"Peut-on concilier particularismes et universalisme républicain ?"

 

café philo à la Médiathèque de Maureilhan

le samedi 12 novembre 2016 à 17H45 

Dans le cadre de la Quinzaine Culturelle de la Municipalité consacrée à la Laïcité

 
 

Le sujet :  « Peut-on concilier particularismes et universalime républicain  ? »

 
 
 

Présentation du sujet

 

« L’universalisme républicain est-il conciliable avec les particularismes ? »

 

La grande critique de l’ethnocentrisme occidental et de l’européocentrisme initié par Claude Levi Strauss dans « Race et Histoire » représente un point de non retour par rapport à cette arrogance qui consiste à penser que nous sommes l’universel... L’universalisme républicain, et son enrôlement au côté de la colonisation n’y a certes pas échappé... Cependant, les principes qui le fondent, celui d’une citoyenneté égale de chaque individu indépendamment de ses appartenances en tant qu’ils participent tous à la chose publique, résistent à cette critique relativiste en tant qu’ils sont à vocation universelle. Et pourtant il est vrai que les individus qui existent réellement, ceux de chair et de sang, ne sont pas que des individus politiques abstraits et publics, mais aussi des individus psychologiques concrets et privés...Donc confondus avec leurs appartenances religieuses, ethniques, culturelles, sexuelles...etc. La question de ce soir paraît très théorique mais agite en réalité nombre de débats aujourd’hui (leur médiocrité empêchant malheureusement de mettre en lumière ses véritables enjeux) : comment faire coexister ces deux dimensions qui tirent en sens contraire ?  Par ailleurs, il n’échappe à personne qu’il n’y a que des versions culturelles de l’universalisme : à partir du moment où il s’agit de concrétiser l’universel, celui-ci prend nécessairement la forme particulière de la Nation qui entend le porter, avec le risque de confusion toujours possible entre la revendication universaliste et l’hégémonisme d’une communauté aux dépens d’une autre. Ne peut-on pas considérer alors que la laïcité, s’ajoutant à la trilogie célèbre « égalité, liberté, fraternité », peut jouer ici le rôle de « tiers » permettant précisément l’articulation cohérente de l’universalisme et des particularismes ? Adopter une telle « clé d’entrée » doit nous permettre de revisiter et d’éclairer d’un jour nouveau les problèmes contemporains de la laïcité vis-à-vis de l’apparition de l’Islam sur le territoire national...    

 

Ecrit philo

« L’universalisme républicain est-il conciliable avec les particularismes ? »

 

Inutile de le nier : un des enjeux essentiels d’une telle question porte sur notre « laïcité à la française », la crise qu’elle connaît, l’avenir qui sera le sien. Elle rejoint également en partie la question de la place de l’Islam dans notre République. Elle a été d’ailleurs proposée pour préparer notre débat de la semaine prochaine sur la laïcité. En revanche, il nous paraît souhaitable, plutôt que d’aborder directement le sujet sous cet angle, de prendre le temps d’expliciter et d’approfondir la problématique philosophique implicite qui se cache derrière une telle formulation. Et de commencer par clarifier les deux concepts fondamentaux qui sont convoqués, et dont le premier, celui d’universel, est consubstantiel au principe même de la démarche philosophique occidentale. Cet arrière plan conceptuel et philosophique permet de mieux comprendre comment la laïcité officialisée en 1905 est la réponse à cette tension entre universel et particulier inséparable de la République et de son histoire. Dans un second temps, il s’agit alors d’aborder plus frontalement les problèmes qui se posent aujourd’hui pour faire vivre cette laïcité, avec une conscience cette fois-ci plus acérée des enjeux philosophiques. Nous nous appuierons notamment sur les réflexions de Jean Baubérot, Abdenour Bidar, mais aussi Yves Michaud, Régis Debray, ou Marcel Gauchet.

 

Universalisme, particularismes et laïcité

 

                    Question de définition de concepts...

Au sens faible, est universel « de fait », pour autant que nous avons pu l’observer jusqu’ici, lorsque telle chose se passe toujours ainsi (empiriquement). Au sens fort, celui qu’a conçu la philosophie, nous prétendons avant toute expérience que telle chose doit se passer ainsi. Il ne peut en être autrement parce que c’est nécessaire. Le jugement n’est plus alors simplement extensif, mais impératif : seul ce qui est nécessaire à priori peut être véritablement universel en droit, sinon il est seulement général. Prenons l’exemple de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : dire qu’elle est universelle peut simplement signifier qu’elle s’étend à toute la surface de la Terre : c’est une universalité de fait qui tend d’ailleurs à devenir une réalité avec la mondialisation, au moins comme proposition dont on se réclame (ce qui ne signifie pas, loin de là, qu’elle soit appliquée dans les faits), et quelles que soient par ailleurs les limites de cette mondialisation, ou les griefs que nous pouvons lui  faire. Mais en plus de cette extension maximale, elle implique une prescription universalisable fondée sur une nécessité de principe : il doit en être ainsi, tel est le sens fort de l’universel ici ;  « déclarer » induit déjà une telle légitimité. En ce sens fort, l’universel s’oppose à l’individuel et au particulier. En logique, la proposition particulière s’oppose à la proposition universelle au sens où elle ne concerne que quelques individus d’une classe (ou un seul), contrairement à celle-ci. Elle concerne ainsi ce qui est contingent et ne prétend pas s’instituer en règle universelle. La notion de « particularisme », peut-être légèrement dépréciative par rapport aux simples « particularités » (c’est l’effet en général des « ismes »), désigne ainsi ce qui relève de l’empirie : toute réalité humaine, en tant que son existence est la conséquence de circonstances de temps et de lieu contingents (qui auraient pu ne pas se produire), est particulière. En ce sens, le particularisme ne doit pas seulement désigner la communauté minoritaire, au nom d’une communauté hégémonique qui prétendrait parler le langage de l’universel. Les particularismes sont la dimension de toute expérience humaine incarnée (individuelle ou collective), toutes communautés incluses (ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas du « commun »). Un particularisme sera donc quelque chose qui est propre à un individu ou à un groupe déterminé d’individus (cultures), et qui est contingent du point de vue de l’ensemble de la communauté humaine. On parlera ainsi de particularismes pour désigner des traits ethniques, religieux, culturels, sociaux...etc. particuliers à un groupe humain donné, mais aussi l’ensemble des convictions, des pensées, des perceptions qui ne relèvent pas forcément des appartenances précédentes.

. Quant à l’universalisme[1], il a d’abord désigné les religions, mais aussi les doctrines, qui s’adressait à tous les hommes, et non pas à un peuple particulier (comme par exemple le judaïsme). Mais plus philosophiquement, l’universalisme accorde sur un plan normatif plus d’importance à ce qui peut devenir universel, c’est-à-dire commun aux êtres d’un certain genre (les êtres humains par exemple) qu’à ce qui les sépare ou les divise. En ce sens, le discours humaniste de Abdenour Bidar (pour ceux qui l’ont entendu à Sortie Ouest lors des Chapiteaux du Livre en septembre 2016)[2] est typique de cette tendance universaliste. Enfin nous terminerons en précisant que l’universalisation désigne le processus par lequel nous pouvons passer du particulier à l’universel : par exemple selon Kant la maxime de mon action doit passer le test de l’universalisation (faire en sorte que ma maxime puisse devenir une loi universelle) pour être qualifiée de véritablement morale (première définition de l’impératif catégorique). Le « devoir être » étant constitutif de l’universel, il porte en lui comme une exigence intrinsèque de devoir s’exporter ; toute non reconnaissance à son égard lui paraît une remise en cause intolérable de son bien-fondé. Par exemple l’histoire de l’Europe et l’ère de la colonisation peuvent être analysées à partir d’un tel processus d’imposition de l’universel au nom de son devoir-être.  

                La critique de l’universalisme par les sciences sociales (en particulier le structuralisme de Claude  Lévi Strauss). Intérêt et limites.

L’analyse du préjugé ethnocentriste conduit Lévi Strauss à faire une critique relativiste de ce qui a longtemps été présupposé par la pensée occidentale : un fond commun universel préexisterait à toutes les différences culturelles, chaque culture déclinant à sa façon ces universels fondamentaux. Ces variations culturelles plus ou moins accomplies de l’effectuation de l’universel permettraient ainsi de classer les cultures sur un axe de développement unique représentant ce mouvement de civilisation (au sens axiologique), dont l’extrémité de droite correspondrait bien sûr au degré supérieur, qui serait celui atteint par nos sociétés de la Modernité. Chacune des autres cultures représentant en quelque sorte une étape antérieure de notre propre développement. La République des Droits de l’Homme a dès la Révolution proclamé cette vocation à l’universel, c’est-à-dire cette prétention à être un modèle pour tous les pays de la planète. Nous savons aussi que la diffusion planétaire d’un tel idéal s’est accompagnée de nombreuses violences et de processus d’ « assimilation culturelle », en particulier avec la colonisation. Comme le montre bien Alain Touraine ou François Jullien[3], les idéaux des Lumières et des Droits de l’Homme ont été enrôlés dans une construction et une histoire culturelle très spécifique, se confondant de plus avec un impérialisme économique et culturel sans précédent sur la planète…

Avec Race et Histoire, livre écrit à la demande de l’Unesco qui initie une réflexion sur le racisme (1952), Claude Lévi Strauss va pour la première fois remettre en question cette pensée universaliste occidentale, à la fois d’un point de vue méthodologique et éthique.  

Il a élaboré la thèse relativiste selon laquelle aucun modèle ou idéal culturel ne pouvait être supérieur à d’autres ; nous pouvons la résumer ainsi : refus de la part de l’anthropologue de situer ces cultures les unes par rapport aux autres sur une échelle simple qui correspondrait à une progression, un progrès linéaire de l’humanité. L’ethnologue devra s’efforcer de suspendre les normes morales en usage dans sa culture d’origine. Cette position relativiste a dû s’affirmer contre l’évolutionnisme hérité du XIXème siècle. On analysera ainsi chaque trait distinctif d’une culture dans un cadre structural, en leur accordant le maximum d’organisation systématique. On ne pourra plus dire que les performances de telle société, même considérée comme « primitive », sont inférieures à celles des nôtres, comme les performances de l’enfant seraient inférieures à celles de l’adulte. L’ingéniosité humaine ne s’est pas exercée ici plus que là, mais s’est développée dans des directions différentes. Une culture nous paraît ainsi « inerte » - c’est-à-dire exempte de mutations à l’intérieur d’une certaine séquence temporelle – qu’en fonction d’une position et un système de références particuliers à l’observateur. Chaque culture se sera ainsi exposée à perdre sur certains tableaux « ce qu’elle a voulu gagner sur d’autres ». Levi Strauss se livre ainsi à plusieurs comparaisons, en particulier celle-ci : « L’Occident, maître des machines, témoigne de connaissances très élémentaires sur l’utilisation et les ressources de cette suprême machine qu’est le corps humain. Dans ce domaine au contraire, comme dans celui, connexe, des rapports entre le physique et le moral, l’Orient et l’Extrême-Orient possèdent sur lui une avance de plusieurs millénaires… ». En ce sens, une société future devra être conçue en considération de tout ce que d’autres cultures ont pu réussir, alors que nous l’avons manqué. L’important est de retenir que nous ne pouvons pas prendre la partie pour le tout et juger une société à partir de un ou deux critères considérés par nous comme prévalents. Un jugement sur l’ensemble est ainsi toujours suspect d’ethnocentrisme : Guéant avait par exemple déclaré à la veille de la précédente campagne présidentielle que « toutes les civilisations ne se valent pas », s’appuyant sur le critère de l’organisation politique de la République pour porter un jugement d’ensemble sur les civilisations. Il s’est longtemps agi, dans notre histoire de la modernité, de prendre comme autre critère déterminant le développement économique, caractéristique de nos sociétés. Il est significatif qu’aujourd’hui ce critère soit moins systématiquement mis en avant … Mais cela n’empêche pas les forfanteries du chef d’entreprise Begbeder qui, réagissant à la polémique suscitée par les déclarations de Guéant, écrit sur son twitter : « Quelle civilisation a permis une élévation du niveau de vie de la population par un facteur 1000 depuis deux siècles ? »… 

La leçon de relativisme levistraussien ne doit pas pour autant nous enfermer nécessairement dans un relativisme radical. Pousser jusqu’à son terme en effet, elle nous conduit à souscrire à cette conclusion de Levi Strauss à propos de la barbarie : « est barbare l’homme qui croit à la barbarie » : au nom d’un ethnocentrisme réciproque, chaque culture a tendance à trouver barbare « l’autre » culture[4], celle qui est éloignée de la sienne, et c’est cette croyance même, celle par exemple qui consiste à refuser l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus sauvages (le jugement spontané que nous portons sur les peuples dit « archaïques »[5]), qui est « barbare »...  Mais ce faisant, si nous continuons jusqu’à son terme le raisonnement, nous n’avons plus aucun moyen « objectif » de légitimer la dénonciation de barbarie dans son acception moderne synonyme  d’inhumanité[6], et nous nous enfermons alors dans un relativisme radical très dangereux. Nous ne pouvons rester en effet indifférents aux crimes inhumains qui sont commis, tels ceux de Daesch ; leur désignation de « barbares » ou d’inhumains ne peut pas être seulement l’effet d’un regard ethnocentriste (voir le Même avec les yeux de l’Autre) ! La barbarie, c’est bien « l’autre » dans un certain nombre de cas[7], et les récents évènements depuis « Je suis Charlie » attestent qu’il y a bien là une « objectivité » de l’acte barbare quelque soit le « point de vue » ou la « perspective » que je porte sur lui... La critique de Levi Strauss marque en un sens un point de non retour – il n’est plus supportable aujourd’hui de détruire des cultures traditionnelles au nom de la suprématie de la puissance technique, ou encore de parler de la supériorité de la race blanche, ou de la supériorité de telle ou telle civilisation (c’est pourtant ce que fait Mr Guéant quand il affirme que « toutes les civilisations ne se valent pas ! »), de ne pas respecter les langues ou les religions...etc. - , mais elle présente également un grave défaut : elle peut conduire à absolutiser la différence, et empêche de porter le moindre jugement normatif. 

                Un sens commun de l’humain qui rejoint l’universel

Si nous avons le droit – et le devoir – de dénoncer l’inhumanité ou la barbarie de certaines pratiques indépendamment de la diversité des cultures, il faut bien qu’il y ait un « sens commun de l’humain » au nom duquel une telle dénonciation soit légitime et indispensable. Vitrifier le lien humain, dénier à autrui son humanité pour le liquider constitue en effet une barbarie. C’est en effet ce refus du statut d’humain qui légitime les exactions inhumaines commises par les missionnaires de l’Ancien Monde à l’encontre des Indiens. Symétriquement, nous pouvons mesurer à quel point notre humanisation est solidaire d’un tel lien précoce avec autrui, quand celui-ci m’adresse les signes de reconnaissance de ma propre humanité. Ce lien d’alliance est constitutif de notre humanité commune. Ce « commun » qui nous réunit ne s’arrête à aucune appartenance établie, aucun partage acquis, à aucun communautarisme. Il ne peut pas être mis dans des cases, tant il est vrai qu’il concerne idéalement, dans le sens d’un élargissement qui n’a pas de fin, la « communauté universelle » des peuples… Ce n’est pas parce que nous ne voulons pas reconduire un universalisme facile qui si longtemps s’est confondu avec l’européocentrisme (vision ethnocentriste du monde selon ses propres grilles de référence), que nous devons pour autant verser, sans plus d’exigence, dans un relativisme paresseux. Le « sens commun de l’humain » n’est pas un socle universel ou un fond commun qui pourrait servir de fondement établi à l’existence de l’Homme avec un H. Il s’agit plutôt d’un « fonds », comme le dit finement François Jullien (et non d’un fond, comme « une armoire dont on enlève les habits »), c’est-à-dire « une source » ou « une ressource » ; non pas quelque chose que nous possèderions d’emblée, non pas un universel établi que telle ou telle communauté pourrait se targuer d’incarner (comme par exemple  l’Europe avec « les droits de l’homme », nous allons y revenir...), mais quelque chose qui sert de lanterne commune à tous les humains confondus, ou, selon le langage kantien, « un idéal régulateur ».

 

                Avoir égard pour autrui, un universel éthique ?

Revenons au travail de l’ethnologue tel qu’analysé par Claude Levi Strauss : la distance salvatrice que doit prendre l’ethnologue par rapport à sa propre culture s’il veut avoir une approche « compréhensive » et la plus objective possible de la culture qu’il étudie, et s’abstenir de juger à partir de sa propre « carte du monde », n’est pas seulement méthodologique, mais éthique. Il est sans doute impossible d’aboutir à supprimer l’altérité qui est constitutive de l’expérience même d’une telle rencontre, mais une telle attitude doit conduire à un élargissement compréhensif qui représente l’extension d’une culture à celle de l’autre (ne serait-ce que du point de vue d’une commune intelligibilité).  Il y a là une sorte d’universel civilisateur, où comme le dit si bien Kambouchner[8] « un égard pour autrui » non pas malgré sa différence, mais à travers elles. Cette disposition civilisatrice partant du postulat que l’on peut, ne serait-ce qu’à titre d’idéal, entrer dans l’univers d’autrui, n’appartient à aucune culture particulière et constitue la dimension proprement éthique de ce que l’on pourrait appeler LA civilisation.... La curiosité et la faculté d’empathie en direction de l’étranger ne sont pas propres à la culture de l’ethnologue, mais appartiennent à la civilisation… et visent idéalement un universel commun aux cultures. Dans cette situation du travail ethnologique, la civilisation n’est pas que d’un côté : les indigènes sont capables de faire à l’ethnologue une certaine place parmi eux, mais aussi de « comparer eux-mêmes les cultures en présence ». Ce qui a ici vocation à une certaine universalité est cette disposition morale à se mettre en relation avec d’autres, malgré le fait que le particularisme vante sa propre culture souvent comme un absolu. Il y a au bout d’une telle disposition l’idée d’une entente universelle entre les peuples qui n’est pas le privilège d’une culture particulière. Il y a toujours dans le désir de rencontre le pari de la possibilité du commun, c’est-à-dire d’une appartenance commune, au-delà des appartenances traditionnellement liées à sa culture particulière. Un « commun » en quelque sorte élargi jusqu’à l’universel… Kambouchner décèle dans cette capacité de la rencontre avec autrui « le principe même d’un au-delà des différences ». Si la civilisation est égard pour autrui, elle sera quelque chose qui se manifeste, plutôt que quelque chose que l’on possède.  Et l’Occident n’aura jamais eu le privilège de ce genre de manifestations de civilisation, et en revanche y a manqué un nombre infini de fois …

                La question des droits de l’homme : un « universel négatif » ?

S’il est vrai que les cultures peuvent se rejoindre autour d’une sens commun de l’humain, « seul en deçà à priori des langues et des conceptions... Ultime recours de la transculturalité »[9], la Déclaration des Droits de l’Homme ne peut-elle pas être considérée comme la pierre angulaire de ce sens commun ? Commençons par relever le caractère très problématique de la prétention à l’universel de ces droits : cette revendication  peut apparaître comme bien arrogante et européo-centrée, oubliant par là-même combien ces droits sont culturellement marqués par des partis pris notionnels et civilisationnels qui sont loin d’être universels d’une part, et associés d’autre part  à l’histoire du colonialisme. En revanche, l’idéal de ces droits, même si chaque version déterminée portera nécessairement le sceau de la singularité de chaque culture, n’est-il pas porteur également d’un inconditionné ? Concernant les partis pris culturels, François Jullien détaille avec beaucoup de pertinence les grands écarts existant entre les univers culturels de la Chine, de l’Inde classique, du monde musulman, et de l’occident, et comment les droits de l’homme sont nés d’une rupture culturelle de l’homme par rapport à l’animal et au monde, et d’une émancipation de la figure d’un individu abstrait séparé, l’un et l’autre étant propre à cet occident, et antithétiques au credo d’autres civilisations. L’hypothèse également d’une nature humaine universelle et transculturelle, connaissable par le seul recours de la raison fait également partie des présupposés initiaux à cette élaboration des droits.  Ces partis pris sont-ils de nature à invalider la dimension universelle de ces droits ? Premièrement, il faut d’abord observer que si l’émergence des droits de l’homme est solidaire d’une histoire en elle-même contingente qui apparaît très récemment dans un petit coin du monde, elle semble aujourd’hui une offre mondiale qui ne peut pratiquement pas être refusée ; les valeurs de la démocratie ont gagné l’ensemble des régions du monde, accompagnant le mode de vie occidental lui-même, et servent de référence (au moins déclarativement) même quand elles ne sont pas mises en pratique. Nous pouvons ainsi parler d’une tendance à l’universalisation de fait des droits de l’homme. Deuxièmement, l’universalisme au sens fort, c’est-à-dire l’universel en droit, est également convoqué, même si en tant que tels ces droits ne peuvent pas nous proposer un modèle achevé et des règles précises tels que ceux qui sont consignés dans les différentes Déclarations. Il n e s’agit là que de versions particulières très dépendantes des environnements culturels dans lesquels ils sont nés. Ceux qui invoquent ces droits n’adhèrent pas nécessairement à l’idéologie occidentale, mais les considèrent comme un outil de refus de tout ce qui les enfreint, ouvrant sur un inconditionné (par rapport à toutes les cultures), faisant entendre le sens commun de l’humain. Le terme d’universalisant donne à entendre, par son gérondif, que de l’universel s’y trouve en cours, en marche… Il est vecteur d’universel et ne peut se concevoir comme une propriété ou qualité passivement possédée. Parler de « capacité universalisante des droits de l’homme » signifie qu’ils « font lever de l’universel » : à travers leur lucarne particulière (historiquement et idéologiquement découpée), ils jouent le rôle d’un principe de l’universel. Les droits de l’homme ne « sont » pas universels en eux-mêmes (la singularité de leur avènement et la forme historique qu’ils ont pris en occident le montrent), en tant que réalisation achevée, mais leur défaut ou privation fait ressortir le vif d’un universel de l’humain, transculturel, anhistorique. Autrement dit aucun modèle de société ne peut se prétendre détenteur d’un tel universel, ou nous enseigner comment vivre, mais en revanche la référence aux droits de l’homme constitue un instrument irremplaçable pour dire non et protester, et ouvrir une brèche dans toute totalité qui serait clôturée et satisfaite d’elle-même. Ils ne sont certes pas les seuls à pouvoir jouer le rôle d’universalisant ; pensons par exemple à la fameuse « règle d’or », ou encore celui qui est en jeu dans la situation citée par Mencius de l’enfant tombant dans le puits : « Qui n’aurait pas tendu le bras n’est pas homme ». Mais l’élaboration formelle bien plus importante des droits de l’homme, et leur statut d’abstraction, les rend beaucoup plus transculturellement opératoires à l’échelle d’une société entière.  C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’universalisme inséparablement associé à la République française, et sa prétention à faire valoir sur chaque endroit de la planète la prévalence universelle de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Seul un tel socle est à même de faire du commun entre les humains et de regrouper des citoyens au-delà des appartenances et des convictions partisanes. Nous verrons que l’on peut également ajouter la laïcité à cette trilogie...   C’est un tel socle du vivre-ensemble qu’il s’agit maintenant de regarder de plus près... 

                L’universalisme républicain

L’expérience révolutionnaire française se conçoit évidemment, non seulement comme une production française, mais comme une expérience politique exemplaire, qui vaut par ses principes pour l’humanité entière. C’est en quelque sorte sa signature indélébile, à nulle autre pareille de ce point de vue. « La citoyenneté constitutive de la Nation à la française se définit par la participation de tous à la chose publique, dans un horizon universaliste. Bien entendu, c’est la France particulière qui la met en œuvre, mais ce qui compte n’est pas cette particularité mais les principes qui la fondent, lesquels sont à vocation universelle[10]». C’est aussi le discours qui accompagnera « l’œuvre colonisatrice », conçue comme un prolongement de la République, même si dans la réalité, bien entendu, les choses ne se passent pas ainsi. Pour la première fois, l’existence collective des individus est fondée sur un principe de légitimité autonome selon lequel il n’y a d’abord que des individus libres et égaux, seul fondement légitime de l’organisation sociale, des lois qui la régissent, et de la production de l’avenir de cette société.[11] L’unité de la République se réalise autour de la notion de citoyen : l’égalité de droit de chaque individu est le fondement de son pouvoir en tant que membre du « souverain » : il est à la fois la source de ce pouvoir en tant que législateur (celui qui fait les lois), et assujetti à la loi collectivement décidée (nous trouvons là les deux sens de la notion de « sujets »). Le citoyen est avant tout un atome de droit équivalent à n’importe quel autre. Cette « communauté de citoyens » induit certaines formes de relations entre les hommes, indépendamment de leurs origines ou de leur histoire : l’idée d’égalité de droit suppose ainsi que l’individu transcende toute détermination particulière au nom de l’intérêt général et soit capable de communiquer avec les autres hommes en tant qu’ils sont, comme lui, des êtres de raison. C’est précisément au titre de cette raison commune qu’il peut, comme chacun, rejoindre l’universel. Il existe indépendamment de son existence empirique et concrète, c'est-à-dire au-delà de ses enracinements ethniques ou géographiques, de sa condition sociale, donc de ses différences et/ou inégalités avec tel ou tel autre.

Les racines culturelles et philosophiques de cet « individu universel » sont à trouver dans les traditions grecque et chrétienne ; nous ne ferons pas la généalogie d’une telle figure, mais nous connaissons la fameuse phrase de saint Paul : « Il n’y a ni Grec, ni Juif, ni esclave, ni homme libre, ni mâle, ni femelle, car tous vous ne faites qu’un en Jésus Christ ». Le Christ, homme-dieu, n’est donc pas dans la lignée des prophètes, et au-delà de toute appartenance ethnique ; cela confère à son enseignement une universalité qui déborde toute restriction humaine. La pensée chrétienne contribue en cela à promouvoir l’universel abstrait occidental sous la forme de l’idéal d’un individu libre aux droits absolus qui transcende toute limitation d’origine, d’ethnie, de sexe, de statut social, de religion. Cet individu abstrait, ou cette « idée d’individu » va progressivement se concrétiser et devenir de chair et d’os au cours des trois derniers siècles, en particulier  à partir de la Révolution française.

Pour saisir par contraste la spécificité d’une tel modèle républicain, pur produit d’une universalisme philosophique qui entend dépasser toute appartenance particulariste, et qui est en cela l’héritier en droite ligne de cet universel à la fois logique et éthique comme catégorie centrale de la pensée occidentale (cf. François Jullien), disons quelques mots de ce qui pourrait être appréhendé comme son symétrique ou opposé absolus : le système des castes en Inde (les brahmanes, les princes et les guerriers, les agriculteurs et les commerçants, ceux qui sont en bas de l’échelle et sont tenus à l’extérieur de tout rite, et enfin les « hors caste », à la limite entre humains et non humains. Cette hiérarchie des états (l’homme et la femme n’ont pas non plus le même statut religieux : renaître femme est une forme d’expiation) distincts identifie strictement l’individu à sa fonction sociale, et fragmente la pensée morale en fonction d’elle. Il n’y a aucun idéal ou conception qui puisse transcender et dépasser ces appartenances. Le groupe est le cadre d’identification de l’individu et  la matrice de l’élaboration de valeurs particulières. Le « dharma », en tant qu’ordre global socio-cosmique, consiste dans le respect de cette répartition.

Nous pouvons dés lors mieux comprendre où se loge le problème soulevé avec notre question de ce soir : les particularismes n’ont pas cessé d’exister pour autant, et désigne en fait les réalités empiriques de situations historiques et sociales déterminées ; nous sommes en effet des êtres concrets, par conséquent traversés par des déterminations biologiques (notamment la différence des sexes), sociales (les profondes inégalités qui dépendent de notre position sociale…), ethniques, religieuses et culturelles, sans parler bien entendu de nos singularités individuelles. En face de l’égalité de droit des êtres humains, en face du citoyen et de sa vocation à l’universel, on ne peut manquer en effet de « buter » sur la diversité et l’inégalité des individus réels. Ces distorsions entre l’égalité proclamée et en particulier les inégalités de condition sociale seront à l’origine de nombreuses et sévères critiques adressées dès le milieu du XIXème siècle à cette conception républicaine et citoyenne : critique du catholicisme social, du marxisme et du socialisme. Dans les 150 dernières années, la démocratie s’est efforcée de passer de l’affirmation de l’universalité abstraite à une version plus concrète cherchant à concrétiser cet universel en réduisant les écarts entre égalité formelle et égalités réelles à travers les droits sociaux, les droits des femmes, et les droits des peuples[12].

Quoiqu’il en soit, nous sommes à la fois cet individu juridique abstrait et public, égal en droit à chacun des autres, et cet individu psychologique concret et privé. Ce dernier revendique plus que jamais dans notre monde contemporain d’être reconnu dans sa singularité, même si son existence est étroitement reliée à l’existence de l’individu de droit (l’un ne peut pas aller sans l’autre). Ce qui ne signifie pas que leur coexistence ne pose pas problème... L’individualisme juridique ne fait pas nécessairement bon ménage avec ce que nous pourrions appeler l’individualisme identitaire. L’individu moderne est constitué par ces deux dimensions qui, tout en étant complémentaires, tirent en sens contraire.

Nous voyons clairement à présent quelle est la problématique de notre sujet : le privilège exclusif accordé à l’universalisme républicain ne risque-t-il pas d’une part de se traduire dans la pratique par le refoulement de toute particularité notamment  ethnique ou religieuse hors de l’espace public, avec les réactions plus ou moins violentes qu’une telle disposition ne manquerait pas de provoquer, et d’autre part, mais les deux éléments sont liés, de soumettre les minorités à la culture de la communauté hégémonique sous couvert d’universalisme[13].  A l’inverse, mettre en avant les différences culturelles, comme un certain multiculturalisme américain l’encourage[14], ne risque-t-il pas  d’aboutir à une fragmentation communautaire, à l’affaiblissement de l’idée même de citoyenneté commune, donc de la possibilité de « faire société » ensemble ? Car l’enjeu sociétal essentiel est bien là : parvenir à faire vivre pacifiquement sous les mêmes lois des gens de conditions et de croyances différentes. La concrétisation de l’universel abstrait au nom d’une raison législatrice est l’apanage du paradigme moderne occidental et tout particulièrement français[15] ; il se heurte à des limites et des tensions qui lui sont propres, et qui tiennent au fait que seul existe réellement des individus. Un sujet évidé de toute appartenance est certes ouvert sur l’universel mais n’est plus réellement un sujet. L’existence est faite d’individuels, composée de singularités diverses...

                    Il y a trois façons de traiter politiquement des différences dans une position ethnocentriste

Le risque de dérive signalé précédemment, relatif à une certaine interprétation de l’universalisme républicain, peut être considérer comme une des trois façons de traiter politiquement les différences dans une perspective ethnocentriste. Nous nous contenterons ici de les rappeler brièvement. Premièrement, on peut stigmatiser ou disqualifier la différence, qui est l’attitude ethnocentriste la plus immédiate – regarder l’autre avec ses propres lunettes raciale ou culturelle -, et aboutit logiquement à toutes les formes de racisme et de xénophobie. L’égalité de principe des êtres humains, mais aussi la reconnaissance des différences, sont niées purement et simplement. La deuxième tentative est celle de l’absolutisation des différences. Elle peut être la réciproque de la stigmatisation, la sacralisation de ma propre différence (différentialisme) allant souvent de paire avec la non reconnaissance de la différence de l’autre. Elle peut aussi être une réaction en retour à l’attitude disqualifiante et hégémonique de cet autre. Quoiqu’il en soit, le différentialisme rend très difficile toute possibilité de rencontre autour de la possibilité d’un horizon commun, et aboutit à une juxtaposition d’univers culturels s’ignorant mutuellement. C’est sur cette absolutisation ou « réification » des différences que se greffe la plupart du temps l’obsession de l’identité collective et les aventures communautaristes. Il est l’expression d’une conception erronée de la culture qui considère celle-ci de façon essentialisée comme un bloc homogène. Or une culture se transforme continuellement à la rencontre des autres cultures (sous peine de mourir affirme Claude Levi Strauss). L’homogénéité culturelle est à la fois un fantasme et une menace lorsqu’elle est instrumentalisée, mais ne correspond pas à la réalité des cultures vivantes. Enfin, la troisième façon ethnocentriste de traiter de la différence est la négation ou l’occultation des différences. C’est en quelque sorte l’attitude inverse ; la seule chose qui doit nous préoccuper : les droits inhérents à chaque individu, indépendamment de leur différence d’origine, de culture, de religion...etc. Les différences concrètes entre individus selon leur appartenance sont occultées au profit de leur participation à une humanité et une citoyenneté commune. Comme le montre bien Sylviane Agacinski à propos de la différence sexuelle homme/femme, la référence à l’Un plutôt qu’au deux au nom d’une humanité commune cache presque immanquablement la réduction de l’autre (la femme) à l’un des deux (l’homme). De la même façon, ceux qui parlent au nom de « l’universalisme républicain » et de l’individu de droit, sont aussi ceux de la communauté hégémonique (Derrida : « Lorsque la communauté est hégémonique, on ne parle plus de communauté »)... Sous couvert d’universalisme, même si tel n’est pas l’intention consciente, ne risque-t-on pas de faire prévaloir ses propres valeurs et normes communautaires (forcément particulières) aux dépens des autres groupes ? Ici donc, au nom d’une égalité de droit, la différence n’est pas reconnue, c’est-à-dire l’identité ethnique, cultuelle, culturelle de chacun. La différence n’existe que par rapport au Même (nous-mêmes) qui devient la norme... Autrement dit la norme c’est nous... L’idéal d’universalité que la nation est censée porter se confond alors rapidement avec les normes culturelles, les traditions, les mœurs particulières à cette nation. N’est-ce pas ce qui arrive lorsque nous affichons un universalisme autoproclamé (alors qu’il ne peut être, nous l’avons vu, qu’un idéal porteur de sens) qui devient de facto un nouveau particularisme ? L’universel ne se proclame pas et s’éclipse au moment même où l’on tente de le faire ! Il est significatif à ce propos qu’une certaine « laïcité » aujourd’hui, que nous pourrions appeler avec Jean Baubérot « d’identitaire »[16], revendique d’un côté la neutralité des individus dans l’espace public[17] (négation des différences contraire à l’esprit et à la lettre de la loi de 1905 ; les convictions religieuses ne devraient pas s’exprimer dans l’espace public, celui-ci étant exclusivement réservé à un citoyen abstrait qui se serait débarrassé  de toutes ses appartenances...  ), et de l’autre l’assimilation culturelle (et non l’intégration) des français de religion musulmane. Contradiction dans les termes bien sûr, mais qui montre à l’évidence qu’ici la neutralisation républicaine est instrumentalisée en faveur de cette assimilation culturelle. Encore une fois, l’universalisme en tant qu’idéal moral et civilisationnel, Kambouchner insiste sur ce point,     n’est pas un bien que l’on puisse posséder, et ne supporte pas la certitude de soi-même.

                   Il n’y a que des versions culturelles de l’universalisme

Comme nous avons essayé de le montrer avec les Droits de l’homme, l’universalisme n’est pas exempt, et ne peut sans doute pas l’être, d’une forme particulière que prend sa concrétisation. La France a historiquement incarné les idéaux de l’universalisme républicain, mais elle ne peut que manifester dans la réalité une version particulière et donc culturellement déterminée de celui-ci (en lien avec son histoire particulière, notamment son héritage par rapport à la monarchie absolue). Elle a longtemps était exemplaire au sens où elle a inspiré des combats et des réalisations partout dans le monde... Aujourd’hui, elle est loin d’être seule et ses principes sont ratifiés un peu partout... Elle n’est plus, comme le disait Michelet « l’avant-garde du vaisseau de l’humanité ». Cette banalisation l’empêche de continuer à cultiver cet esprit « missionnaire » auquel elle s’était pendant longtemps identifiée. Cette perte est sans doute en partie responsable du malaise qui est le sien. Si nous prenons l’exemple de la laïcité, la France a été la seule à pousser aussi loin ses principes fondateurs – car la laïcité est dans le prolongement logique de ceux-ci -, et ce n’est pas un hasard si nous parlons de la laïcité à la française à propos à la fois de l’existence d’une autorité politique séparée de toute référence religieuse, et de cette liberté pratique des individus d’adhérer aux convictions et aux cultes de leur choix dans la société civile. En même temps, même si aucun modèle analogue s’est développé depuis en dehors de la France, force est de constater – et tant mieux ! – qu’à peu près tous les pays occidentaux  ont imposé progressivement cette séparation du politique et du religieux sous une forme plus adoucie. Nous voyons donc  concrètement comment des idées très similaires trouvent des traductions culturelles différentes en fonction des contextes et des histoires des uns et des autres. Il n’y a que des versions particulières de l’universel. Les conditions particulières de son apparition et de sa mise en œuvre sont à la fois les conditions de possibilité et les limites de son existence. En même temps, il est dans la stricte logique ethnocentriste, la France était d’autant plus concernée qu’elle a longtemps été à la pointe du mouvement politique moderne, de prendre la version spéciale de ses principes pour l’universel tout court.  Le problème qui se pose alors et qu’Alain Touraine met en questions est le suivant : N’y a-t-il pas derrière l’idéal d’une « société rationnelle » (Alain Touraine) le fantasme d’une société unitaire, homogène culturellement, qui serait fondée sur la Raison ? Mais n’est-ce pas le rêve pré-totalitaire de « La République » de Platon ? A l’inverse, l’abandon du principe laïque laisserait libre cours à une société dont l’homogénéité serait uniquement fondée sur la religion ou l’ethnie, avec les tensions et les violences qu’une telle société ne manquerait pas de susciter. Là encore, la juste politique est affaire de compromis et d’équilibre...

Il est temps maintenant de convoquer l’idéal laïque après ces derniers développements : entre le différentialisme d’un côté, et de l’autre côté une occultation des différences de l’autre, au nom d’un universalisme instrumentalisé qui se confond avec une forme d’assimilationnisme, la laïcité est probablement de nature à nous faire sortir de cette alternative dangereuse et stérile. Par ailleurs, elle est la dernière création de cette version culturelle française de l’universalisme, parachevant ainsi  « l’exception française »[18]. Quelle est donc sa véritable signification philosophique et politique, et comment analyser la crise qu’elle semble traverser aujourd’hui ?

                    La laïcité, une réponse aux tensions entre universalisme républicain et particularisme ?

L’idéal universaliste n’est pas un bien à posséder mais un horizon à atteindre. Ne pas le comprendre peut engendrer des dérives de toute sorte, en particulier la tentation d’homogénéisation culturelle en son nom. Universalisme et particularisme sont ainsi naturellement « en tension », et la laïcité est précisément cette disposition politique et juridique qui introduit une sorte de troisième terme autorisant une circulation et une médiation entre les deux. Revenons à l’Histoire : avant la Révolution française, le pouvoir central et son bras armé l’Eglise catholique, dit ce qu’il faut penser, dire, croire. L’Eglise contrôle la vie sociale des individus de la naissance à la mort, de l’état civil au contrôle des cimetières. Un tel système, comme le dit justement Michel Miaille (notre prochain conférencier) est bien sûr responsable des guerres, persécutions ou crimes perpétrés pour des idées, en particulier des croyances religieuses, à l’encontre de tous ceux qui ne se soumettent pas à cette pensée qui est sensée venir d’en haut... La révolution française et la nouvelle République vont changer la donne : la position surplombante de celle-ci peut rappeler celle de la monarchie, mais ses lois sont désormais l’expression du peuple souverain, et ne peuvent désormais ne s’appliquer qu’à l’individu de droit semblable à tout autre, et prévaloir sur toute autre loi particulière, ne serait-ce que la loi religieuse, ne peut qu’être contestée par l’Eglise, en particulier par sa hiérarchie, institution encore très puissante au XIXème siècle, qui ne peut se résoudre à perdre la main mise sur le  pouvoir temporel. L’augmentation de tensions de plus en plus vives peut rappeler les anciens affrontements, et toute la question sera de savoir comment l’universalisme républicain peut gérer et régler l’exercice du pluralisme dans la République. Contrairement à ce qui est souvent dit, la loi sur la Laïcité est précisément une loi destinée à résoudre le plus intelligemment possible et de façon durable ces conflits (et non à éradiquer toute expression publique de la religion !). La séparation de l’Etat et des églises commence avec les lois de 1883 sur l’Ecole publique et obligatoire ; c’est le moment où l’on décroche les crucifix des salles de classe. Mais c’est avec la loi de 1905 qu’elle est achevée. Le terme de séparation est ici le plus important : L’exercice de la République doit se libérer et être indépendant du pouvoir de l’Eglise sans mettre en cause l’exercice de son culte et de ses libertés religieuses en général, qui doit lui aussi être protégé. Cela est très important : l’acte fondateur de la révolution n’est-il pas précisément l’affirmation d’une liberté égale pour chacun indépendamment de ses appartenances religieuses ou autres ? En ce sens la première déclaration laïque est bien sûr La Déclaration des Droits de l’Homme de la Révolution Française qui affirme : « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». De cette affirmation quasiment ontologique sur la liberté de l’homme découle la conséquence suivante : la liberté d’opinion, même religieuse, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public. Nous ne devons jamais oublié cette filiation de la laïcité avec les Droits de l’Homme et l’affirmation de son article 10 : « Personne ne peut être inquiété  pour ses opinions même religieuses, pourvu qu’il ne trouble pas l’ordre public. ». Bien sûr la loi de 1905 est une réponse visant à consolider la République face aux résistances de l’église catholique qui ne se résout pas à abandonner ses prérogatives et à exercer sa domination sur la vie des citoyens, mais elle est aussi une réponse au pluralisme des convictions : comment « faire société » pacifiquement dans le cadre d’une telle diversité d’opinions et de convictions (religieuses ou non), tout en respectant les règles et les valeurs d’une République Une qui rassemble ?

                    Quelle(s) laïcité(s) ?

Il y a différentes conceptions de la laïcité, et ceux qui le dénient au nom de « LA » laïcité sont souvent ceux qui connaissent le moins bien la loi de 1905 et qui en donne une interprétation radicalement fausse. Mais ce faisant, ils reprennent à leur compte une autre conception de la laïcité, éventuellement dominante... Il est donc utile pour y voir clair dans ce débat de suivre Jean Baubérot qui distingue sept types de laïcité française[19], et ainsi bien identifier celle qui émane en droite ligne de la loi de 1905, celle d’Aristide Briand et de Jean Jaurès. Très sommairement, il dégage sept « idéaux-types »[20], leur déclinaison dans la réalité n’étant pas aussi « pure » et pouvant être des combinaisons de certains d’entre eux, avec cependant une dominante. Quatre laïcités « historiques », c’est-à-dire des conceptions de la laïcité qui se sont affrontées ouvertement pendant plusieurs années et jusqu’au vote ultime de la loi qui entérine la victoire de la laïcité séparatiste de Aristide Briand et Jean Jaurès : il y a donc deux laïcités séparatistes, qui ont mené quasiment jusqu’au bout un combat commun, mais qui ont divergé au moment de la loi sur le contenu d’un article[21]. Michel Miaille, que nous allons recevoir, et la Ligue de l’enseignement dont il est le président Languedoc Roussillon, s’inscrivent scrupuleusement dans cette orientation. Il nous la présentera en détail la semaine prochaine, retenons simplement que l’indépendance et la séparation de l’Etat et des églises permet « une double et réciproque émancipation  du politique et du religieux » (Abdenour Bidar au Chapiteau du Livre en septembre 2016), et promeut trois valeurs cardinales[22] :

1) La liberté de conscience : chaque citoyen est libre de ses choix spirituels et religieux[23]

2) Egalité en droit de ces options : l’expression et l’exercice relatif à ces options sont également garantis dans la sphère privée et dans la sphère publique (à condition de ne pas menacer l’ordre public). L’Etat ne doit en privilégier aucune.

3) Neutralité du pouvoir politique : il doit représenter le « commun » autour duquel doivent se réunir et se reconnaître tous les citoyens, au-delà des choix et des intérêts particuliers à chacun.

Les deux autres laïcités historiques sont « la laïcité antireligieuse » incarnée par Maurice Allard pendant le vote de la Loi, qui milite pour la suppression des églises et la déchristianisation de la France (Michel Onfray pourrait être considéré comme un représentant contemporain de ce courant ?), et la laïcité gallicane (Emile Combe) héritée de la politique religieuse des rois de France, qui veut accentuer la tutelle de l’Etat sur le catholicisme aux dépens du Pape. Elle s’est focalisée à l’époque sur l’interdiction de l’habit religieux (la soutane) qui serait incompatible avec un espace public qui doit rester homogène[24], et contre le vote des femmes considérées comme trop influencées par le Clergé[25]. On ne peut nier que nous assistons aujourd’hui à un renouveau de la laïcité gallicane. Quant à la laïcité antireligieuse, elle continue d’imprégner certains discours aujourd’hui qui certes ne peuvent plus vraiment plaider pour l’éradication des religions, mais confondent la dénonciation des religions avec la laïcité, et considèrent que toute visibilité religieuse dans l’espace public lui porte atteinte. Ces deux types de laïcité ont un point commun important : elles sont proches de l’idée de « religion civile » défendue par JJ Rousseau : il s’agit d’une sorte de code moral ou de profession de foi civile qui n’est pas nécessairement religieux et ne peut être rien de plus que « le culte de la République elle-même », et qui sacralise l’être-ensemble collectif[26]. Il est remarquable de constater que ces différentes laïcités historiques continuent de se faire entendre, souvent à grand bruit. S’ajoutent à elles trois « nouvelles laïcités » qui peuvent d’ailleurs entretenir avec les précédentes un certain nombre de relations. Notons simplement d’abord la « laïcité concordataire », celle qui prévaut en Alsace-Moselle pour des raisons historiques et se traduit notamment par un droit local qui régit également les rapports de l’Etat et des religions, en contradiction avec la Loi de 1905 qui ne s’applique pas. Son élément le plus important est le maintien du Concordat de 1801-1802[27]. Deuxièmement, il faut noter également l’apparition dans les années 90[28] d’une laïcité dite « ouverte » (considérée comme un blasphème par ses adversaires, car c’est supposé qu’elle peut être « fermée »...) qui vient conjointement des analyses de Paul Ricoeur et du mouvement des MJC ; elle considère que la laïcité doit favoriser les confrontations fraternelles des idées et des doctrines (comme au café philo ?), contrairement à la « laïcité négative » de l’école publique où rien de ce qui divise ne doit être conjugué. Nous pourrions dire que d’un côté le commun doit se construire avec les différences, alors que de l’autre côté, il serait établi malgré les différences. Avec la laïcité ouverte, il s’agit de « s’élever au dessus des particularismes dans le respect de ceux-ci. ». Les religions ont plus ou moins fait leur ce discours de la laïcité ouverte ; par exemple, la Fédération protestante de France a dénoncé la dérive d’un glissement de la séparation Eglises-Etat à la séparation société-religions, « ces dernières étant alors invités à se recroqueviller dans la sphère privée de l’intimité ».  La Ligue de l’enseignement, qui défend depuis sa création une forme de fidélité à l’esprit de la Loi de 1905 est souvent très proche aussi de cette position ; Georges Davezac dira au moment de la Loi Savary : « La laïcité c’est le lieu de la diversité... L’Universel ne peut passer que par la reconnaissance du droit aux différences ». L’universel n’est pas un acquis mais un projet, auxquelles doivent pouvoir concourir différentes cultures... De telles positions vont provoquer une critique parfois virulente de la Ligue (souvenons-nous qu’elle n’a pas approuvé la loi sur l’interdiction du voile à l’école). Quoiqu’il en soit, elle a toujours combattu contre une instrumentalisation de la laïcité visant à « brider l’expression publique des religions, et de l’une d’elles en particulier, de façon discriminante », ce qui ne doit pas par ailleurs induire un quelconque laxisme envers « des revendications et des comportements inacceptables. ». La question qui se pose légitimement est de savoir si un tel discours, qui reconnaissons-le, articule de façon pertinente l’universel et le particulier, tient suffisamment compte de la nouvelle donne auquel semble confronté la laïcité avec la présence d’une religion jusque là inédite pour elle, l’Islam. En tout cas, notre dernière « laïcité identitaire », symbolisant le glissement à droite du concept, et portée la plupart du temps par les personnalités de droite[29] mais pas seulement, prend complètement le contre-pied d’une telle attitude : les racines chrétiennes de la France sont affirmées et revendiquées[30], et le combat qui se présente n’est pas essentiellement un combat pour la séparation de l’Etat et des religions, mais un combat culturel et civilisationnel : il faut demander aux nouveaux arrivants de se faire discret et de « respecter ce qui est là avant eux ». Baubérot le reconnaît lui-même[31], nous assistons à un glissement de la laïcité gallicane à la laïcité identitaire. La tutelle de l’Etat doit s’exercer au nom de la culture de la communauté nationale. Patrick Billaud, vice-président du Grand Orient de France, affirme : « Dans l’espace public[32], la liberté individuelle doit s’exprimer dans les limites culturelles de la communauté nationale à une période donnée. ». Nous ne pouvons que constater ici l’abandon de la référence à l’universalisme au nom d’une forme d’homogénéisation culturelle, contradictoire avec l’idée d’une laïcité comme cadre juridique et politique de l’expression de convictions pluralistes.[33]Il n’y a même plus tentative d’instrumentalisation de l’universalisme au profit d’intérêts particuliers, mais affirmation décomplexée de la primauté de la communauté hégémonique et de sa culture (encore[34]) dominante. Le « citoyen abstrait de la République » laisserait ici la place implicitement au blanc européen occidental et français. Est-il dans la fonction de la laïcité de devenir un outil de protection d’une culture aux dépens d’une autre demande J. Baubérot ? Nous sommes loin de toute façon de la Loi de 1905 : la laïcité identitaire transgresse la neutralité de l’Etat, et impose dans l’espace public (celui de la société civile) la neutralité d’un individu qui risque fort de « nous » ressembler aux dépens des « autres »... L’égalité de droit entre les citoyens selon leur religion se trouve remise en cause...au profit des racines chrétiennes de notre culture ; le principe fondamental de la laïcité est impacté : celui de la séparation. Mais en abandonnant l’idéal universaliste au profit de la simple défense culturelle contre ce qui est sensé menacer ce que nous sommes – image de nous provenant d’un passé sacralisé -, ne coupons-nous pas la branche sur laquelle nous sommes assis : ce que nous sommes n’est-il pas indissolublement lié à cet idéal universaliste qui transcende et dépasse les particularismes propres à telle ou telle culture, et doit nous permettre de faire société par delà nos différences ? 

Pour terminer cette présentation très sommaire, nous avons le sentiment que la laïcité qui était victorieuse en 1905 n’est plus aujourd’hui en position de force, et qu’une « convergence objective » semble exister entre laïcité antireligieuse, laïcité gallicane et laïcité identitaire sur un point capital : la mutation du combat républicain en combat plus strictement culturel et civilisationnel. Par ailleurs, la laïcité gallicane, qui puise ses forces dans la profonde tradition de l’Etat centralisateur de la monarchie absolue, via le jacobinisme et la religion civile rousseauiste, semble aujourd’hui en mesure de s’affirmer comme la future tendance dominante, même si elle n’a jamais cessée d’occuper plus ou moins discrètement le terrain.

Il est temps maintenant d’examiner les raisons pour lesquelles cet idéal républicain de laïcité vacille aujourd’hui.

Crise de la laïcité : La République à l’épreuve de l’Islam
                       Une laïcité en crise ?

Si la laïcité séparatiste a historiquement vaincue les autres formes de laïcité, et se trouve être celle qui fait encore référence juridiquement et dans les discours politiques officiels, elle semble d’une part méconnue par ceux-là même qui s’en réclament (souvent indûment pour justifier des positions qui sont manifestement contradictoires avec la lettre et l’esprit de la Loi), d’autre part minoritaire par rapport à d’autres types de laïcité qui semblent aujourd’hui prendre la première place. Il s’ensuit une confusion extrême dans les têtes des citoyens sur cette question. C’est une chose de rappeler ce qu’est la laïcité en référence à ses textes de Loi, c’est autre chose de dire que c’est la seule « vraie » laïcité. La loi victorieuse en 1905 peut être considérée comme caduque en 2016. Encore faut-il avoir le courage de le dire. Mais fondamentalement cet « affolement » réflexif autour de la laïcité qui conduit de plus en plus à dire n’importe quoi traduit une difficulté réelle dans l’exercice de cette laïcité dans le pays. Elle semble de moins en moins capable de s’affronter efficacement au nouveau défi qui est le sien... De quoi s’agit-il ?

Ceux qui disent « circuler, il n’y a rien à voir » et prétendent que toutes les religions sont pareilles, que l’Islam n’a rien à voir avec les évènements tragiques que nous avons connus...etc. veulent cacher la réalité derrière leur petit doigt, et empêchent toute compréhension de la situation que nous traversons. En général c’est au nom des dangers de l’islamophobie, terme très ambigu car il signifie à la fois racisme antimusulman et critique de l’Islam. Il est pourtant urgent de séparer les deux et de pouvoir prétendre analyser en quoi l’Islam n’est pas une religion comme les autres, sans verser pour autant dans le racisme ou le « blasphème » !  Nous suivrons ici les observations ou les analyses de Abdenour Bidar[35], et de Marcel Gauchet[36].

 

L’islam a engendré un monstre...

Abdenour Bidar, dans sa Lettre, refuse d’emblée l’idée que l’islam est totalement étranger aux attentats et à l’existence de Daesh, Al Qaida, Al Nostra, ou AQMI . L’Islam a accouché d’un monstre, et c’est loin d’être un hasard selon lui : pourtant musulman lui-même, il pose la question : « pourquoi ce monstre ignoble a choisi ton visage et pas un autre ? ». Les occidentaux ont trop oublié ce qu’est la puissance de la religion pour comprendre cela[37], et la plupart s’efforce de répéter en boucle que « l’islam n’a rien à voir avec ce qui se passe », mais les « racines du mal » sont forcément en son sein, affirme l’auteur de cette Lettre. Et ce fléau ne cessera pas tant que l’Islam n’aura pas fait son autocritique : ces groupes djiadistes radicaux ne sont que les symptômes d’un « grand corps malade ». Les maladies chroniques seraient les suivantes : « impuissance à instituer des démocraties durables dans lesquelles est reconnue comme droit moral et politique la liberté de conscience vis-à-vis des dogmes de la religion; difficultés chroniques à améliorer la condition des femmes dans le sens de l’égalité, de la responsabilité et de la liberté; impuissance à séparer suffisamment le pouvoir politique de son contrôle par l’autorité de la religion; incapacité à instituer un respect, une tolérance et une véritable reconnaissance du pluralisme religieux et des minorités religieuses. »

Abdenour Bidar fait ensuite référence à la régression obscurantiste du wahhabisme qui depuis le XVIIIème siècle s’est propagé comme un cancer à l’intérieur des frontières du monde musulman. Il dénonce également la manière dont l’Islam est devenu une religion autoritaire qui veut régenter aussi bien l’Etat que la rue et la maison, réclamant la soumission de chaque conscience. Cette soumission est selon lui rigoureusement antagoniste avec la finalité de toute éducation spirituelle. Il ne conteste pas que dans certains lieux on enseigne « un islam de tolérance, de choix personnel, d’approfondissement spirituel », mais  « à leurs risques et périls face au contrôle communautaire ou même parfois face à la police religieuse ». L’islam officiel s’acharne à imposer que « la doctrine de l’islam est unique ». Dans trop de contrées l’islam se confond avec la violence contre les femmes, les « mauvais croyants », les minorités chrétiennes ou autres, les penseurs et les esprits libres, les rebelles – « de sorte que cette religion et cette violence finissent par se confondre, chez les plus déséquilibrés et les plus fragiles de tes fils, dans la monstruosité du jihad ! ». Nous ne pouvons ici que comprendre comment l’Islam peut en effet secréter ces montruosités... Les « fous de Dieu » ne sont pas des éléments totalement isolés et sans lien avec la matrice religieuse, bien au contraire. La dernière étude commandée par l’Institut Montaigne se veut rassurante : 40% des musulmans vivant en France sont « soit totalement sécularisé, soit en train  d’achever leur intégration » dit l’enquête... Mais que penser des 60% restant ? Un deuxième groupe représentant environ 25% est « plus pieux et plus identitaire tout en rejetant le voile intégral » ; et surtout un troisième groupe représentant 28% de cette population réunit des croyants « qui ont adopté un système de valeurs opposé aux valeurs de la République », et « s’affirmant en marge de la société ». N’est-ce pas considérable ?

                    Un apartheid non seulement social mais aussi culturel

Cette enquête rejoint à sa façon le diagnostic posé par Marcel Gauchet qui parle de « séparatisme identitaire », sans pour autant  négliger tous les musulmans qui souhaite sincèrement s’intégrer dans notre société. Le directeur général de l’Office français de l’Immigration et de l’intégration, Didier Letchi, dresse un bilan de la situation dans le « 93 », à l’occasion d’un colloque « Intégration, laïcité, continuer la France » de juin 2016 : ce bilan est très préoccupant. La crise sociale qui fait de ce territoire un véritable « apartheid social » explique bien sûr en partie les difficultés d’intégration d’une population en majorité extra-européenne (en grande partie arable). Mais la dimension culturelle s’avère importante, et ne tient pas seulement au repli communautaire. L’ancienne culture laïque et politique auparavant hégémonique avec le PC, mais aussi les immigrations espagnole, portugaise, algérienne, est liquidée au profit d’associations « baignées de religiosité », qui font globalement le même travail (soutien scolaire, animations, emploi...). Ces activités sont des entrées en matière du prosélytisme (mais cela n’est pas nouveau !).  Les mosquées sont des lieux de sociabilité importants où l’on vient discuter avec des imams qui viennent souvent des pays d’origine. La parole réformiste est loin de remporter la mise face à l’attrait de formes de salafismes qui font écho à l’échec social vécu par les jeunes et proposent de vivre comme les premiers compagnons du prophète. Par ailleurs, comme le dit Régis Debray, « on est la télévision qu’on regarde » : des appartements aux chambres des foyers de travailleurs migrants, dans les cafés, la télé des paraboles, avec les émissions et les discours venant des pays d’origine, ou des chaînes comme Al Jazeera, est le premier vecteur de diffusion culturelle au sein des familles. « Ces médias sont des freins puissants à l’intégration » conclut Didier Letschi. Nous avons là le paysage d’un apartheid non seulement social mais culturel. C’est sur ce substrat culturel marqué par l’islamisme, par l’affirmation de la nécessité de se réapproprier une identité musulmane, que s’exerce l’attraction suicidaire de l’aventure islamo-fasciste de Daech ou du djihad

                     Certaines caractéristiques de l’Islam s’opposent à la Modernité...

Nous pouvons faire un inventaire très sommaire des traits de la religion islamique qui semble faire obstacle à la vision démocratique, et que ne sont pas dû au « retard » de la religion islamique par rapport à l’Occident (argument souvent invoqué), mais à sa spécificité[38] :

-          Le Coran est la parole de Dieu en direct. Dieu parle directement par la bouche du Prophète, sans la médiation qui fonctionne avec le christianisme, celle du Christ annonciateur de la Bonne Nouvelle.

-          La seule loi qui vaut est celle qui émane de Dieu ; pour cette raison, la vision démocratique devient problématique : la prétention des droits de l’homme est résorbée dans un ordre qui les dépasse, celui de la tradition (charia, fatwa) qui est directement la traduction du Coran et donc de la Révélation. Elle fixe une Loi qui atteint le sommet final dans la réglementation des rapports humains . « Sa conception de la vérité divine révélée ne la dispose pas à une aimable coexistence dans le cadre du pluralisme démocratique. »[39]

-          Les cinq siècles de sortie de la religion que le christianisme a connus sont totalement étrangers à l’Islam. En particulier la Critique biblique du XVI et XVIIème siècle. Ce qui est pour nous maintenant dépassé (du moins pour la majorité des chrétiens), l’interprétation littérale de la Bible, est on ne peut plus vivant pour l’Islam.

-          La religion entendue comme une affaire de croyance individuelle reposant sur un choix personnel est foncièrement étrangère à la plupart des musulmans. L’islam est encore une religion au premier sens du terme : avant d’être une question de conviction individuelle elle est productrice de règles d’organisation collective

-          Il n’y a pas d’autorité ecclésiastique chez les Sunnites (contrairement au chiisme iranien). Chacun peut instaurer son orthodoxie. Les Frères Musulmans par exemple auraient joué un rôle très important dans l’imposition de deux normes devenues identitaires : le voile et la viande hallal.

                    La question de l’altérité culturelle des « nouveaux venus »

Pour ces raisons, le décalage civilisationnel et culturel est considérable. C’est une question de mœurs autant que de religion. Rétrospectivement et à la lumière des évolutions récentes, la thèse de ceux qui, comme Françoise Lorcerie (qui a été notre hôte il y a de nombreuses années au côté du président de la Ligue de l’Enseignement sur le thème de la diversité culturelle), récuse une véritable altérité culturelle en termes de disparités entre cultures au nom de la théorie de l’ethnicisation[40], apparaît radicalement fausse. Absolutiser ou sacraliser les différences est une chose, les méconnaître ou les occulter purement et simplement en est une autre, et représente une des formes de dérive de l’universalisme républicain que nous avons déjà notée. L’ethnocentrisme occidental – nous sommes les plus évolués, les autres représentent une étape antérieur de notre développement – s’inverse aujourd’hui : « nous sommes tous pareils », dans le monde de la similitude universelle, « les us et coutumes de chacun doivent pouvoir coexister harmonieusement sans qu’il soit besoin de s’enquérir sur leurs contenus »[41]. Un occidental moyen ne peut plus comprendre ce qu’est une religiosité traditionnelle (c’est le prix à payer de « la sortie de la religion »), alors qu’il y a  beaucoup de gens dans le monde pour qui la religion est toute leur vie. La crise de la laïcité aujourd’hui est due à cette rencontre avec l’altérité et le séparatisme culturel de cette dernière migration musulmane, n’en déplaise à ceux qui veulent minimiser le phénomène. Nous touchons là au problème difficile de l’intégration ou de « l’assimilation » qui semblait  avoir parfaitement réussi  avec les vagues de migration précédentes. La dernière enquête de l’INSEE commentée par la démographe Michèle Tribalat (2008) conclut à la fin du modèle français d’assimilation au profit de la séparation, un phénomène de diaspora ayant tendance à imposer une forme de multiculturalisme. Contrairement aux flux migratoires précédents où l’adoption de la patrie d’accueil était naturelle, les migrations contemporaines relèvent davantage d’un phénomène de diaspora économique qui va de pair avec la volonté de garder le contact avec la culture native. 

Regardons le problème en face : au-delà du racisme anti-arable et antimusulman malheureusement présent dans notre société, cette logique de séparatisme identitaire dans la population d’origine maghrébine est vécue par les autochtones comme du mépris. Le message transmis est le suivant : on ne se mélange pas, même si la coexistence reste pacifique. Les deux phénomènes (vieux racisme d’origine coloniale d’un côté, et séparatisme brandi comme un flambeau de l’autre) ne peuvent que s’alimenter et se renforcer mutuellement. L’arrivée de populations très démunies culturellement et donc encore plus influencées par la tradition ne fait qu’accentuer le fossé...

                    Une « laïcité de combat » difficile à cerner...

Un tel diagnostic, s’il est juste, ne peut qu’interpeller les pratiques de la laïcité qui peinent à faire face à une situation qu’elle n’a jamais vraiment affrontée. Mais est-il de nature à la remettre en cause ou à la modifier jusqu’à dénaturer ce qui faisait la spécificité de la loi de 1905, à savoir le principe de séparation ? Nous avons observé comment une laïcité gallicano-identitaire gagnait aujourd’hui du terrain... Nous constatons qu’elle ne contribue nullement à apaiser les tensions, bien au contraire... Or le but à poursuivre n’est-il pas d’aider la communauté musulmane à adopter le modèle politique républicain, plutôt que de la braquer contre lui et d’accentuer la rupture... « l’Islam est déchiré entre attraction et répulsion vis-à-vis de la modernité. La conclusion à en tirer est claire : Nous devons savoir peser dans le sens de ce qui peut faire basculer le monde musulman du bon côté. ». Marcel Gauchet a jusque là parfaitement raison.... mais que veut-il dire au juste quand il sous-entend que nous devons redéfinir notre laïcité ou qu’il parle de « laïcité de combat » ? Certes, lorsqu’il suggère  de ne pas n’en faire qu’un problème juridique (il ne s’agit pas que d’un problème de droits individuels) et d’aller au devant des musulmans pour discuter avec eux de leur religion et  prendre le phénomène religieux au sérieux, sur le fond, il a encore raison... « Ce qui est en jeu, c’est le libre examen de tout ce qui se présente comme une autorité spirituelle. Nous devons nous armer intellectuellement pour le défendre. La seule arme des démocraties, c’est le débat public »[42]. Il a toujours raison lorsqu’il insiste sur la dimension culturelle de la difficulté qui est la nôtre : si nous prenons l’exemple du foulard, probablement que le fond du problème n’est pas religieux (les signes religieux à l’école), mais culturel : en tant que symbole d’une hiérarchie des sexes et d’un statut inférieur de la femme par rapport à l’homme, le voile percute fortement le principe d’égalité qui constitue la pierre angulaire de notre civilisation. Mais la question cruciale est précisément celle-ci : en quoi la laïcité est concernée ? Si son objet est, comme le dit Michel Miaille, la coexistence pacifique et l’expression des convictions pluralistes, l’interdiction du voile dans l’espace public (au sens large) serait en contradiction même avec son principe premier ! La laïcité est le cadre juridique qui permet de protéger et de régler l’expression des libertés notamment religieuses dans l’espace public. Ce sont donc les lois qui fixent les règles, et non ce qui nous dérange. Même Caroline Forest[43] fait une distinction rigoureuse entre ses convictions féministes et les règles de la laïcité : elle reconnaît ainsi qu’il est impossible eu égard à ses lois d’interdire le foulard dans l’espace public, même si ces convictions féministes militent contre ce foulard... Christiane Taubira dit également à ce sujet une vérité qui apparaît difficilement contestable : «Il y a des choses dans l'espace public qui nous dérangent. Mais on ne fait pas des règles sur ce qui dérange ».... « C'est sur le fondement de nos lois que les choses s'acceptent ou ne s'acceptent pas. Qu'elles nous agacent, qu'elles nous exaspèrent, c'est une chose. Que cette exaspération soit la source d'une règle, ce n'est pas possible sinon la vie commune, la vie sociale, n'est juste pas possible ». La notion de laïcité de combat n’est jamais explicitée par Marcel Gauchet, et risque par conséquent, même à son corps défendant, d’alimenter certaines dérives qui ne l’ont pas attendu pour se manifester. On voit bien que ce qui résiste à toutes les attaques et constitue, comme le souligne Christiane Taubira, le fondement de notre fameux « vivre ensemble », ce sont les règles de la République. La laïcité est une de ses valeurs principales. Elle ne doit donc pas être fragilisée par des discours confusionnistes. 

                    Qu’est-ce qui peut nous réunir au-delà du séparatisme culturel ? Une culture politique à vocation universelle

Marcel Gauchet a de nouveau raison quand il dit qu’il est temps de prendre au sérieux le sentiment politique de former un peuple de citoyens. Qu’est-ce qui peut en effet nous réunir au-delà des risques de séparatisme culturel que nous avons analysés ? Telle est désormais la seule question qui compte. Comment faire en sorte que puisse adhérer le maximum de français – autochtones comme d’origine immigrée – aux valeurs de la République ? Nous voilà revenus aux propriétés et aux vertus de l’universalisme bien compris : notre culture politique – l’addition de ces deux termes est chargé de sens -, par sa vocation universelle, est la seule en mesure de nous rassembler, mais elle est, il est vrai, strictement contradictoire avec le fondamentalisme religieux. Seul ce combat là doit être mené jusqu’au bout, ce qui implique que l’on ne transige pas avec les principes de la laïcité tels qu’ils ressortent de la Loi de 1905. A plus ou moins long terme, l’adoption du modèle républicain ne fait guère débat, même si la période intermédiaire que nous vivons se traduit par un recul de cette intégration. Les bienfaits de la liberté sont cependant déjà appréciés dans leur chair par nombre de personnes musulmanes en Europe. Quelle communauté de valeurs sommes-nous capables de proposer à l’adhésion des nouveaux venus ? La laïcité est aussi une de ses valeurs cardinales : elle est sensée réaliser « la performance civique de construire une société avec des gens très différents en participant ensemble à un processus politique commun »[44]. Nous ne parvenons pas à faire valoir ces bénéfices pour le moment, mais il n’y a pas d’autres façons de réussir l’intégration. Si une nation se définit avant tout par le sentiment d’appartenance commune ressenti (cf. Renan : ce qui fait une nation, c’est la décision de chacun dans faire partie, c’est « le plébiscite de tous les jours »), comment alors entretenir ce lien d’appartenance ? En particulier sur le terrain de l’éducation, quelles seraient les conditions à réunir pour favoriser ce lien ? N’importe qui peut être français, à condition d’adhérer à cette culture politique qui se propose de transcender les particularismes (et non pas de poser « ceux qui sont déjà » comme l’unique référence acceptable...) en direction de l’émancipation du genre humain, telle est l’ambition commune de la République. Nous abordons ici la difficile question de l’universel culturel : jusqu’où  les valeurs de la République peuvent valoir universellement ? Inversement, à partir de quels franchissements de limites est-on autoriser à penser qu’un particularisme culturel hégémonique s’impose sous couvert d’un prétendu universalisme ?

                    Quelles sont les limites à ne pas franchir pour que la vocation universaliste de la République ne se transforme en particularisme culturel hégémonique ?

Le respect de la laïcité est à mon sens un des gardes fous essentiels, à condition qu’elle reste le rempart des libertés et des convictions religieuses (ou athées) de chacun. Comme le rappelle Michel Miaille, la laïcité est indissociable de la Déclaration des Droits de l’Homme[45] dont le vote constitue à proprement parlé le premier acte de la mise en œuvre de celle-là. ..  Les libertés personnelles sont posées comme principe intangible : je peux faire ce que je veux dans les limites de la propre liberté d’autrui, que fixe le collectif. Le pluralisme démocratique est instauré, et avec lui les libertés d’expression, de réunion, de presse...etc.  La laïcité ajoute bien sûr la double émancipation de l’Etat et des religions, et donc la séparation de la sphère publique consacrée au « commun ». Notre réflexion sur la laïcité ne peut échapper à cette interrogation : si elle préserve le commun de toute emprise de la religion, comment pourrions-nous caractériser ce dernier ? Si le propre de la République consiste à se rassembler autour d’un tel « commun », il est essentiel de donner une idée de ce qu’il peut être... Mais que peut-il donc être si ce n’est les dites valeurs de la République ? Et comment distinguer ces valeurs des autres valeurs culturelles qui constituent la diversité d’une nation ? Comme nous l’avons déjà dit, seule la culture politique propre à la République, par son caractère universalisable, est en mesure de transcender les particularismes. Baubérot se trompe à ce sujet, malgré un travail de sociologie historique remarquable sur la question ; il finit en effet par développer une conception erronée du commun qui ne peut échapper à une forme de relativisme sociologique : fondamentalement, il se méfie beaucoup quand l’Etat revêt les oripeaux d’une République idéale et devient par là-même dogmatique, mais d’un autre côté n’est-ce pas là l’essentiel des principes républicains ? Bien sûr, comme nous l’avons maintes fois martelé, il y a une condition incontournable, celle de ne jamais confondre l’idéal régulateur avec sa prétention à l’incarner... Baubérot reproche à « l’idéal universaliste républicain » de conduire à réclamer la neutralité pour l’individu (et non seulement pour l’Etat) au nom d’un commun qui ne résulterait pas « des libres confrontations, issues des composantes individuelles et collectives de la société civile ». Ce commun se fonderait au contraire sur « la neutralisation des différences anthropologiques de sexe, de religion, de culture »... Mais justement, le commun de la République n’est en aucun cas la résultante des confrontations des différences anthropologiques dans la société civile (qui doivent évidemment avoir lieu et que l’on ne doit pas occulter) ! Il y a là un parti pris chez Baubérot, qui rabat en quelque sorte la République sur la démocratie, et ne tient donc pas compte de la spécificité de la dimension républicaine. Régis Debray n’a-t-il pas raison de distinguer à ce sujet les deux, en précisant que l’idée universelle régit la République qui, en tant que telle, surplombe de façon unitaire la société, alors que « l’idée locale » régit la démocratie « qui s’épanouit dans le pluriculturel et la décentralisation ». Nous voyons bien que la limite est fragile entre un universalisme qui risque d’être mystificateur, et celui au contraire qui permet encore une fois  aux valeurs de la République de surplomber la société civile et ses fragmentations. Pour montrer cette fragilité, citons encore une fois Régis Debray, cette fois pour nuancer son propos : il n’y a pas de « sénateurs jaunes », dit-il, ou de « maires noirs » parce qu’une République définit chacun d’entre eux comme citoyens... Oui, bien sûr, mais, il se trouve que la République française a encore très peu de maire noirs ou basanés, malgré la diversification de la couleur de peau des français... Un tel constat doit nécessairement nous conduire à la prudence concernant des déclarations de principes qui seraient contredites par la réalité...

                        Un pouvoir d’entraînement de la République qui s’est affaibli...

Mais une chose apparaît néanmoins importante : ce qui rassemble et constitue le commun des gens qui pourtant sont différents est sans hésitation la culture politique commune inséparable de l’idée républicaine. Or, et le « bas blesse » à cet endroit, cette culture politique semble ne plus donner ce qu’elle est sensée promettre ; c’est l’analyse que Régis Debray semble développer et qu’il reprend dans le colloque sur l’intégration en juin 2016 à l’initiative de Pierre Chevènement. Il évoque un certain nombre de facteurs qui sont selon lui responsables de la crise de la laïcité, comme l’affaissement de la puissance symbolique de l’Etat, le brouillage de la séparation entre public et privé, la crise du savoir qui réduit tout énoncé, même scientifique, à une opinion parmi d’autres[46], et enfin la présence, par l’intermédiaire de la vidéo-sphère, d’un autre monde au sein même de l’espace républicain.  Mais surtout, il insiste sur le fait que le pouvoir d’entraînement de la République s’est affaibli ; nous voilà revenu à la question des valeurs de la République et de leur pouvoir d’adhésion, et nous sommes sans doute au cœur de l’enjeu contemporain : la laïcité, en tant que cadre juridique propre à faire vivre ensemble des gens ne partageant pas les mêmes convictions, s’adresse à l’intelligence (si nous voulons nous empêcher de nous entretuer, elle est indispensable) et non au cœur, elle n’est pas une nouvelle religion ou idéologie. Mais l’homme, avant d’être raisonnable, « est « maisonnable » ( !) c’est-à-dire qu’il a besoin d’une maison... La République peut-elle encore en être une ? ». Selon Debray, toute la question est là : la mythologie de la Nation peut-elle continuer de fonctionner ? Il observe  « un vide symbolico-affectif et un vide d’encadrement pratique, social, quotidien : les colonies de vacances, les cours de gym, les films le soir… tout cela s’est effondré. Il reste M. Tapie ou M. Macron : pas de quoi mobiliser des militants républicains… ». Comment ce vide symbolico-affectif peut-il être comblé, et surtout est-ce la laïcité qui doit changer ?

                        Est-ce la laïcité qui doit changer ?

On ne peut que le constater : ce que nous avons appelé la crise de la laïcité est indissociable de tentations visant à restaurer l’ancienne laïcité gallicane : celle-ci introduit des limites à la liberté de conscience et d’expression au nom de la laïcité, et peut remettre en question l’égalité des droits entre citoyens : par exemple l’interdiction du salafisme (référence floue qui réunit une grande variété de pratiques musulmanes, l’interdiction pouvant aller jusqu’à l’interdiction du port du voile)[47]. Plus globalement, nous vivons aujourd’hui sous la menace de nouvelles lois foncièrement incompatibles avec la séparation et la neutralité de l’Etat : l’interdiction du voile à l’université (dans l’entreprise ?), l’interdiction du burkini sur les plages, la suppression des repas sans porc dans les cantines...etc.  Après tout, la loi de 1905 n’est pas un dogme et elle peut être modifiée... Mais si les principes premiers de l’idée de laïcité sont constitués par cette neutralité et cette séparation, ne risque-t-on pas alors de lézarder l’ensemble de l’édifice républicain, et par conséquent d’être contre-productif dans ses effets, affaiblissant encore davantage l’efficace symbolique de cette culture commune de la République ?  

Faire de la laïcité une « religion civile d’Etat », dirait JJ Rousseau, sous la forme d’un Code moral et civique non religieux  tenant lieu de « culte de la République elle-même » est-il une solution ?  Elle pourrait en effet incarner une forme de transcendance de la République et de « principe d’inclusion universelle » (Dominique Schapper). Certains sont tentés en effet d’aller dans cette direction : Yves Michaud le propose dans son dernier livre[48], sous couvert de « refondation du contrat social » républicain. Il faut retrouver « une puissance souveraine », affaiblie par le développement sans limite de l’individualisme et des droits individuels, et « penser de nouveau les conditions de la communauté démocratique, et les limites qui doivent être assignées aux religions »[49]. Plus loin : « L’accès somnolent et passif à la communauté politique ne doit plus avoir cours, mais il doit être l’objet d’un acte solennel de reconnaissance des principes de la communauté ».

Le refus de cette prestation ou le manquement à ses principes entraîneraient de facto une expulsion. Une éducation civique rigoureuse et soumise à examen devra préparer cet acte. Les engagements pris ainsi sont clairs : reconnaissance, « pour les citoyens musulmans comme tous les autres », de la liberté de conscience, la liberté de religion et la liberté d’apostasie ; les activités prosélytes doivent être surveillées et si besoin réprimées (à partir de quel critère ?) ; abandon de toute revendication quant à la compétence ou à la supériorité de la Charia (la loi religieuse). Une telle proposition a au moins le mérite  de désigner implicitement contre  quoi nous devons nous prémunir : l’insécurité vis-à-vis de ceux qui se comportent de façon hostile à la communauté et à ses principes. Nous ne reviendrons pas sur la réalité du séparatisme religieux et culturel auquel nous sommes aujourd’hui confrontés... Nous pouvons simplement nous demander si le combat qui semble ici renouveler - dans des conditions nouvelles compte-tenu de la spécificité de la situation et de la présence d’une nouvelle religion – celui qui avait été engagé contre la main mise du catholicisme sur les affaires publiques, est de nature à faire progresser l’intégration des nouveaux venus à la communauté... Yves Michaud insiste surtout à ce sujet sur des objectifs de sécurité : il s’agit de prévenir « la guerre de tous contre tous », danger qu’il considère, en bon « hobbesien », comme  une possibilité toujours très présente.

Une autre forme d’intervention « gallicane », sans doute plus « douce », mais néanmoins contestée par Yves Michaud, est celle qui est expérimentée aujourd’hui avec la nomination de Jean-Pierre Chevènement à la tête de La Fondation pour l’islam de France dont la mission est de  faire émerger un « islam de France », issu de toutes les sensibilités des musulmans français, autonome dans ses financements. Nous avons là un autre exemple d’intervention de la République qui met en question sa neutralité et la séparation des églises et de l’Etat. Yves Michaud conteste cette ingérence, et pense que seuls les musulmans, s’ils le veulent, peuvent organiser leur propre religion, le devoir de la communauté étant qu’ils le fassent dans le respect des règles de celle-ci.  A tout le moins, dit Abdenour Bidar, eût-il été souhaitable que cette personne chargée de piloter ce processus soit une personnalité reconnue du monde musulman...

                    Pour aller vers une résorption de la fracture. Le malentendu sur l’assimilation...

 Quelque soit l’intérêt ou non de ces tentatives pour assigner des limites aux religions, et en particulier à la religion islamique, nous devons avoir toujours présent à l’esprit le but que nous poursuivons, c’est-à-dire aller vers la paix civile et la résorbtion de la fracture. La mesure préconisée par Yves Michaud (et que Chevènement avait déjà proposé en son temps...) n’est-elle pas en elle-même un aveu de faiblesse ? Peut-on combattre le séparatisme identitaire par la proposition d’un tel « serment » ? Cette proposition ne risque-t-elle pas d’envenimer les relations au lieu de les apaiser ? Dans quelle mesure est-il possible d’appliquer une telle mesure volontariste ? Marcel Gauchet, tout en parlant d’une « laïcité de combat » qu’il ne précise jamais, semble écarter une telle stratégie. Contrairement à ce que pense Régis Debré, inutile de chercher désespérément « la religion civile », la chose collective a partout cessé d’être investie de religiosité ou de sacralité, et tout retour en arrière est impossible. Il préconise un dialogue ferme mais ouvert avec les musulmans, faisant ressortir leur intérêt bien compris (nul n’a intérêt à une crispation ou un blocage, et les musulmans ne peuvent que souhaiter d’être bien intégrés dans une société qui les accepte). La majorité des musulmans, dit-il encore, apprécierait « un discours intelligent, équilibré, travaillé avec soin, sur ce thème », au risque de se faire vilipender par Médiapart, ajoute-t-il avec humour... Beaucoup d’intellectuels musulmans aujourd’hui ont le courage de lancer franchement le débat sur le contenu problématique du Coran en proposant de le réformer pour qu’il ne serve de justification à la violence. Le discours politique aujourd’hui doit soutenir cette mise en garde et ainsi répondre aux aspirations de la population, plutôt que de faire comme si l’extrémisme djihadiste était étranger à l’Islam, et d’avoir comme seul argument le rejet de l’amalgame. Cependant, et dans le même mouvement, il n’est guère raisonnable de poser dorénavant comme un préalable l’assimilation forcée des populations d’origine immigrée, supposant par la même le problème à résoudre par avance résolu, et rompant l’équilibre si difficile à maintenir entre universalisme et particularisme[50] ! Marcel Gauchet répond de façon pertinente à la question de savoir s’il est pour l’assimilation en disant que celle-ci  ne peut être qu’un processus terminal qui ne se décrète pas. On ne contraint pas à assimiler, on s’assimile sans s’en rendre compte. C’est l’aboutissement normal d’un processus d’intégration réussie, ce qui ne signifie pas pour autant que l’on ne garde pas ce qu’on avait avant et qu’il n’y pas en soi la référence à ses origines et à sa culture. L’assimilation est en réalité une adoption qui ne peut venir que de celui qui adopte ! Bien sûr, la réciprocité de la société d’accueil est également importante, les deux mouvements se renforçant l’un l’autre. Force est de constater que cette circularité joue actuellement dans le sens négatif...  Mais il est vrai aussi que la force de la Modernité –démocratie et république réunies – est à long terme sans doute irrésistible, et que les processus d’hybridation et de métissage finissent par l’emporter dans ce sens... Mais que faire aujourd’hui pendant une ou deux générations ?

                    Ni multiculturalisme, ni assimilationnisme, mais la préservation de l’équilibre entre universalisme et particularisme...

Comment la République peut-elle retrouver son rôle unificateur, sans brandir une finalité agressivement assimilatrice et vouée par définition à l’échec (puisque pas d’assimilation sous contraintes) ? La question posée me semble excéder la stricte question de la laïcité pour englober la façon dont nous gérons non pas seulement une diversité culturelle, mais un écart civilisationnel qui prend souvent aujourd’hui des allures d’affrontement. Tout le monde a compris que le modèle multiculturaliste américain n’est pas transférable dans notre pays dont la culture politique est très différente[51].... Le modèle assimilationniste paraît éthiquement condamnable et politiquement peu défendable, puisqu’il risque d’accroître les tensions communautaires... Il est liberticide en refusant le principe pluraliste (droits égaux des différences) qui prévaut dans la démocratie. Il ne peut se justifier que du point de vue d’un universalisme qui se prétend établi contre les particularismes qui viendrait le déranger... Comment faire alors ? Nous sommes de ceux qui pensent que le modèle de laïcité directement inspiré de la loi de 1905 doit continuer de nous servir de référence commune dans la résolution des problèmes. Tout recours à l’universel doit dans le même temps se persuader qu’il n’y pas d’universel concret sans la marque d’une culturalisation : tout universel concret est aussi, sur l’une de ses faces, un universel culturel, et donc aussi une forme particulière de cet universel. Nous ferions  par conséquent une erreur de considérer la forme actuelle de la laïcité inscrite dans le marbre... Mais à condition de ne pas déstabiliser l’équilibre longtemps cherché et trouvé - ne serait-ce qu’un temps – entre universalisme et particularisme, avec la loi de 1905 sur la laïcité. Des aménagements à la loi peuvent sans doute être discutés au cas par cas, mais à condition de ne pas briser la cohérence d’un cadre qui avait permis jusqu’à présent d’articuler plutôt bien l’universalisme républicain et les particularismes locaux. Nous avons le sentiment qu’il existe aujourd’hui certaines tentations qui consistent à instrumentaliser la laïcité comme si elle était une religion qui en combat une autre, perdant en même temps la référence à l’universalisme propre d’une République qui réussit à se hisser au dessus des confrontations partisanes. Nous ne pouvons pas attendre de la laïcité qu’elle règle tous les problèmes, qu’elle vienne à bout de l’apartheid social et de l’apartheid culturel... Comme le dit un dicton légèrement machiste, « La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a... », mais la laïcité descend en droite ligne de la Déclaration des droits de l’homme, et la protection des libertés est sa marque de fabrique, méritant ainsi d’être le quatrième terme après « liberté, égalité, fraternité ». Elle constitue avec les droits de l’homme cet « universel négatif » (personne ne peut prétendre en être le modèle achevé !)  dont parle François Jullien, propre à faire du commun entre les humains, à regrouper les citoyens au-delà des appartenances et des convictions partisanes. Ce socle du vivre-ensemble doit être défendu, et nous devons nous mobiliser contre toute tentative pour le remettre en cause. Georges Clémenceau, dans un discours célèbre sur la liberté à l’adresse des laïques gallicans, disait : « Vous rêvez l’Etat idéal ! Mais votre abstraction d’Etat est un Etat-pape : nous sommes des hommes d’esprit latin. La poursuite de l’unité par Dieu, par le roi, par l’Etat nous hante : nous n’acceptons pas la diversité dans la liberté.... Nous n’échappons à l’Eglise que pour tomber dans les bras de l’Etat. ». Pour illustrer caricaturalement une telle dérive, il suffit d’évoquer l’article de Paul Sicard[52], dans un article du Figaro de septembre, qui commente l’enquête précédemment cité sur l’Islam en France, et accuse « la religion des Droits de l’Homme » du Conseil de l’Europe de permettre aux musulmans d’exhiber leur « marqueurs » identitaires  tels que le voile, le ramadan, le burkini, la viande hallal, et ainsi de paralyser toute lutte contre « le communautarisme et l’islamisation de la société ».  Les Droits de l’Homme sont l’obstacle principal à une « véritable politique d’assimilation », seule capable de changer les individus (contrairement à l’intégration qui les laisse comme ils sont). Conclusion : il faut se débarrasser des droits de l’homme ! Souhaite-t-on vraiment abandonner le sens même d’un universalisme républicain qui a su jusqu’à présent nous préserver de cette guerre sans merci des particularismes et des civilisations entre elles ? Sans être une religion, les droits de l’homme ne doivent pas cesser d’être le socle qui nous permet de « faire société » ensemble...

 

                                                                                                               Daniel Mercier, le 30octobre 2016



[1] La signification première de l’universalisme a disparu : il s’agissait d’une doctrine suivant laquelle tous les hommes sont destinés au salut.

[2] Par exemple Abdenour Bidar relativise les différences entre humains au nom d’une même humanité  qui fait de nous « des frères et sœurs ». La fraternité ou « l’amour de l’humanité » sont ainsi des valeurs universelles, posées comme  une « évidence naturelle », en dépit de ce qu’il appelle « la guerre de tous contre tous » pour décrire la mondialisation actuelle.

[3] Alain Touraine, « Egaux et différents. Pouvons-nous vivre ensemble ? ». François Jullien, « De l’Universel, de l’uniforme, du commun et  du dialogue entre les cultures. »

[4] Comme le souligne Roger Pol Droit, Montaigne a été un des premiers à dire la même chose dans Les Essais : «  Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ».  

[5] Au début de la conquête de l’Amérique, les européens s’interrogeaient pour savoir si les Indiens avaient une âme ; mais les Indiens se demandaient aussi si le corps des conquistadors se décomposait comme celui des humains.

[6] Selon Roger Pol Droit (Philo Mag octobre 2016), Claude Levi Strauss s’est trompé sur l’interprétation du sens grec de la notion de barbarie

[7] L’autre en nous aussi, bien évidemment...

[8] Lire chapitre consacré à la Culture dans « Notions de Philosophie, Tome III ».

[9] François Jullien, dans le livre déjà cité.

[10] Marcel Gauchet, « Comprendre le malheur français » Il faudrait montrer en quoi cet universalisme révolutionnaire s’enracine dans l’idéal culturel français, en particulier celui de l’âge classique (« le siècle de Louis XIV »...)

[11] Cf. à ce sujet la réflexion de Marcel Gauchet

[12] Alain Touraine, « Egaux et différents. Pouvons-nous vivre ensemble ? »

[13] Car nous devons toujours nous souvenir qu’aucune culture, même républicaine, ne peut prétendre à elle seule incarner l’universel....

[14]Dans le milieu intellectuel américain par exemple, nombreux sont ceux qui défendent l’idée qu’une histoire des USA devrait être écrite par les indiens, mais aussi par les homosexuels à partir du moment où leur vision serait différente de celle des hétérosexuels, ou encore l’histoire d’Amérique latine par les anciens colonisés... L’histoire n’existe plus vraiment dans sa vocation unificatrice ; seuls existent les histoires mémorielles. 

[15] C’est là qu’il existe sous sa forme la plus épurée.

[16] «  Les sept laïcités françaises »

[17] La confusion est ainsi entretenue, sciemment ou par ignorance, entre les deux sens de la notion qui désigne à la fois la sphère publique de l’Etat et de ses administrations, et l’espace public de la rue et de tout ce qui ne relève pas du strictement privé (comme par exemple l’entreprise, que l’on pourrait considérer être dans un espace intermédiaire public/privé). De façon très significative, cette confusion sémantique est constante dans tous les propos médiatiques sur la laïcité aujourd’hui, faisant comme si la notion d’espace public allait de soi...

[18] Elle s’ajoute à la trilogie « Egalité, Liberté, Fraternité ».

[19] Les 7 laïcités françaises, Edition de la maison des sciences de l’homme.

[20] Notion méthodologique empruntée à Max Weber

[21] L’article 4. Pour Ferdinand Buisson (mais aussi quelqu’un comme Clémenceau), la séparation ne doit pas entraîner la reconnaissance de l’Eglise catholique comme entité, hiérarchie officielle, mais uniquement la reconnaissance de la liberté de conscience de l’individu. Alors que la Loi qui a été finalement votée, celle d’Aristide Briand, intègre dans la séparation une dimension collective : il ne faut rien faire qui ne puisse porter atteinte à « la libre constitution des églises ». La séparation ne doit pas donner l’occasion à l’Eglise de crier à la persécution,  en entravant sournoisement l’exercice du culte. Ce qui se traduirait par une liberté formelle. La séparation doit être « inclusive » et apaisante. Il s’agit d’un pacte laïque avec la société civile, y compris sa composante religieuse. La constitution de 1946 reprend cette idée avec la notion de « neutralité de respect » :l’Etat ne « reconnaît pas » officiellement les Eglises, mais respecte leur constitution.

[22] Rapport de la Commission Stasi 2003

[23] « La laïcité distingue la libre expression spirituelle ou religieuse dans l’espace public, légitime et essentielle au débat démocratique, de l’emprise de celui-ci, qui est illégitime. Les représentants des différentes options spirituelles sont fondés à intervenir à ce titre dans le débat public, comme toute composante de la société. »

[24] On ne peut pas ne pas faire le rapprochement avec la focalisation actuelle sur le voile.

[25] De la même façon aujourd’hui, quand nous jugeons en lieu et place des intéressées que le foulard est le symbole de leur soumission... La liberté des femmes se mesure-t-elle au fait de porter ou non le voile, ou de choisir de s’habiller comme elles l’entendent ? 

[26] La position de Régis Debray semble assez proche de cela. Cf. plus loin.

[27] Pour l’histoire très spécifique de cette laïcité, lire « Les 7 laïcités », p 115, Jean Baubérot.

[28]« Manifeste pour une laïcité ouverte » écrit par 5 personnalités en 1989

[29]François Barouin fût le premier à la théoriser en juin 2003 alors qu’il était premier Ministre de JP Raffarin

[30] Souvent la démarche historique est sacrifiée au prix d’une image simpliste et idyllique du passé... Pensons à l’anecdote sarkoziste des gaulois...

[31] Que valent vraiment alors de telles distinctions conceptuelles ? Nous constatons que la réalité est beaucoup plus complexe et mouvante que ne le laisse supposer de tels « idéaux-types »... Mais ils ont cependant le grand mérite de pouvoir décrire de façon pertinente et précise les comportements qui se déroulent sous nos yeux.

[32] A noter toujours la même confusion sur la notion d’espace public, qui « sert » en réalité le point de vue défendu.

[33] Conception défendue par Michel Miaille et qui est celle de la Loi de 1905.

[34] Référence ici à la théorie du Grand Remplacement pour laquelle cette position dominante serait gravement menacée, ne serait-ce que par un déséquilibre démographique qui ne cesserait de s’accentuer....

[35] Lettre Ouverte au Monde Musulman », octobre 2015, et récente conférence à Sortie Ouest (septembre 2016). Abdenour Bidar se présente comme philosophe, normalien, et musulman.

[36] Cf. le livre « Comprendre le malheur français » et la conférence récente faite à la Grande Loge de France.

[37] « Ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur de réacteur d’une civilisation humaine ! »

[38] Marcel Gauchet, Les lignes qui suivent sont un résumé de l’analyse de MG dans  « Comprendre le mal français », p 248

[39] Marcel Gauchet, « Comprendre le mal français », p 249

[40] Théorie selon laquelle une altérité imaginaire se construit par un processus qui consiste à attribuer par principe une telle disparité aux nouveaux venus.

[41] Idem, p 252

[42] Entretien publié dans Le Point le 5 février 2015

[43] Lire à ce sujet le livre qui vient d’être édité, « Le génie de la Laïcité »

[44] Marcel Gauchet

[45] article 10 : personne ne peut être inquiété  pour ses opinions même religieuses, pourvu qu’il ne trouble pas l’ordre public

[46] Il relate l’anecdote de son ami professeur de SVT qui faisait un cours sur l’histoire géologique de la formation de la Terre, a qui un élève objecte : « « C’est votre opinion, Monsieur, mais nous avons d’autres sources qui vous contredisent. On vous respecte mais respectez-nous. Et l’imam nous a dit hier qu’il existe d’autres vérités que la vôtre ».

[47] C’est au programme de Nathalie Kosciusko Morizet

[48] « Contre la bienveillance »

[49] Cela signifie implicitement que la Loi de 1905 ne suffit plus.

[50] C’est précisément la logique sarkozienne défendue sur tous les tons pendant la primaire de la droite et du centre...

[51] Cette question mériterait à elle seule un long développement...

[52] Il a écrit récemment »L’islam au risque de la démocratie »