Comment penser les rapports de l’homme avec la nature ? - Novembre 2012

La présentation du sujet

« Comment penser les rapports de l’homme avec la nature ?

 

Cette question aujourd’hui résonne immédiatement en termes de crise écologique menaçante pour l’avenir de l’humanité. Loin de nous l’idée « moderne » de l’homme prométhéen domestiquant la nature à son gré et lui imposant sa toute puissance… Nous savons en effet maintenant que nous n’arrivons plus à assurer la maintenance de tous les effets non prévus de notre action sur l’environnement, et que cette crise est devenue planétaire… Nous parlons volontiers à ce sujet de « revanche de la nature », et bizarrement cette dernière a tendance de plus en plus à devenir l’arbitre moral de notre conduite : le bien serait souvent du côté de la nature… Cette situation nouvelle est peut-être l’occasion de « mettre à plat » l’histoire de notre pensée sur la nature et les liens que nous sommes censés entretenir avec elle ; et peut-être de dépasser cette ancienne dualité entre l’homme et la nature que notre époque moderne a longtemps véhiculée… Et ne nous y trompons pas : revisiter ces rapports entre l’un et l’autre, c’est aussi la possibilité d’influer significativement sur nos nouvelles politiques environnementales…

 

Daniel Mercier, le 02/11/2012

L'écrit philosophique

« Comment penser les rapports de l’homme et de la nature ? »

 

Quelques lectures…parmi beaucoup d’autres…

Le Timée, Platon

De rerum natura, Lucrèce

Principes de la philosophie, Descartes

L’Ethique, Spinoza

Le discours sur l’origine des inégalités parmi les homme, JJ Rousseau

Le contrat naturel, Michel Serres,

Le nouvel ordre écologique, Luc Ferry

Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement, C et R Larrère, 2009

Le principe responsabilité, Hans Jonas,

Almanach d’un comté des sables, Aldo Léopold, 1948

Ethique de la terre, Baird Callicott, 2010 (recueil d'articles de l'auteur)

La sagesse des modernes, André Comte-Sponville et Luc Ferry

L’empire du milieu, Bruno Latour

Considérations sur l’idée de nature, François Dagognet

Par delà nature et culture, Philippe Descola

L'Effet Darwin. Sélection naturelle et naissance de la civilisation, 2008, Patrick Tort

 

Aussitôt cette question formulée, c’est le constat de crise écologique profonde de notre monde qui vient aussitôt à l’esprit, et les changements qui peuvent et doivent intervenir… Puis peut-être l’idée de la responsabilité du développement économique sur ces problèmes environnementaux, associée à celle d’une croissance sans frein que semble porter l’idéologie libérale. Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler les dimensions principales de cette crise : il ne s’agit plus seulement de préoccupations finalement « normales » de tout groupe humain confronté aux conséquences non intentionnelles de ses activités sur son environnement : par exemple, nous nous préoccupons depuis longtemps (des siècles) de protection d’une nature menacée (terroirs, eaux, forêts) avec un certain succès ; ou encore nous réagissons contre les effets incontrôlés des techniques industrielles et de la concurrence économique sur la santé et la vie des individus : pollutions de l’air, des eaux, du sol, stockage de produits radio-actifs ou chimiques, accumulation d’ordures non biodégradables et non recyclées, installation d’habitats ou d’infrastructures dans des zones soumises à des risques naturels… (il reste encore beaucoup à faire …).  Mais aujourd’hui, nous sommes confrontés à un troisième type de préoccupations qui correspond à la globalisation des problèmes environnementaux en une crise de dimension planétaire, qui se traduit en divers scénarios dont les trois principaux sont : l’épuisement des ressources énergétiques (notamment fossiles) – la surpopulation (7Milliards aujourd’hui et 9 à 10 milliards prévu en 2050) – le changement climatique dû à l’émission de gaz à effet de serre. En arrière plan de cette crise, une extinction des espèces jusque là inégalée, où les activités humaines semblent jouer un rôle significatif : ce que l’on appelle la biodiversité serait en danger.

En effet ce sont ces constats qui viennent spontanément à l’esprit… Mais la perception que nous en avons dépend de la façon plus ou moins implicite dont nous pensons les relations de l’homme avec la nature qui l’entoure (cette dernière formulation se veut pour l’instant faussement « innocente », au sens où elle ne préjuge en rien des éléments de réponse futurs à cette question…). Le diagnostic que nous faisons (et non seulement le constat), et les perspectives que nous devons tracer, mettent en jeu des pensées philosophiques divergentes sur l’analyse de ces rapports de l’homme avec la nature. Comment alors penser ces rapports est une question philosophique essentielle car sous-jacente à toute politique environnementale…

 

L’idée qui servira de « fil rouge » dans ce développement est la suivante : cette nouvelle situation de crise à laquelle nous sommes confrontés peut être aussi l’occasion d’une nouvelle façon de penser ces rapports entre l’homme et la nature ; aidée en cela aussi par la profonde crise de confiance que connaît aujourd’hui l’optimisme de la pensée des Lumières (croyance que les lumières de la raison, notamment grâce aux progrès de la science et de toute forme de connaissance, permettront d’éliminer l’obscurantisme et de construire le bonheur de l’humanité en l’aidant à résoudre ses principaux problèmes). L’histoire de la pensée de ces rapports dans notre période moderne est celle d’une dualité et d’une opposition, parfois désignée comme une lutte entre humanistes et naturalistes, contrairement à la vision de la nature des grecs et des romains pour laquelle cette opposition n’a pas de sens. Nous voudrions défendre l’idée d’un dépassement de cette dualité et d’un retour renouvelé à cette pensée antique : reconnaître la spécificité de l’homme tout en affirmant aussi sa filiation avec la nature, n’échappant pas lui-même aux grands mouvements de l’évolution et des mécanismes systémiques en jeu dans cette communauté écologique dont il fait partie. Mais il faut commencer par « se coltiner » cette notion si problématique de « nature »…

A) Derrière la polysémie, un arbitre moral ?

La notion de nature est redoutable : pas moins de 11 sens dans l’usage philosophique (vocabulaire Lalande), et autant pour l’usage commun (répertoriés dans le Petit Robert). Sans compter aussi les variations très importantes de sens concernant la notion de « nature humaine », évidemment convoquée dans notre sujet… Avant d’essayer d’y voir clair, et malgré cette polysémie déroutante, une constante apparaît aujourd’hui dans l’utilisation que nous faisons de ce qui est « nature » ou « naturel » : la connotation positive qui semble y être attachée. Le naturel est bon, authentique, simple, essentiel, nécessaire … Le non-naturel est la plupart du temps artificiel, mais aussi affecté, factice, accidentel, contingent… etc. L’intérêt pour les médecines naturelles, l’agriculture « naturelle » ou biologique, la cosmétologie « naturelle », pour une nature qui serait vierge de toute empreinte humaine  …etc. n’est plus à démontrer. Peut-être cette valorisation est réactionnelle à l’inquiétude provoquée par les conséquences négatives de l’activité technique et productive sur l’environnement… Peut-être aussi s’agit-il d’une constante anthropologique apparaissant de manière plus ou moins spectaculaire selon le contexte historique…D’où la difficulté d’aborder une question dont nous pressentons à quel point elle est  imaginairement chargée affectivement. Il semblerait que la nature joue le rôle d’arbitre et d’autorité morale par rapport au comportement humain. Souvent personnifiée, elle serait l’instigatrice d’une justice immanente.  Pourquoi « c’est naturel » veut-il dire « c’est bien », ou bien « c’est évident », ou bien encore « on n’y peut rien » ? Voilà par exemple des questions qui, depuis des années, intriguent Lorraine Daston (cf. Sciences Humaines N° 236 - avril 2012). Pourquoi, lorsqu’on parle dans la presse de l’ouragan Katrina, on dit « la nature a pris sa revanche » ? Pourquoi « la nature est venue sanctionner le comportement humain… » à Fukushima ? …etc. Ce qu’il semble y avoir derrière cette référence à la nature, c’est qu’elle représente un certain ordre auquel il est nécessaire de se soumettre : il n’y a pas si longtemps, on justifiait aussi la domination du pater familias au sein de la cellule familiale par la différence des sexes (et ce n’est pas certain que cette représentation soit complètement disparue). Les manipulations génétiques sur les plantes (très anciennes ; n’entrons pas ici dans la polémique autour des OGM) sont toujours suspectes pour les mêmes raisons ; mais aussi les produits chimiques qui, d’une certaine façon, enfreignent un certain ordre naturel… Les exemples d’une telle méfiance sont innombrables. Nous avons le sentiment que ces interventions mettent en question un ordre, un équilibre, dont nous faisons partie.

B) Définitions…

Essayons donc maintenant de mettre de l’ordre dans la polysémie de la notion de nature. Nous avons schématiquement regroupé les nombreux sens mentionnés dans le Lalande, en laissant à l’écart ceux qui nous paraissaient trop éloignés de notre sujet. Trois sens qui nous paraissent synthétiser l’ensemble : la nature désigne à la fois les propriétés essentielles de l’ensemble des êtres (leur « essence » ou leur « nature »), elle est « tout ce qui existe », mais ce sens peut inclure le principe  qui organise l’ensemble de ce qui existe selon un certain ordre (les « lois de la nature »), et enfin la nature désigne ce qui se fait sans intervention de l’homme (le contraire d’artificiel).

C) A chacun sa nature humaine

Il est nécessaire également d’examiner rapidement la notion de nature humaine, pour en dégager – de manière excessivement schématique – trois concepts sensiblement différents :  la nature humaine relevant de « l’espèce » ; acception biologisante, contre laquelle les sciences humaines se sont constituées. Pour l’essentiel, les sciences sociales se sont constituées contre l’idée d’une nature humaine, assimilée à une idée réactionnaire, voire dangereuse : elle enfermerait les humains dans une camisole de gènes, d’hormones et de neurones, condamnant chacun à une sorte de destin biologique. Cependant, les neurosciences mettent aujourd’hui plus en avant la plasticité neuronale ou l’épigenèse (l’influence de l’environnement sur les gènes) ou l’incroyable capacité régénératrice des cellules souches pour souligner les capacités d’auto-transformation des humains. La nature humaine comme fond commun originel de tous les hommes, auquel se rattache l’idée de besoins, de droits naturels, de liberté naturelle commune, d’égalité (« tous les hommes naissent égaux en droit »). Fondement des droits de l’homme dans la pensée des Lumières. La fiction rousseauiste de « l’état de nature » étant une des figures principales de cette nature humaine avant qu’elle ne soit corrompue par la société (thème du Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommes). C’est ainsi que Rousseau considère l’homme comme naturellement bon et « droit ». La troisième signification entretient des liens avec la seconde. La nature humaine comme raison ; la pensée grecque et latine est traversée par cette idée d’une nature humaine qui est en partie assimilable à la raison. C’est par exemple chez Aristote, la partie la plus haute de l’âme, de caractère divin. Toute la philosophie occidentale (Descartes, Spinoza, Kant…) s’inscrit dans cette assimilation. Nature peut être ici rapprochée du concept d’essence. Mais chez les « modernes », contrairement aux « anciens », une telle conception de la nature humaine (et sans doute aussi la conception rousseauiste) renvoient à une rupture ou une dualité entre l’homme et la nature, la question de la liberté faisant ligne de partage. Les sciences sociales ont également mis radicalement en question l’essentialisme de cette  nature raisonnable, aidées par l’existentialisme affirmant le primat de l’existence sur l’essence. Même si la sociologie refuse à la fois l’une et l’autre conception d’un homme qui échapperait à tout déterminisme au nom d’une liberté transcendantale. Pour elle, l’être humain est culturé de part en part, et ne peut donc être une « nature ».  Il est très significatif de constater que les termes de l’opposition entre l’homme et la nature varient mais que l’opposition elle-même est toujours présente : dans un premier temps, c’est la nature humaine comme liberté et comme raison qui est opposée aux déterminismes naturels de l’univers et de l’évolution (le philosophe prototypique de cette orientation pourrait être Kant) ; dans un deuxième temps, c’est la culture comme spécificité humaine qui prend le relai et s’oppose au monde de la nature tel que les « sciences dures » peuvent en rendre compte. Mais entrons davantage dans le « vif du sujet »…

D) L’Age d’or et Prométhée

Ces notions étant explicitées dans leur complexité et leurs variations de sens, comment comprendre maintenant l’histoire philosophique des rapports de l’homme avec la nature ? Mais l’origine de la philosophie se trouve dans la mythologie : celle-là n’est que le  prolongement de cette dernière, un « logos » prenant progressivement la place du « muthos ». Il y a dans cette mythologie des grecs deux mythes fondateurs et en partie contradictoires qui semblent avoir été structurants dans l’histoire de notre humanité, avoir tenu une place de choix dans notre imaginaire collectif ; le premier est celui d’un Age d’or qui fait toujours référence à un état harmonieux et éternel, se traduisant par une intégration originelle parfaite entre la nature de l’homme et la Nature (le jardin d’Eden étant en quelque sorte exemplaire de ce point de vue dans la culture chrétienne…. L’homme fondamentalement bon de l’état de nature rousseauiste participe également de la même mythologie. Ecouter également la très belle chanson de Léo Ferré intitulée « l’Age d’Or »). Le second est celui du mythe prométhéen d’un homme « hors nature », celui qui va voler le feu aux dieux, qui incarne un homme qui ne cesse de s’inventer lui-même et de conquérir son environnement par les progrès de ses sciences et de ses techniques, le faisant entrer ainsi dans l’histoire d’une aventure humaine indécise tendue vers un futur porteur de promesses sans cesse renouvelées. Le logos philosophique se substituant au muthos, et le rationnel à la métaphore, elle va poursuivre par d’autres moyens une exploration de notre condition qui ne sera jamais étrangère à ces deux pôles.  Mais arrêtons-nous un instant sur les deux grands moments de la philosophie concernant cette question des rapports de l’homme avec la nature : la philosophie antique et la philosophie des modernes.

 E) Antiquité grecque (et latine) : la grande unité

 

Le cosmos (nature) et la nature humaine constitue un tout harmonieux, fini, et hiérarchisé, l’homme en étant l’élément central. Ma nature est insérée dans La nature.  Ce « tout » est dans une certaine mesure constitué avec la même substance : un mixte de raison et de matière, de logos et de « phusis » (la phusis représente à la fois l’ensemble du processus de la nature, le principe dont toutes choses sont issues, et le résultat de ce qui est produit), ou encore un « mélange d’intelligence et de nécessité », Dans le Timée de Platon, est affirmée la présence d’une causalité intelligente et divine qui imprime son ordre et sa beauté au désordre initial (assimilable au chaos originel).  La nature humaine est ici dans son élément naturel, si je puis dire… Excepté pour les épicuriens, cette représentation de l’homme dans l’univers est finaliste et anthropocentrée. La raison en est le principe organisateur essentiel. La nature humaine doit être rapprochée ici de l’animal raisonnable d’Aristote. Comme les anciennes mythologies, la philosophie a pour fonction d’inscrire l’ordre humain dans l’ordre cosmique (excepté les sophistes qui opposaient le conventionnalisme des hommes et de la Cité à une forme de naturalisme sans aucune mesure avec celui de Platon ou d’Aristote, mais qui était proche de « la loi du plus fort ». Il est intéressant de remarquer à ce sujet que quelque soit le concept de nature auquel on fait référence, il sert toujours de justification). Platon par exemple refuse de découpler phusis (dont se préoccupe la « philosophie naturelle ») et nomos, physique et éthique (les philosophies antiques articulent toujours en un tout cohérent physique et éthique). « Imiter l’univers », telle est le mot d’ordre, celui d’une politique « vraiment conforme à la nature. ».  

L’épicurisme représente une exception : Lucrèce (« De rerum natura »), dans la filiation de la physique de Démocrite, ne pense pas l’univers de la même manière : les mondes sont infinis, les choses y surviennent par hasard, la terre produit sans plan préétabli.

 

 F) Modernité : le grand partage

 

Elle introduit une dualité et une séparation de l’homme et de la nature. C’est le moment du grand partage, qui se décline aussi dans les dimensions essentielles suivantes : sujet/objet ; liberté/nécessité ; morale/physique ; naturalisme/humanisme ; et plus tard sciences de la nature/sciences de l’homme et naturel/social

Changement de paradigme concernant l’univers : à la vision d’un univers clos, hiérarchisé et géo-centré d’Aristote, succède la vision galiléenne, puis keplerienne et newtonienne : infinie, non hiérarchique, non géo-centrée.  C’est une révolution scientifique contre le sens commun (le soleil tourne autour de la terre, et se couche chaque soir). L’univers est désormais unifié, et non partagé entre le monde céleste et le monde sublunaire soumis à la corruption.

« Natura naturata »: Les interrogations sur l’univers portent sur le comment beaucoup plus que sur le pourquoi, et il s’agit de dégager les règles du changement qui intervient dans la nature : c’est la naissance de la mécanique classique. Sur un plan épistémologique, la modernité opère un décentrement : l’observateur est désormais extérieur à la nature observée, et l’expérimentation obéit à un ensemble de procédures de production « standard » d’un objet (c’est-à-dire répétables à volonté), et de vérification des connaissances. L’expérience est mathématisée et la nature est celle de la mécanique. Descartes montre qu’un artifice peut être abordé comme une nature, et réciproquement une nature comme une machine, en vertu des lois mécaniques qui sont identiques dans les deux cas. Cette nature se veut définalisée, tout en reprenant le projet platonicien de rendre intelligible le réel à partir de la géométrie, assemblage de « figures, grandeurs en mouvements ». « Toutes les choses qui sont artificielles sont avec cela naturelles » (Principes de la Philosophie, Descartes). Elle ne peut durer sans l’intervention constante de Dieu chez Descartes (principe de la création continuée), est assimilable à une « natura naturata » (beaucoup plus qu’à une « natura naturans », c’est-à-dire une nature active, productrice, non pas comme créée, simple résultat d’un processus, mais se produisant elle-même), c'est-à-dire à une machine que l’on peut décomposer en pièces distinctes. C’est « l’argument du fabricant ». Simple chose à la disposition de l’homme, stable, fixe, aux lois éternelles. Dieu a crée la Terre à l’usage des hommes. Il s’agit d’en devenir « maître et possesseur » (Descartes). Nous retrouvons plus tard la même conception de la nature chez Kant, construite cette fois par les catégories du sujet. La  définition qu’il donne de la nature est à ce titre exemplaire : « l’ensemble des choses qui obéissent à des lois physiques et mathématiques universelles et nécessaires ». La nature est entièrement soluble dans l’entreprise de mathématisation et la régularité mécanique des lois naturelles d’enchaînement des phénomènes. La natura naturans, plus ou moins menaçante et ne se préoccupant pas de l’homme va en quelque sorte être « récupérée » par lui sous l’espèce d’une nature natura. Celle-ci est l’oeuvre de la connaissance et de son appropriation du réel (nous trouvons chez Levinas cette idée que toute connaissance en tant que rationnelle est une sorte d’amputation qui consiste à nier l’autre au profit du même grâce au concept).

Le projet de la modernité par rapport à la nature semble exempt de tout finalisme … Descartes est le premier à critiquer le finalisme aristotélicien, mais surtout Spinoza dans son « Ethique » va échafauder une critique radicale du finalisme qui revient à considérer « toutes les choses étant dans la nature comme des fins à son usage ». Kant utilise à ce sujet un argument qui va retourner la critique spinoziste, et montrer par la-même toutes les limites de cet antifinalisme : Certes il n’y a pas de fins dans la nature (mais seulement chez l’homme en tant qu’être moral), mais nous avons besoin de faire comme s’il y en avait, pour des raisons surtout morales ; en effet, la finalité est une manière d’accorder l’homme et la nature dont il est séparé. Il reconduit ainsi, mais cette fois-ci en la justifiant, l’illusion finaliste dénoncée par Spinoza. C’est bien parce que la nature n’est faite pour aucun usage que l’homme peut en user comme il veut. La justification de l’instrumentalisation de la nature à des fins humaines est ici manifeste.

Mais affirme un anthropocentrisme conquérant…

Cela présuppose bien entendu une extériorité radicale de l’homme. Kant distingue ainsi l’ordre de la nécessité naturelle de l’ordre de la liberté propre à l’homme. Cette conception de l’homme « empire dans un empire », capable de s’arracher de ses déterminations naturelles et d’exercer sa domination, critiquée par Spinoza, sera cependant très dominante. Pour illustrer ce paradigme de l’homme prométhéen, citons le philosophe Francis Bacon (fin XVIème siècle, début XVII) qui affirme : « L’empire de l’homme sur les choses n’a d’autre base que les arts et les sciences, car on ne peut commander à la nature qu’en lui obéissant ». « Etendre l’empire et la puissance du genre humain tout entier sur l’immensité des choses », telle est sa profession de foi.

L’extériorité de l’homme

La modernité institue la rupture ontologique de l’ordre humain par rapport à la nature. Il est dans l’essence de l’humain de pouvoir en quelque sorte en sortir, de s’arracher à ses déterminations naturelles, et faire ainsi « deux » avec elle. Cette acte de liberté au départ de cette arrachement, c’est précisément le trait absolument distinctif qui fonde le statut de l’humain (cf. « Qu’est-ce que l’homme ? », Luc Ferry). Le penseur type de cette altérité est bien sûr Kant : l’enracinement dans la vie relèverait ainsi d’un naturalisme qui interdirait l’humanisme : c’est en tant qu’être moral (la capacité à distinguer le bien du mal, et à faire des choix en conséquence), que l’homme peut s’arracher à la dimension corporelle du sentir. Préserver sa vie, maintenir les conditions de vie de l’humanité sur Terre peuvent être bien sûr des obligations indirectes, mais en tant que tel on  préserve son animalité et non son humanité. La distinction est radicale entre l’humanité comme espèce biologique et l’humanité comme moralité. Citons ici la critique de Merleau-Ponty qui nous paraît des plus pertinentes : l’homme n’est pas un animal auquel s’ajouterait une raison. Nous sommes « une autre corporéité » dans laquelle notre raison est présente. Il n’y a pas coupure, mais continuité corporelle : « La vie comme histoire est enveloppante par rapport à notre pensée. Nous sommes en elle. ».

La grande exception à ce modèle humaniste (au sens de « l’humanisme théorique » que lui a donné Althusser) et anthropocentré est la conception de l’homme comme élément de la nature développée dans l’Ethique de Spinoza.

Comme nous l’avons noté, avec l’avènement des sciences sociales, c’est l’irréductibilité de la culture par rapport à la nature qui va prendre le relai de cette conception d’une nature humaine raisonnable et libre (avec des différences selon que les philosophies sont essentialistes ou existentialistes) pour réactiver cette dualité entre l’homme et la nature (qui devient dualité nature/culture)

 

G) Et aujourd’hui ? Position du problème

Notre conception moderne des rapports entre l’homme et son environnement semble chaque jour un peu plus ébranlé… . L’ère de la révolution industrielle et de la croissance économique vertigineuse du dernier siècle ne peut pas ne pas être rattachée à cette idée cartésienne de « l’homme maître et possesseur de la nature ». A partir d’un point de vue très anthropocentrée, la nature est avant tout affaire de conquête, de domination, d’exploitation. Cette vision instrumentale de la nature ne prend son sens et sa valeur que relativement à la vie humaine, aux services qu’elle peut lui rendre, ou aux problèmes qu’elle peut lui causer. Mais n’oublie-t-on pas, dans cette représentation prométhéenne d’un homme « hors nature » (Luc Ferry) ou « surnaturel » (Edgar Morin), l’existence de limites naturelles inhérentes à notre « maison » ou « habitat » (« oïkos » en grec) ? Cette séparation entre ces deux « ordres », solidaire d’une représentation de la nature comme natura naturata (opposé à natura naturans, ce qui est vivant dans la nature, et donc susceptible de devenir et de dégradation), c'est-à-dire gigantesque Meccano, objet physique éternel non susceptible de dégradation, a longtemps conduit à penser l’économie et la politique comme appartenant au seul régime de la culture, et facilité l’oubli de la fragilité et de la limitation des ressources naturelles. La rationalité économique se développe alors en dehors de toute considération éco-logique. Le libéralisme, mais au-delà tout le mouvement de l’économie elle-même, se rattache à cette représentation du monde. A partir de  Heidegger notamment, un grand courant de contestation radicale va

dénonçer « l’arraisonnement » de la nature et l’attitude de prédation de l’homme dans ses rapports avec elle. Heidegger est le premier grand philosophe à dénoncer la technique moderne comme manière d’arracher de l’énergie et du profit à la nature ; d’autres après lui, en particulier dans le prolongement du rapport alarmiste du club de Rome (1972), prolongeront sa réflexion : Hans Jonas (son élève), Ivan Illich, André Gorz, l’économiste allemand F. Schumacher. Les pensées contemporaines de la Décroissance (en France, Serge Destouche) et de la « Deep Ecology » (surtout représentées dans le monde anglo-saxon) s’inscrivent dans un tel héritage. Elles sont parfois associées à une revendication esthétique d’une proximité de la nature, d’un rejet radical de l’industrialisation, du refus d’une science qui conduirait à l’oubli de l’être (inspiré directement de Heidegger), faisant ainsi écho aux pensées romantiques, mais aussi (ce n’est pas contradictoire) aux pensées les plus traditionnalistes. Il est instructif de remarquer que ces deux représentations antagonistes des rapports entre l’homme et la nature ont ceci en commun de penser ces rapports sur un mode dualiste. Cette alternative se retrouve dans les débats  autour de l’écologie, où l’on voit traditionnellement les « naturalistes » s’opposer aux humanistes, un peu comme s’il s’agissait de choisir entre nature et culture. Les « humanistes » n’envisagent la prise en compte des problèmes d’environnement que du point de vue anthropocentrique (peut-être vaudrait-il mieux dire aujourd’hui « socio-centré »), et considèrent toujours que, fondamentalement, la puissance technicienne parviendra à les résoudre, continuateurs de la  croyance maintenue au progrès tel que les Lumières en ont promu l’idée. Sans nier les effets pervers de l’exploitation de la nature, ils font confiance aux développements des sciences et des techniques pour trouver les remèdes. Dans une certaine mesure, le discours d’un certain écologisme dénonçant cette vision relève lui aussi d’une opposition entre l’homme et la nature : il critique l’extériorité de l’homme et plaide pour une insertion plus grande, mais ce faisant suppose la réalité d’une telle extériorité. En ce sens, il reconduit une approche qui relève toujours de la modernité, même s’il en inverse les signes. Les soubassements philosophiques de tous les mouvements radicaux reconduisent l’opposition homme/nature, qui est cette fois-ci diabolisée et rendue coupable de tous les pêchés passés et de toutes les malédictions futures. Dans les mouvements les plus extrêmes, les thèmes de « la souillure » ou de « l’outrage » d’une nature originairement vierge et intacte (les connotations religieuses sont bien présentes…) sont récurrents. La nature a ici une valeur en elle-même ; elle est elle-même sa propre fin, en dehors de toute référence anthropologique. Il faut donc remplacer « l’anthropocentré » par « le biocentré », subordonner l’homme au destin de la Nature, pour retrouver une harmonie désormais perdue. L’homme doit abandonner son arrogance passée pour désormais se ranger sous la dépendance des fins assignées à la nature en elle-même. Car dans cette perspective, certains (Rolston par exemple) vont faire appel à la morale kantienne appliquée à tous les êtres vivants : chaque organisme est « une fin en soi », donc susceptible d’une valeur morale intrinsèque. Nous voyons bien qu’une telle pensée est en quelque sorte le symétrique ou l’envers de la précédente, se situe dans une position de contre-dépendance vis-à-vis d’elle, et peut donc être considérée comme relevant du même paradigme, celui de la modernité.

Question posée : est-il possible de dépasser de telles alternatives ? Comment penser un rapport qui ne soit pas d’extériorité, et qui ne relève pas non plus d’un finalisme de ce nouveau dieu que serait la nature ?

 

H) Etre de nature ? Etre de culture ?

S’il est vrai que l’avènement des sciences sociales relaie à leur manière ce « grand partage » entre l’homme et la nature, il est nécessaire de s’y arrêter un instant : il est en effet impossible d’envisager les rapports de l’homme avec la nature sans penser en même temps qu’il est un être de culture. Cette question des rapports de la nature et de la culture ne va pas cesser de hanter les penseurs des sciences sociales.

 

Une nature introuvable ? Une culture qui « fait des phrases » avec la nature …

J.J Rousseau, qui a abordé cette question dans son second Discours, est considéré par Levi Strauss a juste titre comme un fondateur ; mais nous savons que l’état sauvage de l’homme à l’état de nature, la relation qu’il entretient avec une nature vierge, trouvant un équilibre qui, de l’aveu même de Rousseau, n’aurait jamais dû être perturbé, est irrémédiablement une fiction commode mais sans validité empirique : nous n’aurons jamais accès à cette version originale de la nature. Car la culture, qui nous distingue de tous les autres êtres vivants, se charge de « faire des phrases » (Françoise Héritier) avec la nature : nous ne pouvons qu’être en présence de formes culturelles et construites de rapports de l’homme avec la nature. Mais cela ne signifie pas nécessairement que nous sommes « hors nature », que notre monde humain échapperait à cette appartenance naturelle. Contrairement à ce que pensait Rousseau, il ns semble pas y avoir une telle rupture entre la nature et les sociétés humaines (sa thèse : c’est en sortant de la nature que l’homme entre dans un état social de plus en plus corrompu. La motivation de Rousseau est de pouvoir légitimer sa critique de la société en délégitimant celle-ci comme abus, corruption, et artifice par rapport à un idéal qui représenterait la nature de l’homme. La rupture entre nature et société est radicale).

 

Penser le passage nature-culture ?

Pourtant, un courant dominant des sciences sociales, après Levi-Strauss, et en convergence avec ceux qui soutiennent la thèse de l’exception humaine, privilégie l’altérité des deux ordres naturel et culturel, et refuse de penser l’articulation ou le passage de l’un à l’autre. Cette rupture entre les deux ordres est considérée comme principielle, constitutive d’une altérité ontologique. Pour les autres, qui s’inscrivent plutôt dans une perspective darwinienne, il y a certes une discontinuité du fait humain et social, mais aussi une appartenance humaine au processus de l’évolution naturelle. Ils sont alors soucieux de penser le passage ou l’articulation, dans le registre de la continuité/discontinuité.

Rappelons très sommairement quelques unes de ces explications :

En réalité, il s’agit de montrer comment le phénomène humain a pu se dégager des processus naturels de l’évolution, grâce à des évolutions autonomes qui ne se réduisent pas  à de simples lois ou mécanismes biologiques. Ce sont généralement des arguments proches des théories de la complexité qui expliquent l’émergence de propriétés nouvelles à partir d’éléments dont la simple combinaison ne permet pas de rendre compte

Le « décalage humain » (thèse qui semble être en consonance avec la « théorie du chaos ») : Gilles-Escuret, après Leroi-Gouran, explique qu’il peut suffire d’une petit « décalage humain »au départ pour rendre compte du grand écart constaté au terme  du processus de l’évolution. Pour Leroi-Gouran, l’homme va placer hors de lui-même, dans l’espace potentiellement commun à tous les autres, les outils, condition d’une mémoire technique qui devient collective. Gilles-Escuret ajoute le langage commun qui ainsi projeté dans cet espace collectif, va démultiplier les ressources de cette mémoire, source de la transmission indispensable à l’émergence du fait social. Cette mémoire collective va libérer la technique de l’instinct et de la seule imitation des gestes, et ouvrir le champ de la culture, c’est-à-dire des traditions et des représentations collectives.

L’ « effet réversif ». Patrick Tort, philosophe et spécialiste de Darwin, développe ainsi le concept d’effet réversif : la culture est un effet de la nature et donc de l’évolution, mais en un sens paradoxal ;  la sélection naturelle sélectionne la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. « La culture est bien un produit de la nature (envisagée évolutivement), mais qui nie la nature dans ses formes de fonctionnement antérieures ; elle est une anti-nature produite par la nature elle-même… ». L’homme n’est pas un être « hors-nature », mais un être naturel transformé ou « dénaturé ». La rupture ainsi introduite n’est pas transcendante et ne renvoie pas à un dualisme métaphysique. « La dualité ainsi produite est une production immanente de l’un des deux termes par l’autre, et dans un équilibre lui-même mouvant… »  (Yvon Quiniou).Comme le dit André Comte-Sponville, un être culturel, c’est un « être naturel transformé, c’est donc un être naturel, et qui le demeure. ».

Une pensée « en conjonction » (Edgar Morin) : pour lui, ce sont les cloisonnements disciplinaires qui sont responsables de telles pensées disjonctives paraissant infranchissables. La rupture défendue parfois entre l’homme et la nature laisserait entendre que l’homme n’est plus qu’esprit et culture (mais s’il est naturel, alors on en fait un chimpanzé), et que « l’homo sapiens surgirait comme Minerve de la cuisse de Jupiter avec la raison, le langage, et la technique prêts à fonctionner ! ». Il faut au contraire reconstituer le roman de l’hominisation, et c’est la tâche qu’il se propose de réaliser dans L’Identité Humaine (volume IV de sa Méthode). Sans bien sûr entrer dans cette méthode, il s’agit de rendre compte de la réalité humaine dans toutes ses dimensions (biologique, sociale et individuelle), à partir du paradigme de la complexité et de ses différentes « clés » (causalité circulaire, principe dialogique, principe hologrammatique, principe de récursion, postulat de l’émergence).

 

J) Une nature de part en part « anthropisée »

De fait nous sommes d’emblée confrontés à un ensemble complexe où la nature et les œuvres humaines (y compris l’homme lui-même) ne sont pas séparées. Nous ne pouvons penser et percevoir qu’une nature humanisée,  à partir des rapports sociaux (pour utiliser un concept marxiste) que nous avons construits. Une nature par conséquent déjà construite, que nous ne pouvons percevoir que depuis la société, dans un rapport qui ne peut être qu’un rapport social et culturel.

Une manifestation concrète de ce rapport social à la nature est le phénomène de la « techno-sphère » ou « techno-nature ». Elle est faite de tous les objets, instruments, véhicules, bâtiments, cités,  mais aussi de champs et de forêts que nous plions à notre volonté…D’infrastructures aussi, éléments constitutifs de paysages entièrement « anthropisés ». La maîtrise du laboratoire chère aux premiers travaux scientifiques s’est maintenant étendue à l’ensemble de la planète… Si bien qu’il est légitime de se demander, comme le fait Tintin dans la Lune (Hergé), s’il y a encore un lieu où « la main de l’homme n’a jamais mis les pieds ». Les systèmes écologiques de la planète sont tous anthropisés, c’est-à-dire qu’ils intègrent désormais l’intervention humaine, non pas comme un élément étranger, mais comme faisant partie intégrante de l’écosystème.

 

« La nature n’existe pas » ?

Pour certains, cette « anthropisation » massive doit nous conduire à proclamer haut et fort la victoire de l’artificialité (François Dagognet : « Considérations sur l’idée de nature »). Nous sommes dans le monde de l’artifice, et nous n’avons plus besoin du concept de nature pour penser la crise environnementale. Selon lui, il s’agit d’une notion « molle et dangereuse » et « sans vrai contenu », qui peut seulement être utilisée comme croyance (fausse) pour contrecarrer l’emballement de l’industrie sous la logique du profit. La nature n’existe pas, car elle est socialement construite : « Cesse le possible recours à la notion séculaire de nature. Il faut la congédier, son temps est fini. Adieu à Pan ! ». C’est finalement l’issue logique du discours de la modernité tardive qui finit par considérer que l’homme, être d’anti-nature, est parvenu à s’arracher définitivement à la nature en la transformant grâce à son travail (de ce point de vue bien sûr, le marxisme s’inscrit de plein pied dans ce mouvement. Selon Jonas, il est l’expression la plus achevée de l’utopie technicienne, avec ses notions de développement illimité des forces productives, de société d’abondance…etc.)). Il est cependant facile d’objecter à l’argument que si la nature vierge est en effet devenue un mythe, cela  ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de nature. Pour une raison simple : pour qu’il ait construction, il faut bien qu’il y ait aussi matière à construction, ou plus exactement matière première... Par ailleurs, le « fait social », même s’il est irréductible à tout autre –c’est le présupposé méthodologique posé par Durkheim pour fonder la raison d’être de la sociologie -, n’interrompt ni les processus naturels nécessaires à la vie, ni ceux que mobilise la technique : elle se doit pour être efficace d’utiliser des processus naturels. Comme le disait si bien Bacon, elle ne peut être dominatrice par rapport à la nature qu’en s’y soumettant.

 

Que penser alors de la techno-sphère qui s’étend à toute la terre et dont nous dépendons ? Il y a artificialisation de la nature et naturalisation de nos artifices : nous ne pouvons distinguer, dans tout ce qui nous entoure, ce qui relève du naturel et ce qui relève de l’artificiel. En outre, un nouvel objet technique, devient de facto un nouvel objet de la nature : c’est le cas par exemple du devenir d’une poêle à frire au fond du jardin que la nature va finir par reprendre. Les objets dont nous n’avons plus la maintenance finissent par « échouer » dans la nature pour en devenir des éléments. Déchets, détritus, épaves, gaz d’échappement des voitures, nitrates en excédent pesticides, fumées d’usines, sel répandu sur les routes…etc. tous ces produits ont un avenir naturel que nous ne maîtrisons pas. Finalement, ces objets que nous pouvons qualifier d’hybrides sont partout. C’est aussi ce qu’affirme Bruno Latour dans « L’empire du milieu » : les objets sont à la fois naturels et sociaux. Beaucoup sont au cœur de la crise environnementale : le trou dans la couche d’ozone, l’effet de serre, les pollutions de toutes sortes, sont des objets naturels, parce que réglés par des processus que nous ne maîtrisons pas, et artificiels (a cause du résultat de notre action sur le milieu). Lui aussi nous invite à abandonner le concept de nature, et à nous intéresser aux interactions entre les vivants, et entre les vivants et les non-vivants (les objets), pour veiller à la co-existence pacifique des humains, des non-humains, et des choses, plutôt que de défendre une « nature verte et bucolique  aux gens des villes récalcitrants ».

 

I)                   Vers une autre conception de la nature …

 

1) Il est difficile de continuer à concevoir l’extériorité de l’homme et de la nature : les hommes, leurs aptitudes, les sociétés et leurs activités, l’humanité elle-même sont en continuité avec la nature. L’histoire humaine n’est-elle pas dans le prolongement de la nature et de sa propre histoire ? Dire que l’homme est un animal » dénaturalisé » ne signifie pas qu’il n’est pas un être naturel, au contraire… Pour être « dénaturalisé », il faut bien être issu de la nature. Nulle séparation ontologique, donc, entre les deux. En même temps, il est important de reconnaître la portée du « décalage humain » (d’autres formulations peuvent aussi être retenues…).

2) La nature apparaît d’autant moins extérieure qu’elle comprend nos ouvrages techniques au titre d’objets hybrides d’une part, et d’autre part à cause du devenir naturel de tous les produits que l’on rejette. La nature « associe nos œuvres » à l’infinie variété des organismes qui co-habitent avec nous. La contemplation d’un paysage, surtout dans nos vieilles contrées rurales – qu’il s’agisse du bassin de la méditerranée, de la vieille Europe, ou de l’extrême orient – suffit à comprendre à quel point la nature est anthropisée.

3) La nature a une histoire intégrant la présence humaine. Contrairement à ce que nous laissait croire les premières théories écologiques, elle n’est pas un système harmonieux et en équilibre que l’intervention humaine déséquilibrerait. L’histoire de l’humanité elle-même est issue de l’histoire de la nature, et si cette dernière possède des mécanismes auto-régulateurs, elle est régulièrement soumise à des processus « chaotiques » et des perturbations déterminées mais imprédictibles, dans lesquels l’action humaine prend sa place, souvent comme facteur négatif, parfois dans un sens positif.

4) Ce dernier point fait référence à de nouveaux modèles écologiques (au sens de la science écologique) dont les caractéristiques se résumeraient ainsi (en simplifiant au maximum…) :

- La nature est une hiérarchie de systèmes constituée de niveaux d’organisation ayant chacun, au niveau qui leur est propre, des propriétés émergentes qui introduisent de la discontinuité dans la continuité.

- La nature comme naturans, c’est avant tout la diversité des formes de vie, d’où l’intérêt d’une part de les inventorier et de les comprendre (nous sommes très loin du compte pour l’un comme pour l’autre…), et d’autre part de s’efforcer de la préserver (alors que nous vivons une période d’extinction sans précédent des espèces, en partie due à l’activité humaine), car « La diversité est la base de l’adaptabilité des être vivants et peut-être des systèmes écologiques et de la biosphère toute entière, face aux changements qui peuvent affecter leur environnement ».

- Enfin, l’écosphère (système complexe des interactions entre la biosphère et la géosphère) est unique dans notre système solaire et susceptible de se voir perturber par l’expansion de notre techno-nature. L’équilibre actuel qui caractérise son fonctionnement peut être modifié par l’ensemble des activités humaines.

Pour conclure ce point, il est important de remarquer que l’ancienne écologie dite « écosystémique » avait tendance à reproduire le geste d’exclusion de l’homme en le percevant comme un être d’anti-nature qui bouleverse et détruit des équilibres qui sont pensés dans ce modèle comme inhérents à tout écosystème, considéré comme stable. En ce sens, un tel modèle était en quelque sorte moderne, puisqu’il reproduisait la dualité homme/nature. Or nous savons aujourd’hui que le déséquilibre est la règle et que tout système de cette nature est en perpétuel changement, soumis à des phénomènes de perturbations naturels ou humains, l’équilibre idéal et fixe étant un mythe. L’histoire contemporaine des systèmes écologiques (puisqu’ils ont avant tout une histoire !) associe désormais les deux sortes de perturbations (naturelles et anthropogènes). Chez un écologue comme Blaudin, on trouve par exemple la notion de « fait socio-naturel ».

 

5) La fausse idée d’une nature qui nous serait extérieure et qui serait à protéger

Les très nombreuses actions menées depuis le XIXème siècle en faveur de la protection des espèces et du territoire (comme par exemple les réserves naturelles) montrent qu’il s’agit de prendre soin d’une nature qui n’est pas extérieure à l’homme mais qui portent les marques des activités productives qui se sont succédées. La prospérité de certaines espèces animales dépend aujourd’hui d’une structure paysagère qui a été produites par les pratiques agricoles et sylvicoles. Bien loin de « laisser faire la nature », il faut parfois intervenir pour entraver le développement de « successions biocénotiques » (En écologie, une biocénose  est l'ensemble des êtres vivants coexistant dans un espace défini (le biotope). L'étude des biocénoses est faite par les écologues). Par exemple, l’évolution naturelle d’une tourbière est de cesser dans être une ; c’est l’extraction de la tourbe elle-même qui permet son maintien. Protéger la nature, c’est souvent maintenir des activités, éviter que des milieux « se ferment » par boisement spontané (entraînant une moindre richesse de la faune et de la flore), restaurer des milieux à grand renfort d’artifices (contrats passés avec des agriculteurs, réglementations, introduction de « brouteurs », replantation de vignes, restauration de zones humides favorables à l’avifaune à grand renfort de bulldozer –ex des Landes -, organisation d’espaces protégés relevant du pur artifice…etc.). Lorsqu’on rémunère des agriculteurs pour maintenir des pratiques favorables à la protection de la nature et la qualité des eaux (directive « Habitats » de la CEE), nous sommes très loin de la protection d’une nature sauvage et extérieure… La protection des paysages est aussi très significative à ce sujet : le paysage résulte de l’interaction entre des processus naturels et des activités humaines. Sur un arrière-plan naturel, les sociétés humaines façonnent leurs territoires : les modes d’occupation des sols, les différents systèmes de mise en valeur vont modifier la disposition des habitats et des infrastructures, la répartition des agro-systèmes, la physionomie des forêts. En l’absence de mise en valeur, la nature reprendrait le dessus, mais pas de façon nécessairement profitable pour l’homme. Il est indispensable par conséquent d’abandonner la conception moderne (séparation de l’homme et de la nature) et d’assumer le caractère hybride des milieux, de penser l’insertion de l’homme dans la nature dans une perspective d’évolution permanente où la nature n’est pas une identité fixe et immuable. Ce que nous sommes capables de faire pour des espaces particuliers à protéger – comme s’ils devaient être distingués d’autres espaces destinés aux activités normales – doit être généralisé à tout espace. C’est la raison pour laquelle la notion de protection des paysages est particulièrement pertinente (puisque cette frontière disparaît alors).

 

6) L’éthique de l’objectivité et le « Contrat Naturel » (Michel Serres)

Michel Serres entend par « contrat naturel » celui qui lie entre eux les scientifiques autour de l’éthique de la production de la vérité. Entre la dictature du vrai (d’essence platonicienne), et la quasi-disparition de l’objet même (la nature) – que l’on pourrait appeler ici le socio-centrisme - derrière les idéologies et les enjeux de pouvoir ou conflits d’intérêts, les scientifiques doivent jouer un rôle déterminant sur l’inscription dans le débat public des certitudes, mais aussi des hypothèses et des nombreuses controverses autour de questions d’une grande complexité et qui ne permettent pas d’élaborer des scénarios dans la certitude.  Le noyau rationnel de ce contrat se trouve dans les rapports que les hommes entretiennent entre eux pour être porte-parole de la nature. Il incombe aux scientifiques de faire ainsi témoigner « en personne » les choses, et de les porter sur la place publique, pour une juste appréciation des risques. Nulle finalité transcendante ne doit présider à ces liens que les hommes doivent désormais entretenir avec la nature : mais ils sont seulement ceux du langage de la science, celui « où la Terre nous parle en termes de forces, de liens et d’interactions, et cela suffit à faire un contrat ». Celui qui nous lie indissolublement à la nature, au nom de cette conjonction de phénomènes, certes définalisée (au sens de l’ « architecture d’atomes » et de « leurs mouvements appropriés » présents dans la conception de la nature chez Lucrèce), dans laquelle nous sommes insérés. Le naturalisme épicurien, nous l’avons déjà noté, échappe aux deux critiques du finalisme et de l’anthropocentrisme, et permet de dépasser la dualité moderne (il faudrait montrer que le modèle spinoziste relève de la même orientation).

 

7) Patrimoine commun et transmission

Les notions de bien commun et de patrimoine ont l’intérêt de poser la nécessité de garantir l’accès à tous les « ayant droit » à un patrimoine commun que chaque génération doit s’efforcer de transmettre. Il s’agit d’une instance « holiste » et collective, d’essence anti-individualiste au sens où elle surplombe les individus. La transmission étant plutôt solidaire d’une société de la tradition où chaque génération hérite du devoir de maintenir le patrimoine dans l’état où il doit le trouver. Cet enchaînement générationnel est en principe mis en cause par l’affirmation individualiste. Rousseau ne disait-il pas « qu’une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures » ? Mais lorsque les spécialistes de l’environnement parlent de transmission, il s’agit d’une liberté et non d’une contrainte pour les générations futures : préserver la liberté de choix en préservant un patrimoine à des usages non prévisibles.

 

8) Anthropocentrisme et éco-centrisme : pas d’opposition irréductible

L’alerte écologique elle-même ne peut que renvoyer à un anthropocentrisme élargi, au nom de la survie de l’humanité. Anticiper pour les générations futures et se préoccuper de leur sort est après tout un objectif anthropocentrique. Mais pour pouvoir le faire, il faut préalablement se situer dans son environnement, et commencer par « penser comme une montagne » (Aldo Léopold, forestier et environnementaliste américain de la première moitié du XXème siècle, éternel chasseur et pêcheur, un des pères fondateurs de l’écologie, dont la pensée est aujourd’hui reprise par un courant très significatif de l’écologie contemporaine). Ce décentrement, cette « éco-centration » permet aussi d’éviter « l’heuristique de la peur » chère à Hans Jonas pour qui seul le spectre d’un « scénario du malheur » peut donner une chance de « ressaisissement » de la part de l’humanité. Plutôt que ce « pathos abstrait » se réfugiant dans le catastrophisme plutôt que de se confronter concrètement à notre réalité commune des liens qui nous unissent à notre environnement, il s’agit d’articuler notre action technique dans le monde avec notre action éthique. Notre action technique, qui consiste à convertir plus de savoir – c’est-à-dire la connaissance que nous avons du monde - en plus de pouvoir, s’autorégule toute seule dans le cadre d’un processus illimité où tout problème né de la technique doit trouver une réponse technique : nous avançons tout droit. Agir éthiquement consiste au contraire à régler notre conduite à l’aide de la connaissance que nous avons de notre monde (et notamment de notre connaissance écologique) ; il s’agit d’une attitude prudente (au sens aristotélicien) : le chemin s’ouvre au fur et à mesure que nous avançons, nous sommes amenés à faire attention où nous mettons les pieds, et de choisir des trajets non prévus au départ. Ces deux attitudes doivent être articulées. Nous devons passer de l’arrachement d’un sujet libre face à une nature mécanique, à l’attachement, et ceci dans un double sens : nous sommes de la nature, et nous éprouvons un sentiment d’attachement à la nature, ce qui signifie que « nous y  tenons », nous en avons souci. C’est une double appartenance qu’il s’agit ici d’affirmer : l’être agissant appartient au milieu sur lequel il agit et qu’il fait sien. Cette relation, même si elle n’a pas été reconnue pendant la période moderne, a toujours existé. Mais il faut aujourd’hui l’actualiser, revendiquer cette parenté des espèces vivantes, cette appartenance à l’environnement ; mais aussi informer par les connaissances appropriées ce qui n’est d’abord qu’un sentiment. C’est ainsi que Baird Callicott (philosophe américain contemporain spécialisé sur les questions d’éthique de l’environnement) explique l’éthique de Léopold.

 

Penser l’homme comme étant dans la nature et de la nature. Dépassement de la dualité.

 

Arrêtons-nous un instant sur nos premières définitions : si la nature est « tout ce qui existe », et si nous faisons l’économie de ce « principe organisateur » fortement teinté de finalisme, il devient évident que l’homme mais aussi toutes ses activités et toutes ses œuvres, sont de et dans la nature. Philippe Descolat, anthropologue, soutient une idée voisine (« Par delà nature et culture ») : l’ontologie occidentale a introduit cette rupture entre nature et culture qu’il s’agirait maintenant de relativiser, pour concevoir, sur un autre mode que ceux de la domination et de l’exploitation, l’interdépendance entre les humains et les non-humains, et intégrer en quelque sorte dans une même pensée anthropocentrisme et écocentrisme. Nous ne pouvons plus penser la nature comme « dehors de l’humanité ». Cette crise écologique historique est peut-être l’occasion d’une nouvelle pensée de l’avenir de l’humanité dans le cadre élargi de ses interactions et de sa coexistence pacifique entre humains, vivants, et non vivants.

1) Chaque entité vivante a-t-elle une « valeur intrinsèque » ? Nous avons déjà rencontré cette question. C’est en effet Rolston qui prétend étendre la morale kantienne à toute forme de vie, chaque entité étant un « centre téléonomique » ou « fin en soi » en tant qu’elle vise à se maintenir en vie. Il serait d’ailleurs plus pertinent de considérer l’ensemble de l’éco-système en tant que tout plutôt que chacune des unités prises isolément… Quoiqu’il en soit, il est ici important de rappeler qu’il n’y a pas de valeurs sans évaluateur, et que la valeur qui est attribuée provient de l’homme en tant que celui-ci éprouve un sentiment d’appartenance ou de parenté avec l’ensemble des êtres de la nature. Le désaccord qui peut séparer les partisans et les détracteurs d’une écologie « éco-centrée » est ainsi surmonté : le refus d’attribuer une valeur objective et absolue aux êtres vivants (et non vivants ?) au nom d’un finalisme naturel, ou de considérer que le bien est du côté de la nature, est tout à fait conciliable avec la reconnaissance d’une valeur subjective accordée aux éléments de la nature en vertu de notre appartenance commune. La nature n’est ni « bonne » ni « mauvaise », « elle n’a ni conscience, ni morale, ne se souci ni de nous, ni d’écologie » (cf. Sponville, conférence Sortie Ouest), n’est surtout pas Dieu et ne doit pas être considérée comme un être personnel ou panthéiste à qui nous pourrions assigner des fins ultimes. Nous ne devons ni déifier, ni adorer, ni haïr la nature, et la transformation de la nature par l’homme n’est pas un mal en soi, et même parfois un grand bien. Cependant notre sort est organiquement lié au sien, est la reconnaissance de cette parenté, qui peut être le point de départ d’une nouvelle éthique de rapprochement avec la nature (et peut-être aussi d’une nouvelle esthétique), peut à bon droit être considérée comme la manifestation d’une « politique de civilisation », pour reprendre la formule de E.Morin, digne du plus grand intérêt sur un plan anthropologique. Pour reprendre une notion stoïcienne, l’oïkopoiésis s’oppose à l’autopoiésis, caractéristique du paradigme industriel moderne signifiant la capacité à construire son propre monde (en dehors de la nature). Oïkopoiésis : action de s’approprier, de se concilier, de se rendre familier. L’homme peut vivre son rapport avec la nature sur ce mode de l’appropriation de soi comme faisant partie de l’univers. Nous pouvons alors rapprocher cette question de l’attribution de valeur à notre environnement à ce qu’affirme Spinoza concernant l’origine de la valeur : nous ne désirons pas une chose parce qu’elle est bonne. Elle est bonne parce que nous la désirons.

 

 

2) Un nouveau naturalisme

Il n’y a pas plus d’harmonie dans la nature que dans les sociétés humaines, mais inversement les perturbations anthropogènes ne sont pas nécessairement dommageables. Mais nous n’avons pas la maîtrise ni sur la nature, ni sur la techno-nature que nous sommes en train de produire : objets, produits, forces, fluides… Cette perte de maintenance est préoccupante. D’autre part, nos connaissances sur l’immensité du champ concerné par notre environnement à la fois naturel et social sont encore très insuffisantes pour que nous puissions évaluer l’impact à plus ou moins long terme de nos initiatives. Habiter une nature dont nous faisons partie, et qui comprend nos œuvres, en faire une demeure qui soit viable et vivable, essayer de s’y comporter le moins stupidement possible, tel est la tâche qui est la nôtre. Au lieu de centrer cette parenté sur une humanité séparée de la nature par son rapport à Dieu (nous avons tendance à sous-estimer l’influence du christianisme dans la modernité…), nous renouons avec l’ancien naturalisme en tant que nous élargissons cette parenté à l’ensemble des espèces. Naturalisme qui ne se veut plus anthropocentrique et finaliste comme chez Aristote, Platon, ou les stoïciens, beaucoup plus proche en revanche du naturalisme d’Epicure et de Lucrèce. Naturalisme élargi qui s’étend également à l’ensemble des cultures et des productions humaines. Nous retrouvons également à travers cette nouvelle éthique l’idée du « bon usage » de la nature, depuis longtemps préconisée (par exemple Colbert et sa politique d’exploitation des forêts…). Nul besoin de dramatisation des rapports entre l’homme et la nature, de grand récit prométhéen à la gloire de l’industrie humaine, de recours au grand mythe du Paradis Perdu. Quoiqu’en disent les représentations de la modernité qui ont voulu longtemps nous faire croire à  la séparation de l’homme et de la nature, nous n’avons jamais cessé d’en faire partie. Mais il s’agit de profiter de ce nouveau contexte historique de crise environnementale, pour cette fois-ci affirmer une valorisation consciente et assumée de notre appartenance à la communauté écologique.

 

Daniel Mercier, le 02/11/2012