnel homme/nature tel qu’il est habituellement posé présuppose qu’il existe une nature intacte et non façonnée par l’action des hommes. Catherine et Raphaël Larrère, dans : « Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement » (Philo Magazine octobre 2007, p 41) : « les hommes et leurs aptitudes, les sociétés et leurs activités, l’humanité elle-même, sont en continuité avec la nature. Non seulement ils en sont issus (d’où venons-nous ?), mais ils sont situés dans une biosphère qu’ils transforment et dont ils dépendent. Cette nature leur est d’autant moins extérieure qu’elle comprend des ouvrages techniques. Tous les produits qu’on fabrique, tous les sous-produits qu’on rejette ont un devenir naturel qu’on ne maîtrise pas : le devenir de la technosphère et d’être une techno-nature. ». Peut-être devrions-nous abandonner même la notion de nature, comme nous y invite Bruno Latour (nombreux articles sur le site : www.bruno-latour.fr),et nous intéresser aux interactions entre les vivants, et entre les vivants et les non-vivants (les objets), pour veiller à la co-existence pacifique des humains, des non-humains, et des choses, plutôt que de défendre une « nature verte et bucolique  aux gens des villes récalcitrants ». Philippe Descolat, anthropologue, défend la même idée (« Par delà nature et culture ») : l’ontologie occidentale a introduit cette rupture entre nature et culture qu’il s’agirait maintenant de relativiser, pour concevoir, sur un autre mode que ceux de la domination et de l’exploitation, l’interdépendance entre les humains et les non-humains, et intégrer en quelque sorte dans une même pensée anthropocentrisme et écocentrisme. Car après tout, c’est bien un anthropocentrisme élargi qui est responsable de l’alerte écologique, au nom des générations futures et de la survie de l’humanité elle-même. Nous ne pouvons plus penser la nature comme « dehors de l’humanité ». Cette crise écologique historique est peut-être l’occasion d’une nouvelle pensée de l’avenir de l’humanité dans le cadre élargi de ses interactions et de sa co-existence pacifique entre humains, vivants, et non vivants. En conclusion de cet arrière plan philosophique, il n’est pas difficile de se rendre compte que le libéralisme, entendu au sens classique de ce terme, ne semble pas à la hauteur des enjeux : prétendre que seuls les mécanismes « naturels » de la concurrence et des prix pourront engendrer par génération spontanée une transformation ou une mutation profonde dans le sens de la durabilité ou de la soutenabilité du développement n’apparaît pas très sérieux…

 

Cinquième partie : « Faiblesse de la morale, puissance de l’économie : urgence du politique » ?

Vous reconnaîtrez ici les paroles de A. Comte-Sponville prononcées en septembre dernier. Que devons-nous en penser, et que penser de la « compatibilité » du libéralisme avec le développement durable ?

 

Libéralisme et développement économique

Pour commencer, il semble que pour certain économistes, et contrairement à ce que sous-entend habituellement la doxa libérale, le développement lui-même des pays riches ne relèvent pas de leur libéralisme commercial et financier : Ha-Joon Chang de l’Université de Cambridge et Ilene Grabel de Denver (« Reclaiming development. An Alternative Economic Policy Manual ») montre que du XIXe siècle à l’après seconde guerre mondiale, le Japon, l’Europe et les Etats-Unis ont suivis des politiques protectionnistes et très interventionnistes sur le plan industriel et financier (Alternatives Economiques, septembre 2002). Le succès du développement des pays riches et des pays émergents d’Asie dépendraient de politiques publiques très actives et peu des principes de libéralisation économique tels qu’ils sont imposés aux pays du Sud par les institutions internationales (cf. aussi à ce sujet le livre de Stiglitz, prix Nobel d’économie : « La grande désillusion » 2002, livre de poche). Dans le même temps, ces auteurs rappellent que le marché a son efficacité et que de nombreuses politiques publiques ont échouées. Leur propos n’est pas de glorifier l’Etat, mais de faire valoir qu’il existe des arguments sérieux pour justifier des alternatives à un développement par les seules « vertus » du marché. En outre, le nouveau paysage économique mondial, marqué par la financiarisation, change la donne : André Orléan, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du comportement de mimétisme des acteurs de la finance (« De l’euphorie à la panique. Penser la crise financière ») montre que les principes libéraux du marché selon lequel le libre jeu de la loi de l’offre et de la demande aboutit à un juste équilibre des prix, ne peut s’appliquer aux échanges d’actifs financiers : à l’inverse de ce qui se passe pour des biens ordinaires, plus un prix augmente, plus les acteurs qui détiennent cet actif s’enrichissent, plus d’autres acteurs extérieurs entrent dans ce marché, et plus le prix augmente de nouveau ; seul un krach peut alors briser cette spirale, ce qui provoque des effets très dommageables. Cette analyse n’est pas partagée actuellement par le G20, pour lequel la crise n’est pas une conséquence de ces dérèglements du marché, mais de l’erreur des acteurs. Qu’en conclure ?

 

Quel libéralisme ? L’interventionnisme de l’Etat. Une gouvernance mondiale du développement durable ?

Nous voyons bien qu’il y a libéralisme et libéralisme : si l’on entend par libéralisme le non interventionniste public au nom du libre jeu de la « main invisible » du marché, il semble que l’avenir du développement durable n’aurait rien de bon à en attendre… Mais si le libéralisme désigne une économie qui accepte les règles du marché à condition de pouvoir les réguler activement par des politiques publiques, alors libéralisme et développement durable ne sont pas antagonistes… Il est très symptomatique à ce sujet de voir le malaise de Nicolas Hulot par rapport à cette question du développement durable (interview Libération du 7 septembre 2009) : « il n’aime plus trop » le DD… Pourquoi ? « parce qu’il est utilisé à toutes les sauces, c’est devenu parfois une camomille mielleuse pour nous faire ingérer tous nos excès de civilisation ». Il nous dit aussi que la mutation écologique est incompatible avec le libéralisme : « c’est incompatible parce que le libéralisme, au sens où je l’entends, c’est l’absence de limites ». Hulot met le doigt sur une difficulté indépassable qui est inhérente au libéralisme : l’hétérorégulation, c’est à dire les régulations exercées par des instances extérieures au marché, n’est pas facilement tolérée par le système libéral orthodoxe. Un rapport comme le rapport Stern (ancien économiste en chef de la Banque mondiale), en appelle à la raison capitaliste pour ne pas attendre que les dégâts soient trop importants (le réchauffement climatique, affirmait-il en 2006, côuterait 7000 milliards de dollars en 2050 si rien n’est fait…) pour intervenir ; critiquant le front écolo-sceptique des néolibéraux, il proposait que 1% du PIB mondial soit consacré à la découverte d’autres énergies que les énergies fossiles, à la restructuration de l’industrie automobile, l’investissement dans le nucléaire (ce qui fait toujours débat…), l’arrêts des brûlis de forêts, de la surpêche…etc. La politique préconisée est d’inspiration keynésienne, c'est-à-dire s’appuie sur le volontarisme des Etats et leurs concertations au niveau international. Ce rapport est loin d’être appliqué, à l’image des nombreuses rencontres internationales (Cancun au Mexique, la dernière en date) qui ont le mérite d’exister mais qui débouchent difficilement sur des décisions d’envergure. Pourtant seules les Etats et les institutions internationales pourront influer sur les rapports de force tels qu’ils se manifestent « naturellement » à travers les lois du marché. Il est nécessaire de coopérer entre institutions internationales et de trouver des règles communes qui puissent contrecarrer tous les groupes de pression, et répondre globalement à un défi qui est lui-même global et qui ne peut être relevé uniquement à l’intérieur des frontières de l’Etat national. Par ailleurs l’engagement d’un pays seul nuit à sa compétitivité. Seuls des Etats et des mécanismes institutionnels internationaux peuvent appliquer des politiques concertées sous forme d’interdictions, de réglementations, de subventions et de pénalités.

L’ordre juridico-politique De ce point de vue, Sponville a raison de souligner l’urgence de la politique face à la puissance de l’économie. Pour lui la puissance de l’économie est précisément celle du marché. Il décrit l’économie comme un « ordre » des choses comparable aux autres dimensions du réel, et donc susceptibles d’être objet de science : ces lois de l’économie seraient un peu comme les lois de la nature, et donc, comme elles, en quelque sorte incontournables lorsqu’il s’agit de produire des richesses (cf. Le capitalisme est-il moral ? », Albin Michel). Il est de ce point de vue « réformiste » et n’envisage nullement une alternative au capitalisme. Face à l’ordre de l’économie, l’ordre du politique est le seul à même, non pas de remettre en cause l’ordre de l’économie (ce qui serait une confusion dommageable des ordres), mais de lui poser les limites nécessaires.

La faiblesse de la morale, et l’ « alter-consommation »

Quant à « la faiblesse de la morale », Sponville pense en effet que l’existence même de la morale est la preuve de notre inaptitude à être « vertueux » (car sinon, à quoi bon une morale, si nous le sommes ?), et qu’on ne peut pas compter sur la seule « conversion » individuelle ….  Il faudrait surtout ajouter à cela l’illusion qui consiste à nous faire adopter des comportements et prendre des décisions sur des questions qui ne sont pas seulement personnelles, mais socio-écologiques et qui engagent l’organisation sociale tout entière. Mais aussi insister sur les doubles-messages auxquels nous sommes confrontés, entre l’incitation moralisatrice et la réalité des fonctionnements socio-économiques.

Enfin, n’y a-t-il pas une contradiction, dans l’optique libérale, entre ces « gestes pour sauver la planète », cet appel à la responsabilité de chacun, et le credo libéral qui consiste à ne faire confiance qu’à son intérêt, et ne surtout pas se donner comme objectif de concourir volontairement au bien commun, sous-peine d’être contre-productif ? C’est plutôt l’intérêt bien compris d’un consommateur de plus en plus « intelligent » qui peut nous conduire à agir non pas «par devoir», mais conformément au devoir. Un consommateur intelligent qui distinguera le « mieux » du « plus », qui cherchera la qualité et le respect de l’environnement… L’alter consommation devant être alors considérée comme un segment du marché pas différent d’un autre. Nous pourrions assister alors à une métamorphose durable réglée par le seul intérêt et parfaitement compatible avec le credo libéral….

 

La foi dans la science et la technologie

Si le développement des sciences et des techniques s’est réalisé sur fond d’oubli des limites et contraintes de notre habitat humain, peut-être peut-il oeuvrer aujourd’hui à réparer les excès et surtout à mettre la sophistication à laquelle nous sommes parvenus dans de nombreux domaines au service de la protection de notre environnement. Certains diront qu’il s’agit « d’une fuite en avant » vers toujours plus d’ « arraisonnement » de la planète… Mais il est temps aussi de laisser le discours anti-technique, et l’opposition entre l’homme et la nature, aux idéologues de la société bucolique (peut-être en réalité très régressive si elle pouvait voir le jour). Et d’être avant tout soucieux de notre co-existence entre nous, notre terre et les êtres animés ou nom qui l’habitent (un nouveau paradigme non dualiste). Dans cette perspective, il faut systématiquement interroger les nouvelles technologies en fonction des services qu’elles peuvent rendre à la qualité de ces interactions : OGM, biotechnologies, nanotechnologies, captation et enfouissement du CO2, lutte chimique contre l’acidification des océans, techniques de manipulation artificielles du climat, transmutation des déchets nucléaires, recherche sur la fusion de l’hydrogène …etc. Cette dernière recherche est présentée aujourd’hui comme une sorte de « Graal » énergétique (la fusion atomique à usage civil), mais personne ne sait si ce chemin mène quelque part. De manière plus prosaïque et surtout en lien direct avec la transformation écologique, les intrants chimiques seraient progressivement remplacées par des pratiques agricoles en synergie avec l’environnement. Et surtout le mouvement de l’écologie industrielle, développé aux Etats-Unis par des chercheurs du Massachusetts Institut of Technologie, et qui a donné lieu à des expériences concrètes au Danemark, en Angleterre, et en Chine, avance la possibilité  de préserver la qualité de vie moderne en consommant quatre fois moins de ressources. Tout ensemble urbain ou d’entreprises doit être considéré comme un système naturel avec ses quantités de matières, d’énergies de déchets, de gaz, d’êtres vivants, dont on doit analyser le métabolisme. Aux hommes et aux politiques de faire en sorte que ce système deviennent un écosystème : qu’il récupère ses dépenses d’énergies, recycle ses déperditions, réutilise ses déchets, protège les espèces. Il ne s’agit pas là de ralentir la croissance mais de construire un nouvel environnement… Ces quelques exemples donnés sont, pour la plupart, complètement hypothétiques… Le pari de l’innovation (Allègre : la science est le défi du XXIe siècle ») s’accompagne de beaucoup d’incertitudes, et il serait mensonger s’il nous dispensait de nous interroger sur le modèle de consommation « insoutenable » qui est celui des pays développés…

 

 

« Un peu de croissance pollue, beaucoup de croissance dépollue » ?

Parisot (MEDEF) est l’auteur de cette phrase. La croissance serait censée réparer les dégâts de la croissance, et la mission des pays développés, qui ont franchi le cap critique, serait précisément de développer cette croissance durable, axée principalement sur les progrès scientifiques et techniques et l’économie de l’environnement. L’idée est séduisante, d’autant qu’il est probable qu’effectivement l’économie verte et les progrès réalisés dans l’efficacité énergétique (économie de carburant) sont de nature à améliorer la protection de l’environnement. Mais nous ne pouvons que nuancer le propos lorsque l’on prend en compte ce que les économistes appellent « l’effet rebond » de l’efficacité technologique dans l’utilisation des ressources : plus l’écoefficience s’améliore, plus la demande d’énergie augmente ; citons deux exemples : moins le transport est énergétivore et donc cher, plus on voyage, et plus la demande d’énergie est forte ; Plus onutilise des ampoules à basse consommation, plus on est tenté d’en utiliser davantage… etc. Par ailleurs et de façon plus générale, le consommateur a tendance à dépenser ailleurs, dans d’autre secteurs, une économie d’énergie réalisée. Les progrès technologique n’ont donc pas mécaniquement un effet « vertueux », et il est difficile de réorienter la consommation dans une autre perspective que celle du développement, fusse-t-il durable… car nous touchons là aux limites même de la notion de développement durable, effectivement conçu comme étape ultime de la croissance économique, et non comme une remise en cause de ce développement même … L’isolation thermique peut-elle compenser avantageusement l’augmentation de la surface des habitations ? la baisse de consommation des autos, l’augmentation de leur nombre ? La baisse de la consommation des avions en kérozène, l’augmentation du nombre de vols (avec la baisse corrélative des prix) ? La baisse de consommation électrique, l’augmentation de l’équipement des ménages en TIC ? Nous savons déjà que si le PIB tend à voir la part de son contenu énergétique baisser, en revanche, il ne cesse d’augmenter lui-même !

Qu’est-ce qui peut, au sein d’une économie libérale (au sens générique de ce terme, qui équivaudrait à « économie de marché »), infléchir sensiblement le développement dans le sens de la qualité plus que de la quantité, en évitant les excès de la décroissance ?

 

La prospérité sans croissance ? (lire dans le n° d’Alternatives Economiques consacré au développement durable (83, 2009), Une remarque pour commencer sur l’indice du PIB : il ne tient compte que de la production marchande. Dans les flux comptabilisés, aucune différence n’est faite entre la vente d’arme et la vente de médicaments, selon un amoralisme assumé par l’économie libérale. Ce qui a fait dire à Bob Kennedy : « le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut d’être vécue ». Sans entrer dans une polémique vaine, il est vrai que cet indice est impropre à mesurer tous les aspects du mieux-être. C’est d’ailleurs pourquoi d’autres indices ont vu le jour : pourquoi pas prendre en compte des dimensions comme la justice, la liberté réelle, l’éducation, la santé, la cohésion sociale, mais aussi la violence, les inégalités,… etc. ? C’est le sens de l’expression « prospérité » quine s’accompagne pas nécessairement de croissance. Un exemple : si l’on remplace une production productiviste et polluante de céréales par une production plus « biologique » sans croissance des quantités, il faut plus de travail donc plus d’emploi, pour une activité cette fois-ci « durable ». L’indice de productivité sera en chute, malgré cette progression. Si nous substituons des kwh issues des énergies renouvelables, à des kwh d’énergies polluantes en CO2, à production constante d’énergie, il est probable que nous affichions une baisse de productivité et une croissance zéro. Si nous recrutons du personnel en nombre pour s’occuper des personnes âgées et dépendantes (il s’agirait par ex de rattraper la Suisse, très soucieuse du bien être de ses aînés…), les mesures de productivité afficheraient un résultat négatif. En admettant que les grands gisements d’emplois du futur se trouvent dans la qualité, la durabilité (le développement durable ne devrait-il pas commencer par faire « durer » davantage les produits ? Ralentir ainsi le cycle de la production ainsi que celui des déchets et de leur recyclage, et réactiver celui de la réparation ?), la solidarité et la proximité, on ouvre d’autres perspectives de plein emploi que la croissance quantitative, en remplacement bien sûr des emplois supprimés d’activités « insoutenables ».

Revenons au PIB : y a-t-il corrélation entre  un PIB élevé et le développement humain et social tel que décrit précédemment ? La réponse est oui : il y a une corrélation très forte entre les deux, mais jusqu’à un certain seuil. Ce seuil compris entre 10000 et 20000 dollars est très inférieur à celui de la France (30000 dollars). Par exemple l’espérance de vie, au-delà d’un certain seuil au demeurant assez bas, n’est plus corrélée à la variable du PIB (ce qui ne l’empêche pas de progresser partout, mais à un côut de plus en plus lourd dans les pays au PIB le plus élevé). Quelles conclusions en tirer ?

1)    la richesse matérielle influe sensiblement sur l’espérance de vie : conditions de vie, d’éducation, de santé, d’alimentation, d’hygiène, de traitement de l’eau …

2)    Le système productiviste de certains pays (plus que d’autres) influe négativement sur la santé, surtout sur celle des catégories les plus exposées, et peine à compenser par son système de santé les dégâts qui seraient de plus en plus lourds…. Une interprétation plus « minimaliste » consisterait à dire simplement qu’au-delà d’un certain seuil, l’augmentation du niveau de vie n’a pas d’influence sur la santé, et que d’autres facteurs peuvent intervenir, propres à chacun des pays considérés.

 

Dans le cadre d’un scénario post croissance, en dehors de toute vision sacrificielle présentant souvent la soutenabilité comme le retour au passé, Jean Gadrey énumère tout ce qui pourrait être fait pour soutenir une « prospérité » telle qu’elle a été décrite. Si nous résumons :

Davantage de biens et de services publics gratuits (eau, transport collectif propre…)

Augmentation des activités en direction des enfants, personnes âgées, handicapés

Logements sociaux de qualité et à faible consommation d’énergie

Alimentation plus saine, davantage de proximité

Plus de formes coopératives en lien direct avec les producteurs

Education

Temps libre, cohésion sociale (familiales, relations sociales …)

Davantage d’air pur en ville et de qualité des eaux

Davantage d’espaces naturels et de biodiversité

Davantage de démocratie et de participation citoyenne

Davantage de sens au travail en fonction de son utilité

Egalités de revenus

Davantage de solidarité

Davantage de sécurité sociale et professionnelle

 

Une vision idéale bien sûr, qui ressemble un peu à un catalogue programmatique, mais qui peut donner un cap, et a le mérite de présenter une alternative à la croissance économique tout azimuth. Nous terminerons en disant que nous sommes ici en présence  de la principale pierre d’achoppement des politiques publiques dans ce domaine : voulons-nous la croissance verte qui subordonne l’action écologique aux impératifs économiques de croissance continue, ou bien l’économie verte pour laquelle cette croissance n’est plus une fin en elle-même, problème second par rapport à la durabilité ou soutenabilité du développement, entendu cette fois dans sa globalité. Faut-il  « intégrer l’écologie dans l’économie » (au sens d’une économie régie par les mécanismes du marché), ou bien au contraire « faire en sorte que la problématique écologique définisse les priorités de l’économie » (Luc Ferry) ? Et ne doit-on pas ici distinguer le court terme du long terme ?          

Daniel Mercier, le 6/12/2010