Croire et savoir

 
 

CROIRE ET SAVOIR

Comment ne pas croire si la vérité est toujours fuyante et jamais possédée vraiment ?Comme le dit remarquablement Tocqueville : « Il n’y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d’autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu’il n’en établit. » ; et il ajoute qu’il est donc important de faire des choix et d’adopter « beaucoup de croyances sans les discuter, afin d’en mieux approfondir un petit nombre dont il s’est réservé l’examen ». Ainsi les croyances sont d’abord l’ensemble des représentations et des règles spontanément reconnues dans le cadre d’une vie sociale (société) mais aussi propre à tel individu. Ainsi un individu a des croyances personnelles dans le cadre de croyances collectives particulières à tel groupe social.

Définition de la croyance : attitude mentale d’acceptation, d’assentiment par rapport à un énoncé tenu pour vrai. On peut les distinguer selon leur degré de certitude (d’un point de vue subjectif) : du doute jusqu’à la conviction intime (exercice : pouvez-vous identifier une conviction intime, quelque chose dont vous êtes certain dans votre vie ?). Mais ce degré de certitude ne correspond pas nécessairement au degré de réalité qui s’attache à la chose crue – depuis le possible, voire le problématique, jusqu’au véritable, en passant par le probable ou le vraisemblable -, et c’est bien là le problème car pour le sujet de la croyance, les premiers sont pris pour les seconds… On « tient pour vrai » ses croyances. Mais il est nécessaire de faire ici une distinction : lorsque je dis « je crois que », la teneur en savoir ou en vérité peut dans certains cas être proche du néant : « je crois qu’il va  venir » mais je n’ai aucune certitude ; en revanche, « je crois à » ou « je crois en » - je crois en Dieu, je crois en votre innocence » - comporte une note de persuasion intime de l’existence de quelque chose, et/ou un engagement de tout l’être dans ce en quoi l’on croit. Il y a un sens faible et un sens fort de la croyance sur laquelle nous allons revenir.

Croyance et opinion : la « croyance-opinion » renvoie à la problématique de l’opposition entre croire et savoir. L’opinion n’est pas un savoir. Un savoir est en principe reconnu universellement valable pour tous, et il est possible de dire quelles en sont les conditions objectives – c’est-à-dire à quelles conditions un savoir peut être reconnu comme tel (la possibilité d’un savoir scientifique en particulier repose sur de telles conditions…). Mais il y a aussi des « opinions droites » qui tiennent une place intermédiaire entre l’ignorance et la science, et que l’on peut qualifier de « croyances vraies justifiées » (Platon). Il y a donc des opinions vraies. Pour Aristote une opinion droite a un rapport avec le probable et le vraisemblable. On constate en réalité beaucoup d’ambiguïté dans cette réflexion sur l’opinion…

De la même façon, on peut insister comme Descartes à la suite des stoïciens sur le fait que la croyance-opinion est un jugement qui témoigne d’un assentiment actif et volontaire, ou au contraire comme Hume, s’éloigner de cette notion d’assentiment au profit d’une croyance spontanée qui dérive des idées et des associations qui lui sont associées, et qui est inséparable d’une propension à l’action. Cela n’exclut pas la rationalité : il est rationnel de croire des vérités qui ne sont que probables, le degré de certitude des propositions considérées se situant sur un continuum allant de l’ignorance à la certitude absolue. Elles sont le fruit d’expériences vécues, ou d’enquêtes plus actives.

Certains vont dissocier l’entendement et la volonté (qui rend compte à la fois de la possibilité de l’erreur et de la capacité à ne pas s’en tenir à la réception passive d’opinons infondées. Descartes), d’autres considérer que cette séparation n’est pas légitime et que nous sommes toujours déterminé à croire ce que nous croyons (c’est toujours la force d’une idée qui agit pour penser ce que l’on pense. Le libre-arbitre n’existe pas. Spinoza)

La disposition à la croyance

La philosophie anglo-saxonne (Hume, Ramsey, Ryle, Peirce) montre que les hommes ont une « disposition à la croyance » qui ne relève pas d’une pensée réfléchie et permet d’orienter notre conduite dans la vie quotidienne.Il y a en effet un nombre très grand d’actions au quotidien qui reposent sur des croyances plus ou moins tacites ou volontaires. Les causes de ces croyances seraient en lien avec deux facteurs : ce qui nous apparaît comme probable, et ce qui nous pousse à agir conformément à nos désirs. De plus, il est difficile d’abandonner une croyance et nous avons tendance à croire ce que nous croyons déjà (c’est ce qu’on appelle « la fixation de la croyance », Peirce analyse précisément ses mécanismes). La tendance au conformisme, c’est-à-dire une forme d’allégeance à l’orthodoxie, pourrait s’expliquer en partie ainsi. Nous pourrions évoquer aussi ici la force des habitudes « qui sans violence, sans art sans argument nous fait croire les choses… » (Pascal). Nous pouvons également ajouter une tendance à retenir ou refuser une proposition de manière à ce qu’elle ne contredise pas nos croyances déjà là (phénomène de la « dissonance cognitive » analysé précisément par la psychologie contemporaine). De telles attitudes peuvent conduire à un processus d’aveuglement volontaire (par exemple continuer à croire qu’il m’aime, alors que je sais qu’il ne m’aime pas), pour ne pas voir l’équilibre construit sur nos croyances passées s’écrouler. Nous pouvons avoir la volonté – ou plutôt le désir, car il n’y a pas vraiment de choix délibéré et conscient dans ce cas - de croire tout en sachant que ces croyances sont fausses. Dans cette perspective psychologique, les croyances ne sont pas nécessairement intentionnelles et explicites, n’affleurent pas toujours à la conscience. Ainsi le besoin de croyance religieuse peut se comprendre à partir des désirs d’éternité, de certitude, de quiétude, et/ou pour trouver une assurance que rien ne peut ébranler. En ce sens, les croyances même réfléchies peuvent être interprétées en partie comme des rationalisations de mobiles souvent peu conscients ou inconscients. Mais nous pouvons penser que d’une manière plus globale un grand nombre de facteurs sont responsables de nos croyances, comme par exemple la peur, l’espérance, le préjugé, la passion, l’imitation, la pression exercée par notre entourage, notre position sociale…etc. si bien que « nous nous trouvons en train de croire, nous ne savons guère pourquoi ni comment »(Williams James).

Croyance et foi : c’est le sens fort de la croyance. Toutes écoles religieuses confondues, et même en englobant les anciennes métaphysiques (d’ailleurs l’une d’entre elles – le platonisme – s’est très facilement converti en l’autre - le christianisme), ces croyances ont un point commun : il y a d’un côté un monde visible qui est celui des essais et erreurs, du clair-obscur, des « bricolages » provisoires et relatifs ; de l’autre côté un monde invisible, mais qui est celui de la pleine lumière, révélant le « vrai » monde, saturé de sens et de cohérence.

Du point de vue de la connaissance scientifique, la foi n’a pas grande valeur : ce qui est subjectivement tenu pour vrai ne peut être considérer comme objectivement vrai si il n’obéit pas aux conditions requises pour être une véritable connaissance. Celle-ci est une certitude pour tout le monde (c’est le propre d’une connaissance véritable, même si cette universalité de l’accord peut être mise en doute par une nouvelle connaissance qui détrône la précédente) ; celle-là une conviction pour moi-même.

En revanche on peut considérer que ce domaine de la croyance-foi est un domaine à part, et que celle-ci peut se justifier d’une autre façon : elle peut être considérer comme le fondement des commandements moraux (Kant), ou encore comme la représentation, l’objectivation, puis l’intériorisation (par l’intermédiaire de Dieu) de l’inconditionnel et de l’absolu (Hegel). Voilà donc un nouveau domaine qui désormais semble certes échapper à la raison, mais pour mieux poser et instituer la transcendance d’un « autre monde » (c’est la critique que fera Nietzsche à propos de la délégitimation kantienne de la métaphysique, le qualifiant de « juge de paix »).

Mais il y a une autre façon de la justifier, beaucoup plus « utilitaire » : la croyance religieuse a longtemps été une arme aux mains des puissants pour préserver l’ordre dans la cité ; d’une part par la crainte « d’errer sans fin dans l’Hadès » si nous nous égarions (Platon), d’autre part en jouant le rôle de « ciment social » ou d’unification reliant en un seul corps les croyants. Sociologiquement, la croyance a joué un rôle important dans l’imaginaire collectif des peuples et elle est censée donner plus de force pour supporter les difficultés de l’existence. C’est au nom de tous ces intérêts que Williams James défend la croyance, et non au nom de la vérité.

On ne peut se contenter d’une approche des croyances par les causes, en éludant totalement leur rapport à la vérité…

Mais envisager exclusivement le processus de croyance ainsi en l’analysant par ses causes psychologiques et sociologiques (cf. paragraphe précé.dent : la disposition à la croyance) ne nous permet à aucun moment de poser la question des croyances par rapport à la question de la vérité, puisque ses causes peuvent lui être foncièrement étrangères…  Le danger serait d’abandonner toute référence à la rationalité de nos choix de vie. Concernant les croyances sur lesquelles sont construites l’orientation de nos vies, nous ne pouvons pas nous dispenser de les interroger, avoir une attitude dogmatique qui consisterait, comme le dit Bertrand Russel (philosophe et mathématicien de la première moitié du XXème siècle), à rester enchaîné dans la caverne de Platon en adoptant sans réflexion les préjugés du sens commun, les croyances de son temps et de son pays, les habitudes de pensée etc… Un esprit imperméable au doute est « borné, adhérent, étroit ». Autrement dit, nous devons éviter le dogmatisme et examiner de façon critique les croyances qui nous semblent avoir une place importante dans la conduite de nos vies, dont bien sûr nos croyances religieuses, qui nous livrent rien moins que des interprétations et des prescriptions à propos de cette vie et du monde dans lequel elle se déploie.  Le respect du pluralisme des convictions ne doit pas nous conduire à penser que tout se vaut, et nous devons pour nous-mêmes exercer notre raison critique. Il y a en la matière deux partis pris à éviter : le parti pris étroitement rationaliste qui voudrait exclure toute considération psychologique ou sociologique de son approche de la croyance, et le parti-pris « naturaliste » qui n’envisage la croyance que comme le produit passif de causes objectives (psy ou socio).

S’interroger sur la valeur de vérité des croyances ?

Il va de soi que pour beaucoup de croyances, une éthique est nécessaire pour confronter ses croyances, autant que nous le pouvons, aux connaissances auxquelles nous avons accès. Par exemple, le jugement antisémite ou raciste doit être combattu non seulement au nom de la morale mais aussi parce que nous savons qu’il ne repose sur aucune connaissance objective. Mais la croyance religieuse semble échapper à une telle vérification dans la mesure où l’on admet qu’elle est irréductible à toute connaissance scientifique, et inaltérable à tout argument de raison. La question de la vérité ne se poserait donc pas pour elle ? Pourtant un philosophe anglais, Clifford, dans la continuité de la lutte des Lumières contre l’obscurantisme, pose le fameux principe : « il est toujours, partout et pour tout le monde mauvais de croire quoi que ce soit sur la base de preuves insuffisantes ». Est-ce applicable aux croyances religieuses ?

En tout cas, il paraît très discutable de faire à sa guise l’économie de la vérité sous prétexte que la croyance répond à notre besoin d’espérer pour être heureux… Le décalage qui existe entre la faiblesse des raisons (au sens de la rationalité) et la force de la croyance s’explique par la force des désirs… Le désir –désirer par conséquent que la proposition concernée soit vraie - est à ce titre un puissant ferment de l’illusion, encore davantage que l’ignorance (Freud). Il ne discrédite pas sa validité, mais l’affaiblit en ne prenant pas vraiment en compte la réalité pour ce qu’elle est.  La croyance à ce titre nous parle davantage de nous que de ce sur quoi elle porte (Freud). Le matérialisme historique, qualifie l’idéologie religieuse « d’opium du peuple » visant à détourner son attention des véritables problèmes économiques et sociaux au profit d’une autre monde « où les derniers seront les premiers ». Si nous voulons prendre au sérieux les croyances et pas seulement comme les signes ou les symptômes d’autre chose que d’elles-mêmes, nous nous devons de penser que le « vouloir-croire » ne peut pas seulement tenir lieu de raisons valables.

Quelles peuvent donc être « les raisons probantes » susceptibles de légitimer les croyances religieuses du point de vue de leur vérité ?

L’approche pragmatiste

Une approche semble concilier à la fois l’anthropologie des causes et la rationalité philosophique : la réponse empiriste et pragmatique de Williams James. Une croyance peut être vraie « si nous savons où elle va et où elle nous mène », et si « nous reconnaissons l’arbre à ses fruits » : peu importe l’origine de la croyance, seul importe son résultat, et comment elle est capable de nous faire agir (l’action pouvant même conduire à réaliser ce à quoi je crois). La religion pour les pragmatistes se justifie ainsi pour des raisons pratiques. Ce qui rend apte une proposition à être considérée comme vraie est « sa valeur fonctionnelle en tant qu’instrument pour la satisfaction d’un besoin vital ou pour l’accomplissement d’activités indispensables ». La vérité des croyances est donc évolutive ou historique en fonction des contextes de vie sociale, et se concilie fort bien avec le respect contemporain du pluralisme en matière de religions. Cette approche est intimement associée à la force du vouloir-croire qui est en définitive l’alpha et l’oméga de la croyance, et la justifie à lui seul. Cette croyance est la foi en un Témoin qui nous permet de croire en un autre monde qui, sans contredire l’ordre naturel, est capable de le compléter et fait que la vie est plus digne d’être vécue.

L’argument de l’expérience

Il consiste à penser que la vraie religion se situe dans l’expérience (le vécu privé de chacun) et non dans les exercices théologiques de l’Eglise (ce que pensait également W. James). Cet argument de l’expérience est très souvent avancé par toutes les religions. Mais comme le dit Freud, comment construire à partir d’une expérience vécue par un nombre plus ou moins important de personnes (en tout cas pas tout le monde), une relation d’autorité pour tout le monde… Car si le savoir fait légitimement autorité dans nos sociétés, rien ne permet à « l’expérience religieuse » d’en faire autant : relevant d’une relation privée avec Dieu ou l’au-delà, elle n’est pas partageable comme peut l’être une vérité scientifique sur laquelle la communauté des savants s’est accordée universellement.Le recours à l’expérience est régulièrement invoqué par ceux qui veulent témoigner de la validité de leur croyance : « nul ne peut nier l’expérience que j’ai vécu » et qui s’appelle la foi chez les chrétiens, l’accès à la vacuité de toute chose chez les bouddhistes…etc.Nul ne le peut en effet. Mais la force de l’expérience (d’une certaine façon indiscutable) constitue également sa principale faiblesse (enfermement dans une sorte de solipsisme du « vécu » personnel). Il s’agit d’une expérience subjective sur laquelle un observateur extérieur ne peut rien dire, faute de critères objectifs qui montreraient la réalité de l’objet de cette croyance. Par ailleurs le fait, comme le dit André Comte Sponville, de ressentir quelque chose de plus qu’humain ou au-delà de l’humain, n’est pas la preuve qu’un tel besoin doive être satisfait (ce que promet la croyance). Le besoin religieux ou de religiosité ne fonde pas ipso facto l’existence d’un ailleurs. 

Un secret à trouver ?

La croyance religieuse ou spirituelle semble relever d’une logique proche de celle de la recherche des alchimistes poursuivant leur pierre philosophale… Comme le dit Clément Rosset, i y a un secret à trouver, comme d’ailleurs dans tous les romans initiatiques. Mais quel est le secret pour qu’on puisse ou non attester ou non de sa réalité ? Certains pensent l’avoir trouver, mais leur affirmation est d’un vague, d’une abstraction, et d’une imprécision remarquable… En réalité la croyance est toujours un peu évanescente, ce qui est à la fois sa force et sa faiblesse. Sa force, car il est très difficile de contester ce qui est incernable ou indicible. Sa faiblesse, puisqu’il est difficile de dire à quoi l’on croit. Mais cela ne perturbe pas le croyant : le fait de croire est l’essentiel, et l’on est généralement très évasif sur son objet. En simplifiant à l’excès, nous pourrions dire : peu importe le contenu pourvu qu’on ait le contenant, et « la croyance néglige volontiers son complément d’objet ». Les phénomènes de croyance contemporains - tels qu’on peut les constater dans nos vielles religions occidentales -, correspondent à une prise de distance et une interrogation souvent très importantes de l’institution religieuse, de ses dogmes, de sa théologie, au profit d’un Dieu de plus en plus indéfinissable, assimilable à « quelque chose de plus haut que soi », à une transcendance sans sujet. La croyance est ici d’autant plus éloignée du savoir qu’elle s’apparente de plus en plus à une spiritualité diffuse et floue, qui rend inopérante toute argumentation…

« Savoir réellement c’est accepter de savoir peu » (Bertrand Russel)

Il faut se rendre à l’évidence qu’il y a « bien peu de choses démontrées » (Pascal déjà le constatait…), et nous devons faire une distinction ferme entre le peu que l’on sait et tout ce que nous aimerions savoir et que nous ne savons pas… mais doit-on se contenter d’une telle partition, très frustrante en réalité ? Non, car il y a une zone « grise » intermédiaire où nous allons trouver tous les degrés du vraisemblable, du probable, du cohérent, de l’intéressant…etc. Sans cette « zone grise » que deviendrait la philosophie ? Car s’il y a bien entendu des savoirs profanes dans de nombreux domaines, aucun d’entre eux ne peut nous fournir de quoi penser et mener notre existence. S’orienter dans l’existence vis-à-vis de soi, vis-à-vis des autres, vis-à-vis du monde, concerne un type de réflexion d’un tout autre ordre que celle des sciences, mais cela ne doit pas l’empêcher de se soumettre aussi à une exigence rationnelle. Ces constructions rationnelles ne pourrons jamais être infirmées expérimentalement comme dans le cas d’une connaissance scientifique ; c’est la raison pour laquelle nous pouvons parler de « croyances rationnelles ». Elles sont davantage exposées pour cette raison même au danger du dogmatisme et doiventaccepter de se soumettre le plus possible à une « éthique du bien penser» (Edgar Morin) fondée sur des valeurs d’auto-examen permanent, de rigueur, de lucidité, de probité intellectuelle. Elles doivent en particulier tenir le plus grand compte des « vérités factuelles » (Arendt) : nous avons tendance à développer une méfiance naturelle envers des faits qui n’entrent pas dans le giron de nos perceptions ou de nos explications du monde, d’où une tentation de prendre de la liberté avec les faits jusqu’à ne plus savoir au juste ce qu’ils sont. Au nom d’une Vérité prétendue, combien de fois avant nous sacrifier des vérités de fait ? Le fanatisme et le totalitarisme en sont coutumiers…  Les faits sont pour cette raison à la fois très précieux et très précaires (ils peuvent être totalement niés et tomber dans un oubli irréversible).

La croyance n’est pas la chose crue

S’il est vrai que la plupart de nos choix théoriques ou pratiques reposent sur des croyances plus ou moins rationnelles, il est très important de ne pas confondre notre croyance avec la chose crue. Quel que soit notre degré d’engagement intellectuel et affectif, ne jamais le confondre avec une vérité en réalité toujours devant nous (jamais possédée) : assumer le statut de croyance de sa croyance. C’est-à-dire ne pas prendre nos idées pour les choses, nos perceptions du réel pour le réel lui-même. Dérive malheureusement fréquente, et qui fait le lit du dogmatisme, et par conséquent aussi du fanatisme et des violences meurtrières. La croyance religieuse (ou non) entretient alors avec la vérité un rapport définitif, éternel et indiscutable. Une expérience fondée sur une forme de révélation, en dehors de tout processus d’établissement d’une certaine objectivité, coure le risque d’entretenir un rapport inconditionnel à son objet. Et donc de ne pas reconnaître le véritable statut de croyance de sa croyance, qui implique nécessairement la conscience de son caractère incertain, d’autant plus incertain qu’il ne relève pas d’un savoir rationnel.

Ne pas se défaire de la notion de vérité…

Aujourd’hui les phénomènes de croyance qui rassemble pêle-mêle des formes traditionnelles mais aussi des combinaisons hétéroclites empruntant à d’anciennes cultures, comme des croyances à la parapsychologie, à l’astrologie, à la voyance…etc. , se développent sensiblement. Mais qu’en est-il de la question de la vérité ? Certes nous savons aujourd’hui que les progrès spectaculaire de la connaissance nous amène paradoxalement à mesurer l’étendue de notre ignorance, et à faire le deuil d’une vérité ultime des phénomènes. Mais il y a une tendance de plus en plus forte à confondre deux choses (Bouveresse) : renoncer à trouver une vérité qui serait complète et définitive, et se défaire de l’idée de vérité elle-même et de l’espoir de la trouver, même jusqu’à un certain point. Le nihilisme s’adosse précisément sur l’affirmation de l’équivalence de toutes les doctrines et de toutes les croyances. Comment se protéger de la tyrannie, de l’injustice, de la violence, de l’arbitraire, sinon au nom de certaines vérités ?Il est important de continuer à penser la vérité comme quelque chose qui ne dépend pas de nous, et à distinguer le mensonge ou la fausseté de la vérité, même partielle. « On s’exposerait à des catastrophes de la pire espèce si on essayait de se défaire de la notion de vérité ou de l’accommoder à sa convenance » (Bertrand Russel).

Enfin, est-il encore temps de promouvoir une disposition d’esprit qui consiste à ne pas tenir pour vraie une proposition avant d’avoir pu en dégager les raisons suffisamment probantes en sa faveur ? Toutes nos croyances ne se valent pas, et certaines sont plus rationnelles que d’autres…