« Peu importe le flacon pourvu qu’on est l’ivresse ». Une dépression toxique…

 
 

« Peu importe le flacon pourvu qu’on est l’ivresse ». Une dépression toxique…

Daniel Mercier, à Maureilhan le 30/04/2021

 

Garder la tête froide en ces temps de pandémie est une chose bien difficile : en cette période inédite et chargée d’incertitudes, difficiles à vivre pour les humains que nous sommes, nous sommes tentés de reconduire des jugements certes très négatifs sur les politiques mise en œuvre, mais ayant pour nous l’immense avantage de focaliser notre ressentiment sur des responsables bien identifiés, et ainsi de colmater notre inquiétude. Or nous avons au contraire surtout besoinde rester vigilants et mobilisés face à toutes les présumées horreurs dont on nous abreuve, censées nous raconter les mauvaises intentions de ceux qui nous gouvernent : ceux-là non seulement s’avèreraient bien sûr incompétents pour la gestion d’une telle crise, mais surtout profiteraient du malheur dans lequel nous sommes pour fomenter les projets les plus funestes concernant notre démocratie. Alors que nous sentons bien que l’évènement inédit que représente cette pandémie réclame de renouveler notre réflexion si nous voulons vraiment parvenir à penser ce qui nous arrive, nous sommes assiégés par la pensée du « monde d’avant » - n’hésitons pas à détourner la facilité d’une telle expression -, c’est-à-dire de schémas de pensée anciens qui recyclent indéfiniment le nouveau à l’aune de vieilles habitudes idéologiques. Nous pensons ici par exemple à l’éternel plaidoyer en faveur des libertés individuelles ou collectives qui seraient bien sûr menacées…

Incompétence et diabolisme, telles seraient les deux mamelles du pouvoir ! En ce qui concerne le diabolisme, les termes ne manquent pas pourcaractériser les funestes projets de celui-ci : développer et entretenir la peur des populations pour mieux pouvoir asseoir son emprise, ouvrir la porte à la dictature de la science contre le politique, obsession du fichage et du traçageet préparation d’un monde cybersécurisé, utilisation de la peur des « clusters » pour interdire tout rassemblement… Tout cela concourant à instaurer durablement un régime d’exception ou un état d’urgence sanitaire (au choix), vœu secret mais non moins déterminé de tout pouvoir faussement démocratique d’une élite qui veut à tout prix tenir le peuple à l’écart de l’exercice des affaires publiques. Le discours était le même quand il s’est agi de lutter contre le terrorisme : justifier des dispositifs de plus en plus répressifs menaçant les libertés des citoyens sous prétexte de défendre leur sécurité. Nous devons avoir l’honnêteté de reconnaître que la récurrence de telles accusations finissent pas rencontrer le délire systématique de certaines idées conspirationnistes que nous avons déjà eu l’occasion d’analyser en détail. Pourtant, ne nous y trompons pas, elles sont portées par des intellectuels éminents : le petit inventaire précédent est un simple résumé de ce que la philosophe Barbara Stiegler(mais elle n’est pas la seule) n’a cessé de répéter sur les ondes et les réseaux sociaux…

Qui peut sincèrement soutenir que les gouvernements européens (le nôtre parmi d’autres) rêvent secrètement d’instaurer un régime autoritaire voire dictatorial, de restreindre nos libertés démocratiques ? Certes ces régimes ne sont pas plus que d’autres des partisans du « self-governement » privilégiant la participation du peuple à l’élaboration des lois, mais ils sont bel et bien des régimes libéraux où la liberté individuelle reste une valeur centrale ! N’hésitons pas à écarter ce genre de foutaises qui nous obstruent le chemin si nous voulons effectivement être prêts à nous confronter aux vrais défis de notre temps, dont la pandémie est un des révélateurs les plus puissants avec le changement climatique. Les questions posées en effet sont d’une évidence quasi biblique :

Comment allons-nous pouvoir sortir de l’urgence (par ailleurs nécessaire aujourd’hui) pour anticiper sur le long terme d’ « un monde d’après » capable de vivre avec la présence probable de tels virus ? Comment allons-nous organiser nos systèmes de santé pour faire face à de telles éventualités désormais ? Comment s’organiser pour retrouver une vie « normale » malgré l’action des virus ? Une meilleure connaissance virologique et épidémiologique devront bien sûr participer de cette transformation de l’ « ancien » monde…

Comment allons-nous lutter contre le dérèglement climatique en limitant l’émission de gaz à effet de serre et en préservant le mieux possible la biodiversité ? Changer notre modèle agricole sans aggraver le sort de nos petits agriculteurs (et même en l’améliorant) ? Consommer mieux de façon à préserver la planète ?

Œuvrer sur le plan géopolitique à un nouvel équilibre mondial plus pacifique, moins violent, et mieux régulé par les institutions internationales ?

Lutter résolument contre les inégalités sociales et retrouver le rôle plein et entier d’une République sociale, en suivant peut-être le chemin que Jo Biden, le « nouveau Roosevelt », semble nous indiquer…

Ces grandes questions devraient faire consensus dans le débat politique, et la délibération démocratique devrait pouvoir s’organiser sereinement autour d’elles dans un climat relativement apaisé et constructif… Ce que nous offrent nos hommes politiques est infiniment éloigné de cette perspective, et l’opinion publique reste ainsi polarisée sur des sentiments venimeux et ressentimentaux qui obstruent complètement la vue. Finalement, nous pouvons avoir l’impression que la défiance, la plainte et la colère sont peut-être l’essentiel, et non le contenu de cette défiance, de cette plainte ou de cette colère…. Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Peu importe l’objet, pourvu que ces sentiments toxiques puissent s’exercer… Les objets varient, on a simplement besoin de bouc-émissaires :les élites politiques corrompues, bien sûr, mais aussi les pourfendeurs de libertés, les prétendus cadeaux faits aux pauvres ou aux immigrés, les profiteurs de l’allocation chômage ou de l’allocation familiale (tout particulièrement les étrangers) sous le regard complice de l’Etat, l’attitude dispendieuse de ce dernier pendant la Pandémie (« Trop de protection ! La France n’en a pas les moyens ! On ne va pas tarder à déchanter ! », tel était le propos d’une personne rencontrée hier) …etc. Les arguments peuvent même se retourner en leur contraire, peu importe, pourvu qu’ils nourrissent une dénonciation (les laxistes, les islamophobes, ceux qui veulent s’attaquer aux allocations chômage)… Si tel est vraiment le cas, la raison ne peut guère nous aider, et la discussion devient inutile : l’essentiel est ailleurs, et nous devons continuer à croire ce qui nous arrange… et alimenter notre fabrique à ressentiment.