Peut-on désirer sans souffrir ? - Février 2013

La présentation du sujet

Café philo à la MAM : « Peut-on désirer sans souffrir ? » (Sujet du bac en 2008)

 

Présentation du sujet :

 

La conception la plus générale du désir, d’après E. Rudinesco (Dictionnaire de psychanalyse), employé en philosophie, en psychanalyse, comme en psychologie, pourrait se définir ainsi : « tendance, souhait, besoin, appétit, c'est-à-dire toute forme de mouvement en direction d’un objet dont l’âme et le corps subissent l’attrait spirituel ou sexuel ». Levier  d’un dynamisme inhérent à la vie même, pourquoi devrait-il être associé à la souffrance ? Parce que « désirer, c’est vouloir ce qu’on n’a pas ou ce qu’on est pas », et donc n’avoir jamais ce que l’on désire… répond quelqu'un comme A. Comte-Sponville : il serait ainsi intimement lié à la souffrance parce qu’en relation directe avec le manque… Nombreux sont ceux qui pensent en effet, de Platon à Schopenhauer, ou encore quelqu'un comme René Girard et sa théorie du désir mimétique qui rapproche le désir de l’envie et de la jalousie, que le désir est quête par principe inachevée d’un objet qui se dérobe immanquablement à la prise, et donc générateur de frustration et d’insatisfaction, qui sont elle mêmes des modalités de  souffrance… A cette conception du désir, ne peut-on pas cependant opposer une autre conception : un désir comme puissance en  acte, accroissement de sa force d’exister, qui bien loin de s’alimenter du manque, jouit de la présence de l’objet et de l’activité qui y mène ?

 

Daniel Mercier, le 24/09/2012

L'écrit philosophique

« Peut-on désirer sans souffrir ? »

MAM Mercredi 20 février 2013

 

DEFINITION

Tendance, souhait, mouvement vers un « objet » qui exerce un attrait spirituel ou sexuel

MAIS AUSSI accomplissement, réalisation de la tendance et du souhait (le désir chez Freud signifie les deux)

Passion ►forme exacerbée du désir qui se focalise sur un seul objet

Distinction du désir et du besoin, même si, chez Freud, le désir se développe à partir de « l’étayage » du besoin (par exemple désir de sucer empruntant la voie de la satisfaction de ce besoin biologique de lait).Distinction entre la faim et l’appétit

 

PREMIERE PARTIE : LE DESIR COMME MANQUE

1- Le désir inséparable du manque, donc associé à la souffrance du manque… Je désire ce que je n’ai pas ou ce que je ne suis pas. Ces figures du manque vont être déclinées à partir de Platon de diverses manières…

Le manque originel … le mythe des Androgynes (« le Banquet ») : la coupure originelle, symbole de finitude et d’incomplétude, qui me condamne à toujours rechercher ce qui me manque pour être complet (= moteur du désir)

Qui ne peut être comblé… L’interprétation du mythe par Lacan (séminaire sur Le Transfert, Livre VIII) reprendra le mythe en ces termes : « Chacun de ces êtres cherchent d’abord et avant tout sa moitié, et là, s’accolant à elle avec une ténacité sans issue, dépérit à côté de l’autre, par impuissance à se rejoindre » : l’être que j’essaie de joindre par les chemins du désir, c’est le mien, ou plutôt ce qui lui manque, ce dont je suis dépourvu pour être totalement le mien (c’est selon Lacan, le fantasme fondamental qui traverse tout désir). Mais le problème, c’est qu’il n’y a pas correspondance : ce qui manque à l’un n’est pas ce qu’il y a caché dans l’autre. Echec de l’amour comme fusion.

Lucrèce (« De rerum naturae »): « ils pressent avidement le corps de leur amante, ils mêlent leur salive à la sienne, ils respirent son souffle, les dents collées contre sa bouche : vains efforts, puisqu’ils ne peuvent rien dérober du corps qu’ils embrassent, non plus qu’y pénétrer et s’y fondre tout entiers. Car c’est par moments ce qu’ils semblent vouloir faire… ». L’acte d’amour pourrait ainsi être interprété comme l’expression la plus intensive de ce fantasme fondamental ou primordial de ne vouloir faire qu’un quand on est deux et retrouver une complétude perdue.

2- Le désir comme quête incessante… Le mythe d’Eros (Diotime), fils de Pénia (pauvreté) et de Porros (abondance) : état de pauvreté dévorante, consciente d’elle-même et sans cesse en quête de beauté ►ascension graduée vers le beau, le bien, le vrai, à travers la médiation de la beauté des corps physiques, puis des belles âmes, pour enfin contempler les Idées. . On ne peut désirer que ce qui manque, et la possession de l’objet désiré éteindra nécessairement ce désir au profit d’un désir nouveau, dans une quête jamais satisfaite. De là la souffrance attachée au désir, jusqu’au moment où l’accès au Ciel des Idées, bref à Dieu – ce n’est pas pour rien que le christianisme a pu s’incorporer sans peine le platonisme -, synonyme de perfection, assure une paix enfin méritée. Mais la mort est le prix à payer…  Jusque là, on ne peut désirer que ce qui manque, et la possession de l’objet désiré éteindra nécessairement ce désir au profit d’un désir nouveau, dans une quête jamais satisfaite. Ainsi, le désir hérité d’Eros désigne quelque chose qui est au-delà de tous les objets, visée de perfection. Le véritable objet du désir, dira Lacan, n’est pas à la disposition du sujet et lui manque essentiellement. Désir qui implique, ajouterait André Comte-Sponville, la consommation et la possession de l’objet pour son bien à soi, et non pour le bien de l’autre.

3- La vie, une « vallée de larmes » ?

Il ne manquait plus  pour un Schopenhauer que de tirer toutes les conséquences négatives de cette réalité, ne voulant voir que le verre à moitié-vide : « la souffrance est le fond de toute vie ». Cessons donc de nous raconter des histoires : « Aujourd’hui est mauvais, et chaque jour sera plus mauvais - jusqu’à ce que le pire arrive ».L’essence même de la vie est cette force aveugle du « vouloir-vivre » (ou de la volonté) qui nous conduit toujours de la douleur de l’absence de l’objet convoité à l’ennui provoqué par la satiété d’un désir dont le but était illusoire. « La vie donc oscille comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui (qui est aussi une souffrance : « le dégoût, le vide, l’ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin ») ; ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme.». Ce mouvement de balancier résume le mouvement insensé du « vouloir-vivre ». Eternellement recommencement, par delà la diversité des objets, d’une quête par définition vaine, aucun objet réel ne pouvant combler le manque dans la durée…

4- Manque, désir, souffrance et ennui dans la littérature…

Notre littérature a maintes fois rendu compte des affres de l’amour et de la passion aussi bien autour de l’embrasement du désir dans le manque que de l’ennui contemporain de l’appropriation :

Proust (A la recherche du temps perdu) : pour illustrer le sentiment d’ennui qui peut succéder à l’appropriation, Proust dans « A la Recherche du Temps Perdu » déclare s’ennuyer rapidement en présence d’Albertine : « comparant la médiocrité des plaisirs qu’elle me donnait à la richesse des désirs qu’elle me privait de réaliser ». Mais la voilà qui part, et la passion renaît instantanément, dans le manque et la souffrance !

Stendhal : Stendhal, comme Proust, ont bien montré que nous découvrions notre amour, ou que celui-ci se réactivait, dans la séparation : « Etes-vous quittée ? La cristallisation recommence… »

Tristan et Yseult, Denis de Rougemont (« L’amour et l’Occident ») montre qu’ils ont besoin l’un de l’autre pour brûler, « mais non de l’autre tel qu’il est ; mais non de la présence de l’autre, mais bien plutôt de son absence ! ». « T et Y ne s’aimaient pas… Ce qu’ils aimaient, c’est l’amour, c’est le fait même d’aimer et ils agissent comme s’ils avaient compris que tout ce qui s’oppose à l’amour le garantit et le consacre dans leur cœur pour l’exalter à l’infini dans l’instant de l’obstacle absolu qu’est la mort. »

C’est en effet dans l’extrême du « désir-passion » que nous pouvons le mieux observer comment la passion est d’autant plus enflammée, et donc douloureuse, que son objet est inaccessible. Alain dit : « il y a du supplice dans la passion, le mot l’indique » (passion vient de « pâtir »).

5- Une alliance secrète entre souffrance et jouissance dans cette conception-là du désir, ils sont au contraire indissolublement accouplés…

Sentiment mêlé de plaisir et de souffrance. JJ Rousseau dans  « Julie ou la Nouvelle Héloïse » a su décrire très justement celui-ci : la tension du Désir creusé par le manque (d’avant sa réalisation) est en effet source de jouissance : « Malheur à celui qui n’a plus à désirer ! …On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère et l’on est heureux qu’avant d’être heureux… Ce désir est aussi responsable de « l’embellissement de l’objet »

C’est ce « pays des chimères », celui où règne l’imagination et l’idéalisation qui serait, « le plus digne d’être habité »… Etant entendu que l’illusion risque de cesser avec la jouissance cette fois-ci réelle de l’objet. Le héros romantique va s’alimenter sans cesse de la douleur de ce désir inassouvi : Ce qui le fait vivre, c’est cette qualité de souffrance propre à la passion amoureuse et à ses déboires, cette intensité douloureuse du sentiment d’amour inassouvi… Jouir du manque est à coup sûr une des modalités de la jouissance. Nietzsche, qui ne ménageait pas ces critiques contre le Romantisme, dénonçait le caractère « maladif » et morbide de ses héros…

Mais aussi mystérieuse alchimie du plaisir des corps et de la faute ou de l’interdit dans l’érotisme. S’agit-il, comme l’affirme Onfray (lire par ex « Le souci des Plaisirs. Construction d’une érotique solaire », ou « Théorie du corps amoureux ») d’un érotisme nocturne parce que judéo-chrétien, c’est-à-dire entaché de cette culpabilité des plaisirs du corps et de la culture du péché, où le désir est associé à la mauvaise conscience, ou plus profondément d’une sourde et intime parenté (et c’est plutôt Freud ici qu’il faut convoquer…) d’Eros et de Thanatos, du plaisir et de la souffrance, telle qu’elle a été par exemple très bien filmée par tout un courant filmographique japonais (cf. « L’empire des sens » ou « La vie secrète de Mme Yoshino »  ?). Le sadomasochisme étant un des aspects de cette alliance secrète…

6- Le désir comme échappatoire au réel ? Une certaine forme de désir peut être aussi une stratégie de fuite devant la dure réalité et son lot de souffrances et de frustrations. Il peut apparaître en ce sens comme une forme de consolation ou de refuge, mais le réel évacué par la porte réapparaît généralement bien vite par la fenêtre, démontrant l’illusion d’une telle vie rêvée… Cette tendance humaine trop humaine à se créer des « fantômes », d’autres mondes irréels en lieu et place du monde réel, Clément Rosset la décrit comme une propension à créer des « doubles » face à un réel jugé intolérable. En ce sens, l’illusion est davantage le fruit du désir que de l’ignorance.

7- La vérité du désir : l’envie et la jalousie ? Dans la célèbre théorie du désir mimétique de René Girard (« Des choses cachées depuis la fondation du monde », mais aussi JP Dupuy, « L’enfer des choses »), l’individu désire immanquablement ce que non seulement désire mais aussi possède son voisin, ou du moins celui qu’il a désigné comme son modèle, et qui devient en même temps son rival. Autrement dit, l’objet du désir n’est pas défini par les qualités intrinsèques de l’objet, encore moins de façon autonome et spontanée par le sujet, mais dans le cadre d’une imitation plus ou moins envieuse et admirative de l’Autre et de son objet. Cette rivalité mimétique est responsable à la fois de l’émulation positive des apprentissages de toutes sortes, mais aussi de contagion collective violente où chacun entre en rivalité contre chacun. Ces moments d’emballement de la violence mimétique marqueraient selon Girard les premiers moments de l’humanité jusqu’à la menacer de destruction définitive. C’est le mécanisme de la victime (ou du bouc) émissaire qui va permettre de renverser cette tendance en transformant le tous contre tous en tous contre un : ces premiers sacrifices étant à l’origine des premiers rituels et interdits, et plus fondamentalement de la culture et de la religion (lire aussi « L’origine de la culture »). La mode et la publicité dans nos sociétés contemporaines peuvent aisément fournir des exemples de mimétisme : hymne à la possession d'objets, elles nous donnent d'abord à désirer, non pas un produit dans ce qu'il a d'objectif, mais des gens, des Autres qui désirent ce produit ou qui semblent comblés par sa possession. Le système du désir mimétique repose en fait de manière étendue comme le désir de « toute chose dont les Autres sont pourvus et qui me fait défaut ». Un tel système ne peut que générer de la souffrance et des passions tristes : envie, jalousie, convoitise, sentiment de frustration… mais aussi haine parfois. Le manque peut apparaître dans cette perspective comme alimenté volontairement par la machine sociale et en particulier le marché qui fonctionne en s’appuyant sur cette mimésis d’appropriation. Cependant ce serait une erreur de vouloir limiter le désir mimétique aux objets réels et encore moins à l’avoir marchand. Il peut tout aussi bien devenir « métaphysique », selon l’expression de R. Girard, c'est-à-dire être au-delà des objets : par exemple le goût du risque, la soif d’infini, l’amour fou, l’honneur, le prestige, les compétitions sportives … sont autant de manifestations de la rivalité mimétique.

 

DEUXIEME PARTIE : Quels remèdes à cette souffrance associée au désir ?

Quel est l’origine de cette souffrance ? Le hyatus infranchissable entre le désir et le réel. A partir de là, deux réponses possibles :

1-Agir sur le réel, le changer ; cette tentation d’un autre monde que celui-ci, ce recours à des « doubles  du réel » (Clément Rosset) est permanente, et responsable de bien des dérèglements selon ce même Rosset. Cette option est immédiatement réalisable sur le mode hallucinatoire (drogues diverses…), mais nécessairement illusoire et au prix d’une destruction… L’impasse d’une telle option ne signifie pas cependant que dans le cadre de son rapport au réel, l’homme ne puisse pas participer à son histoire et agir sur lui, et par conséquent peut-être atténuer certaines formes de souffrances… mais il serait très naïf et surtout redoutablement dangereux de penser que la réalité peut être un jour conforme à nos désirs… (n’est-ce pas le lit de tous les totalitarismes ?)

2- Agir sur le désir : le transformer ou le supprimer ; c’est la voie qui a été choisie par la plupart des sagesses, antiques comme orientales. Nous allons revenir sur quelques unes des pistes ouvertes…

L’hédonisme (les Cyrénaïques) : le désir identifié aux plaisirs matériels : Le bonheur, comme absence de tout manque, est possible, à condition de l’identifier aux seuls plaisirs physiques et matériels. Les promesses de bonheur qui se situent dans l’au-delà (c’est bien sûr Socrate qui est visé) place la satisfaction suprême dans un lieu hypothétique dont on peut craindre qu’il soit utopique. Question : peut-on rabattre le désir sur les plaisirs ? N’est-ce pas réducteur ? L’expérience ne montre-t-elle pas que la satisfaction de ces derniers sont loin d’étancher la soif du désir. Les « objets » du désir ne sont pas nécessairement matériels ; aimer n’est pas seulement faire l’amour ; le désir peut viser des valeurs, des idéaux…. Cette visée ne peut qu’excéder la simple recherche de plaisirs (sans l’exclure)… Mais la thèse hédoniste a le mérite de mettre en question la thèse platonicienne pour laquelle, finalement, « aucun objet existant ne peut être tenu pour « objectivement » désirable » » (Clément Rosset. « La force majeure »).

La sagesse épicurienne : le désir rabattu sur le besoin. Il y a une soif déraisonnable inhérente au désir. Seule la satisfaction des désirs « naturels et nécessaires » (la soif, la faim, la chaleur du corps…) permet d’atteindre l’ataraxie chère aux épicuriens (tranquillité et sérénité de l’âme), car ils représentent le seul manque essentiel que nous pouvons combler. Tous les autres, « désirs en mouvement » qui ne peuvent jamais être comblés –comme le luxe, la richesse, la gloire, les honneurs, l’immortalité – sont la source de toutes les souffrances humaines et nous font vivre dans une vaine agitation. L’absence de troubles recherchée par Epicure est avant tout le moyen d’éprouver véritablement ce « plaisir même d’exister », qui englobe aussi bien mon existence propre que la présence de l’existence en tant que telle. La critique que nous pouvons formuler à l’épicurisme : c’est cette fois-ci aux besoins (entendus comme besoins primaires) que le désir est réduit. Et corrélativement, conception du bonheur comme absence de souffrance, qui va être l’orientation de toutes les grandes sagesses... L’annulation de la souffrance est ainsi au prix de l’annulation du désir…

La sagesse stoïcienne : ne rien désirer d’autre que ce qui arrive…Chez les stoïciens, la formule de la déraison consiste pour les hommes à ne pas savoir distinguer ce qui dépend d’eux de ce qui n’en dépend pas, et qui, ne comprenant pas la nécessité du réel, veulent que les choses se passent comme ils le désirent. Le prix de cette déraison, c’est la souffrance et l’aliénation. Il faut donc vouloir que « les évènements arrivent comme ils arrivent ». Mon véritable pouvoir (celui de ma liberté propre) réside en effet dans la maîtrise que je peux mobiliser concernant mes propres représentations sur le monde et ses évènements. La vertu stoïcienne consiste donc dans cet effort pour accorder le plan de l’intériorité et celui de l’extériorité, afin d’harmoniser le désir et le réel. Il ne s’agit pas d’une triste résignation, mais d’un consentement serein et si possible joyeux. Un présupposé sous-tend l’édifice : celle d’une nécessité rationnelle et de nature divine tissant l’ordre des choses de la Nature. Un stoïcisme « moderne » doit pouvoir s’assouplir en se débarrassant d’une cosmologie qui n’a pas de sens aujourd’hui (nous y reviendrons).

Le bouddhisme : il propose une stratégie de libération de la souffrance, dont l’origine véritable est la soif, le désir toujours insatiable et toujours insatisfait (de ce point de vue, grande proximité avec les sagesses épicuriennes et stoïciennes). Nous construisons habituellement notre vie dans la croyance illusoire que nous sommes une entité stable et intrinsèquement séparée. La cause de la souffrance mentale, qui se traduit notamment pas toute une série d’afflictions négatives comme la tristesse, la haine, la colère, la convoitise, la peur, l’abandon, la jalousie, la crainte …etc., ne peut se comprendre sans cet attachement à ce moi comme entité indépendante existant par lui-même indépendamment des autres êtres du monde, et sans cette façon d’isoler une seule chose ou cause comme responsable de ma souffrance ou de mon attirance. La réalité est au contraire caractérisée par l’interdépendance et la l’impermanence de toutes choses. Pour parvenir à atténuer la souffrance (puis l’éradiquer complètement, c’est le but ultime, la réalisation du « Bouddha vivant », mais après de multiples réincarnations …), il faut donc agir sur sa cause fondamentale, c’est-à-dire soi-même : il faut parvenir à se sentir comme un lieu de passage, dit le Bouddha, comme le siège de phénomènes qui nous précèdent, nous traversent et nous emportent au loin. Au-delà de l’agitation de surface qui nous emporte, « la danse de l’impermanence », il s’agit de saisir la seule chose immuable en nous, le seul point fixe, « rigpa » en tibétain, la nature véritable de l’esprit qui est la vacuité. Ce difficile chemin doit nous conduire progressivement à la dissolution de soi et à l’Eveil. Dans une perspective bouddhiste, la souffrance physique et mentale des êtres est générée par le désir égoïste de richesses et de pouvoir, et les sentiments négatifs des uns vis-à-vis des autres qui, dans un contexte d’interdépendance généralisée, ne peuvent qu’augmenter la souffrance. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’importance pour les bouddhistes du principe de ne pas nuire à autrui, mais aussi de la compassion, de façon à alléger la souffrance des autres et de la sienne propre (grâce à une moindre focalisation su soi-même).

 

3- Désirer ne plus désirer… Un symptôme de détresse face à la vie ?

Quelques remarques critiques en conclusion de l’évocation de ces remèdes :

En vérité la plupart des philosophies eudémonistes (antiques comme orientales) posent une équivalence entre être heureux et ne pas souffrir. D’où l’ascèse, le détachement des êtres ou des objets susceptibles de me faire souffrir, ne serait-ce que par leurs pertes. L’hédonisme de Michel Onfray ne peut qu’y déceler, après Nietzsche, un désir « de ne plus avoir de désir », un désir au service de la pulsion de mort dirigée contre soi-même (« La sculpture sur soi »). En utilisant un vocabulaire plus nietzschéen, nous pourrions parler d’une peur de la vie, d’une forme d’infirmité face à la vie.

Car en effet, ne pas ressentir, c’est éviter la souffrance, mais aussi la jouissance. Nous savons bien que l’aptitude à jouir et l’aptitude à souffrir sont indéfectiblement liées, en tant que nous sommes susceptibles d’être en permanence affectés par autre chose que nous-mêmes. Le malheur dort au pied du bonheur, le bonheur se tient au bras du malheur … « Se suffir à soi-même » et se replier dans sa « forteresse intérieure » par la force de sa seule volonté (stoïcisme), ou parvenir à se détacher des êtres et des choses par le long chemin de l’Eveil (bouddhisme), c’est peut-être accéder à la paix de l’âme et à une grande liberté intérieure face à la tyrannie des désirs et donc des souffrances, mais à quel prix ?

La logique d’une telle pensée est bien saisie par Clément Rosset (« La Joie. Une force majeure »), pour qui la philosophie de Platon en représente la quintessence : selon le Socrate platonicien, le remède à cette vie comme manque et comme souffrance, à ce désir comme quête illusoire d’objets toujours décevants, ne peut être qu’un « autre monde » dans lequel nous trouverions enfin la plénitude d’un être stable, plein, caractérisé par son unité et sa permanence dans le temps, à l’inverse de la vie selon les désirs qui oblige l’homme à se comporter comme un « tonneau percé », une passoire, un « pluvier qui mange et qui fiente en même temps » (« Le Gorgias »). Ce qui est dénoncé, c’est une vie de manque comme flux, écoulement, passage, incapable de connaître l’apaisement et la plénitude. Il faut boucher le tonneau pour qu’il ne se vide plus. Platon est hanté par la recherche de cet être immobile, plein et un. Cet être éternel est aux antipodes d’une existence fugitive et éphémère. Mais n’est-ce pas précisément cette existence périssable que nous aimons ? Comme le dit encore remarquablement Clément Rosset, « La saveur de l’existence est celle du temps qui passe et change, du non fixe, du jamais certain ni achevé »… Ce préjugé de l’ « être » opposé au changement sera critiqué par Nietzsche de manière radicale comme une « volonté de prêtre » insurgé contre la vie. Ainsi Ulysse, dans l’Odyssée, oppose à plusieurs reprises « la vigueur de l’existence, fût-elle fugitive et misérable, à la pâleur et l’inconsistance de l’immortalité, fût-elle la plus glorieuse » (C. Rosset). Derrière cette suspicion par rapport au désir se cache le fantasme de cet être immuable qui ne peut nous conduire qu’au repos éternel…

Quoiqu’il en soit, cette conception du désir comme manque condamnant la vie humaine à une souffrance sans appel, condamné à ne désirer que ce qui n’existe pas ou du moins pas encore : « Si l’on ne désire que ce qu’on a pas, on n’a jamais ce qu’on désire, et l’on est pour cela jamais heureux ni satisfait. » (A. Comte-Sponville. « L’Amour » in « Petit traité des grandes vertus ») ne semble pas toujours correspondre à la façon dont nous vivons certaines formes de désir... La question posée serait donc celle-ci : ne peut-on pas désirer ce dont nous ne manquons pas ? Peut-il y avoir désir sans manque préalable ? Peut-on désirer ce que nous faisons, ce que nous avons, ce que nous sommes ? N’y a-t-il pas aussi un désir en acte dans l’action même qui ne se nourrit pas de son propre manque, mais au contraire s’accompagne de jouissance et de réjouissance ? Plutôt que creusé par le manque, le désir ne peut-il pas être aussi une tension positive, affirmative, joyeuse ?

 

TROISIEME PARTIE

 

1- Un certain nombre d’indices interrogent cette conception du désir comme manque.  La vie ordinaire, mais aussi la littérature comme le cinéma peuvent nous apporter des témoignages précieux sur le fonctionnement d’un désir qui ne paraît pas répondre aux mêmes caractéristiques, c’est-à-dire à l’alternative exposée entre privation et déception/satiété.

-       Au-delà du but, le désir comme « accomplissement »… Entre frustration et difficultés dans la réalisation d’une part, et satiété, ennui et quête d’un nouveau désir d’autre part (le fameux balancier de Schopenhauer), il y autre chose : l’accomplissement. Et quoiqu’en dise le romantisme, la réalisation et la consommation (réciproque ou non) de l’objet du désir est souvent effective et synonyme de plaisirs et de jouissances plus ou moins prolongés. Nous avons tendance à privilégier les extrémités aux dépens de ce qui est « entre » (cf. prochain point)

-       Le chemin plus important que la destination ? Plutôt que de focaliser uniquement sur  Sisyphe remontant indéfiniment son rocher, le temps de la satisfaction et des bénéfices en termes d’affects joyeux, ne doit pas être négligé… Le manque s’efface alors au profit d’une force d’affirmation, d’une poussée qui nous porte et nous anime dans la jouissance et la réjouissance, cette fois-ci présente, actuelle, de l’objet. Finalement, dans bien des cas, il est difficile de séparer l’objet du désir, de l’activité qu’il génère. En vertu d’un schéma rationaliste classique en termes de moyens et de fins (schéma emprunté au modèle technique, mais aussi au modèle homéostatique de satisfaction des besoins), l’action est souvent envisagée dans un sens purement instrumental, comme moyen. D’où un décrochage temporel important entre ce qui serait de l’ordre de l’instrumentation, et ce qui serait de l’ordre du résultat (nécessairement décevant). Ce faisant, minimisation de l’activité proprement dite, et de la jouissance qui lui est associée, qui est, en réalité, concomitante à l’acte.

-       But et « fin » de l’action. Nous pourrions à ce sujet évoquer la leçon des stoïciens qui distingue le but de l’action et sa fin. La fin de l’action n’est pas dans la réussite à venir (dans cette optique, la valeur de l’objet n’a qu’une importance secondaire…), mais dans le soin pris « à faire ce que l’on a à faire ». L’image utilisée est souvent celle de la vie humaine comparée à une scène de théâtre : nous sommes acteurs et n’avons pas choisi notre rôle ; en revanche, ce qui dépend de nous, c’est de bien le jouer. La vraie fin de l’action n’est pas le but visé, mais l’action elle-même dans la perfection de l’agir actuel ; c’est l’instant de l’acte qui est ainsi valorisé. Nous sommes ici en présence d’une « praxis », c'est-à-dire d’une activité immanente qui est sa fin en elle-même.

-       La vie comme « tension de l’entre » (François Jullien). Entre le désir qui fait courir et le risque du gavage ou de la déception, il y a cette tension synonyme de vie qui signifie que vivre ne coïncide jamais avec soi-même, échappant ainsi à la logique du  tiers exclu. Vivre, c’est vivre cet écart de moi à moi que signifie le désir. Le bonheur a de ce point de vue quelque chose de peu mobilisateur : « Rien n’est plus insupportable qu’une suite de beaux jours » dit Goethe. Reprenant l’exemple de la chasse utilisé par Pascal (qui considère celle-ci comme vaine et sans intérêt une fois le gibier capturé), François Jullien prend le contre-pied : « le moment suivant n’annule pas le moment précédent », dit-il. Autrement dit, c’est le cours même de l’activité qui doit être valorisé, chaque instant doit valoir pour lui-même, et ne peut être annulé par l’instant suivant (éventuellement celui du « résultat » de la chasse). Entre la quête et sa satisfaction, la vie se déploie dans l’entre de l’occupation. Pour répondre à la question de Socrate dans le Gorgias : « Faut-il vraiment continuer à remplir le tonneau percé ? », disons à l’instar de Lao Tseu : oui, il faut « verser sans jamais remplir, puiser sans jamais épuiser ». Vivre est dans cet « entre-deux ». Sinon, « je suis aussi vivant qu’une pierre » (c’est précisément la réponse de Calliclès à Socrate). Ce moment intermédiaire entre la privation et la satisfaction a tendance à nous échapper en tant que moment de transition ou de transformation d’un état à un autre.  Nous pouvons rapprocher cela également de l’importance que les stoïciens accordent à la fin de l’action dans la perfection de l’agir ici-maintenant (cf. point précédent), plutôt qu’à son but, alors que celui-ci n’est que le support subjectif et parfois imaginaire du procès en cours (de l’activité).

2- Le désir comme activité désirante. Nous en sommes venus insensiblement à privilégier le désir comme activité, et à relativiser l’objet et le but du désir. J’avais eu l’occasion il y a quelques années d’analyser dans cette perspective deux films français qui venaient de sortir, « A l’origine », et « La joueuse », mais les conclusions étaient aisément transférables à bien d’autres expériences ; nous constations que : 1) l’objet du désir dépend de circonstances aléatoires (ici, découverte des échecs par hasard, et construction d’un autoroute à partir d’une arnaque où un petit escroc est pris à son propre piège) ; celles-ci mettent en marche le désir. 2) Le but de l’activité n’apparaît pas clairement : construire une autoroute pour quoi faire ? Pour aller où ? Le personnage ne s’y intéresse pas. Jouer aux échecs pour quoi ? Pour devenir championne ? Ce n’est manifestement pas la préoccupation du personnage. 3) Le désir comme immanent à l’activité. Ce qui devient de plus en plus fort en intensité, c’est le développement de cette activité et son caractère  impérieux, comme une urgence qui passe avant toutes les autres considérations, qui impose son rythme presque malgré ses protagonistes ; c’est chaque instant de l’acte qui est une justification en lui-même. Le « résultat » visé n’a que peu d’importance, si ce n’est de fournir le support subjectif à l’activité en cours. 4) Le désir est nécessairement coûteux en effort de tous ordres, les obstacles à surmonter sont nombreux, mais peut-on assimiler ce « prix » à la souffrance ? Loin d’être cet effort pénible pour réaliser un but qui se trouverait vers l’avant, le désir est ce qui « pousse derrière soi », « nous tient », et s’avère d’une grande puissance. 5) L’objet du désir qui, s’il est ciblé, irradie en une multiplicité de désirs autour de lui, comme l’affirme d’ailleurs C. Rosset à la suite de Deleuze : c’est toute la vie de chacun des personnages qui s’en trouve bouleversée : le désir agit sur les attitudes, les perceptions, les affects, les intérêts… Une nouvelle configuration du monde apparaît ainsi chez chacun. Dans ces exemples, le désir apparaît bien plus comme « production » (Deleuze) que comme effet de manque.

Pour toutes ces raisons, nous sommes entraînés vers une autre manière de vivre le désir qui permet, comme le dit Sponville, de penser aussi que l’on puisse désirer et jouir de ce qu’on a, de ce qu’on fait, de ce que nous sommes. C’est chez le grand Spinoza et son Ethique que nous pouvons peut-être le trouver…

3- « Le désir est l’essence de l’homme » (Spinoza). Le désir est l’essence de l’homme, et notre réalité ne peut pas être définie comme un simple manque ou un défaut d’être. Nous  sommes ainsi mus par une puissance ou force d’exister qui nous fait tendre vers plus ou moins de réalité ou de perfection (ce qui est strictement la même chose chez Spinoza).

Cette puissance d’agir ou effort pour persévérer dans son être et le développer, c’est ce que Spinoza nomme « le conatus ». Chez l’être humain, cet « appétit » s’accompagne de conscience (en raison du parallélisme du corps et de l’esprit : à chaque expression du corps correspond une expression de l’esprit), et s’appelle « désir ». Le désir est donc chez l’homme un dynamisme qui vise à l’accroissement de sa propre puissance, au sens d’une force qui s’affirme et poursuit son propre accroissement (nous pouvons sans doute rapprocher cette notion de celle de « dynamisme de croissance » utilisée par le psychologue Joseph Nuttin pour définir le concept de motivation humaine (cf. « Les mécanismes de la Motivation Humaine »). Cette poussée de la puissance d’exister, contrairement à la conception de Schopenhauer, n’est pas aveugle ou insensée, elle vise au contraire la joie, qui est précisément ce sentiment vécu d’un accroissement de la puissance d’agir et d’exister. Le conatus, en tant qu’effort pour persévérer dans son être, détermine la valeur de la chose (valeur relative à son « utile propre ») dans l’exacte mesure où il choisit ce qui lui apparaît  bon pour lui, et écarte ce qu’il juge mauvais (cela n’exclut pas l’erreur…). Il va notamment choisir les rencontres avec ceux qui entrent dans un rapport de composition avec lui, permettant d’augmenter sa force d’exister (et non l’inverse). Par exemple Spinoza définit l’amour comme la joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure, la joie augmentée grâce à la présence de l’autre augmente également ma puissance d’agir ou d’exister. Ici donc nul désir comme manque, mais un désir comme puissance en acte où la jouissance est contemporaine de l’existence et de la présence de l’objet. Comme le dit bien Sponville, l’amour spinoziste peut se traduire dans la formule : « je me réjouis que tu existes » (et non « je te veux »qui serait plutôt Eros comme désir d’appropriation.). Comme nous le suggérions précédemment, le Désir est créateur de valeurs : « Nous ne tendons (désirons) pas vers une chose parce que nous la jugeons bonne, mais au contraire nous jugeons qu’elle est bonne parce que nous tendons vers elle » (Ethique III). La philosophie de Spinoza est une philosophie de l’immanence où le seul être qui soit est le réel : nul « manque », nulle « transcendance » ou valeurs qui ne seraient la pure création du désir. Seulement l’être que je suis et qui affirme son existence. La question qui se pose est de savoir comment cette tendance naturelle du désir à augmenter sa puissance d’agir synonyme de joie se fourvoie souvent dans une issue inverse synonyme de diminution de sa puissance et donc de tristesse ou de passions tristes… L’Ethique de Spinoza consiste justement à rechercher les voies du  meilleur accomplissement du désir, en le libérant des passivités de la passion et donc de la souffrance, grâce à la connaissance adéquate que nous avons des causes de nos affections : j’aurai ainsi, du moins en partie, la possibilité d’avoir une idée adéquate de mon propre désir, et donc de moins subir aveuglément mes affects. Nous pouvons ainsi choisir activement ce qui va dans le sens de cette augmentation de notre puissance d’exister, et devenir ainsi la cause de nos propres affects, selon notre essence. C’est la définition même de la liberté pour Spinoza. Comme toujours chez Spinoza, « la liberté (véritable) est liée à l’essence et à ce qui en découle », et surtout pas « à la volonté et ce qui la règle » (Deleuze).

4- En guise de conclusion provisoire : la façon dont nous concevons notre rapport au désir et à la souffrance, selon que le désir est pensé comme manque ou au contraire comme puissance entièrement pleine et « positive » (non évidée ou creusée par le manque), rejaillit sur notre propre rapport au réel. Si ce dernier n’est plus affecté d’un défaut ou d’une quelconque limitation, mais considéré comme le tout de l’être auquel par définition rien n’échappe (c’est en ce sens que perfection et réalité signifient la même chose chez Spinoza), notre rapport au réel s’en trouve transformé : plus de fuite possible vers un ailleurs illusoire, mais au contraire un consentement inconditionnel à la totalité du réel, ni plus, ni moins. Le désir étant cette force d’affirmation qui dit « oui » à la vie, et qui en est lui-même partie prenante. En même temps, cette posture ne va pas sans la pleine reconnaissance du tragique de l’existence : l’impérieuse nécessité de cette existence ne la protège pas contre le malheur, la souffrance, la mort, peut-être aussi l’insignifiance. Mais cette souffrance n’est pas « manque » de quelque chose, symptôme d’une vie déficiente face à la « vraie » vie, mais au contraire elle doit être assumée comme telle, comme une réalité sans manque. S’il est vrai, comme l’a sans cesse affirmé Nietzsche dès « La naissance de la Tragédie », que la vie est cette secrète alliance entre le malheur et le bonheur, le tragique et le jubilatoire, la douleur et la joie, la souffrance ne peut qu’être la sœur du désir : l’un et l’autre sont scellés comme la vallée et la montagne ; mais cela ne signifie aucunement que la souffrance est « inscrite »dans le désir, évidé qu’il serait par le manque…

 

Lévinas semble se situer, concernant sa conception du désir, du côté de Spinoza en ce sens que pour lui le Désir ou « le Désirable », à qui il attribue une signification spirituelle comme appel de l’infini, ne suppose aucun manque. Il doit se rattacher à la relation que j’entretiens avec autrui en tant qu’Autre irréductible à toute tentative de réduction au « même ». Ce n’est pas parce que je suis fini ou incomplet que je suis appelé par le Désir, car en fin de compte je suis auto-suffisant à mon échelle humaine, celle de la jouissance et du besoin. Et même de ce côté là, le besoin n’est pas seulement une production du manque : il est aussi et d’abord jouissance. La jouissance de vivre est première. L’homme « chez lui » est naturellement voué à être heureux, même s’il dépend de la satisfaction de ses besoins. Celle-ci n’est pas que dépendance ; elle est surtout jouissance = contre-pied radical par rapport aux sagesses traditionnelles pour lesquelles c’est la souffrance qui est première (et donc le manque), le bonheur étant l’absence de souffrance dans l’ataraxie (pensée commune aux grecs et au bouddhisme)

Daniel Mercier, le 18/02/2013