"Quelle justice pour quelle égalité ?"

 

Conférence prevue le vendredi 8 mai 2020 

sous le chapiteau Hérault Culture Scène de Bayssan.

et annulée pour cause de COVID 19

 

Le Sujet

"Quelle justice pour quelle égalité ?"

Présentation du sujet :  

 

QUELLE JUSTICE POUR QUELLE EGALITE ?

 

S’interroger sur les fondements philosophiques de l’égalité et de la justice, les revisiter à la lumière de l’avènement de la démocratie moderne, et en même temps s’appuyer sur la pensée de John Rawls et sa célèbre « théorie de la justice » (1971) pour mieux comprendre les enjeux considérables de cette question dans notre monde contemporain, tel sera notre souci. Ne pas trop céder à la facilité des discours convenus sur l’injustice et les inégalités qui risquent de nous dispenser de penser, nous contentant d’une indignation à bon marché devant l’ampleur des inégalités constatées, mais au contraire ne pas hésiter à questionner cette notion d’égalité - Arithmétique ? Proportionnelle ? -, de façon à mieux pouvoir penser ce que pourrait être une justice adaptée à notre monde moderne, conciliable avec notre démocratie et l’efficacité de notre économie (même décarbonée). Car il va de soi que le creusement des inégalités aujourd’hui constitue un cocktail explosif qui risque de sauter rapidement à la figure de la démocratie, et même de la tuer… S’il est vrai que « la justice est la première vertu des institutions sociales, comme la vérité est la première vertu des systèmes de pensée » (John Rawls), et que « Tous les hommes sont d’avis que le juste consiste en une certaine égalité… » (Aristote), demandons-nous alors quelle sorte d’égalité et d’inégalité sont légitimes. Telle est en vérité la question fondamentale que toute philosophie politique doit se poser.

Ecrit philo

 

« Quelle justice pour quelle égalité ? »

 

INTRODUCTION

LA JUSTICE EST POLITIQUE PLUTÔT QUE NATURELLE…

JUSTICE COMMUTATIVE, JUSTIVE DISTRIBUTIVE : EGALITE OU PROPORTIONNALITE ?  LES DIFFERENTS SENS DU TERME D’EGALITE

PROPORTIONNALISER L’EGALITE AU MERITE ?

EGALITE ET LIBERTE : DES RELATIONS DIALOGIQUES

EGALITE ET LIBERALISME

 THEORIE DE LA JUSTICE (JOHN RAWLS) : UNE TENTATIVE DE REPONSES AUX DIFFICULTES IDENTIFIEES A PROPOS DE LA MISE EN ŒUVRE DE L’EGALITE. LA NOTION D’ « INEGALITE JUSTE » 

Le mérite comme simple stimulus et non comme justification morale

La priorité du Juste sur le Bien

Des biens sociaux premiers 

La « position originelle »

Les principes de justice retenus : principe de liberté, principe de l’égalité des chances, principe de différence

ACTUALITE DE LA THEORIE DE LA JUSTICE ET COMMENTAIRES CRITIQUES

CONCLUSION

 

INTRODUCTION

Nous devons sans doute nous méfier de la fausse évidence de ce recours fréquent à l’égalité et à la justice lorsqu’il s’agit de s’indigner devant  une situation jugée inacceptable. Les « trompettes de la renommée » de l’égalité et de la justice peuvent être parfois assourdissantes au point de considérer ces dernières comme des « affaires entendues » qui ne méritent pas davantage de réflexion, tant elles sont implicitement reconnues comme de grandes vérités scandaleusement bafouées par la réalité. L’inconvénient majeur de telles déclarations indignées est de se priver comme souvent d’une chose essentielle : prendre la mesure de la grande difficulté devant laquelle on se trouve lorsqu’il s’agit de s’entendre sur ce que nous entendons au juste par-là : la référence à la justice et à l’égalité renvoie à une simplicité trompeuse, et si nous avons raison de faire le constat d’une réalité politique et sociale défaillante de ce point de vue, le passage de l’idéal des principes au réel est toujours semé d’embûches, et nous devons nous efforcés d’affronter ces difficultés. A commencer par savoir vraiment de quoi nous parlons. La réflexion philosophique sur la justice et l’égalité que nous voulons doit nous aider à mieux comprendre les enjeux politiques et sociaux contemporains, mais aussi permettre d’agir de façon plus pertinente sur la réalité de notre monde.

Ceci étant, le constat des inégalités criantes de ce monde, qu’il s’agisse des inégalités-intra dans nos sociétés industriellement développées ou des inégalités-inter entre le Nord et le Sud, entre les différentes sociétés de notre planète[1], n’est pas vraiment contestable. Rappelons juste ces quelques chiffres qui suffisent à eux-seuls. Ces dernières décennies les revenus des plus pauvres ont progressés notamment à cause de l’essor de la Chine et de l’Inde, mais les revenus des plus riches ont progressés encore plus vite, les classes moyennes étant les grandes perdantes. Outre-Atlantique, les 1% des plus aisés concentraient environ 20% de ces revenus en 2016, contre 10% en 1980. Alors que dans le même temps, la proportion de revenus captée par la moitié la plus pauvre de la population a suivi une courbe inverse, passant de 20 à 13%.Les écarts se creusent moins en France, sans doute à cause de la progressivité des impôts, plus importante qu’aux Etats-Unis. Ces inégalités concernent aussi le patrimoine :la proportion de patrimoine possédée par les 1% les plus riches a bondi de 23,5% en 1980 à 38,6% en 2014. En France, la hausse est plus limitée, de 17,2 à 23,4%. Si une telle tendance se poursuit, l’avenir est encore plus sombre : la part de patrimoine détenue par les 1% les plus riches grimperait de 33% à 39% d’ici 2050, les 0,1% concentrant à eux seuls 26% de ces richesses… soit presque autant que la fortune détenue par les “40% du milieu”[2]. Nous pourrions multiplier ces chiffres montrant le développement des inégalités sociales, qui apparaissent de toute façon évidentes à celui qui veut bien ouvrir les yeux sur le monde qui l’entoure… « Jamais l’inégalité n’est apparue plus flagrante entre ceux qui, au centre, s’approprient et gaspillent les ressources, et ceux qui, à la périphérie, ne survivent que des miettes du festin »[3]

Revenons donc à notre question : « quelle justice pour quelle égalité ? ». Voilà donc une question première à toute philosophie morale et politique, car le concept de justice a cette spécificité de réaliser de façon inextricable l’union du moral et du politique. John Rawls, le grand philosophe contemporain dont l’œuvre est toute entière consacrée à ce sujet[4], considère que la justice est la première vertu des institutions sociales, comme la vérité est la première vertu des systèmes de pensée. Elle est cet idéal normatif à partir duquel nous pouvons juger et critiquer le pouvoir politique qui est l’institution chargée de la faire respecter. Les rapports intimes qui existent entre justice et égalité sont affirmés par Aristote « Tous les hommes sont d’avis que le juste consiste en une certaine égalité… Mais quelle sorte d’égalité et quelle sorte d’inégalité ? C’est un point qui ne doit pas nous échapper, car il contient une difficulté fondamentale de la philosophie politique » (Aristote). C’est cette difficulté qu’il s’agit d’explorer ce soir. JJ Rousseau nous permet d’avancer un peu : « Le premier et le plus grand intérêt public est toujours la justice. Tous veulent que les conditions soient égales pour tous et la justice n’est que cette égalité ». Des conditions égales pour tous, c'est-à-dire ?

LA JUSTICE EST POLITIQUE PLUTÔT QUE NATURELLE…

Pendant longtemps et depuis Aristote, la justice était l’œuvre de la nature, ou plutôt l’ordre de la nature est le socle de la justice et de ses principes. Ce que l’on va appeler le droit naturel classique : il existe une loi vraie conforme à la nature (ou à la surnature avec les philosophies chrétiennes[5]). La justice des hommes doit s’incliner devant elle. La modernité va chercher à s’émanciper de cette notion, notamment avec les Droits de l’homme, au sens où ces droits de l’homme repose sur la « nature humaine », c’est-à-dire sur la nature propre de l’homme… mais nous voyons que la référence au droit naturel, même moderne, reste pendant longtemps la seule référence légitime pour ce courant du droit et de la philosophie appelée plus tard le « jus-naturalisme », s’appuyant sur l’idée d’une « égalité naturelle » entre les hommes. JJ Rousseau nous paraît être l’auteur exemplaire du point de vue de cette tentative d’émancipation du droit naturel traditionnel ; nous retrouvons en effet chez lui d’une part la fidélité à celui-ci, et d’autre part la volonté de s’en libérer lorsqu’il s’agit de fonder le nouvel état civil. Le « Discours sur l’Origine des Inégalités parmi les hommes » pose à titre d’hypothèse théorique (et non historique ou empirique) un état de nature où les hommes sont libres et égaux (pensons à la DDH : « les hommes naissent libres et égaux en droit, indépendamment…etc. »), qui va conduire rapidement à une société naissante dans laquelle l’inégalité est absente… Mais « par un funeste hasard », « l’égalité disparut, la propriété s’introduisit », et un nouvel état inégalitaire va rapidement s’imposer, où « une poignée de gens regorgent de superfluités, tandis que la multitude affamée manque du nécessaire ». L’embarras de Rousseau dans son Discours est ici palpable : il tente bien d’expliquer ce passage de la société naissante à ce nouvel état social – en particulieravec les comparaisons qui font naître l’amour-propre (premier sentiment social selon lui) et son lot de sentiments tels que la jalousie, le mépris, l’envie et leurs lots d’inégalités, le plus fort, le plus adroit…etc. On trouve également une ébauche d’explication économique :« dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux (ce qui suppose ce que les marxistes appelleront l’apparition d’un surplus économique), l’égalité disparut, la propriété s’introduisit » -, mais à d’autres moments il parle d’un « heureux équilibre » ou « juste milieu » qui aurait dû durer, si un « funeste hasard » n’était pas intervenu… Nostalgie par rapport à cette communauté bienfaitrice de la société naissante qui traduit chez Rousseau une forme de romantisme culturel, mais qui fait aussi de lui, comme l’avait remarquablement noté Claude Levi Strauss, un précurseur des sciences sociales au sens où il pressent la discontinuité à la fois épistémologique et pratique entre ces deux états, l’état de nature et l’état de culture. Il le pressent si bien qu’il est hors de question pour lui de fonder le nouvel état civil où l’égalité sera rétablie sur l’ancien droit naturel. Ces nouveaux rapports sociaux légitimes seront au contraire le résultat d’une convention librement décidée, celle du Contrat Social. C’est cette convention, même si elle n’est qu’une opération de l’esprit ou une idéalité, qui désormais ne va pas cessé d’être retravaillée par la philosophie contemporaine. A partir d’Austin, s’affirme la volonté de divorcer à la fois du droit naturel et de l’idée de justice à priori   pour fonder un ordre juridique « positif »(ou « positivisme juridique), c’est-à-dire relevant uniquement des faits. La justice reprendrait son sens qu’à travers l’expression institutionnelle qu’elle revêt en tant que droit positif, dépendant étroitement de l’autorité politique qui l’institut. Mais un autre courant de pensée se dessine visant à refonder rationnellement et philosophiquement les principes de justice, et réélaborer un nouveau contrat social qui s’émancipe pour de bon d’une nature ou surnature (divine) édictant une conception universelle du Bien. La théorie la plus connue et intensément discutée durant tout le XXème siècle est celle de J. Rawls et sa « théorie de la justice ». Il est donc nécessaire dans ce cas d’intégrer les droits de l’homme et la morale dans le champ de bataille politique. La justice bascule ainsi du côté des conventions et des artifices qui sont seuls capables d’assurer la survie et la paix du groupe… En fin de compte, il n’y a de justice qu’humaine, c’est-à-dire souhaitée par les hommes doués de raison. L’idée même de justice n’existe que si les hommes la veulent, s’en font un idéal, et tente de la faire. La question de l’égalité n’a de sens que dans la Cité instituée par les êtres humains qui se rassemblent en vue d’une vie commune. En ce sens, la nature n’est ni juste, ni injuste, ni morale, ni immorale (Spinoza), elle est, tout simplement. La justice retrouve son véritable sens, celui d’une justice éminemment politique, c’est-à-dire reliée à un projet et une praxis humaine.

JUSTICE COMMUTATIVE, JUSTIVE DISTRIBUTIVE : EGALITE OU PROPORTIONNALITE ?  LES DIFFERENTS SENS DU TERME D’EGALITE

Les philosophes grecs concevaient la justice comme une activité de partage et de répartition et  distinguaient deux types de justice : la justice commutative et la justice distributive. La première relève d’une égalité arithmétique. Le partage à opérer est simple : à chacun la même part. « Un » égale « un » selon un principe d’égalité parfaite.Elle est par exemple à l’œuvre dans le troc, les échanges qui s’appuient sur des contrats. Les biens échangés doivent être égaux pour que l’échange soit dit juste et nul marchand ne s’y trompe. Mais elle inspire aussi tout le courant démocratique qui l’emporte à Athènes avec la réforme de Clisthène (508), qui met en avant les mots d’ordre d’« isonomie », égale répartition du pouvoir et du revenu, et de l’« iségorie », égalité de la parole. La seconde relève d’une égalité proportionnelle. Ne sommes-nous pas obligé de reconnaître avec Aristote[6] qu’il n’est pas juste de donner la même chose à tout le monde, quelque soit le comportement de chacun ? La justice selon lui consiste à traiter inégalement des individus inégaux. Ainsi, il n’est pas vrai que A= B, mais la bonne formule est  un rapport de proportion « A/B =C/D[7]. L’égalité n’est pas entre des choses, mais entre des rapports. Il faut établir une égalité entre le rapport de la contribution de tel individu et telle part, et le rapport de la contribution de tel autre individu et telle autre part. « A chacun ce qui convient » « A chacun son dû » ou « à chacun sa part », ou encore « à chacun le sien », vont être les formules consacrées de la justice distributive ; même si certains y voient un « sophisme de l’inégalitarisme », il est difficile de ne pas prendre en compte cette idée de proportionnalité, et donc de distinguer égalité et équité. Mais en même temps, les formules sont un peu tautologiques : comment peuvent-elles se traduire dans les faits ? Le problème central de la justice va précisément être de définir des principes à priori de détermination des parts de chacun dans des domaines différents Car la question se complique sensiblement lorsqu’on envisage les différents sens que prend la notion d’égalité selon ses domaines d’application…

L’égalité se traduit en premier par l’égalité des droits, juridiques, civiques ou politiques. Ici règne dans les sociétés modernes démocratiques l’égalité arithmétique de l’isonomie : Les individus sont interchangeables selon l’égalité un = un et jouissent en principes des mêmes droits. L’égalité juridique est un principe selon lequel les prescriptions, défenses et peines légales sont les mêmes pour tous les citoyens sans exception de naissance, de situation et de fortune (on peut parler ici aussi d’égalité civile).L’égalité politique est le principe d’après lequel les droits politiques (le droit de vote), et dans la mesure de leurs capacités, l’accession aux fonctions, grades et dignité publiques appartiennent à tous les citoyens sans distinction de classe ou de fortune. Mais cette dernière formule montre ici les limites de l’isonomie dans la démocratie représentative, car en effet, concernant

La répartition des charges et des fonctions publiques, la démocratie se tient à égale distance de l’idéal grec d’isonomie – démocratie directe et tirage au sort des responsables – et de la justice strictement distributive de la République platonicienne (qui veut mettre en œuvre un principe hiérarchique strict d’attribution selon les aptitudes de chacun[8]). Chacun peut prétendre à ces charges ou fonctions, mais en revanche le choix est élitiste dans la mesure où il s’agit de retenir les meilleurs par le biais du suffrage. Ce que nous avons appelé le principe de l’élitisme méritocratique (nous y reviendrons). Elire le « meilleur » est déjà une dérive pour les démocrates radicaux, et génère une forme d’oligarchie qui finit par trahir les intérêts du peuple. Rousseau notamment adhère à cette critique du système représentatif qualifié d’aristocratique, tout en reconnaissant que la démocratie telle qu’il l’a conçoit ne convient qu’à un peuple de dieux… Pensons aussi à Socrate qui à l’inverse demande malicieusement si le tirage au sort fonctionne vraiment pour les commandants de guerre, les ingénieurs, les profs ou les juges… Il n’est pas loin de penser que la réponse (négative) est déjà dans la question…

L’égalité « réelle » : dans un troisième sens, on parlera d’ « égalité réelle », qui est le fait que deux ou plusieurs hommes ont même fortune, même instruction, même santé …etc. L’application mécanique d’un principe d’isonomie s’avère ici impraticable et surtout cauchemardesque : peut-on imaginer un seul instant une communauté d’êtres humains qui seraient en quelques sorte des copies conformes ? L’égalité se confondrait ici avec une forme de similitude proche de celle que met en scène « Le meilleurs des mondes » de Huxley… En même temps, elle nous parle légitimement d’égalité de condition sociale, et c’était bien le sens de la formule de Rousseau[9]. Il s’agit ici en particulier d’égalité sociale et plus généralement d’égalité des biens (santé, culture, éducation, revenus, patrimoine), au-delà d’une égalité de droit qui peut apparaître « formelle » si elle ne s’accompagne pas de ce que François Dubet appelle « l’égalité des places » dans la société… Mais là encore vont se heurter les deux principes concurrents en matière d’égalité : l’isonomie et la proportion. Dans un cas on justifie une répartition inégale proportionnée à ce qui doit revenir à chacun (en s’appuyant sur les différences entre individus)[10], alors que dans l’autre il s’agit de réfuter cette prétendue différence entre les individus, et de dénoncer le caractère structurel des inégalités. C’est en particulier le point de vue du marxisme qui en mettant l’accent sur le concept d’exploitation, laquelle désigne un rapport de spoliation et d’assujettissement qui divise structurellement le corps social, considère même comme illusoire et trompeur l’idée même de lutte contre les inégalités qui masquerait la responsabilité entière du clivage de classe au profit d’une analyse en termes de différences individuelles. De leur côté, Proudhon ou Baboeuf défendent une conception de l’égalité qui se confond avec celle d’identité de condition  et de fortune, qui est la seule à être moralement juste. Pour tous ces penseurs, la question de la propriété privée est au cœur de ces inégalités structurelles, divisant la société entre les possédants et les autres. En ce sens, « l’appropriation privée des moyens de production » (Marx) est nécessairement inégalitaire. La question importante ici, qui divise les économistes, est de savoir si nous sommes en présence d’un « jeu à sommes nulle » - le gain des uns correspond exactement à la perte des autres, et il s’agit alors d’une véritable spoliation des uns aux dépens des autres -, ou d’un jeu à somme non nulle où la distribution des gains dépend du rapport des forces et de négociations. Les premiers sont révolutionnaires, et les seconds plutôt réformistes ou socio-démocrates…  

PROPORTIONNALISER L’EGALITE AU MERITE ?

Comme cela a été dit, Aristote introduit la notion de proportionnalité au sujet de l’égalité, et les formules telles que « A chacun son dû », « A chacun sa part », ou encore « à chacun ce qui lui revient », deviennent canoniques… mais ces formules sont un peu à la fois tautologiques et mystérieuses tant que nous n’avons pas concrétisé selon quels critères cette « distribution » ou « répartition » pouvaient se faire, et donné des indications précises sur la manière d’organiser cette « équité ». Un mot d’ordre comme « à chacun selon son travail » s’avère par exemple davantage être un slogan qu’une véritable réponse : comment comparer des travaux de nature différente ? Doit-on considérer le temps de travail comme un critère et homogénéiser quantitativement toutes sortes de travail ? Doit-on retenir le critère d’utilité du travail, ou de complexité, et dans ces deux cas comment les mesurer ? Et qui les mesure ? Qui va décider ce que vaut mon travail ? Il en va de même pour un autre mot d’ordre, qui a fait rêver plusieurs générations, « A chacun selon ses besoins », signe de ralliement du rêve communiste[11]. En dehors de besoins physiologiques primaires, et peut-être de certains besoins psychologiques de base (comme ceux de sécurité ou de relation), nous savons que l’immense majorité des besoins sont éminemment sociaux ou culturels et nous distinguent des animaux ; ils sont des constructions dont le lien avec notre animalité originaire est très ténu ! Ces besoins se sont développés et transformés tout au long de notre histoire humaine… Qui déciderait désormais quels sont les besoins légitimes ? Des formules de ce type peuvent assez facilement conduire à des formes d’abus de pouvoir de nature autoritaire voire totalitaire. Pour nuancer notre propos, le besoin de reconnaissance semble traverser notre histoire, et tout particulièrement nos sociétés contemporaines. Au travers de la demande de justice distributive, quelque chose d’autre se dit, que cette dernière ne peut satisfaire : au-delà de la disparité des sorts et des mérites, ma souffrance et mes besoins comptent autant que ceux de quiconque. Le manque de  soin, d’attention, de considération vis-à-vis de chacun, la perte du respect des autres et de soi-même, explique aussi la profondeur du sentiment d’injustice ressenti. En ce sens, le besoin de reconnaissance peut donner une véritable consistance à ce mot d’ordre « à chacun selon ses besoins », qui sombre sinon dans une forme d’insignifiance…  Mais revenons à cette justice distributive qui, comme le dit saint Thomas d’Aquin « s’établit en accordant des parts diverses à différentes personnes proportionnellement à leurs mérites »[12]. Cette notion de mérite revêt aujourd’hui une importance particulière : la notion d’égalité méritocratique (solidaire de ce qu’il est convenu d’appeler l’élitisme républicain) semble prioritairement retenue comme critère principal de l’égalité proportionnelle. Il est donc nécessaire d’analyser de plus près ce recours au mérite.

Faut-il donner inégalement à des individus inégalement méritants ? Victor Hugo semble le penser quand il dit dans Les Misérables : « Le partage égal tue l’émulation, et par conséquent le travail. C’est une répartition faite par le boucher qui tue ce qu’il partage. ». Phrase magnifique pour dire qu’une certaine proportionnalité est indispensable. Mais il est non moins vrai  que l’appel au mérite, la « prime au meilleur » peuvent être considérés comme une forme moderne d’aristocratie, au sens étymologique du « meilleur » (et non au sens de l’Ancien Régime où tout est joué à l’avance par les privilèges de naissance). Précisons les critères habituellement retenus pour identifier le mérite : 1) Un ensemble de compétences (ou négativement de déficiences) ; 2) La distance qui sépare le point de départ de la compétence acquise (en quelque sorte la progression enregistrée) ; 3) La vertu liée à un certain effort. Voilà des critères très abstraits, difficilement opérationalisables… De plus, ne viennent-ils pas heurter, en démocratie, l’égale dignité et valeur absolue de chaque être humain ? En vérité, cette dignité doit être accordée à chacun indépendamment de son sort ou de son mérite… Plus sérieusement, peut-on vraiment considérer l’inégalité des talents et des efforts consentis comme une valeur morale intrinsèque, c’est-à-dire valant pour elle-même ? Comme le montre avec force John Rawls[13], une telle affirmation est très discutable : les inégalités traditionnellement rattachées aux talents, au différentiel de force, ou relatives à nos capacités de mobilisation, d’effort, de motivation, sont lourdement grevées par les hasards de la naissance, les diverses déterminations sociales et histoires personnelles, quand elles ne sont pas tout simplement le fruit d’inégalités naturelles (dans ce cas, d’où vient le mérite ? A-t-on « mérité » d’avoir par exemple des dispositions physiques exceptionnelles ?). « Nous ne méritons pas notre place dans la répartition des dons à la naissance, pas plus que nous ne méritons notre point de départ initial dans la société ». En revanche, n’y-a-t-il pas une certaine légitimité à ce que les individus s’attendent à voir leurs efforts et leur « résultats » récompensés ? Nous voyons bien ici le paradoxe : le mérite est certes une fiction, mais qui s’avère nécessaire. Nous avons besoin de penser que nous sommes libres et responsables de nos talents, de notre acharnement au travail, de notre courage ou de notre disposition à la paresse. Gît au cœur de nos sociétés démocratiques cette idée de liberté personnelle et d’autonomie qui veut que nous soyons maîtres de nos vies… Pourtant nous ne sommes pas égaux de ce point de vue (ce que l’on va appeler l’égalité des chances). Même si nos sociétés démocratiques ont enregistrés quelques progrès dans cette direction (par exemple l’élargissement de l’accès des biens scolaires  indépendamment de l’origine sociale constitue un progrès indéniable[14]), l’idée pourtant fondatrice de notre République[15] d’une compétition égale pour tous est en grande partie une illusion. Ou plutôt le fait d’ouvrir la compétition à tous n’en fait pas une compétition égale pour tous : preuve en est par exemple la distribution des carrières et des performances scolaires qui restent fortement inégalitaires. Mais cette « fiction »[16] est nécessaire car elle est le ressort de nos sociétés : grâce à elle, les inégalités, les inégales performances seront de la responsabilité personnelle de chacun, produit de ses choix individuels. Terminons sur une note plus optimiste en disant que cela n’est pas faux radicalement : les déterminations sociales qui pèsent sur les choix de chacun nonobstant l’idée de mérite, n’éliminent pas complètement le rôle de ce dernier : si nous prenons l’exemple de l’école, les grandes statistiques de réussite ou d’échec scolaire suivant les CSP (catégories socio-professionnelles), le sexe, l’origine (issus ou non de l’immigration), n’empêchent pas une distribution inégale des performances suivant les individus qui composent ces différents groupes. Cela signifie qu’une marge de liberté existe effectivement permettant à certains individus de réussir alors que leur destin social statistique les en empêchait… Mais pour conclure de façon plus globale sur cette fiction que représente le mérite, nous pouvons avancer que l’idéologie du mérite réalise une sorte de « passe-passe » consistant à donner de la réalité une image littéralement inversée de l’origine : en effet, « la méritocratie est le principe selon lequel les inégalités sont acceptables, voire justes, dès lors qu’elles découlent des talents et des efforts des personnes, en un mot de leur mérite »[17]. La réalité n’est pas loin d’être l’inverse : ce sont très majoritairement les inégalités de départ (qu’elles soient naturelles ou sociales) qui sont responsables des talents et des efforts des personnes ! Inégalités → talents différents, mérite, et non l’inverse : talents différents, mérite → inégalités légitimes.

Comment peut-on, dans l’esprit d’une justice que nous qualifierons alors d’ « équitable », accorder un rôle au mérite sans abandonner l’idéal égalitaire ? Nous reviendrons bientôt sur cette question avec John Rawls.

 

EGALITE ET LIBERTE : DES RELATIONS DIALOGIQUES

Mais nous venons d’introduire avec le mérite l’idée de liberté qui lui est très liée : celui-là s’appuie nécessairement sur une liberté propre à chacun qui permet d’attribuer à tel ou tel l’initiative et la responsabilité de son action. Et même si nous ne « méritons » pas notre position dans l’existence ou nos talents personnels, il ne peut être question non plus de refuser le droit à profiter de ceux-ci qui nous appartiennent. Ce principe d’égale liberté de chacun et de tous est le premier principe d’une société démocratique. L’expression même « d’égale liberté » montre qu’il s’agit bien de la première des égalités. « La position moderne de liberté, qui refuse toute idée de hiérarchie sociale naturelle, toute prétention de quiconque à imposer unilatéralement ses vues ou son idée du bien, ne s’affirme qu’en se transcrivant dans sa réciproque »[18]. Et à l’inverse, l’égalité est de plus en plus aujourd’hui synonyme non seulement d’égalité de droit, mais aussi du droit égal pour chacun à affirmer ses différences. Nous sommes égaux dans ou avec nos différences[19].Marcel Gauchet met l’accent sur une tension sinon une contradiction entre l’affirmation de cette égale liberté pour chacun et du droit à affirmer ses différences (faisant ici référence au profond processus d’individualisation qui qualifie notre société contemporaine), et le développement de l’égalité, c’est-à-dire l’égal traitement de chacun. L’attribution d’une « égale » liberté à tous va introduire un mouvement, une dynamique dans l’histoire, telle que des inégalités de richesse importantes vont pouvoir se manifester. Ainsi le fameux couple égalité-liberté, partie prenante de notre devise républicaine trinitaire (Egalité/Liberté/Fraternité)[20], est uni dans le cadre de relations qui sont à la fois de complémentarité et d’opposition, « dialogiques », pour utiliser un concept de la pensée de la complexité cher à Edgar Morin[21]. C’est-à-dire ? Inséparables, puisque la première des égalités est l’égale liberté pour tous. Opposés au sens où une égalité imposée tue la liberté et une liberté seule risque de tuer l’égalité. La liberté d’entreprendre et la propriété privée génère incontestablement des inégalités croissantes entre ceux qui possèdent et les autres. La « composante libérale » inhérente à la démocratie, et qui correspond à cette  liberté d’inventer collectivement l’avenir dévolue à la société civile, ne peut qu’activer le développement des inégalités si elle n’est pas contenue. Nous verrons que la réconciliation entre liberté et égalité figurera au cœur de l’œuvre de Rawls, comme il le confie dans un des rares entretiens accordés au Monde en 1993[22] : « J’étais préoccupé par l’existence de deux traditions politiques, aussi anciennes qu’opposées l’une à l’autre : celle des partisans de la liberté et celle des défenseurs de l’égalité(…) J’ai essayé, pour ma part, de montrer que ces deux tendances, complémentaires plutôt que contradictoires, sont également légitimes, et de définir la justice en donnant à toutes deux –jusqu’à un certain point – satisfaction. »

EGALITE ET LIBERALISME 

Même si le libéralisme politique, comme nous venons de le montrer, est au cœur de la tradition républicaine et démocratique, il n’est pas pour autant l’équivalent de la démocratie. Hugues Poltier[23], dans un excellent article dont je n’ai malheureusement pas retrouvé les références sur Internet, montre comment on peut opérer la distinctionentre libéralisme et démocratie. Faisant de Hobbes (et Grotius) le père d’une pensée libérale qui va se continuer avec Locke, Kant, et Benjamin Constant, H. Poltier explique comment c’est la tradition libérale qui pourrait le mieux rendre compte de la réalité de nos sociétés modernes aujourd’hui. « Le gouvernement de la société par elle-même » -on retrouve chez Marcel Gauchet une expression équivalente : « le gouvernement de soi par soi » -, c’est-à-dire la prise en main de son propre destin par le peuple lui-même, est réputé être la visée originaire constitutive de l’aspiration démocratique, et se distingue sensiblement du libéralisme politique. Pour celui-ci en effet, le pouvoir politique réside essentiellement en deux choses : d’une part, assurer  la protection de l’individu vis-à-vis des empiètements de ses semblables ; d’autre part, le protéger de l’arbitraire de ce même pouvoir. Il est par conséquent question avant tout d’« égalité négative » ou « égalité civile » (égale protection, et droit égal à faire tout ce que la loi n’interdit pas) comme valeur centrale, alors que les droits politiques, censés instituer le « sujet-citoyen » comme principal artisan de la conduite de la société sont au contraire dévalorisés. Cette conception du pouvoir est donc plutôt technique et gestionnaire : il s’agit surtout de réguler la vie sociale et les échanges entre individus et d’assurer la paix sociale permettant à chacun d’être libre de ses actions et de ses choix, la liberté et la jouissance de l’individu dans la sphère privée étant la fin dernière. Dans cette perspective, l’important n’est pas tant d’assurer la souveraineté populaire que d’assurer, via la participation du peuple en tant que corps électoral, la légitimité incontestée du gouvernement.

Quel que soit le jugement porté sur une telle conception, il faut bien reconnaître qu’elle semble correspondre à la politique d’aujourd’hui et au fonctionnement de notre société : dimension gestionnaire du pouvoir et place donnée aux experts, démocratie comprise avant tout comme méthode de gouvernement et de prises de décisions, importance considérable de la protection de l’espace privé, repli sur le privé et relative désertion du politique (sinon comme scène de théâtre). Nous pouvons considérer qu’historiquement la pensée libérale a finalement imposée ses priorités à la démocratie, mais nous pouvons également penser qu’il est possible et souhaitable de réinsuffler un esprit plus conforme à l’idéal démocratique, notamment en réactivant l’égalité et l’effectivité des droits politiques. Mais aussi la question sociale et « la question de la justice comme équité » (la question sociale), selon l’expression de John Rawls. Celui-ci va défendre un libéralisme fortement égalitaire et montrer qu’une démocratie représentative ne peut fonctionner efficacement sans s’appuyer sur la recherche permanente des bases d’un accord avec les citoyens et entre eux. Catherine Audard, philosophe spécialiste de Jon Rawls[24], affirme que «le choix n’est pas entre un ultralibéralisme qui conditionne la prospérité à l’expansion des inégalités et un socialisme égalitaire et autoritaire qui condamne à la servitude et à la pauvreté».Contrairement à ce que prétendent les théoriciens de l’école libertarienne comme Hayek ou Nozick, la « main invisible » ne suffit pas pour la répartition des richesses et des pouvoirs. Il ne suffit pas d’espérer, comme notre président Macron semblait le faire, que le « ruissellement » de l’enrichissement des premiers de cordée, c’est-à-dire des couches les plus aisées de la sociétépouvait suffire pour que la situation de tous s’améliore, en particulier de ceux qui sont en bas de l’échelle… « L’adage « la marée remet à flot tous les bateaux », couramment utilisé par le Wall Street Journal,a été trop systématiquement démenti par les faits pour prétendre réunir un consensus »[25].

THEORIE DE LA JUSTICE (JOHN RAWLS) : UNE TENTATIVE DE REPONSES AUX DIFFICULTES IDENTIFIEES A PROPOS DE LA MISE EN ŒUVRE DE L’EGALITE. LA NOTION D’ « INEGALITE JUSTE » 

Il est difficile aujourd’hui de parler d’égalité et de justice sans se référer à l’œuvre qui a fixé le cadre de cette discussion pour la période contemporaine : la fameuse « Théorie de la Justice » de John Rawls. Ce livre est sans doute celui qui a été le plus commenté dans le monde contemporain sur le sujet. Il se situe dans la tradition libérale, mais sa conception de la justice est telle qu’elle a rencontré les préoccupations du mouvement socialiste et socio-démocrate.

Le mérite comme simple stimulus et non comme justification morale : il s’agit donc pour lui de définir ce qui est juste, sans évacuer pour autant la valeur de l’efficacité dans nos sociétés modernes, et donc la notion de mérite.Rawls ne s’intéresse pas seulement  à la redistribution des richesses, mais à leur création ; il prend la question de l’efficacité économique au sérieux. Mais contrairement à ceux qui font du mérite une valeur morale, la récompense des efforts et des talents n’est pour lui qu’un instrument. Autrement dit, ce n’est pas au nom du mérite (qui n’est donc pas une valeur en soi, ni un critère de justice) que l’on peut justifier (moralement)les inégalités. Il s’agit cependant de reconnaître la légitimité de ces attentes (voir ses efforts récompensés), et le mécanisme du marché comme nécessaire en tant que mécanisme de régulation principal des incitations à produire des richesses. En ce sens, l’idéologie du mérite est à la fois illusoire et nécessaire. Nous aimons nous dire qu’il est juste que nos mérites soient récompensés en tant que tels, alors que la justice doit être fondée indépendamment de ces considérations liées au mérite. Les récompenses ne sont que des stimulis utiles (au nom de l’efficacité), rien de plus. Mais la transparence de ces mécanismes n’est peut-être pas possible, ni souhaitable…

La priorité du Juste sur le Bien… Rawls s’inscrit dans une perspective libérale et affirme notamment le pluralisme des conceptions du bien et du bonheur ; le respect des libertés de chaque personne à priorité sur la recherche du bien-être de l’ensemble. Comme Popper, il pense que l’Etat ne doit pas chercher à faire le bonheur des citoyens et imposer une idée du Bien, mais seulement diminuer leurs souffrances, éradiquer un certain nombre de maux. En revanche, il pense qu’il est possible et souhaitable d’arriver à un accord sur la conception du juste, des fondements du droit et de la citoyenneté.

Des biens sociaux premiers : car au-delà du pluralisme des conceptions du bien, il y a un certain nombre de « bien sociaux premiers » que tous les hommes désirent avoir plus que moins, et qui sont la condition de réalisations de tout projet de vie, quel que soit sa singularité. Ces biens sociaux premiers sont les droits, les libertés et les possibilités offertes, les revenus et la richesse. Ils constituent « les bases sociales du respect de soi-même »). L’importance qu’il accorde à la philosophie sociale l’éloigne de penseurs de l’individualisme classique comme Tocqueville ou Hayek. Pour lui, il y a deux raisons pour lesquelles la conception libérale est insuffisante : 1) la répartition des richesses et des pouvoirs obéirait à une sorte de « loterie naturelle », ce qui est arbitraire d’un point de vue moral. 2) Le développement des capacités naturelles (même la disposition à faire un effort) est affecté par toutes sortes de conditions sociales et d’attitudes de classe, dépendantes de circonstances sociales et familiales ; il est donc pratiquement impossible d’assurer des chances égales de réalisation et de culture à ceux qui sont doués de manière semblable. Il va ainsi réconcilier théoriquement le libéralisme politique avec les droits sociaux. Pour lui, la justice sociale est un moment essentiel de la liberté individuelle (et non en opposition). Nous pourrions ici ajouter avec le grand économiste et philosophe indien Amartya Sen que la liberté réelle est inséparable de ce qu’il appelle la « capabilité », c’est-à-dire la capacité concrète de pouvoir faire aboutir ses projets[26].

La position originelle : Rawls va donc se poser la question qui est au fond celle de tous les « contractualistes » : que retenir comme principes de justice qui fassent consensus ? Mais il s’agit de retravailler un nouveau contrat social qui ne soit pas fondé sur un état de nature hypothétique et un supposé « droit naturel », mais sur une décision rationnelle. Rawls va ainsi rejouer la fiction du contrat social équitable à partir de ce qu’il appelle la position originelle où les contractants choisissent les principes qui gouvernent leur association politique, en étant placés derrière un « voile d’ignorance ». Cela signifie que les citoyens ne peuvent avoir aucune idée concernant les déterminations qui les caractérisent en propre : leur place dans la société, leurs goûts, leurs croyances, leurs talents, leur sexe…etc. Une expérience de pensée qui plonge ceux qui doivent décider dans une situation d’incertitude totale sur leur condition personnelle. Ils ne sont plus des personnes précises mais n’importe lequel d’entre nous… Cette conception de la justice qui va en découler est dite procédurale : cela signifie qu’il n’est jamais fait référence à des critères indépendants et extérieurs, ni à une conception particulière du bien, ni à des propriétés supposées de la personne. Cette égalité radicale des conditions par construction doit permettre l’équité de la solution retenue. Elle permet de définir la justice comme ce qui est justifié et acceptable rationnellement par chacun. Non par compassion ou charité, mais parce que c’est le choix le plus rationnel. Il serait peu plausible d’imaginer qu’ils choisiraient une société radicalement égalitaire où les parts de pouvoirs et de revenus ne seraient corrélées d’aucune manière à la contribution de chacun : car alors quelles incitations à travailler, à prendre des risques (c’est en ce sens que le mérite, même s’il n’est pas une valeur dans la théorie de Rawls, reste un instrument de l’efficacité) ? Inversement, en situation de totale incertitude, ils choisiront le monde où ils sont les mieux placés dans le pire des cas (et éviterons donc celui où les inégalités sont au maximum pour les plus défavorisés). Il est temps maintenant de savoir quels sont les principes retenus et qui font consensus…

Les principes de justice retenues : ils introduiront notamment le concept d’inégalité juste. L’ordre de ces principes est hiérarchique :

  1. principe de liberté : droit égal de chacun au système le plus étendu possible de libertés égales pour tous, qui soit compatible avec le même système pour les autres. Les libertés concernées sont classiquement les libertés de pensée et de conscience, les libertés politiques (droit de voter et d’être élu), liberté d’association, de la presse, mais aussi la protection de l’Etat contre l’arbitraire.
  1. les inégalités sociales doivent être organisées de telle façon que :
  1. principe de l’égalité des chances : ces inégalités économiques et sociales« doivent être attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous dans des conditions d’égalité équitable des chances »(Rawls)
  2. principe de différence : Rawls s’appuie ici sur le « principe de Pareto » très connu en économie, dit aussi « principe d’unanimité » : « Si une situation A est plus inégalitaire qu’une situation B, mais que tous les individus préfèrent pour ce qui les concerne A à B, alors A doit être socialement préférée à B ».C’est le critère de l’avantage mutuel. Les inégalités socialesdoivent être organisées de façon à ce qu’elles apportent aux plus désavantagés les meilleures perspectives. En réalité, c’est au nom des plus défavorisés que les inégalités peuvent être justifiées. Ces principes ont des conséquences très concrètes : l’Etat peut redistribuer les revenus au profit des plus défavorisés jusqu’au point où une nouvelle diminution des inégalités provoquerait en retour une dégradation telle que les plus défavorisés eux-mêmes y perdraient. Nous avons ainsi cette définition de « l’inégalité juste », à l’allure quelque peu paradoxale : « Une inégalité est juste si et seulement si la diminution de l’écart entre le plus favorisé et le moins favorisé (dans le cas simplifié d’une situation à deux partenaires : les « riches » et les « pauvres »), loin d’améliorer le sort du plus mal loti, contribue à l’empirer ». En ce sens, une société moins inégalitaire qu’une autre n’est pas forcément plus juste. Des inégalités justes doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société. Le mérite ne peut justifier des bénéfices inégalitaires que dans la mesure où ils améliorent la situation des plus défavorisés. Cette théorie de la justice va ainsi légitimer les interventions volontaristes de l’Etat sur le marché, contrairement aux principes de l’économie libérale classique.

Actualité de la théorie de la justice et commentaires critiques[27]

1) Cette théorie est très compatible avec une conception vraiment « politique » de la démocratie : non pas seulement une méthode de gestion, mais aussi le lieu du combat politique où l’on doit toujours remettre en chantier les bases de l’accord entre citoyens. Celui de la délibération des grands choix collectifs, et notamment concernant la justice sociale. La démocratie doit être un lieu favorable pour faire entendre la voix de tous ceux qui ne font pas parti des favorisés et qui peuvent prétendre à une part plus substantielle du produit de la coopération sociale. C’est en réhabilitant la représentation, mais surtout la pratique de la délibération et du compromis qu’il faut fonder la démarche assurant une prospérité mieux partagée. Ses derniers travaux montrent que Rawls se méfie beaucoup des évolutions du capitalisme et d’un Etat providence plus préoccupé de créer un marché de consommateurs sans vraiment s’attaquer aux sources des inégalités injustes. Si nous acceptons avec lui la prise en compte du « mérite » pour des raisons d’efficacité, il est facile de démontrer en quoi les écarts vertigineux de revenus ou de patrimoine n’ont plus rien de commun avec des différences de mérite. Accepter une dynamique inégalitaire au nom d’une économie efficace ne peut se faire à n’importe quel prix, et nous devons trouver l’équilibre entre l’idéal égalitaire et ces contraintes économiques et sociales. En France par exemple, entre 2002 et 2017, le niveau de vie moyen des 10% des Français les plus riches s’est accru de 9% là où celui des 10% les plus pauvres a baissé de 4%. Non seulement les inégalités se sont creusées mais la position des moins bien lotis s’est dégradée… La France est donc loin, sur ce plan, de l’idéal rawlsien, malgré le fait que c’est un des pays du monde qui consacre le plus d’argent à la redistribution sociale[28]. L’exemple américain est beaucoup plus significatif de ces écarts de plus en plus importants, y compris concernant l’espérance de vie (alors que celle des plus riches augmentent, celle des plus pauvres diminue). Jacques Mistral, économiste proche de la gauche, estimait récemment que le mouvement des Gilets jaunes démontrait en creux la justesse de la théorie de Rawls au sens où « il doit exister une relation intelligible (…) entre la formation des revenus et la contribution au bien commun »[29]. Dans ce contexte, les initiatives en faveur de la taxation importante des hauts revenus, ou du plafonnement des salaires sont parfaitement dans l’esprit de la théorie de la justice à l’époque du néolibéralisme. De la même façon, le droit de vote n’est pas seulement la liberté d’aller voter, mais aussi que les inégalités de richesse ne viennent pas corrompre le processus électoral, comme c’est le cas lors des élections américaines, de plus en plus entre les mains des riches donateurs. Rawls à la  fin de sa vie se méfiait beaucoup des tendances oligarchiques du capitalisme, et défendait l’idée d’une remise en circulation du capital : « le problème n’étant pas seulement celui des inégalités de revenus mais surtout celui des inégalités de capital ». En ce sens, il semble rejoindre par certains aspects, le modèle défendu par Thomas Piketty dans son dernier ouvrage « Capital et Idéologie ». Ce dernier propose des pistes très ambitieuses pour en finir avec ce qu’il considère comme le problème central des inégalités, la concentration du capital. Notamment : la participation à 50% des salariés dans les CA des entreprises ; un impôt annuel progressif sur la propriété pouvant aller jusqu’à 90% pour les patrimoines très élevés ; une redistribution sous forme de dotation de 60% de ce patrimoine moyen à l’âge de 25 ans pour chaque citoyen (soit environ 120000 euros) ; un relèvement des tranches supérieures de l’impôt…

2) Les limites d’une telle argumentation rationnelle, mais cela est vrai pour toute tentative de lutte contre les inégalités, tiennent en quelques mots : le procès de mondialisation qui tend à rendre de plus en plus aléatoire les réponses au plan national. Rawls écrit à une époque où, malgré les échanges de plus en plus globalisés à l’échelle de la planète, la plus grosse part de ce qui était consommée sur le territoire y était également produite. Ainsi pendant les Trente Glorieuses, « un partenariat fort unissait les parties en présence, à savoir le Capital et le Travail. Le premier sachant qu’il avait besoin du second puisqu’il ne pouvait pas aller chercher ses forces de travail ailleurs, a dû, pour obtenir sa collaboration, lui concédait une part croissante du produit de la coopération sociale, ce qui a entraîné une diminution, relative certes, des inégalités ». Il n’en est plus ainsi aujourd’hui : comment les nouveaux contractants, dont l’apport productif se dilue sur l’ensemble des territoires de la planète, pourraient valablement s’entendre sur la répartition d’un produit national qui leur échappe en grande partie ?La possibilité pour une communauté humaine de s’appliquer des règles qu’elle souhaite s’appliquer à elle-même suppose que celle-ci soit pour chacun le lieu le plus intense d’échanges avec ses semblables. Or cette condition apparaît ruinée par l’intensification du processus de mondialisation : la souveraineté des Etats Nations est devenue très problématique aujourd’hui. Que se passerait-il si un pays, de manière isolée, décidait, par souci de justice sociale, d’imposer par exemple les gains spéculatifs ? Ne verrait-il pas tous ses investisseurs déserter aussitôt le territoire ?André Gorz[30]était l’un des premiers à analyser ce phénomène : la libéralisation de la circulation des capitaux a entraîné une émancipation du capital à l’égard du pouvoir politique inconnue jusqu’alors : « l’Etat supranational du Capital apparaît pour la première fois comme un Etat émancipé de toute territorialité…, indépendant et séparé de toute société, situé en un non lieu d’où il limite et règlemente le pouvoir des sociétés de disposer de leur lieu. ». A une erreur près : le capitalisme international n’a pas d’Etat. Seuls les Etats nation sont la réalité politique majoritaire sur la planète, et nous pouvons sans doute nuancer le propos précédent en notant avec Marcel Gauchet, que ces derniers fournissent l’infrastructure administrative et politique sans laquelle les activités économiques des grands groupes multinationaux ne peuvent se déployer. Comment concevoir alors une reprise en main de ces derniers sur l’économie ? A quelle échelle un tel pouvoir politique peut de nouveau redevenir puissant ? Une fédération d’Etats nation est-elle la solution (certains pensent bien sûr à l’Europe) ? Nous laisserons ouverte cette question, autant difficile qu’impérieuse…

3) Quoiqu’il en soit, la Justice ainsi comprise « surplombe le politique et transforme la domination en autorité et la soumission en devoir »[31]. A l’inverse, si la loi contredit trop violemment notre sens de la justice, elle ne saurait être obéie et doit être combattue. La justice représente l’idéal normatif auquel le pouvoir politique doit se conformer. Cet idéal nous fournit le critère moral externe à partir duquel les droits des gouvernants comme les devoirs des gouvernés sont évalués, discutés, scrutés.

CONCLUSION

Frédéric Worms montre avec beaucoup de force[32] comment la démocratie, contrairement à d’autres régimes politiques, vise non seulement à se protéger contre la violence extérieure et combattre contre elle, mais surtout à lutter aussi sur le front intérieur contre les « violations intérieures », y compris la violence qui est exercée par le peuple lui-même et en son nom. En ce sens la démocratie n’est pas seulement le pouvoir du peuple par le peuple, mais le pouvoir du peuple « limité par le pouvoir du peuple contre lui-même. », grâce à une série de contre-pouvoirs et à la Constitution elle-même qui fixe les limites valant pour le pouvoir lui-même. Ce qui sous-tend une telle argumentation, c’est l’hypothèse anthropologique de l’ambivalence propre à l’humanité et du mal endémique de la violence qui la caractérise. La démocratie est la réponse à cette violence interne par la représentation des conflits et le règlement pacifique de ces derniers. Elle est en ce sens le meilleur rempart contre cette violence, maiscette réponse n’est bien sûr par imparable et toujours potentiellement susceptible d’être mis en question par le surgissement de nouvelles violences. Son pacte fondateur – que Rousseau peut formuler ainsi : « chacun renonce individuellement (mais collectivement aussi) à la violence préalable pour rentrer dans le pacte social » - est toujours susceptible d’être rompu, car la maladie est traitée et contenue par la démocratie dans le meilleur des cas, mais jamais définitivement éradiquée. Nous voyons bien aujourd’hui à quel point ses institutions pourtant chargée de prendre en compte pacifiquement les diverses violences et dissensions sont aujourd’hui minées par le manque de crédit et de confiance. Comment en particulier le cynisme populiste l’attaque de toute part et jette de l’huile sur le feu. Mais nous devons à ce sujet rappeler une vérité de la démocratie : l’égalité et la justice sociale font partie de son ADN, comme déjà Tocqueville l’avait noté. Les progrès en matière d’égalité et de lutte contre les ségrégations de toute sorte ont jalonné son parcours depuis plus de deux siècles : égalité en matière de droits sociaux, égalité en matière de droits civiques, égalité du droit aux différencesqui s’accompagne de toujours plus d’égalité civique (comme par exemple le  nouveau droit à la PMA), égalité des conditions de l’homme et de la femme… etc. Mais qu’en est-il de la justice sociale ? La démocratie a combattu toute sorte d’injustices sur un plan que nous pourrions qualifier de « sociétal », mais elle semble avoir déserté ces dernières décennies l’égalité sociale…Parmi les causes de violence extérieure comme intérieure qui sapent la confiance des citoyens en leur démocratie et qui alimente le cynisme populiste, le creusement des inégalités et le partage vertigineusement inégal au niveau mondial de la valeur ajoutée produite risque d’être particulièrement explosive. Derrière les inégalités, la violence sociale et culturelle, qui est elle-même une violence faite aux personnes, risque de devenir la maladie mortelle de la démocratie elle-même. Même la gauche semble l’avoir oublié en privilégiant les questions exclusivement sociétales et les droits dits « formels » durant les quarante dernières années…  Rétablir la confiance en notre démocratie, l’empêcher de glisser vers la démagogie et l’anarchie –qui selon Platon, antidémocrate, était son risque naturel -, c’est nécessairement ré-ouvrir résolument le chantier des injustices sociales. On ne peut séparer ici la liberté et l’égalité. John Rawls est de ce point de vue une référence incontournable. « Le choix n’est plus entre un ultralibéralisme qui conditionne la prospérité à l’expansion des inégalités et un socialisme égalitaire et autoritaire qui condamne à la servitude et à la pauvreté. »[33]. Seule une politiquesociale inspirée des principes de justice rawlsiens, et impulsée par un Etat social qui n’hésite pas à prendre toute sa place, serait à même de réinsuffler la confiance en la démocratie et aux principes du libéralisme politique.

 


[1] Nous parlons ici des inégalités sociales, qui ne sont qu’une partie des inégalités.

[2]https://www.capital.fr/economie-politique/les-chiffres-qui-demontrent-lexplosion-des-inegalites-de-revenus-dans-le-monde-1260920

[3] Article « égalité », Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale

[4] « Théorie de la Justice ». Nous reviendrons longuement sur cette réflexion.

[5]C’est Saint Paul qui l’institut avec force : les hommes en tant qu’ « enfants de Dieu », mais aussi en tant qu’ils sont « Dieu fait homme », sont fondamentalement égaux : « Je me dois aux grecs comme aux barbares, aux gens cultivés comme aux ignorants …. Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. IL n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; vous n’êtes qu’un en Jésus Christ », écrit-il, apportant ainsi la fondation divine de cette universalité des droits humains reprise dans la Déclaration des droits de l’homme (qui ne s’appuie plus sur la théologie mais sur la référence à un état de nature présumé, fortement inspirée de Rousseau).

[6] Platon avant lui va dénoncer la mauvaise égalité du poids et du nombre qui s’affirme dans le suffrage et le tirage au sort, et exalter au contraire l’égalité de la proportion, de l’harmonie. 

[7] « Ethique à Nicomaque »

[8] D’où une République constituée par ces trois ordres que sont les gardiens (les philosophes qui gouvernent la Cité), les guerriers (qui la défendent) et ceux qui produisent et commercent.

[9]« Tous veulent que les conditions soient égales pour tous et la justice n’est que cette égalité »

[10] Cela ne signifie pas pour autant que l’on cautionne les inégalités telles qu’elles se manifestent…

[11] Lire « Le manifeste du Parti Communiste », Karl Marx

[12] Article « Justice », Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale

[13] « Théorie de la Justice »

[14] Notre école a encore beaucoup de progrès à faire en termes d’égalité des chances : elle est loin d’être neutre en matière de qualité des maîtres selon les établissements et leur environnement, de ressources scolaires proposées suivant les territoires…

[15]En fin de compte, il s’agit d’une application littérale de l’article 6 de La Déclaration de 1789 : « Tous les citoyens étant égaux [aux yeux de la République], sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents ».

[16] C’est le terme utilisé par François Dubet dans « Qu’est-ce qu’une école juste ? »

[17] Marie Duru-Bellat, sociologue de l’éducation

[18] Article « égalité », Dictionnaire d’Ethique et de Philosophie morale

[19] Ce que Marcel Gauchet appelle « l’individualisme identitaire »

[20] A partir de 1848 en France, l’égalité apparaît indissociable de la liberté et de fraternité

[21] Idée développée dans « Une politique de civilisation »

[22] Sciences Humaines, février 2020 : « John Rawls. La justice pour tous. »

[23]Hugues Poltier est Suisse, docteur en philosophie. - Chargé de cours à l'Université de Neuchâtel et de Lausanne en philosophie politique

[24] Elle a écrit sur le sujet « La démocratie et la raison »

[25] Jacques Mistral, économiste

[26] Pour prendre un exemple un peu trivial : vous êtes libre d’acheter une Rolls Royce mais vous n’avez pas pour autant les moyens de le faire…

[27] Nous nous appuyons, entre autres sources, sur le n° de Sciences Humaines, février 2020, « John Rawls. La justice pour tous »

[28] Jacques Mistral : « En effet, en France, les mécanismes de protection sociale, transferts sociaux, santé, éducation, retraite, sont au premier rang, sur tous les fronts, en termes de résultats aussi bien que de moyens ; c’est logique, puisque notre pays consacre à ces efforts le tiers de son produit national brut, record du monde!

[29] « La richesse et la justice. Jon Rawls et l’économie politique », Esprit, juillet-aout 2019.

[30] « Misères du présent. Richesses du possible »), cité par H. Poltier

[31] Dictionnaire d’Ethique, article sur « Justice »

[32] « Les maladies chroniques de la démocratie »

[33] Catherine Audard, article Libération