La condition humaine : du mythe d'Adam et Eve aux avancées scientifiques

 
 

CONFERENCE DEBAT avec François Flahault

 
 

 samedi 10 mars 2018 18h30  à la salle du Temps Libre de Colombiers

 

Le sujet : 

   « La condition humaine : du mythe d'Adam et Eve aux avancées scientifiques "

 
 
 
 

Remerciements et présentation du conférencier. 

18H30    PRESENTATION20 ans déjà ! En mars 1998 avait lieu notre premier café philo à l’initiative d’une  bande de copains dans une petite salle de la mairie de Maureilhan, et le premier sujet auquel nous nous sommes attaqués était précisément : « Humain, inhumain » ! Nous avons donc souhaité « boucler la boucle » en reprenant ce premier thème pour cet anniversaire des 20 ans… J’adresse au nom de notre association et en votre nom à tous nos plus chaleureux remerciements à la communauté de Commune de La Domitienne qui nous accompagne et nous soutient depuis 20 ans, et qui a bien voulu nous suivre une fois de plus dans ce projet de la fête de la philo. Après la soirée d’hier qui ouvrait en quelque sorte ces « 20 ans déjà »,après les ateliers de ce matin qui ont donné, je crois, beaucoup de satisfactions aux participants, nous voilà donc en très bonne compagnie avec notre invité que je vais présenter rapidement, mais avant je rappelle que demain après-midi, pour clôturer ces journées en beauté et dans la convivialité, nous vous invitons tous à la Maison du Malpas à 15H30 à  un goûter offert par la Maison du Malpas, notre association, et  La Domitienne, autour de lectures choisies animé par Chantal Ferrier et Marie Pantalacci et lus par plusieurs participants des cafés philo Rendez-vous donc à 15.30 à la Maison du Malpas ! J’ajoute pour terminer que les affiches que vous avez vues défiler sur le diaporama sont celles d’un artiste narbonnais, Richard Breton, qui nous accompagne bénévolement depuis quelques années maintenant. Je le remercie chaleureusement.

Bonjour Mr François Flahault, vous êtes donc philosophe et anthropologue, directeur de recherches émérite du CNRS, responsable du séminaire Anthropologie générale et philosophie à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. On peut consulter votre site internet : françoisflahault.fr.

Parmi les nombreux livres que vous avez écris, je citerai les plus récents, dont les titres sont très évocateurs, et donnent le sentiment que vous tissez toujours la même étoffe :

  • Le paradoxe de Robinson. Capitalisme et société, Mille et une nuits,2005
  • « Be yourself » Au-delà de la conception occidentale de l’individu, Mille et une nuits, 2006
  • Adam et Eve, la condition humaine, Mille et une nuits, 2007
  • Le Crépuscule de Prométhée. Contribution à une histoire de la démesure, Milles et une nuits, 2009
  • Où est passé le bien commun ? Mille et une nuits
  • Le sentiment d’exister, 2e édition revue, Descartes et Cie, 2013

Et enfin le dernier sorti en février, qui est peut-être une synthèse de vos réflexions antérieures : « L’Homme, une espèce déboussolée. Anthropologie générale à l’âge de l’écologie », et qui va servir de support à votre conférence ce soir, qui s’intitule : La condition humaine : du mythe d’Adam et Eve aux avancées scientifiques

Juste quelques mots de présentation : au risque de simplifier à l’extrême, je me contenterai d’évoquer quelques dimensions importantes de votre réflexion :

  • Une pensée qui réunit la philosophie et l’écologie scientifique
  • Une pensée qui revendique l’interdisciplinarité, nourrie en particulier des sciences de l’homme, et de la biologie en particulier
  • Une pensée critique par rapport à la pensée occidentale de penser l’individu
  • Une pensée qui refuse à la fois le vieux dualisme philosophique de l’âme et du corps, mais aussi l’opposition traditionnelle entre la nature et la culture

 

 

 La conférence de François Flahault : « La condition humaine : de   Adam et Eve aux avancées scientifiques »

 Synthèse : Daniel Mercier et Marie Pantalacci

 Après avoir montré comment nous passions,avecle Mythe d’Adam et   Eve, et son interprétation païenne,d’une condition animale à une   condition humaine - conscience d’être mortels, identité à travers le nom   propre, connaissance du bien et du mal, mais aussi conscience   désormais d’être regardés, d’où la pudeur  - . François Flahaultaffirme   l’importance de pouvoir jeter un pont entreles sciences biologiques   et les sciences humainespour comprendre l’être humain: l’exemple   du plaisir et de la douleur montre bien à quel point le corps et l’esprit   peuvent ne faire qu’un.

Par ailleurs, il remet en question le schéma habituel du rapport de l’être   humain avec la société à partir du contrat social selon lequel il y a   d’abord les hommes et ensuite la société dont ils seraient les auteurs   (façon occidentale de penser l’individu). La société ou l’état social sont   premiers : l’état de nature est déjà un état social, les chimpanzés et   bon nombre d’animaux vivent déjà en société. Il n’y a pas de   précédence de l’individu sur la société. L’évolution des chimpanzés est   intimement reliée au fait qu’ils vivent en société. Il y a « une pression de sélection » (terme de l’évolutionnisme) qui est très favorable au développement des capacités sociales, et l’idée d’individus seuls qui décident délibérément de vivre en société n’est pas conforme à la réalité.C’est la vie en société qui a créé l’être humain.

 On peut considérer que les enfants manifestent des capacités supérieures aux chimpanzés à partir du moment où ils sont capables « d’attention conjointe » : lorsqu’ils peuvent s’intéresser à ce que l’autre (la mère dans un premier temps) montrent du doigt. L’enfant comprend qu’on peut faire quelque chose ensemble à partir de un an environ… Certains singes peuvent y parvenir (non pas regarder dans la direction du doigt mais dans la direction indiquée par lui), mais leurs capacités de coordination en vue d’un tiers sont tout de même limitées par rapport à l’homme. Le propos du conférencier est toujours ainsi à la recherche d’un  point de bascule entre l’homme et l’animal sans jamais vraiment trancher entre une continuité et une différence…  Mais le triangle de l’attention conjointe est selon lui une caractéristique centrale du monde des humains.

Plus généralement, le fait queles vivants évoluent en fonction des autres vivants et avec eux, est une dimension importante du darwinisme : les contraintes et pressions environnementales englobent également la pression qu’exercent les autres vivants en relation les uns et avec les autres. Et cela est vrai au sein de tous les ordres du vivant, qu’il s’agisse d’une même espèce, entre espèces différentes, mais aussi entre ordres différents… Plusieurs exemples pris dans les mondes végétal et animal viennent illustrer ces relations symbiotiques.

François Flahault montre par ailleurs que certains traits dans la nature excèdent leur raison d’être purement fonctionnelles, anticipant en quelque sorte une forme de « gratuité » que l’on va trouver dans les cultures humaines : les exemples sont pris sur le terrain des parades sexuelles où il n’y aurait pas de limites dans la débauche des moyens mis en œuvre pour séduire les femelles. La danse et les plumes du coq de bruyère, la grandeur et le poids des bois du cerf, l’aménagement de la scène nuptiale des « oiseaux-paradis » en Nouvelle Guinée, ou encore la façon dont une certaine espèce d’oiseau en Australie imite les autres chants d’oiseaux pour « épater » les femelles, ne sont pas vraiment fonctionnels…

 Là encore, le conférencier semble voir dans ses relations entre mâles et entre mâles et femelles, dans ces situations particulières, une prémisse de «  l’attention conjointe » déjà évoquée. L’adaptation au milieu ne suffit pas à expliquer ces formes d’exubérance et de création gratuite, qui d’ailleurs se retrouvent presqu’à l’identique dans certaines sociétés humaines, par exemple en Nouvelle Guinée où les hommes se livrent à des parades qui imitent celles des oiseaux-paradis, ou en Sibérie, où des jeux s’inspirent de comportements animaux (de l’Elan ou des coqs de bruyère).

Ainsi, même si la transmission des humains passe par l’enseignement et non par la biologie, leurs comportements culturels sont très proches de comportements naturels chez les animaux, ce qui n’est pas si surprenant si nous admettons que nous faisons partie de la nature… Nous pouvons constater à ce sujet beaucoup de fonctionnements similaires entre espèces très différentes, la vie réinventant la même chose dans des temps éloignés. Par exemple, on peut citer les ailes presque identiques entre les oiseaux et les chauvesouris, le rapprochement de certains modes de vie d’insectes et de mammifères, comme les « rats-taupes » qui vivent en colonie dans des souterrains avec une organisation proche de celle des abeilles (ils ont une « reine » et se sacrifient pour elle, des « soldats »…etc.). Il n’y a pas plus d’écart entre l’homme et certains mammifères qu’entre certaines espèces animales. Par exemple, nous ne sommes pas plus différents des animaux que les rats-taupes des autres animaux.

Pour revenir à l’attention conjointe, nous tenons là une caractéristique importante, déjà esquissée chez les mammifères, mais qui est très développée chez l’homme. En particulier, des objets vont prendre une importance particulière en tant qu’ils sont l’objet d’une relation : certains objets prennent de l’intérêt par le fait qu’ils servent la relation.Les objets de la culture ont ceci de particulier qu’ils n’existent pas dans la nature mais sont créés par l’homme : c’est la valeur qu’il leur accorde qui en font ce qu’ils sont. La valeur de l’or par exemple ne tient que par l’attention que les hommes lui accordent (lors d’une courte période sous Napoléon lll l’aluminium avait supplanté l’or) ; le Jeans est un autre bon exemple : toute sa valeur réside dans l’importance qu’on lui a accordée à un moment donné… Il a fallu ensuite qu’il soit usé, et maintenant il se doit d’être déchiré… Les mots du langage, les billets de banque ne sont rien sans l’attention que nous leur portons collectivement. Ils sont importants pour nous car ils sont importants pour les autres ; sinon ils perdent tout intérêt…  La société humaine est peuplée d’êtres imaginaires, tels que Dieu, Tintin, les revenants, les anges ou les dragons...Le monde humain est un monde qui se crée lui-même.

Pourquoi l’homme est-il déboussolé ? Dans un monde qui se crée lui-même, quel est le critère pour savoir que quelque chose est vrai ou faux?…Les humains peuvent dériver d’une manière importante , quand l’imagination des uns rencontre celle des autres…Par exemple : on dit qu’il y a un problème juif….et on connait la suite. Autre exemple : aujourd’hui, l’économie est devenue le souci numéro un ; est-ce vraiment le plus important ? L’écologie scientifique relativise cela. Les humains auraient besoin d’un tiers pour leur dire « attention, vous êtes en train de dériver !! ». Les hommes parlent à la place de Dieu…et chacun a son point de vue….Les humains créent leur propre réalité…mais qui les arrêtera ?

 

La discussion a porté notamment sur le développement de « l’homo sapiens » (seule espèce humaine qui ait survécu) et les traits qui peuvent le spécifier : quel est vraiment le propre de l’homme, et ne sommes-nous pas condamnés à une forme d’anthropomorphisme lorsque nous essayons de nous poser ces questions ? Trois dispositions ont été mentionnées qui nous rapprocheraient de cette spécificité : l’attention conjointe, lelangage qui la suppose, la capacité à raconter des histoires –capacité narrative-…