café philo à la maison du Malpas

le samedi 10 septembre 2016 à 17H45 

Le sujet :  « Faut-il avoir peur du pouvoir ? »

 

Présentation du sujet

 Faut-il avoir peur du pouvoir ? »

Même si le pouvoir ne concerne pas seulement le politique mais n’importe quel groupe humain, c’est le pouvoir politique, celui de la société globale, qui domine tous les autres, et qui a surtout intéressé la philosophie. Les Modernes identifie le pouvoir à l’Etat démocratique et souverain, mais ce sont les Pères de l’Eglise qui ont les premiers élaboré les premières structures et institutions de pouvoir... Celui-ci est généralement associé à l’hubris qu’il génère, et depuis plus de deux siècles nous n’avons jamais cessé de nous demander comment nous pouvions apprivoiser et contenir le monstre... Ce qui n’a pas empêché la folie du pouvoir, telle qu’elle s’est manifestée tragiquement au XXème siècle... Aujourd’hui, il semblerait au contraire que ce pouvoir politique se fait remarquer par son absence : un pouvoir sans pouvoir, à la grande satisfaction du discours néolibéral pour qui la société et le marché s’autorégulent selon des processus complexes, rendant superflu voire très nocif une intervention trop directive de l’Etat. Tout au plus un accompagnement régulé de ces derniers serait souhaitable... Notre sentiment vis-à-vis du pouvoir devient dès lors très partagé et ambivalent ; en tant qu’individus nous redoutons toute contrainte extérieure qui viendrait contrecarrer notre quête toujours plus affirmée d’autonomie personnelle (en cela le discours néolibéral entre bien dans nos têtes), mais nous nous confrontons également au sentiment d’un pouvoir impuissant, incapable de résoudre les problèmes qui se pose à nous. Nous nous sentons dépossédés collectivement de tout moyen d’agir sur ce que nous sommes et souhaitons devenir. L’ancienne peur du pouvoir, tout en continuant de nourrir beaucoup de défiances et d’indignations, n’est-elle pas en train de se métamorphoser en la crainte d’un pouvoir impuissant, peut-être plus redoutable encore que tous ses excès ?

 

Ecrit philo

 

 

« FAUT-IL AVOIR PEUR DU POUVOIR ? »

 

 

Durant toute notre Histoire, nous nous sommes interrogés, avec la philosophie, sur la question de savoir comment un ou plusieurs hommes pouvaient gouverner toute une cité ou une société. La lutte pour le pouvoir a toujours été au centre de la vie politique : des régimes, des clans, des factions, des familles des partis se battent pour prendre le pouvoir. Les excès et les abus de pouvoir jalonnent cette histoire, et les humains n’ont pas cessé de réfléchir à la meilleure manière de le juguler et de le contrôler. Car le pouvoir fait peur... Une des préoccupations principales de la démocratie a toujours été de savoir comment dompter le pouvoir pour le mettre au service de la collectivité. Mais « la bête est redoutable » (Marcel Gauchet), le dernier siècle ravagé par la folie du pouvoir en est l’illustration. Aujourd’hui cependant, ce que nous appelons « la crise du pouvoir » semble plutôt identifier la menace du côté d’une sorte d’impuissance radicale[1], même si certains « droits-de-l’hommistes » continuent à dénoncer les dérives de l’Etat autoritaire à l’occasion de l’état d’urgence. Le sentiment populaire à l’égard du pouvoir, exercé par l’Etat dans nos sociétés démocratiques, est aujourd’hui très ambivalent : c’est la défiance voire l’hostilité qui domine, et pourtant nous attendons beaucoup de lui, dans la tradition de l’Etat social qui a marqué notre génération (je parle de la mienne, autrement dit de la nôtre pour la majorité d’entre nous). Cette ambivalence peut être rapprochée d’une sensibilité contemporaine exacerbée par rapport à toute forme de contrainte collective qui risque d’entraver notre liberté et nos choix personnels. Même si aujourd’hui la crise accentue considérablement la tendance, le pouvoir concentre sur lui les soupçons d’un individu percevant toute « ingérence » dans sa vie personnelle comme attentatoire à sa liberté[2]. C’est aussi la raison pour laquelle l’anticonformisme et la rébellion sont devenues le véritable conformisme de notre temps. Mais il y a paradoxalement aussi le regret et la déception devant ce qui est perçu (à raison) comme une forme de faiblesse ou d’impuissance de l’Etat à résoudre les problèmes qui se posent.

Peut-être plus fondamentalement, l’ambivalence vis-à-vis du pouvoir est profondément inscrite dans le psychisme humain : le désir de pouvoir (quelles qu’en soient les formes) qui traverse nos vies humaines (attention à ce propos aux dénégations qui ne font qu’obstruer la compréhension du phénomène) est intimement mêlé à la peur de ses excès.

Une question de fond se pose aujourd’hui (à gauche en particulier mais pas seulement) concernant le diagnostic de la crise du pouvoir : doit-on pointer du doigt, dans la tradition marxiste, une politique du pouvoir dont la nocivité pour le peuple serait directement liée à la défense active des intérêts financiers du capitalisme, avec éventuellement la corruption qui va avec, ou bien dénoncer son impuissance, un pouvoir sans pouvoir ? Sans opposer radicalement ces deux thèses - une impuissance dans l’exercice du pouvoir laisse le champ libre aux véritables puissances de la société civile qui sont aujourd’hui les puissances de l’argent, en dehors de tout encadrement -, le choix de l’une d’entre elles n’est pas anodin quant à l’analyse politique développée et surtout à l’orientation du combat à mener. La seconde option nous conduit moins à avoir peur du pouvoir en tant que tel –il est impuissant -, et davantage à se demander comment nous pourrions reconstruire son caractère de pouvoir véritable...  La méfiance généralisée à l’égard du pouvoir politique mêle souvent ces deux reproches....

Pour éclairer la discussion, commençons par examiner rapidement ce concept de pouvoir. La notion politique de pouvoir garde le sens général de « faculté d'agir », mais cette faculté s'exerce dans le cadre d'un rapport avec d'autres hommes. Elle voisine avec toute une série de notions apparentées dont elle se laisse parfois difficilement distinguer : force, puissance, domination, autorité, violence[3]. Quelque soit le groupe, à partir du moment où il est composé d’un ensemble de personnes ayant des rapports réglés relatifs à une ou plusieurs activités, le processus par lequel les conduites individuelles sont coordonnées, et des décisions sont prises et exécutées s’appelle le pouvoir[4]. Selon les groupes, les sociétés et les cultures, les modalités d’exercice de ce pouvoir varient sensiblement.

Tout pouvoir n’est pas politique et il peut concerner n’importe quel groupement humain, même très réduit (village, famille, bureau de poste, entreprise, groupe religieux...etc.). Le pouvoir politique concerne la société globale, il est donc le pouvoir souverain ou suprême (par rapport aux pouvoirs des groupes particuliers qui composent la société globale) ; il est par ailleurs indépendant par rapport à ceux des autres sociétés globales.  Mais dans certains cas, les limites de la société globale peuvent ne pas dépasser celles du campement d’une tribu. Même si le pouvoir ne concerne pas spécifiquement le pouvoir politique, c’est ce dernier qui va devenir une catégorie centrale de la pensée politique moderne, dont Machiavel est peut-être le premier grand auteur[5], en relation avec la genèse puis l’affirmation de la souveraineté de l’Etat moderne.  C’est surtout sur ce pouvoir-là que nous allons porter notre attention. La notion de pouvoir connaît une histoire complexe où la tradition de la philosophie antique se croise avec les représentations issues du christianisme[6]. Le Moyen Age européen a été le théâtre de conflit d’attribution entre autorités temporelles (l’Empereur, le Prince...) et autorités spirituelles (le Pape, l’Eglise) ; même si la conception séculière du pouvoir et les structures de son organisation incarnées par l’Etat ont fini par s’imposer, ce sont les Pères de l’Eglise qui les premiers ont élaboré les premières structures et institutions de pouvoir.

Une tendance forte de la tradition politique des Modernes tend à identifier le pouvoir à la domination de l’Etat souverain, même si récemment[7]  de nouvelles formes de pouvoirs (au pluriel) ont été mises en avant.  Foucault suggère de cesser de parler du « pouvoir » au singulier et de s'intéresser plutôt au mode de fonctionnement concret des multiples relations de pouvoir qui coexistent à l'intérieur du corps social. Cependant il paraît difficile d’évacuer la réalité de l’Etat comme forme dominante du pouvoir dans la société des Modernes. Elles sont en effet toutes dotées d’une telle organisation complexe et hiérarchisée.  Marx[8], mais aussi Durkheim[9], ont montré comment l’organisation du pouvoir politique se développe historiquement en même temps que les sociétés globales croissent en taille, en variété et en oppositions internes, en capacités d’échanges et de tensions avec les autres. Dans la civilisation industrielle, « le pouvoir tend à être total, c'est-à-dire à déterminer directement l'ensemble de l'organisation sociale » dit A. Touraine[10]. Mais nous pourrions rétorquer que cette dimension « totale » du pouvoir politique, caractéristique de l’Etat, n’est pas le propre de la « civilisation industrielle ». La création de l’Etat moderne est antérieure à cette période puisqu’elle apparaît au XVIème siècle. L’Etat de l’ancien régime organise lui aussi, bien avant la révolution industrielle, la vie sociale dans sa totalité. L’Etat nation est en ce sens une forme particulière d’Etat qui n’en exclut nullement d’autres... Une conception très affaiblie du pouvoir politique consisterait à appréhender l’Etat uniquement à travers la notion de gouvernement.

Les théories du pouvoir souverain[11] se préoccupent principalement de poser la question de ses sources ou de ses fondements, qui rejoint celle de sa légitimité. Par delà leurs divergences concernant ces derniers, une même conception du pouvoir politique semble les réunir : nous retiendrons ici la célèbre définition de l’Etat du sociologue Max Weber : « L'État est cette communauté humaine qui, à l'intérieur d'un territoire déterminé [...] revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence légitime ». Cette définition met sans doute trop exclusivement l’accent sur « la violence légitime » dont le souverain serait le seul détenteur. Les contractualistes (Hobbes, Locke, Rousseau) insistent davantage sur les conditions du contrat social originel qui fixe l’obligation d’obéissance du sujet au souverain, et permet de distinguer la contrainte légitime exercée par le pouvoir de la simple violence.

 

La question de ce soir « faut-il avoir peur du pouvoir ? » renvoie à plusieurs autres questions : peut-on concevoir une société sans pouvoir, ou n’est-il pas inhérent à toute communauté humaine ? Pourquoi y a-t-il du pouvoir et en quoi consiste-t-il ? Le problème philosophique des fondements et de la légitimité du pouvoir est également engagé...

Une société sans pouvoir ?

Les tentatives d’éradiquer définitivement le pouvoir, d’en finir pour de bon avec lui, ont étaient le grand dessein de l’ensemble du mouvement révolutionnaire à partir du XIXème siècle. On sait comment « sous couvert de s’approprier tout le pouvoir en vue de le détruire, il a déchaîné une folie destructrice du pouvoir retournée contre le peuple qui était sensé ne faire qu’un avec lui. » (Marcel Gauchet). Nous sommes probablement sortis de cette « zone d’attraction », mais il n’est pas inutile de revenir sur les théories qui promeuvent une telle disparition du pouvoir... Tout d’abord l’anarchisme, dont l’idée n’est pas près de disparaître. C’est en premier lieu au nom de la suprématie de l’individu qu’il prône une telle absence de pouvoir : « la seule cause que j’ai à défendre est moi-même »[12]. Il n’y a pas une seule thèse unitaire du mouvement anarchiste, mais ils semblent s’accorder sur deux thèses  en apparence incompatibles : ils sont radicalement libéraux politiquement (priorité aux libertés individuelles contre le pouvoir de l’Etat), et tout aussi radicalement antilibéraux économiquement, le libéralisme économique entraînant la misère et l’injustice. Le socialisme économique (organiser collectivement la production et la consommation) serait ainsi parfaitement compatible avec l’abolition de l’Etat : il faut substituer à la verticalité d’une organisation hiérarchique et centralisée de l’Etat (contre la volonté et les intérêts des personnes à la base) une organisation horizontale décentralisée qui reposerait sur l’association libre des individus. Dans une telle société, toutes les décisions seraient prises par les personnes intéressées sous la forme d’accords contractuels volontaires. La finalité du projet anarchiste est ainsi très proche du projet communiste chez Marx : il ne dit pas autre chose avec « la société sans classe », union des producteurs associés qui contractent librement entre eux... Dans un cas comme dans l’autre, l’Etat comme instrument de contrôle et de contrainte des individus disparaît. Il était avec le marxisme, en tant qu’instance extérieure et séparée de la société civile, à la fois le fruit et l’instrument de la division de la société en classe ; avec l’appropriation collective des moyens de production et la disparition des classes, la société civile retrouve son unité et peut s’administrer elle-même sans le recours à une telle organisation extérieure. Bien loin d’avoir un caractère structurel, le pouvoir séparé est pour Marx une excroissance historique et temporaire liée à une structure économique destinée à être dépassée. « Au gouvernement des hommes, il faut substituer l’organisation des choses. ». Le gouvernement des hommes c'est l’Etat ; l’organisation des choses, c'est la société communiste. Sur ce plan là, nulle différence entre le marxisme et l’anarchisme, même si Marx s’est efforcé d’élaborer une théorie du passage du capitalisme au socialisme, quasiment absente dans la pensée anarchiste. Les thèmes anarchistes ont dominé certains mouvements contestataires, comme le mouvement de mai 68 : autogestion, participation, mutualité, solidarité. L’idée libertaire est toujours présente, preuve en est du grand succès du discours d’Etienne Chouard sur Internet, particulièrement auprès des jeunes générations. Ce discours procède d’une dénonciation radicale : la crise du pouvoir serait un mirage destiné à tromper le bon peuple : tout va en réalité très bien pour les intérêts des privilégiés, qui sont défendus par le pouvoir avec une grande efficacité. Nous élisons des « maîtres »[13] qui nous trompent et défendent tous sans exception les intérêts du capital. La Constitution de nos soi-disant démocraties est précisément l’instrument qui sert cette domination oligarchique. Il faut donc se débarrasser des « maîtres » et revenir aux pratiques de la Cité athénienne ; supprimer l’élection au profit du tirage au sort. Nous ne développerons pas les faiblesses d’une telle théorie complotiste et populiste, qui rejoint en partie dans ses développements l’idée anarchiste ou autogestionnaire. Le point commun de telles visions est le rejet du politique comme dimension extérieure et séparée de la société civile. Rejet également par conséquent aussi de la formule de la représentation, principe même de la démocratie des Modernes. Il va sans dire que ce rejet s’appuie sans vergogne sur le discrédit de ce que Hannah Arendt appelait « la partitocratie », la privatisation monopolistique de la vie politique par ce qu’elle appelle « les partis machines » qui finissent tous par se ressembler, selon un processus mimétique.[14]

Il faut cependant reconnaître que pour la majorité des anarchistes aujourd’hui, l’idée de l’absence de pouvoir est un mythe ou au pire une ineptie, et qu’il s’agit plutôt pour eux de mettre en œuvre des dispositifs populaires de contrôle direct de ce pouvoir, de démocratie directe ou d’autogestion. Il est très significatif de constater à ce sujet que le credo de la nocivité du pouvoir et la volonté de le réduire à sa plus simple expression sont également partagés par l’idéologie néolibérale : la société et sa dynamique juridico-technico-marchande représentent  l’état naturel de son développement. Nul besoin d’un pouvoir politique prétendant la conduire, tout au plus un pouvoir minimum comme arbitre des libres interactions contractuelles entre ses membres... Un tel système fait miroiter la promesse des droits privés[15] et de l’autonomie personnelle indépendamment de l’autogouvernement collectif.  Pour la pensée néolibérale, il est même épistémologiquement impossible d’embrasser par la pensée le fonctionnement collectif, et encore plus de vouloir le construire globalement par la volonté, car il obéit à des mécanismes complexes d’autorégulation spontanés et automatiques. La seule « gouvernance » utile est celle qui sait faire place aux savoirs positifs et délimités des domaines concernés (le droit, les sciences et les techniques, l’économie et la monnaie), c’est-à-dire qui s’efface devant l’expertise[16]. « Nous avons là le modèle du marché comme modèle généralisé du fonctionnement collectif »[17]. En cela, et pour pasticher une formule maintes fois utilisée par ceux qui se revendiquaient de l’obédience marxiste, le néolibéralisme et le libertarisme sont « objectivement » très proches dans leur phobie du pouvoir.

Pour conclure sur ce point, si les craintes concernant le pouvoir sont légitimes – confiscation du pouvoir au profit de ses intérêts personnels, tyrannie en direction de ceux qu’il est censé protéger, décisions contraires à l’intérêt général, organisation de la corruption...etc. -, il s’avère néanmoins être un passage obligé en tant que pouvoir extérieur et séparé de la société qu’il est sensé représenter et conduire...

L’existence d’un pouvoir séparé : les enseignements de l’anthropologie

Certains ethnologues contestent l’idée selon laquelle toute société comporte « une organisation spéciale capable de maintenir, à défaut de l’approbation, de l’assentiment ou de l’accord des membres du groupe, la cohésion, la survie, l’adaptation de celui-ci au moyen de l’influence qu’elle exerce par la vertu de la contrainte monopolisée à son profit »[18]. Ils s’appuient en particulier sur l’exemple des sociétés humaines des Nuer du Soudan méridional, les Amba de l’Ouganda, les Esquimaux, les Pygmées, les Semang de Malaisie, qui semblent exister sans chefs ni gouvernants. Ils citent également  certaines décisions qui sont prises suite à des discussions à la majorité ou à l’unanimité sans médiation politique formelle (le chef ou le sorcier par exemple). Mais pour des questions limitées qui n’engage pas toute l’organisation sociale... Ainsi, l'ethnographe P. Schebesta montre comment, dans une bande de Semang de la forêt malaise, la décision de déplacer le camp est prise au cours d'une discussion générale qui peut durer des heures : chacun donne, de sa hutte, son avis, jusqu'à ce qu'une opinion prévalente se dégage. Le processus de décision ne passe donc pas, comme dans le campement de Tehuelche, par la médiation d'un chef, et la règle de la majorité, acceptée par tous, n'est décrétée ni imposée par personne. Mais en dehors d’un tel pouvoir immédiat, le pouvoir par médiation est la règle. Dans l’immense majorité des cas, le pouvoir politique est exercé par des personnes ou par des groupes organisés auxquels est reconnu spécialement le droit de décider et de commander souverainement : les gouvernants. Même la Cité démocratique des athéniens était dûment encerclée par les esclaves et des métis en nombre beaucoup plus important. Là encore, la société connaît cette division entre elle et le lieu du pouvoir.

Il n’y a pas de relation proprement politique entre des hommes sans que les gouvernants soient distincts des gouvernés, et qu’une organisation, si rudimentaire soit-elle, soit spécialisée dans la fonction de décider, régler, commander. [19] Ce pouvoir de médiation peut être soit « individualisé » (ne pas confondre avec personnifié, nous y reviendrons), soit institutionnalisé. Il est individualisé quand celui qui exerce le pouvoir le possède comme un bien propre dont il peut user et abuser à sa guise, sans être astreint à observer des règles préétablies. La volonté du chef, du seigneur ou du prince fait toute loi et n'est elle-même obligée par aucune loi. Plus proche de nous, le duce, le führer, le caudillo, le « petit père du peuple », le rais,  font partie de cette catégorie...

Le pouvoir institutionnalisé au contraire est un pouvoir qui ne peut être exercé sans que soient respectées un certain nombre de règles indépendantes de la volonté des gouvernants. Ces règles sont attachées à un pouvoir constituant et supérieur. Dans les Etat-nations modernes, ce pouvoir constituant n’est pas coutumier, n’est pas celui d’une personne ou d’un groupe (cf. certaines sociétés africaines), il s’incarne dans une Constitution. Le respect des règles édictées par cette Constitution est contrôlé par des institutions spécialisées et indépendantes, comme par exemple la Cour Suprême aux USA ou le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel en France. La croyance en la rationalité des règles de droit incite à obéir au pouvoir institutionnalisé.

Nous allons bientôt revenir sur cette dimension remarquable des sociétés humaines, à savoir l’existence d’un pouvoir séparé. Le précédent constat doit en effet être complété par l’analyse des raisons pour lesquelles une telle médiation est incontournable. Mais auparavant, essayons dés maintenant de préciser un certain nombre de notions proches mais non équivalentes de celle du pouvoir, la puissance et l’autorité.

Pouvoir, puissance, autorité

Il y a bien sûr des rapports entre le pouvoir et la puissance mais ils ne se confondent pas ; c’est la même chose pour l’obéissance et la domination. Nous pouvons obéir à un commandement dans le consentement et l’acquiescement, et être soumis dans le cadre d’un rapport de domination. Empiriquement, les deux sont souvent mêlés de façon variable, mais il est indispensable de les distinguer conceptuellement. Quant à la différence entre le pouvoir et la puissance, cette dernière est une dimension « matérielle » caractérisée par une capacité d’imposition due à des moyens de contraintes (liée à la force), alors que le pouvoir concerne la dimension institutionnelle, inscrite dans le droit dans les sociétés démocratiques[20]. Il n’y a pas de pouvoir sans la force, et la force sans le droit c’est la dictature. Mais un pouvoir qui n’est pas perçu comme légitime est un pouvoir très fragile. D’où l’importance de l’autorité, qui « augmente » le pouvoir : avec elle, il y a adhésion et obéissance au commandement, sans le besoin d’un recours à la force ou à la persuasion[21]. L’autorité est inséparable de la question de la légitimité (car c’est toujours au nom de quelque chose  qu’elle s’exerce, « qui fait signe vers un au-delà d’elle-même » : une valeur collectivement partageable, un principe de validité générale. Elle est « représentative par essence »). « C’est-elle qui permet de faire l’économie de la contrainte et de la violence ». Nous retrouvons la définition de H. Arendt au sens où l’autorité passe par la reconnaissance et l’acceptation des acteurs. Si tel n’est pas le cas, c’est une lutte de tous les instants pour l’application coercitive des règles. C’est en ce sens que l’on peut dire que l’autorité est le « grand levier pacificateur des sociétés humaines ». L’autorité est inévitablement portée par une personne, contient une part informelle qui prend le dessus sur le cadre dans lequel elle s’inscrit (précisément au sens ou elle est une disposition spéciale à représenter quelque chose qui est au-delà de soi). Un pouvoir qui doit avoir recours à la force et à la contrainte pour faire exécuter ses décisions est fragile[22]. Dans un Etat nation, la souveraineté du pouvoir s’exerce au nom du peuple : s’il a besoin de recourir à la contrainte pour se faire obéir, c’est qu’il n’est plus en adéquation avec ceux qu’il est sensé représenter. Lorsque Max Weber utilise la notion de « violence légitime » à propos de l’Etat moderne, en tant qu’il concentre la puissance et les moyens de répression en quelque sorte délégués par ses membres en vue de leur protection et du maintien de l’ordre social, il suppose le caractère « légitime » de ce pouvoir. En effet un pouvoir politique ne peut pas indéfiniment se maintenir de manière coercitive et répressive sans un minimum d’obéissance consentie de la part des gouvernés. Hannah Arendt reproche à Max Weber d’avoir fait de la violence la pré-condition du pouvoir (avec sa formule), et de n’avoir voulu voir dans celui-ci qu’une façade derrière laquelle se cacherait la violence. Pour Arendt, le pouvoir ne dépend absolument pas de la violence, mais du soutien actif qu’il a dans le peuple... Spinoza lui aussi met l’accent sur « la puissance de la multitude », sur laquelle repose  in fine l’assise de tout pouvoir. Lorsque le rapport qu’entretient la multitude avec le pouvoir est un rapport de défiance et/ou de crainte, ce dernier est fragile et en droit d’être remplacé. Les institutions n’auraient en dernier ressort aucune légitimité assurée, leur sort dépendant étroitement de cette multitude...

Nous voyons bien ici, concernant les institutions en général et pas seulement le pouvoir global, à quel point les questions de crise de l’autorité sont préoccupantes... Rousseau avait depuis longtemps montré que « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. »[23] . Quelles que soient les raisons de légitimité,  elles reposent toujours sur un principe ou des valeurs supérieures relatives au groupe considéré, ce qui pour certains peut s’apparenter à une dimension du sacré : Dieu, les ancêtres, la race, la classe, la souveraineté du Peuple en démocratie. Mais l’incarnation de la légitimité autour d’un pouvoir « personnifié », c’est-à-dire représenté par une personne dont les qualités sont reconnues, est un élément supplémentaire qui s’avère, nous y reviendrons, également très important.

Au point où nous sommes arrivés, nous rencontrons inévitablement les deux questions philosophiques essentielles : celle des fondements du pouvoir ; celle de sa véritable nature : en quoi consiste-t-il vraiment ?

La question philosophique des fondements du pouvoir politique

Pourquoi n’y a-t-il pas de société sans pouvoir politique ? Deux réponses contraires semblent parcourir la pensée occidentale : selon la première, le pouvoir politique est une nécessité inscrite dans la nature. Pour la seconde, il est un artifice qui résulte d’un accord passé entre les hommes (pas nécessairement explicite) pour mettre fin à des conditions naturelles insupportables (c’est la tradition du contrat social). Nous voudrions montrer que ces deux thèses ne sont pas irréconciliables et qu’une synthèse est possible.

Le problème se complique avec les deux conceptions sensiblement différentes que recouvre la première option : soit la domination est fondée sur une nécessité de fait, un rapport de force favorable au profit des plus forts et des plus rusés. Le pouvoir est ainsi le lieu d’un champ de forces où le plus puissant s’impose.  Si la force du plus fort est le seul fondement du pouvoir, la contrainte qu’il exerce ne peut plus être fondée sur le caractère  obligatoire et légitime d’obéissance, mais sur la réalité purement factuelle de sa puissance. Pascal, dans les Pensées, soutient l’idée que les lois ne sont que l’expression d’un rapport de forces et de domination des plus puissants, mais qui a l’intérêt de pacifier et de stabiliser l’ordre existant, ce qui est pour lui « le souverain bien » : « à défaut de fortifier la justice, on a justifié la force ». Machiavel est sans doute le premier à avoir montré cette réalité prosaïque du pouvoir du Prince, et cherché à dégager les stratégies les plus efficaces de conservation du pouvoir. l faut peut-être ajouter que la culture marxiste du droit comme superstructure, qui a marquée de son empreinte tout le XXème siècle, a contribué à propager l’idée que le droit et la loi n’étaient que l’expression maquillée d’un pouvoir de classe  défenseur de l’exploitation de la force de travail par le capital. Dans cette perspective, même si la loi bourgeoise se pare d’une certaine légitimité en tant qu’elle se réclame des droits de l’homme, elle ne fait que légaliser un état de fait caractérisé par la domination de classe. N’oublions pas également, c’est très important, que le corrélatif de cette analyse du pouvoir comme instrument de la domination de classe est son dépérissement puis sa disparition définitive avec la société sans classe qui suivra la dictature du prolétariat. L’absence de division ou l’unité de la société civile se traduit mécaniquement par la disparition d’un pouvoir qui n’a dès lors plus aucun rôle à jouer.

Nous retrouvons en partie cette conception du pouvoir chez Spinoza tel qu’interprété par Frederic Lordon : l’idée centrale de la philosophie politique spinoziste est que le pouvoir politique et la puissance qui est la sienne est une puissance d’emprunt : il n’est que le réceptacle de la puissance de la multitude, même si celle-ci retombe ensuite sur cette multitude. Le fait constitutif du pouvoir (distinction entre « postestas » et « potentia ») est la capture. A. Matheron : « Le pouvoir politique est la confiscation par les dirigeants de la puissance collective de leurs sujets. » (« Individu et communauté chez Spinoza »). C’est cette puissance de la multitude et l’affect commun à laquelle elle est associée qui constitue littéralement non seulement l’autorité politique mais l’autorité sociale en général. Le caractère souverain du pouvoir ne tient qu’à cette orientation de l’affect commun qui « reconnaît » celui-ci. C’est le principe, dit Lordon, de toute efficacité institutionnelle (et pas seulement du pouvoir politique). Pour que par exemple une monnaie soit « souveraine », c’est-à-dire pour qu’elle « fasse autorité », il faut qu’elle génère cet affect de reconnaissance, qu’elle s’impose socialement comme le représentant de la richesse[24]. Tout cela se manifeste « de façon hautement médiée ». Non seulement par l’Etat, mais par l’ensemble des institutions.

Une conséquence directe de cette conception du pouvoir comme ayant sa source dans la puissance de la multitude (en quelque sorte « captée » par lui) : celle-ci est toujours susceptible de se fractionner, et n’est donc jamais garantie de demeurer une : « Le glaive du roi, c’est-à-dire son droit, est en réalité la volonté de la multitude elle-même ou de sa partie la plus forte » (« Traité Politique »). On voit bien que la persistance du souverain est question de rapports de force. Comme avec Pascal, c’est sous le signe de la force et de la lutte que l’ordre s’est originellement constitué, et continue de le faire, malgré sa tranquillité apparente. C’est « la continuation de l’état de nature sous d’autres formes ». Spinoza n’envisage pas de rupture de même nature que chez les contractualistes entre état de nature et état civil ; nous pouvons rapprocher cela de l’affirmation de Michel Foucault, inversant la célèbre phrase de Clausewitz : « La politique, c’est la guerre poursuivie par d’autres moyens ». A l’horizon de toutes les constructions institutionnelles, il y a lutte et rapports de forces. Ce « droit de guerre » dont parle Spinoza est aussi bien à l’origine de la constitution de ces constructions que de leur destruction. A la fois relevant d’une puissance créatrice et d’une puissance destructrice.

Rousseau reprendra cet argument du « droit du plus fort » en voulant montrer ses limites. Toute théorie du pouvoir ne peut pas s’en tenir à un tel constat : ces règles n’auront que l'apparence de la loi, parce qu'elles ne sont pas l'expression d'un droit : il n'y a pas de droit du plus fort. Pourquoi donc ? Celui qui sort vainqueur d'un rapport de forces peut bien exiger la soumission du vaincu et en faire sa propriété : c'est sur cette idée que reposait la pratique grecque de l'esclavage. Mais cette soumission ne durera qu'aussi longtemps que la force sera du côté du maître : si c'est par force que l'esclave a été privé de sa liberté, il pourra toujours tenter de la reprendre par force également. Or nul n'est assez puissant pour être assuré d'être toujours le plus puissant, d'autant que nul puissant n'est à l'abri d'une conjuration de ceux qu'il a soumis, lesquels, en réunion, seraient plus forts que lui. Nous n’avons aucune obligation de respecter la puissance du tyran, mais seulement nous pouvons nous soumettre par peur ou par prudence. La force ne faisant pas le droit, nous devons trouver ailleurs les fondements du pouvoir... D’où le deuxième terme de notre alternative : l’ordre de la nature est régi par la raison universelle : ce qui est conforme à la loi naturelle est qu’il obéisse à des normes valables universellement, celle du « droit naturel ». Le pouvoir politique est alors l’expression de ce gouvernement raisonnable, fondée sur une nécessité de droit. La difficulté survient aussitôt quand il s’agit de définir quels sont ces règles imposées par la raison universelle. Chaque fonctionnement social particulier pouvant se revendiquer de cet ordre naturel et de cette raison : les esquimaux peuvent juger naturels de supprimer les parents quand ils sont « trop » âgés, les grecs peuvent considérer l’esclavage comme conforme à la loi naturelle. La découverte de civilisations différentes de la nôtre a fini de nous faire douter sur la réalité objective d’un tel droit naturel,  en montrant la diversité et la relativité des règles de droit et des formes de pouvoir. Les essais de Montaigne sur la coutume ou sur les cannibales, au XVIe siècle, et certaines pensées de Pascal au XVIIe en témoignent déjà : « Qu'est-ce que nos principes naturels sinon nos principes accoutumés ? [...] Une différente coutume nous donne d'autres principes naturels, cela se voit par expérience. ».

Les difficultés rencontrées avec la théorie du droit naturel, mais aussi la réalité de la domination et de la violence dans l’histoire du pouvoir (telle que le soutient la première option de la première thèse) nous conduisent naturellement à introduire la seconde thèse, celle des contractualistes :  la théorie du contrat social a recours à l’artifice d’une première convention jouant le rôle de pacte social rationnel, et apporte une légitimité au pouvoir en faisant rupture avec les anciennes formes de domination. L’usage de la notion de droit naturel reste néanmoins très présent, et avec lui les tensions qui traversaient depuis le départ l’usage de cette notion : tensions entre nature et convention, mais aussi entre nature et rationalité. Les difficultés propres à la référence au droit naturel  continuent d’interroger la pertinence de ce modèle, malgré le succès historique qu’il va remporter avec la Modernité : les clauses rationnelles de ce pacte qui doit sceller tout groupement humain, tout en ayant vocation à l’universalité, continuent de diviser les philosophes, qu’elles s’appuient ou non sur le droit naturel. Une autre difficulté du contrat réside dans son caractère virtuel : il ne s’agit pas d’un véritable contrat signé par les parties prenantes, mais d’une idée régulatrice (Kant) qui fonde en droit la réunion de tous autour de règles communes.   

Nous apercevons que chacune de ces options concernant la source du pouvoir a sa part de vérité, mais ne suffit pas à elle seule à pouvoir en rendre compte. Cherchons donc ce qui pourrait constituer une sorte de synthèse, mieux de dépassement de ces oppositions.

Il y a du pouvoir parce que les communautés humaines ont du pouvoir sur elles-mêmes

Tout d’abord, le pouvoir n’est pas que la conséquence d’un rapport de forces : les « sociétés » de singes ou les loups sont structurées sur des rapports de force, mais nous ne pouvons parler de pouvoir à leur sujet. Le pouvoir est constitutif du social, au sens où le propre de la communauté humaine est de se définir elle-même : toute communauté humaine, à la différence des singes ou des loups, exerce un pouvoir sur elle-même au sens où elle définit son propre fonctionnement et se plie de son propre mouvement à des lois communes. « S’il n’y a pas de sociétés sans pouvoir, c’est parce qu’il n’y a pas de sociétés sans pouvoir sur elles-mêmes »[25]. Il est important de commencer par poser ainsi la réalité anthropologique du pouvoir, sous peine d’avoir une représentation du pouvoir exclusivement pensée en termes de rapports de soumission (autrement dit d’un point de vue moral ou éthique). Nous voulons dire par là qu’au-delà de tel ou tel pouvoir dominateur ou oppressif, il y a ce mécanisme anthropologique du pouvoir de la communauté sur elle-même inhérent au social lui-même. A la question pourquoi y a-t-il du pouvoir et en quoi consiste-t-il, la réponse est claire : Il y a du pouvoir parce que les communautés humaines ont du pouvoir sur elles-mêmes. C’est la définition même de toute communauté humaine, et sa dimension intrinsèquement politique. Cela signifie en particulier que le pouvoir n’existe  que sous une forme séparée, en tant qu’il se présente comme extérieur au groupe sous la forme d’un commandement distinct. D’après Marcel Gauchet, nous retrouvons là quelque chose de similaire à ce que la psychanalyse a su dégager : la division du sujet, qui n’est précisément sujet qu’à travers cette division[26]. A la différence des animaux, si nous avons la capacité de nous conduire nous-mêmes –autrement dit si nous avons un certain pouvoir sur ce que nous sommes -, c’est parce que nous sommes séparés de nous-mêmes. Cette scission fait que nous ne sommes pas des animaux. Elle est tellement surprenante que nous avons longtemps vécu et pensé le pouvoir comme altérité : il est le signe de l’Autre... Nous avons d’ailleurs longtemps associé l’origine du pouvoir à la conquête ; Nietzsche s’est largement fait l’écho de cette idée... Seule la venue d’une communauté étrangère écrasant un peuple d’esclaves pouvait correspondre à l’imposition d’une règle par le dehors. Pourtant, sans doute que non : la conquête s’avère anecdotique, bien que le pouvoir y soit souvent associé. Mais elle ne peut plus passer pour l’origine. L’extériorité du pouvoir est endogène à la communauté politique, et non une excroissance temporaire liée à une structure économique (le capitalisme) vouée à être dépassée (Marx). Le pouvoir de médiation est une dimension structurelle et constitutive. Il est sans doute beaucoup plus, à ce titre, que l’élection de représentants qui nous ressembleraient, selon l’image que la Modernité tardive aurait tendance à se faire... 

Pouvoir se reconnaître dans une communauté bien identifiée...

Cette extériorité du pouvoir est ce qui permet à la communauté de se gouverner mais aussi de donner le sens minimum d’appartenir à une communauté gouvernable, qui est gouvernée. Ainsi, l’extériorité exprime « le fait qu’elle existe comme une réalité distincte en tant que tout ». En tant qu’ensemble cohérent sur lequel une prise est possible. La cause du présent désaveu/hostilité de notre personnel politique aujourd’hui réside dans ce manque : l’essentiel n’est pas de savoir si les citoyens sont suffisamment impliqués dans la vie politique : ce n’est pas cela que demande le peuple. Ceux qui polarisent le débat sur « la démocratie participative » contribuent à creuser l’écart entre la demande (ou l’offre) politique et la demande du peuple : celui-ci demande de pouvoir se reconnaître dans une communauté bien identifiée et maîtrisée ; pour le reste, c’est par surcroît et dans un temps ultérieur... Il y a un plan, auquel nous ne prêtons pas volontiers attention – la société se résumant aux rapports sociaux - qui est celui de la communauté comme totalité. L’être ensemble ou l’être en société ne se résume pas aux relations interpersonnelles, mais est intimement associé au sentiment d’appartenance au Tout de la communauté. Cette inclusion dans un « englobant » est en quelque sorte la dimension « mystique » de toute société... Le pouvoir a ainsi partie liée avec ce pouvoir d’appartenance.

En conclusion, nous citerons cette phrase de Marcel Gauchet qui peut résumer ainsi cette question : « Avec le pouvoir, la société se sépare d’elle-même (se coupe de ce qui la commande) tout en se donnant les moyens d’avoir prise sur elle-même. »

Après avoir analyser en quoi consistait fondamentalement le pouvoir, il est temps de revenir à notre question précédente relative au fondement philosophique du pouvoir, et de se demander comment il est possible de dépasser l’alternative développée précédemment, et que nous pourrions résumer ainsi : soit un pouvoir qui n’a aucune réalité ontologique, seulement pouvoir d’emprunt ou pouvoir-masque, simple produit d’un rapport de forces qu’il cherche tout à la fois à cacher, à entretenir et à faire perdurer, avec en outre les bénéfices de sécurité qui vont avec... Soit un pouvoir qui ne repose que sur l’artifice d’une décision rationnelle destinée à organiser une vie commune qui est devenue impossible dans des conditions naturelles. Nous avons évoqué les limites et les faiblesses de ces deux thèses. Risquons maintenant un pas de côté historique qui nous permettra peut-être de trouver la sortie d’une telle alternative.

Le pouvoir, c’est désormais Nous....

Pourquoi jusqu’au XVI siècle le pouvoir n’est pas vraiment notre problème ?  Parce que la question paraît résolue d’avance : nous pensons que le pouvoir, ce n’est pas nous, qu’il vient d’au dessus de nous, ancêtres, dieux, monde surnaturel ; que ses représentants ici-bàs ne sont que les émanations lointaines et affaiblies de ce pouvoir surnaturel. En ce sens, le livre de Machiavel « Le Prince » constitue une véritable révolution : désormais nous savons que le pouvoir se passe entre  nous ; qu’il y a des gens qui ont un désir violent du pouvoir et qu’ils savent s’en saisir et le conserver. Si le pouvoir c’est nous, alors se pose la question de savoir comment nous allons « traiter » avec lui... Nous savons tous confusément son caractère dangereux, nous connaissons tous plus ou moins cette sorte d’hubris qui habite le cœur des hommes et des communautés humaines.  Comment faire alors pour dompter « la bête » ?  Tout l’effort des principes politiques officiels depuis le XVII siècle vise à cela. Montesquieu le premier met en avant « le doux commerce » comme moyen de détourner les hommes de la concupiscence attisée par le pouvoir[27]... Pour mettre à la raison ce dernier, conscient du fait que le pouvoir c’est nous désormais, nous allons choisir nous-mêmes les candidats au pouvoir par les élections ; enfermer leurs actions dans des règles constitutionnelles précises ; ériger les Droits de l’Homme en principe suprême ; faire en sorte qu’ils commandent selon des lois générales votées par le Parlement qui les contraignent. « Voilà la cage libérale qui parvient à enfermer le monstre » (Marcel Gauchet). Alors que les sociétés obéissaient jusqu’à présent à un principe de légitimité hétéronome selon lequel nous devions obéissance à plus haut que nous (Dieu, le passé ancestral, la nature, ou les trois à la fois...), elle relève maintenant d’une légitimité qui n’est plus extérieure à elle, reposant sur des normes juridiques qui font de la volonté humaine le ressort du lien politique. La révolution juridique et politique qu’introduit  sur un plan théorique le contrat social va se réaliser pratiquement à partir de la Révolution ; le nouvel ordre demande à être étayé par en bas et exige une nouvelle fondation en droit qui se résume ainsi : il n’y a d’abord que des individus libres et égaux sur lesquels doit reposer l’organisation du collectif. Le nouveau pouvoir ne peut se comprendre qu’en fonction de ce nouveau principe de composition du collectif, c’est-à-dire en termes de pouvoir représentatif reposant sur les droits subjectifs des individus. Ce principe de légitimité autonome constitue l’essentiel de l’apport du contrat social, au-delà des polémiques que la notion de droit naturel peut susciter[28]. Cela ne fait pas disparaître comme par enchantement les rapports sociaux et économiques de domination et les inégalités, mais permet de remettre le pouvoir entre les mains d’individus aux droits égaux, et devient par conséquent une arme très efficace contre ces rapports de domination[29].

« La servitude volontaire n’existe pas » (Frederic Lordon) ; « Il n’y a pas d’énigme de la servitude volontaire » (Marcel Gauchet)

Spinoza a sans doute raison de considérer que l’existence du pouvoir et sa persistance dépend étroitement, et de manière rigoureusement immanente, de la puissance d’agir de la multitude, et des affects (tristes ou joyeux) qui mobilise cette puissance dans un sens ou dans l’autre. De considérer également qu’un pouvoir reposant sur la seule crainte ou peur partagées est des plus fragiles, comparé à celui qui s’appuie sur la confiance et l’amour. L’engagement d’obéissance sous-jacent au contrat social ne peut se comprendre que dans la prise un compte de telles forces actives ou passives, mais cela ne l’empêche nullement de jouer son rôle.  C’est ainsi que le soi-disant mystère de « la servitude volontaire »[30] laisse place à une explication toute simple : pour sa part, Marcel Gauchet pense que nous acceptons d’être gouvernés (sauf peut-être quelques rares anarchistes « purs » ?) et parfois soumis parce que nous sommes surtout attachés au fait d’être en sécurité dans une communauté viable et gouvernable. L’assurance de vivre dans « un espace tenable dans sa cohérence »[31]est déterminant par rapport à d’autres considérations. C’est uniquement quand ces conditions sont remplies que les gens qui la composent peuvent penser  contester son organisation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce ne sont pas les conditions les pires qui déclenchent les révolutions. Les autres raisons de protestation ou de changement (comme par exemple la question du « bon gouvernement »), semblent secondaires eu égard à cette exigence. Pour faire le lien avec Fréderic Lordon et sa reprise de la théorie du conatus et des affects de Spinoza[32], il va de soi que la charge énergétique de cet attachement au pouvoir d’appartenance communautaire pèse lourd dans la fiabilité du contrat qui lie les acteurs, ceci dans le cadre d’une économie affectuelle globale mettant en jeu d’autres affects collectifs. Pour Fréderic Lordon en effet, tout régime, même tyrannique, repose in fine et de façon purement immanente sur la puissance de la multitude et de ses affects. Dans cette perspective, la servitude volontaire n’a plus rien d’une énigme ; toute forme de domination est à double face : une face objective (la réalité de la domination), une face subjective (nos façons de vivre, de penser, d’être affecté, en partie déterminées par cette domination).

Trois traits constitutifs du pouvoir[33] selon Marcel Gauchet

Trois traits le constituent : 1) l’identification à une personne en particulier. Le pouvoir tend à se concentrer dans l’un, identifié à un lieu personnel. La tentation de ramener ce trait à l’efficacité fonctionnelle du commandement est une fausse évidence. En fait il y va non seulement de commander, mais d’être connu de tous, familier de tous (ce n’est pas un hasard si l’image paternelle colle à celle du pouvoir). Le roi est proche de chacun, vit dans le commerce familier de leur existence. Un pour tous. Le Tout de la communauté se rapporte à l’Un du pouvoir. Il est « incarnateur, personnificateur ». C’est là qu’il faut aller chercher le ressort de la dimension psychique du rapport au pouvoir qui se joue en chacun. Etre membre d’une société c’est avoir affaire à un pouvoir singularisé auquel je peux me rapporter. La coparticipation des êtres dans une communauté politique comporte une dimension énigmatique. 2) Le pouvoir est l’instance qui rend possible le tout de la communauté comme Tout. C’est pourquoi il est à part ; il est ce qui permet au tout de vivre de manière ordonné dans son tout, un tout également à l’intérieur duquel les acteurs poursuivent les fins qu’ils veulent, chacun pouvant s’occuper de ses affaires... Le pouvoir est en quelque sorte le contenant qui donne sa forme au contenu. 3) Le pouvoir s’exerce toujours au nom d’autre chose que lui (sinon nous avons vu qu’il faut parler de puissance). Il doit faire appel à cette légitimité qui l’autorise à incarner autre chose que lui et qui lui est supérieur. C’est cette augmentation du pouvoir qui constitue le phénomène de l’autorité, et sans lequel le pouvoir est précaire... Pour nous (les Modernes), le principe de la souveraineté du peuple est en effet radicalement extérieur au pouvoir ; c’est d’ailleurs par là que nous le tenons en dernier ressort : ce dont il se réclame comme de quelque chose d’autre que lui, c’est précisément nous !  Le pouvoir ne peut pas ne s’autoriser que de lui-même (comme le psychanalyste...). Il demeure en relation avec la communauté politique. Il vit de cette relation. Aucun pouvoir n’est légitime une fois pour toute. La contrainte constante de légitimation aux yeux des gens est institutionnalisée par la démocratie (à travers les élections), mais elle est à la limite présente quelque soit le régime, car elle définit la nature même du pouvoir. « Le Prince » nous propose  un étalage des moyens qui permet à un Prince de se relégitimer auprès de ses sujets (même si la morale prêchée par l’église   les réprouve !). L’externalité du pouvoir, sa séparation, le détour nécessaire qui est le sien, ne sont que les instruments de cette fonction de médiation de la communauté politique avec elle-même. Nous sommes à ce sujet à la croisée des chemins aujourd’hui, et le dérapage néolibéral sur cette question est sans doute la pire des solutions...

Pour conclure tout ce qui précède, nous pouvons affirmer que le risque aujourd’hui est bien moins l’excès de pouvoir que son épuisement et sa disparition.

Le pouvoir existe toujours malgré tout, mais ses formes semblent avoir évoluées (dans les familles, dans les institutions, dans la sphère publique de l’Etat). Cela n’est pas étonnant dans le cadre d’une société des individus où chacun prétend être son propre maître. L’avènement de la modernité et son approfondissement continu depuis plus de deux siècles ont fait de l’autonomie (décider soi-même de sa propre loi)  la valeur centrale de nos existences. Nous avons en particulier des exigences toujours renouvelées concernant la protection de cette autonomie individuelle. Nous n’acceptons plus qu’un pouvoir fort nous soit imposé. Il y a en nous un « ressort psychique » qui nous rend « naturellement » réfractaire à tout ce qui pourrait ressembler à une instance supérieure qui nous dicterait la marche à suivre, aussi bien au plan individuel que collectif. C’est la signature indélébile de la Modernité tardive.

Mais il y a cependant en nous une dualité vis-à-vis du pouvoir : aspirant malgré tout à un pouvoir fort capable d’incarner qui nous sommes et ce que nous voulons devenir, nous sommes de plus en plus confrontés au sentiment d’un pouvoir impuissant. L’ampleur de la déception ressentie est à la mesure de l’importance de ces attentes. Elle alimente à son tour  le repli sur soi qui est en quelque sorte une donnée structurelle de cette société. Sentiment d’être totalement dépossédés  de la conduite de notre existence collective, non pas parce que le pouvoir exercerait sur nous une quelconque domination oppressive (n’en déplaisent aux inconditionnels du « sans Etat »), mais parce que lui-même s’avère sans pouvoirs ou impuissant face au complexe technico-juridico-marchand  qui semble dicter sa loi sur la planète entière. L’économie est devenue totalement indépendante et extérieure à  l’Etat, et s’est même autonomisée de la société civile. Plutôt que de penser aux dangers potentiels du pouvoir en matière de liberté (comme par exemple le font les détracteurs de la prolongation de l’Etat d’urgence en France), ne devrions-nous pas davantage nous inquiéter de son impuissance ? Qu’en est-il en effet de notre autonomie collective ? Où est cet autogouvernement qui serait conforme à cette dimension fondamentale et première de la démocratie ?

L’affaissement du pouvoir ne fait plus guère de doute dans la conscience des acteurs, même si les mécanismes de cette perte de pouvoir ne sont pas véritablement analysés. La méconnaissance de la nature de ces mécanismes, autant que la justification de cette absence de pouvoir, sont les produits du discours néolibéral : il accrédite en effet l’idée de l’indépendance maximum des individus et de leurs accords contractuels sous le signe du droit, par rapport à l’Etat. La politique comme instance extérieure, séparée et surplombante n’est pas vraiment acceptée et reconnue par un tel système, au profit d’une vague « gouvernance » préoccupée davantage par « la gestion des affaires », et concevant son rôle comme un accompagnement et une coordination des activités de la société civile. Son manque de fécondité rejoint l’image d’un pouvoir voué au spectacle de l’arène médiatique, souvent offert à la vindicte publique. On lui reproche son éloignement du peuple et de cultiver « l’entre-soi », ne pensant qu’à son maintien, et profitant de sa position pour pratiquer la corruption... Mais cet isolement des élites politiques apparaît d’autant plus paradoxal qu’elles multiplient leur déclaration d’allégeance au peuple, leur intention d’écouter ses attentes et d’en tenir compte. Plus ces engagements de proximité se multiplient, plus l’écart se creuse avec le peuple... Pas de possibilité d’être élu, semble-t-il, sans promesses plus ou moins démagogiques attendues par les électeurs... la punition est d’autant plus sévère que ces mêmes électeurs ne pardonnent pas des promesses non tenues qu’ils ont pourtant fortement contribué à produire.

Si l’individualisme est réfractaire à la contrainte collective, il faut aussi reconnaître qu’inversement le pouvoir institutionnel se soucie comme d’une guigne de l’avis des citoyens, comme si les institutions fonctionnaient en pouvant complètement se passer du concours des individus, qui ont de plus en plus le sentiment de « compter pour du beurre » : « la société se produit à l’extérieur de nous avec cette rançon de la parfaite indifférence de l’existence individuelle au regard de l’existence collective » (MG).

Que pourrait-être le nouveau pouvoir que nous appellerions de nos vœux ? L’histoire de nos démocraties et ses enseignements nous ont sans doute appris une chose importante : le pouvoir ne peut désormais se penser autrement que dans le cadre d’une pure immanence, ce qui exclut toute référence ultime à plus haut que soi, ne serait-ce que celle de « l’intérêt supérieur ». Le modèle rousseauiste d’autonomie à partir du contrat social ne peut sans doute plus être notre référence incontournable en matière de pouvoir. Pourquoi ? Parce qu’il est encore très dépendant du moule hétéronome de l’Ancien Régime : l’union des hommes libres dans un pouvoir souverain qui incarne la volonté générale transcendant chaque volonté particulière. Autrement dit, une union formée autour de l’unité supérieure du Bien commun. L’histoire de la démocratie nous a appris que les intérêts et les opinions sont irrémédiablement divisés, et que par conséquent la légitimité du pouvoir en démocratie ne peut pas reposer sur une telle unité mythique, mais sur une majorité qui ne peut pas se permettre d’ignorer les minorités.  Le pouvoir doit donc en permanence jouer cette tentative de synthèse qui n’est pas le dépassement de ces divisions au nom d’un « intérêt supérieur de la Nation », mais plutôt la recherche permanente de compromis fragiles et évolutifs entre les différentes lignes qui composent l’ensemble social. L’intérêt commun joue toujours le rôle « d’idéal régulateur », mais en tant qu’équilibre toujours fragile et chantier inachevé. D’où l’importance de la dimension délibérative de ce pouvoir, si l’on prend bien la mesure que le pluralisme démocratique, au delà du droit à la liberté d’expression et au devoir de tolérance, repose ultimement sur l’existence structurelle de composantes irréductibles de la société moderne, dont chacune cherche à avoir le dessus sur l’autre, mais qui sont en réalité inséparables. L’histoire de la démocratie serait ainsi l’histoire d’une recherche d’équilibre et d’articulation entre ses composantes qui se traduisent sommairement par les injonctions suivantes : « le désir d’ordre, le besoin de liberté, le souci de la transformation des conditions de l’existence collective »[34]

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[1] Ce qui est tout aussi redoutable

[2] Il faut reconnaître à ce sujet qu’à bas bruit, le numérique est devenu potentiellement un puissant instrument de contrôle et de surveillance sociale. D’où aussi les craintes d’un pouvoir que serait capable de mettre à profit ce genre d’instrument...

[3] Nous préciserons plus loin ces distinctions

[4] Article « Pouvoir », Encyclopédie Universalis

[5] « Le Prince », 1532

[6] Article « Pouvoir », EU

[7] Michel Foucault en particulier

[8] « Le 18 brumaire de Napoléon Bonaparte »

[9] « Leçons de sociologie. Physique des mœurs et du droit »

[10] « Sociologie de l'action »

[11] A partir du XVIIIème siècle

[12] Max Stirner, L’unique et sa propriété (1844)

[13] Souvenons-nous de la devise des anarchistes : « Ni Dieu ni Maîtres »

[14] Ce qui explique selon elle la tendance au désintéressement de la politique et peut, en réaction, alimenter un populisme thaumaturgique et ses « impudiques représentants au bonheur »

[15] Ce que Marcel Gauchet appelle « la démocratie du privé »

[16] Sur tous les médias, les émissions qualifiées de « culturelles » font systématiquement appel à des experts de cette nature

[17] Marcel Gauchet, conférence « Que peut la philosophie ? »

[18] « La politification », Pierre Duclos

[19] Sur ce point, ainsi que sur les informations qui suivent, consulter article EU « Le pouvoir politique »

[20] Marcel Gauchet, « Conditions d’éducation », Chapitre 1.

[21] Hannah Arendt, « Crise dans la culture », « Qu’est-ce que l’autorité ? ». Pour elle, l’autorité est associée à la conviction du caractère sacré de la tradition et pense que, depuis le début du XXème siècle, a eu lieu « un effondrement plus ou moins général…de toutes les autorités traditionnelles ». Elle définit donc ainsi l’autorité :

« L’autorité exclut l’usage extérieur de moyens de coercition ; là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échouée. L’autorité d’autre part est incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un processus d’argumentation. Là où on a recours à des arguments, l’autorité est laissée de côté. Face à l’ordre égalitaire de la persuasion, se tient l’ordre autoritaire qui est toujours hiérarchique. S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ça doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments… ». Nous pouvons résumer cette définition en disant que l’autorité se traduit par une adhésion volontaire sans contraintes ni persuasion.

[22] Nous en avons eu l’illustration avec les péripéties autour de la Loi El Khomri

[23] Du contrat social, I, II

[24] Nous pouvons, à titre individuel, dire le pire sur la monnaie ou l’argent, mais cela ne change strictement rien à la puissance affective commune qui les soutient...

[25] Une conférence donnée en 2015 par Marcel Gauchet (« Quel pouvoir voulons-nous ? ») nous a guidé dans la présente réflexion... 

[26] Division entre le conscient et l’inconscient, ou entre le moi, le çà et le surmoi, suivant les topiques freudiennes utilisées. On trouve la même idée avec le concept de Ricoeur du « cogito brisé » (« Soi-même comme un autre »). Le surmoi en particulier serait l’inscription psychique du pouvoir à l’intérieur de soi, sous la forme d’un loi interdictrice qui est en même temps la condition du désir.

[27] « L’Esprit des Lois »

[28] Questions qui continueront d’être « travaillées » par la philosophie politique « post-contrat social », comme par exemple les réflexions de Rawls ou d’Habermas.

[29] Et non une illusion mystificatrice destinée à les cacher...

[30] La Boétie, 35ans après Machiavel (1548). On formule généralement ce concept sous la forme de l’étrange constat d’un peuple qui semble choisir librement d’accepter la contrainte et l’injustice de ceux qui gouvernent...

[31] Marcel Gauchet

[32] « La société des Affects »

[33] Conférence de Marcel Gauchet « Quel pouvoir voulons-nous ? », 2015

[34] Marcel Gauchet