Sommes-nous déterminés par le hasard ? - Octobre 2010

La présentation du sujet

« Sommes-nous déterminés par le hasard ? »

 

Cette question soulève immédiatement un paradoxe : comment pouvons-nous parler de détermination par le hasard, alors que hasard est synonyme d’indétermination, d’accidentel ou d’aléatoire ? S’agit-il d’une véritable incohérence, ou bien cette formule traduit-elle une vérité plus profonde, celle d’un hasard nullement contradictoire, malgré les apparences, avec l’idée de nécessité ? Pour le savoir, il est d’abord nécessaire d’explorer les différents sens de cette notion ; et peut-être aussi de se demander si le hasard existe vraiment, ou s’il est seulement la conséquence d’une connaissance humaine nécessairement finie et limitée… Ensuite, ne faut-il pas se demander aussi quelle est sa place dans « les affaires proprement humaines » ? Car si nous pouvons penser qu’il n’y a pas de hasard dans la nature, que celui-ci n’est que le fruit de notre ignorance, mais qu’il y a en revanche un strict déterminisme causal en son sein, ne faut-il pas au contraire affirmer que la présence du hasard dans le monde humain est la condition même pour que puisse s’exercer notre capacité de choix et de liberté ? Mais sommes-nous vraiment soustraits à ces lois de causalité qui régissent le monde des choses ? Pouvons-nous nous prévaloir ainsi d’un statut qui nous libérerait de celles-ci ? Sinon, n’y a-t-il pas une forme de liberté qui serait compatible avec cette hypothèse d’un déterminisme global ? Et conséquemment aussi une « éthique » devant les manifestations du hasard ? Enfin, si le hasard n’est pas opposé à la nécessité – mais seulement son reflet sur la conscience humaine -, n’est-il pas en revanche l’ennemi juré de la finalité, ce « faux-frère » de la nécessité ?

 

Daniel Mercier, animateur du Café Philo Sophia

L'écrit philosophique

« Sommes-nous déterminés par le hasard ? »

 

  • Encyclopedia Universalis, vol 8, Hasard, p257
  • Dictionnaire de la philosophie (EU), Causalité, p 178 et Déterminisme, p 374
  • Vocabulaire technique et critique de la philosophie, A. Lalande, PUF
  • Les étincelles du hasard, Tome 1 et 2, H. Atlan, La librairie du XXI siècle, Seuil
  • L’éthique à Nicomaque, Aristote
  • Appendice au livre I de l’éthique, Spinoza
  • Ethique, Spinoza
  • Le goût de vivre, le hasard, p 302, et la liberté, p 226, A. Comte-Sponville, Albin Michel
  • L’anti-nature, Clément Rosset, PUF

 

 

Nous ne pouvons que soulever aussitôt le caractère paradoxal de la question : le fait d’être « déterminés » fait référence au régime de la nécessité régie par des causes, et semble étranger, voire contradictoire, au hasard qui semble relever au contraire du règne de l’indétermination et de l’accidentel ou de l’aléatoire. Ainsi ce qui serait nécessaire, c'est-à-dire soumis à un enchaînement de causes, c’est ce qui ne peut pas ne pas arriver, qui correspond à un certain ordre des choses déterminé. A l’inverse, les phénomènes dus au hasard ne s’inscriraient pas dans une telle chaîne de causalité, mais, au contraire, relèveraient de la contingence. Le caractère de prévisibilité ou de prédictibilité est également associé à cette vision déterministe du monde, contrairement bien sûr à une vision de l’existence et du monde où prime le hasard et qui est donc dominé par l’incertitude et l’imprévisible (le « coup de dé » en est l’exemple le plus connu).

Il nous appartient donc de savoir s’il y a effectivement une réelle incohérence dans cette formulation, ou si celle-ci n’est qu’apparente et recouvre en réalité une vérité plus profonde. Et si la véritable opposition conceptuelle n’est pas entre hasard et nécessité, mais entre hasard et finalité ? Nous aborderons cette question dans la dernière partie.

Par ailleurs, le « sommes-nous » implique sans doute deux niveaux d’interrogation : 1) Celui du monde dans lequel nous vivons, c'est-à-dire l’ensemble des phénomènes et évènements qui s’y trouvent : nous pouvons rappeler à ce sujet qu’une des toutes premières questions métaphysiques des grecs, mais qui est aussi l’ambition majeure de toute pensée est : comment rendre intelligible l’origine, la constitution et le devenir de ce qui est, étant entendu que « de rien, rien ne se fait » (Descartes), et qu’il s’agit par conséquent de dégager un « ordre » de l’univers en recherchant ses lois, par delà un « chaos » qui ne serait dès lors qu’apparent. Quelle est la place du hasard dans ce monde ?

2) Au sein de celui-ci (ou à côté ?), celui des « affaires proprement humaines » (Aristote) : Le hasard – quelque soit son statut, sur lequel nous devons justement nous interroger – n’est-il pas aussi un obstacle à l’exercice d’une liberté véritable : ce qui arrive par chance ou malchance, et de manière accidentelle, sans possibilité de prévision ni de maîtrise (le hasard de notre naissance, d’un décès imprévu, de la tuile qui me tombe sur la tête …etc.), ne dépend pas de nous, mais ni plus ni moins peut-être que les mouvements ou évènements réguliers (le rythme des saisons, la loi de la gravité, ou encore la loi d’imitation des affects chez Spinoza par exemple) soumis à un strict déterminisme et aisément prévisible ? Les grecs appelaient cela la Fortune … Mais d’un autre côté, le hasard n’est-il pas aussi la condition de l’émergence de la liberté dans un monde qui par ailleurs semble gouverné par des lois naturelles déterministes ? Ne faut-il pas qu’il y ait des « trous » dans ce déterminisme, sous la forme notamment du hasard, pour que puisse se loger l’exercice du libre-arbitre ? Aristote distingue le monde des faits qui ne dépend pas de nous, du monde « des affaires humaines » qui seul serait le lieu de véritables choix et délibérations. Dans quelle mesure sommes-nous autoriser à tracer une telle ligne de démarcation entre le monde des choses et le monde des « sujets », au nom de l’intentionnalité humaine et de la liberté ?

 

PREMIERE PARTIE

 

Qu’est-ce que le hasard ? Existe-t-il ?

Ses différents sens

 

L’imprévisibilité 

Cette caractéristique de l’évènement hasardeux a été l’objet d’une modélisation mathématique sous la forme du calcul de probabilités opéré à partir des « jeux de hasard » : pile ou face, roulette, jeu de dés …etc. Le paradoxe ici est que le dispositif artificiel qui est mis en place pour produire le hasard obéit à des lois mécaniques et causales rigoureuses : personne ne met en doute que si le croupier, à la roulette, pouvait répéter son geste à l’identique, les mêmes causes produisant les mêmes effets, on pourrait prévoir le résultat. Même s’il est impossible de connaître l’ensemble des facteurs causaux qui conduisent au résultat, il n’y a pas de remise en cause du déterminisme causal ici.

 

Disproportion de la cause et de l’effet

Contrairement à l’idée commune de la causalité pour laquelle l’effet est proportionné à la cause, le hasard se traduit souvent par un évènement ou un phénomène que l’on ne pouvait pas prévoir à partir de sa seule cause antérieure. Des effets considérables étant en effet associés à une cause minime. Les exemples sont très nombreux, et empruntés à des domaines divers : c’est  Cromwel cité par Pascal, dont le grain de sable dans l’uretère va changer la face du monde (« La famille royale était perdue et la sienne à jamais puissante… Rome même allait trembler sous lui ; mais ce petit gravier s’étant mis là, il est mort, sa famille abaissée, et le roi rétabli »), ce sont les infimes variations chimiques d’un message génétique qui vont avoir des répercussions organiques considérables en passant dans le registre biologique, c’est la variation aléatoire « avantageuse » de tel individu dans une espèce qui va être sélectionné et devenir l’origine d’une évolution de celle-ci, c’est le fameux « effet papillon » dont l’histoire raconte qu’un battement d’ailes de papillons en Guyane peut, au bout d’un long moment, et par amplification exponentielle, faire pleuvoir à Paris. Le caractère imprévisible de ces phénomènes à partir de conditions initiales censées être connues, est responsable de la « théorie du chaos ». H. Poincaré : «Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. ». Il a montré que dans certains systèmes où les effets étaient disproportionnés aux causes qui les avaient provoquées, nous ne connaissions jamais avec suffisamment de précisions les conditions initiales pour pouvoir prédire leur évolution : d’où cette place qu’il faut désormais reconnaître au hasard et à l’indétermination dans de nombreux domaines. La météorologie est à ce sujet un bon exemple : prévoir le temps qu’il fera dans une semaine est impossible (à fortiori pour une durée plus longue…) ; les modèles météo dépendent en effet de manière extrêmement sensible des conditions initiales : une infime fluctuation atmosphérique, par conséquent indétectable, va produire par un phénomène d’amplification une tempête dévastatrice ou un beau ciel bleu. Cette théorie du chaos s’applique à de nombreux domaines. Par exemple et  contrairement à une idée reçue, le mouvement des planètes devient imprévisible au-delà de quelques dizaines de millions d’années… Elle a bien entendu ces applications dans le monde humain : quelle responsabilité doit-on attribuer aux sentiments de haine ou d’ambition de Hitler sur la seconde guerre mondiale ? Les phénomènes « boules de neige » dans la succession d’évènements historiques ne doivent pas être négligés… Plus prosaïquement, le réveil qui ne sonne pas et me fait perdre un emploi, la voiture qui tombe en panne et m’empêche de prendre un avion qui se « crashe », autant d’évènements apparemment anodins qui peuvent changer le cours d’une vie.

 

Effet non prévu et non voulu d’une action

Dans le prolongement du point précédent, il s’agit ici de pointer le décalage parfois saisissant entre le but escompté ou prévu et le résultat effectif : des défrichements inconsidérés de forêts en vue d’augmenter les ressources agricoles provoquent une érosion rapide et désastreuse du sol, une détérioration du climat, une altération du régime des pluies (exemple cité par JP Sartre dans « Critique de la raison dialectique »). E. Morin montre bien, à l’aide de cette « pensée de la complexité » développée dans toute son œuvre, comment, dans des systèmes complexes dont  les éléments sont en constante  interdépendance, il est extrêmement difficile de prévoir la conséquence de ses actes. Pour éliminer le hasard, il faudrait non seulement démêler l’enchevêtrement quasi infini des causes et des effets, mais également connaître et contrôler les projets des autres, ce qui est impossible puisque notre connaissance est finie.

 

Hasard essentiel ou hasard subjectif ?

Arrivés à ce point, le déterminisme causal qui semblait régir souverainement la nature (n’est-il pas le présupposé implicite de toute démarche scientifique ?) n’est-il pas mis en question au profit d’une place de choix faite à l’indétermination et au hasard ? Car il faut bien reconnaître que ces constats contrastent avec l’assurance déterministe d’un Newton ou d’un Laplace pour lesquels il suffirait que notre esprit humain embrasse toutes les conditions d’application de la loi (ici la mécanique) pour faire disparaître la contingence du futur : « Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé seraient présents à ses yeux. » Y-a-t-il réellement contradiction avec ce qui précède ? Dans l’hypothèse d’une omniscience concernant les phénomènes mentionnés plus haut, pourrait-on encore parler de hasard ? Le hasard n’est-il pas dû dans tous ces cas à l’ignorance des causes ou à une connaissance finie de ces mêmes causes ? Réside-t-il au cœur des choses, ou est-il simplement le produit de mon esprit ? Les sciences accordent aujourd’hui une place importante au hasard, que ce soit en biologie (mutations et évolutions des espèces), en physique (mécanique quantique), ou encore dans les sciences sociales (lire à ce sujet E. Morin). Mais cela ne permet pas de répondre à la question essentielle : le hasard est-il subjectif ou objectif ? Autrement dit, le hasard réside-t-il dans les relations entre les choses (hasard « objectif » inscrit dans le réel) ou bien dans la relation de notre esprit avec ces choses (hasard « subjectif » comme « reste » de notre prise de connaissance forcément limitée sur le réel, donc fruit de notre ignorance) ? Dans cette perspective, un évènement soumis à un déterminisme causal strict peut néanmoins être vécu comme imprévu et hasardeux. Le hasard sera alors, comme le dit H. Atlan, « un désespoir de cause », c'est-à-dire une ignorance de ces causes. C.Darwin pose avec beaucoup de justesse la présente problématique sur l’existence ou non du hasard dans « la théorie de l’évolution des espèces » :          

« La première source d'indéterminisme est la variabilité entre les individus qui est, si je puis dire, le matériau sur lequel travaille la sélection naturelle, en sélectionnant les individus porteurs des variations avantageuses. Nous ignorons -tout au moins à mon époque- les mécanismes responsables de l'apparition de ces variations qui font que deux individus ne sont jamais totalement identiques. C'est un premier niveau d'indéterminisme. Cela dit, il n'est peut-être que le reflet de notre propre ignorance des causes de cette variation. ».

 

Le hasard comme rencontre de séries causales indépendantes ?

En conclusion de cette interrogation, Antoine Augustin Cournot nous propose peut-être une définition du hasard qui peut être considéré comme une synthèse, puisqu’elle fait une place au hasard, tout en se situant dans une perspective globalement déterministe : selon lui, le hasard serait dû à des séries causales indépendantes (au moins deux) qui interfèrent pour produire un effet inattendu. L’exemple, déjà utilisé par Spinoza, peut être ici celui de l’homme qui reçoit une tuile sur la tête en passant sur un trottoir : deux séries causales indépendantes en effet : celle qui explique le détachement de la tuile d’une part ; celle qui explique le passage de cet homme au même moment d’autre part. Mais Cournot se rend bien compte que ces séries sont « partielles », et que « tout se tient » en quelque sorte : « les phénomènes naturels enchaînés les uns aux autres, forment un réseau dont toutes les parties adhèrent entre elles ». Mais, ajoute-t-il, elles adhèrent « ni de la même manière, ni au même degré. » Autrement dit, le caractère fortuit de l’évènement provient du fait que « de petits mondes » peuvent rester longtemps sans contact puis, à un moment donné, interférer.

Comme on le voit, il n’y a pas là une véritable remise en cause du déterminisme. Il faut reconnaître que l’hypothèse inverse est difficilement soutenable : comment concevoir le hasard comme absence de cause ? Le mouvement de la pièce de monnaie elle-même est déterminée par l’élan initial, par la trajectoire de la main, par la direction du jet, par la résistance de l'air, par la pesanteur, par la forme de la pièce etc... Il est donc soumis à des lois ou à des causes. La loi des grands nombres, prouve que si chaque résultat du jet de dés n’est pas déterminé pour l'homme, l'ensemble des résultats est déterminé et soumis à une loi. Si le résultat de chaque jet était sans cause, nous serions en présence du désordre, de l'imprévision complète et le calcul des probabilités ne serait pas possible. Stuart Mill s'était élevé contre la fausse antithèse qui oppose l'idée de hasard à l'idée de loi : « Le hasard est, dans l'acception usuelle, l'antithèse directe de loi. Ce qui ne peut pas, suppose-t-on, être rapporté à une loi, doit être attribué au hasard... », mais il rajoute : «Tout ce qui arrive est le résultat de quelque loi, est un effet de certaines causes et pourrait être prévu, si l'on connaissait ces causes et leurs lois ». Nous reviendrons sur ce point, mais nous pouvons constater dors et déjà que le hasard ne semble plus s’opposer à la nécessité, contrairement à nos premières déclarations de l’introduction.

 

DEUXIEME PARTIE

Le domaine des « affaires humaines »

Un monde humain lié à l’existence de l’indétermination et du hasard ? C’est lorsque nous entrons dans ce domaine, celui qui concerne l’intentionnalité ou la finalité d’actions délibérées et dirigées vers un but que la question du rôle du hasard se pose avec une acuité particulière. Si le hasard est associé à l’ignorance des causes, dans la logique d’une vision déterministe du monde, il ne peut que se heurter - conceptuellement et réellement -, à un ordre humain qui se veut régi par l’intentionnalité et la finalité du libre choix, de l’action délibérée. C’est ainsi que H. Atlan pose que la philosophie a très tôt voulu séparer un monde naturel gouverné par des lois, et un monde humain où la liberté impliquait l’existence de l’indétermination et du hasard, hasard défini cette fois-ci au sens ontologique du terme (un hasard « essentiel »). Au risque de l’illusion, selon lui. Si le monde naturel est déterminé par des lois, en revanche le monde humain en serait soustrait… Aristote déjà nous indique que seul le domaine des « affaires humaines » peut être l’objet de délibérations et donc de choix libres, excluant de ce domaine le nécessaire (les mathématiques ou l’ordre du monde) et le hasard : « Sur les entités éternelles, il n’y a jamais objet de délibération : par exemple, l’ordre du monde ou l’incommensurabilité de la diagonale avec le côté du carré. Il n’y a pas davantage de délibération sur les choses qui sont en mouvement mais se produisent toujours de la même façon, soit par nécessité, soit par nature, soit par quelque autre cause : tels sont par exemple, les solstices et le lever des astres. Il n’existe pas non plus de délibération sur les choses qui arrivent tantôt d’une façon tantôt d’une autre, par exemple, les sécheresses et les pluies, ni sur les choses qui arrivent par fortune, par exemple la découverte d’un trésor. Bien plus, la délibération ne porte pas sur toutes les affaires humaines sans exception : ainsi un Lacédémonien ne délibère pas sur la meilleure forme de gouvernement pour les Scythes. C’est qu’en effet, rien de tout ce que nous venons d’énumérer ne pourrait être produit par nous. Mais nous délibérons sur les choses qui dépendent de nous et que nous pouvons réaliser ». Aristote, Ethique à Nicomaque, III, 5. Un peu plus loin : « La délibération a lieu dans les choses qui, tout en se produisant avec fréquence, demeurent incertaines dans leur aboutissement ainsi que là où l’issue est indéterminée… ». Ce domaine des affaires humaines est aussi celui de la contingence, soustrait donc à ce qui est nécessaire ou hasardeux (nous reviendrons sur ce qu’est le hasard pour Aristote) et sur quoi je n’ai pas de prise. Si le hasard « ontologique » n’existe pas dans le monde naturel, en revanche, comme le dit Atlan, il serait inséparable de l’ordre humain. C’est  une telle séparation des mondes que Kant s’efforce d’établir. Celle-ci tend à répondre au problème métaphysique essentiel qui peut se formuler de la façon suivante : comment, dans un univers soumis au principe de causalité, les hommes peuvent-ils conduire une action libre et être responsables de leurs actes ? Car en effet affirmer le déterminisme peut conduire à affirmer que le cours de l’action humaine est fixé d’avance, même si celle-ci est illusoirement vécue comme libre (c’est la thèse de Spinoza). La réponse de Kant passe par la distinction entre un sujet empirique strictement soumis à la loi d’une causalité naturelle, et un sujet « supra-sensible » ou sujet transcendantal, se déterminant lui-même dans le domaine de la raison pratique (la morale).

Des choix qui ne sont pas aussi libres que nous le pensons ? Pour bien comprendre l’opposition des deux thèses en présence, il peut être utile de revenir sur l’idée de contingence : pour Aristote, mais de nombreux philosophes le suivront sur ce chemin, la contingence est assimilée au non nécessaire et à l’indéterminé. Qu’en est-il chez Spinoza ? Ethique, I, proposition XXXIII, scolie : « « il n’y a absolument rien dans les choses qui permette de les dire contingentes », puisqu’elles obéissent au principe de la nécessité, soit parce que leur existence fait partie de leur essence propre, soit parce qu’elles sont produites par une cause extérieure à elles. « .. . Une chose n’est contingente que par rapport à un manque de connaissance…. ». A défaut de connaître son essence ou parce que « l’ordre des causes nous est caché », cette chose que je ne peux ni qualifier de nécessaire, ni d’impossible, sera alors appelé « contingente ou possible ». L’indéterminé n’existe pas dans le monde de Spinoza : une chose « est nécessaire» ou « elle n’est pas ». Il n’y a pas de place pour la contingence, sinon entendue comme défaut de connaissance. C’est à un déterminisme total que sont soumis les individus –via leur essence singulière et l’économie des affects qui les lie à tous les autres -, et le monde qu’ils habitent. Point de rupture ici : l’homme est partie de la nature, et en tant que tel soumis aux mêmes lois de causalité. Du point de vue de l’éternité et de l’infini, comme le dit l’Ecclésiaste, « rien n’est jamais nouveau sous le soleil » et « tout est prévu ». Cela n’empêche en rien l’expérience subjective du choix et le sentiment d’être tourné vers le futur et la nouveauté. C’est en effet le destin de toute connaissance finie oeuvrant dans le temps. Bien qu’illusoires comme source de détermination, ces expériences de choix sont bien réelles comme expériences subjectives. Cette vision du monde difficile et exigeante a longtemps provoqué – et continue de le faire – résistances et échappatoires des philosophies « humanistes » de la liberté, qui brandissent souvent le libre-arbitre contre la science, et ceci d’autant plus que celle-ci apporte de plus en plus d’explications sur les mécanismes qui déterminent, de façon purement causale, les comportements des organismes, y compris des organismes humains. Mais cette conception déterministe ne supprime nullement les conditions de toute liberté. Il ne faut plus alors penser que pour qu’il puisse y avoir liberté humaine, il doit nécessairement exister hasard et indétermination. Il ne faut plus poser la liberté humaine « dans les trous du déterminisme » (Atlan). Accepter au contraire que ces choix que nous faisons ne sont pas aussi libres que nous le pensons, mais déterminés par de multiples séries causales dont nous ne pouvons que prendre une connaissance limitée.

Connaissance des déterminismes, liberté et « grandeur d’âme » … Conséquences « éthiques » de l’hypothèse déterministe : La connaissance apparaît bien ici comme le moyen privilégié pour mieux connaître ces déterminations, et donc aussi réduire la part de hasard : « Notre expérience de l’activité de connaissance rationnelle peut nous donner, par extrapolation, le point de vue d’une connaissance infinie possible de ce déterminisme absolu : connaissance de soi par soi où ce qui connaît est ce qui est connu et la connaissance elle-même. »(H. Atlan, p147).C’est précisément à partir de ce point de vue que peut se renverser la relation entre connaissance des déterminismes et liberté : « L’expérience même d’un déterminisme absolu et intemporel nous permet de concevoir, par extrapolation à l’infini vers ce que serait une connaissance totale de ce déterminisme, la possibilité d’une autre nature, différente du libre-arbitre, où toujours plus de science voudrait dire toujours plus de liberté ». Cela ne signifie pas que l’expérience subjective du libre arbitre disparaît, mais on ne la considère plus que dans son présent en sachant qu’elle ne détermine pas le futur. « C’est notre regard sur les choses qui changent », tant il est vrai que « l’ignorance qui se connaît comme telle est différente de l’ignorance qui s’ignore ». A propos du regard, H. Atlan cite P. Hadot dans « La physique comme exercice spirituel chez Marc Aurèle » : lorsque nous avons la connaissance « physique » des choses, c'est-à-dire de ce qu’elles sont « par rapport au tout de l’univers et par rapport à l’homme », il se produit une transformation du regard où le présent nous apparaît alors en vérité comme la seule réalité temporelle qui nous appartienne en propre… De même qu’en tant qu’individu dans l’espace infini chacun de nous occupe un lieu infiniment petit, de même seul nous appartient dans la durée infinie du passé et de l’avenir l’instant infinitésimal du présent de notre sensation. Marc Aurèle écrivait : « On ne saurait perdre, en effet, ni le passé ni l’avenir, car comment ôter à quelqu'un ce qu’il n’a pas ?... C’est du seul présent, en effet, que l’on peut être privé, puisque c’est le seul présent qu’on a et qu’on ne peut perdre ce qu’on a pas. ». La pensée sur la « vraie nature des choses » procure une « grandeur d’âme » qui permet de supprimer « bien des sujets de troubles superflus … tu t’ouvriras un immense champ libre … si tu embrasses  par la pensée le monde tout entier… ».

 Par ailleurs et peut-être plus subtilement, l’ignorance des causes déterminant mes actes est fortement associée à l’existence d’un moi personnel qui se vit comme agent libre, origine absolue d’une série causale (cf. Spinoza). Une telle posture, si elle est revendiquée et jamais interrogée,  ne peut que freiner la nécessaire lucidité vis-à-vis de soi-même et des rencontres avec les évènements extérieurs.

De ce point de vue, la conscience du hasard comme ignorance des causes, et reconnaissance de l’impossibilité de choisir « en connaissance de cause », est une ouverture qui peut empêcher la possibilité d’un enfermement dans un sens préfabriqué ou dans un désir de rationalisation à tout prix. « L’ignorance reconnue est préférable à un faux savoir. » (Atlan)

Abandonner le fantasme ou l’illusion de maîtrise sur le cours de son existence, sans renoncer pour autant à agir sur elle, et accepter par conséquent l’irruption du hasard, c’est aussi peut-être être de plus en plus en capacité d’être attentif à l’opportunité de « saisir l’occasion », bref de donner toute sa place au « kairos » des grecs. Le hasard, désormais assimilé à une forme de nécessité, même si celle-ci est en quelque sorte « aveugle », constitue alors un matériau brut sur lequel nous pouvons agir et nous appuyer dans un certain nombre de cas, en nous efforçant de « saisir la balle au bond » quand le hasard est positif, ou simplement de « faire avec » puisque « c’est comme çà », dans le cas inverse. Mais plus fondamentalement, ne s’agit-il pas  d’y consentir le mieux possible, y compris quand il revêt un caractère tragique ? Car d’une certaine façon, nous pouvons considérer, comme le fait C. Rosset à longueur de livres, que c’est l’existence toute entière qui est insignifiante et hasardeuse : là réside pour lui son caractère tragique, qui n’a rien d’accidentel, mais qui au contraire serait l’essence même de la vie. Consentir au hasard de l’existence, manifester une approbation inconditionnelle face à son caractère tragique, tels sont pour lui les ingrédients de ce qu’il appelle « la force majeure » ou la Joie. Mais n’est-ce pas précisément contre ce hasard là –celui d’une nécessité insignifiante (au sens où elle n’a pas de sens pour nous) – que la finalité va partir en guerre ?

TROISIEME PARTIE : Hasard, causalité, finalité

La causalité répond à la question du pourquoi (en un seul mot)

La finalité répond à la question du pour quoi (en deux mots)

Le hasard n’est pas le contraire de la nécessité… Il apparaît maintenant clairement qu’il n’y a nullement de dichotomie entre hasard et nécessité, bien au contraire. Il n’y a pas de fait sans cause, de fait strictement isolé purement spontané et indéterminé, du moins dans la nature. Platon le disait déjà : « « Tout ce qui naît naît nécessairement de l’action d’une cause » (Timée). Cela n’élimine pas pour autant le hasard : même dans l’hypothèse d‘un monde déterministe, la complexité des systèmes dans lesquels nous sommes, dont les éléments, en nombre infini, interagissent de façon permanente, ne peut que nous éloigner de la vision d’un monde prévisible gouvernée par des chaînes de causalité simples et linéaires. Nous sommes sans cesse au centre de coïncidences manifestant l’entrecroisement de multiples séries causales – externes et internes - que nous ne pouvons déchiffrer. Le bouddhisme et son idée d’interdépendance infinie pour laquelle il n’y a « ni hasard ni nécessité » (Mathieu Ricard, « L’infini dans la paume de la main »), la théorie du chaos déjà évoqué, la pensée de la complexité et ses « systèmes émergents », toutes ses approches convergent pour montrer qu’à échelle humaine des formes nouvelles peuvent émerger, imprévisibles et irréductibles aux explications causales des niveaux d’organisations inférieurs… D’autre part, Le déterminisme n’est pas synonyme d’un fatalisme où nous ne ferions que subir des facteurs extérieurs à nous. Nous sommes « possédés », mais en même temps nous « pouvons posséder ce qui nous possède » ! Nous ne sommes pas le jouet passif du déterminisme, mais au contraire un agent actif de celui-ci. Comme le dit E. Morin avec ce goût de la formule paradoxale : « Toute existence humaine est à la fois jouante et jouée ; tout individu est une marionnette manipulée de l’antérieur, de l’intérieur et de l’extérieur, et en même temps un être qui s’auto-affirme dans sa qualité de sujet. ».

Le hasard, ennemi de la finalité ? Cependant force est de reconnaître que la notion de cause a toujours eu à se défendre pour ne pas être « polluée » par celle de finalité. Dès la pensée grecque, le monde est représenté comme « mélange » de deux ordres de causalité ; encore le Timée : « La naissance de ce monde a eu lieu par le mélange des deux ordres de la nécessité et de l’intelligence ». Cela signifie pour Platon qu’il y a une causalité mécanique en quelque sorte « errante » parce que sans but d’une part, et d’autre part une causalité intelligente et divine qui insuffle ordre et beauté au désordre primordial. Les sciences modernes, face à l’alternative entre les causes nécessaires mais « errantes » et celles qui dérivent d’opérations démiurgiques et finalisées, choisiront évidemment le premier terme, en s’efforçant autant que faire ce peut de nier la finalité. Pour montrer à quel point il est difficile de penser la nécessité sans la finalité, citons encore Aristote : s’appuyant pour étudier la causalité sur une expérience humaine dont le caractère anthropocentrique est patent – celle du potier « tournant » son vase – il affirme que parmi les quatre types de causes qu’il dénombre (matérielle, formelle, efficiente et finale), seule la cause finale est la véritable cause car c’est-elle qui donne son sens à l’évènement (ici le dessein de réaliser un vase). Un évènement hasardeux sera alors tout ce qui n’est pas rattaché à de telles causes finales. Un évènement peut avoir une cause efficiente très bien identifiée et être aléatoire, s’il ne résulte pas d’un « télos », d’une finalité particulière. L’aléatoire n’est pas sans cause, mais sans finalité. Le mot qui désigne le hasard et la Fortune chez Aristote est « automaton » (d’où vient automate), c'est-à-dire « ce qui survient par lui-même », sans cause finale qui lui donnerait son sens. N’y a-t-il pas un paradoxe à désigner le hasard par un mot qui connote au contraire pour nous « l’automatisme », c'est-à-dire ce qui obéit à un déterminisme mécanique rigoureux ? La signification de l’introduction insistante du finalisme dans la pensée humaine est bien sûr psychologiquement claire : rendre les choses non seulement intelligibles pour nous, mais les doter d’un sens, d’une « raison d’être » conformes à notre désir.

Critique du finalisme naturel : Cette pensée finaliste et particulièrement critiqué par Spinoza (Appendice partie 1 de l’Ethique) : l’explication par les causes finales est un comportement habituel chez l’être humain : il consiste à rapporter toute chose qui arrive à lui-même d’une part, et d’autre part à projeter sur Dieu ou la nature son propre fonctionnement. Le finalisme naturel est bien sûr complice de la superstition et d’une conception « basse » de la religion, décourageant la connaissance véritable des causes réelles au profit des préjugés et du surnaturel. Ce très beau texte mériterait plus ample développement… mais nous pouvons tout de suite constater que le hasard est l’ennemi direct du finalisme : car dans un tel monde, rien n’arrive par hasard, au sens où chaque chose ou évènement doit revêtir un sens conforme à mes attentes, ou en tout cas dont le sens pour moi ne fait aucun doute. Les « causes errantes » n’ont pas droit de cité dans ce monde… Pourquoi en effet cette tuile sur la tête ? Cet évènement relevant d’un « concours de circonstances » banal et non moins déterminé causalement, fera scandale rapporté à nous et deviendra quelque peu extraordinaire, sera peut-être même l’objet d’un traitement superstitieux (la « malchance » pourra se transformer en « signe du destin »), alors qu’il n’a strictement aucun sens par rapport au « tout » du monde. Finalement, l’usage de la notion de hasard intervient autant par absence de fins que par ignorance des causes. Bergson avait bien conscience de ce balancement de l’esprit quand ce dernier tente de définir le hasard : « Il oscille, incapable de se fixer, entre l’idée d’une absence de cause efficiente (mais celle-ci, dans l’hypothèse que nous défendons dans ce texte, serait plutôt l’ignorance des causes) et celle d’une absence de cause finale… ». En conclusion, nous pouvons citer ici le commentaire de J. Lachelier sur le hasard, que l’on trouve dans le Vocabulaire de la Philosophie : « « Je ne vois que deux sens possibles du mot hasard : 1° l’absence de raison déterminante ; 2° l’absence de détermination téléologique. Quand on dit que le hasard « n’existe pas », on prend, ordinairement, le mot dans le premier sens ; on veut dire que tout est déterminé, au moins mécaniquement… Dans la pensée de tout le monde il y a un hasard ; et quand on dit qu’une chose arrive par hasard, on entend que cette chose arrive sans doute en vertu d’une nécessité mécanique (à vrai dire, on ne l’affirme ni ne le nie, on ne pense pas du tout à ce genre de causalité) ; mais en tout cas, on assure qu’elle arrive en dehors de tout ordre téléologique, c'est-à-dire en dehors non seulement de tout dessein humain ou divin, mais encore de tout ordre stable (de quelque façon du reste qu’on s’explique l’existence de cet ordre ; mais on y voit toujours, plus ou moins consciemment, l’effet d’une sorte de téléologie de la nature. »

C’est précisément cette téléologie de la nature que refuse le philosophe Clément Rosset. Radicalisant le propos anti-finaliste, il va jusqu’à considérer l’idée de nature comme le dernier rempart, forcément illusoire, au caractère hasardeux et insignifiant de l’existence. La nature proposant en effet, sous des modalités très diverses suivant ses protagonistes, un ordre, un système de principes explicatifs sous-jacents, qui donnerait un sens à ce qui est pour lui pur accident et proprement « insensé ». Mais il semble bien que dans son « Anti-nature », la nécessité causale qu’il critique s’apparente plutôt aux causes finales, et non au principe même de toute causalité. Quoiqu’il en soit, c’est pour lui l’approbation et le consentement devant le caractère hasardeux de l’existence qui peut seul grandir l’homme et lui permettre d’atteindre la Joie.

Le hasard et ses pratiques divinatoires : Si le hasard, au sens moderne de ce terme, dément l’idée d’une finalité des évènements ou phénomènes de la vie, et atteste de l’ignorance des causes, il entretient néanmoins avec l’un et l’autre des rapports ambigus : il a été longtemps utilisé - et l’est encore -  pour dire le destin, sinon le prédire. C’est la fonction de toutes les pratiques divinatoires du hasard telles que l’ancienne pratique oraculaire (la prophétie de l’oracle), mais aussi le Tarot, le tirage de cartes…etc. Par un « retournement » conceptuel paradoxal, le hasard qui atteste de l’absence de destin d’une part, de l’ignorance des causes d’autre part, va devenir l’instrument dévoilant ce destin, et permettant d’avoir accès aux connaissances cachées. L’exemple de la tradition chinoise de divination du Yi-King, très élaboré dans son système d’interprétation, repose sur un tirage au sort de baguettes dont la configuration donne accès au passé et à l’avenir de la personne qui interroge. Ce qui est très intéressant dans cette pratique à mon sens, c’est qu’elle concilie celui qui reste l’acteur de sa propre vie (c’est lui qui lance les baguettes), et en même temps l’idée d’un déterminisme radical qui préexiste à toute action.

Dans cette même veine, le hasard peut également être interprété comme « signe du destin », et en tout cas de l’existence d’un « Grand Horloger » sans lequel un tel « concours extraordinaire de circonstances » n’aurait pas été possible. L’exemple le plus probant à ce sujet nous est fourni par le débat sans fin – qui opposent les scientifiques eux-mêmes autour de la création de l’univers comme de l’apparition de la vie sur notre planète : nous savons en effet que la réunion d’un grand nombre de conditions initiales extrêmement précises étaient nécessaires pour rendre possible l’un comme l’autre. A ces deux « évènements » exceptionnels quant à la rencontre simultanée de tous ces facteurs, nombreux sont ceux qui concluent à l’existence d’un « dessein supérieur », d’une finalité transcendante, qui ne peuvent être portés que par Dieu lui-même… Mais nous pouvons aussi penser que dans un monde spatio-temporel infini, il est parfaitement possible, et même nécessaire, que tous les possibles se réalisent, c'est-à-dire deviennent réalité… Là encore l’hypothèse du « hasard », bien loin de s’opposer à la nécessité, signifierait simplement qu’il exclut toute intervention « surnaturelle »… Nous citerons pour conclure ce texte de J. Monod : « L’apparition de la vie elle-même et, au sein de la biosphère, l’émergence de l’homme ne peuvent être conçues que comme le résultat d’un fantastique jeu de hasard où notre numéro a fini par sortir ; elle aurait pu ne pas apparaître et, de toutes les façons, le cosmos insondable qui nous entoure s’en souciait comme d’une guigne. » (Pour une éthique de la connaissance. Paris, La Découverte, 1988, p. 145)

                                                                                               Daniel Mercier, le 08/10/2010