"Liberté et responsabilité : quelles relations ? "

 

Samedi 24 novembre 2018 à 17h45 à la Médiathèque de Maureilhan

Le Sujet

"Liberté et responsabilité : quelles relations ?"

 

Présentation du Sujet

 

  Voilà deux notions qui sont intimement liées dans l’histoire de notre pensée   moderne,  aussi bien dans le registre du droit que de celui de la morale : le fait de   pouvoir « répondre de ses actes » paraît impliquer l’existence d’un libre arbitre à   l’origine de notre action ; comment en effet être responsable si je suis déterminé   comme n’importe quel élément de la nature ? C’est précisément cette représentation   intellectuelle fortement enracinée dans nos esprits qu’il s’agit d’interroger pour en   déceler les éventuelles limites : quel est au juste cette liberté, et comment prendre en   compte les déterminismes qui pèsent sur nos actions ? Peut-on défendre au contraire   une conception de la responsabilité compatible avec une éthique du déterminisme ?   L’opposition spéculative entre liberté et déterminisme peut-elle être surmontée ?
                                                              Daniel Mercier
 

 

 

Ecrit philo

 

« Liberté et responsabilité : quelles relations ?»

 

Rappelons que la personne qui a proposé le sujet était plus précise : la responsabilité suppose-t-elle l’existence de la liberté ? Nous avons souhaité élargir un peu la problématique mais il est clair que cette question dit l’essentiel…. Il s’agit d’un sujet « classique » de la philosophie de l’action aux multiples aspects, le droit, la morale sont convoqués, mais aussi et peut-être surtout la réflexion de nature ontologique : comment pourrai-je répondre de mes actes si je suis déterminé à faire ce que je fais, comme n’importe quel autre élément de la nature ? L’homme en tant que personne revendique la liberté et l’entière responsabilité de ses actes. Une liberté qui ne réside pas dans le fait de faire n’importe quoi, et qui semble intimement associée à la responsabilité. C’est précisément cette représentation intellectuelle de la liberté comme condition de la responsabilité, qui a pour elle le sens de l’intuition et du sens commun, que nous devons interroger pour éventuellement en dégager les limites : cette liberté est-elle effective, et comment prendre en compte les déterminismes qui pèsent sur nos actions ? Nous avons déjà longuement réfléchi, à plusieurs reprises, sur la question de la liberté, aussi choisissons-nous de partir de la responsabilité pour explorer les différentes facettes de la notion. La notion de liberté émergera rapidement au fur et à mesureque nous nous intéresserons à la justification ou au fondement de l’idée de responsabilité… La question qui se posera alors : l’idée d’une responsabilité qui appellerait comme son double l’idée de liberté est-elle nécessairement vraie ? Peut-on défendre au contraire une conception de la responsabilité émergeant d’une éthique du déterminisme ? Mais peut-être doit-on dépasser l’opposition spéculative de la liberté et du déterminisme en faveur d’une conception renouvelée de la liberté qui s’éloigne du libre arbitre ?

Qu’est-ce que la responsabilité, ses différentes dimensions. Une relation de condition à conséquence entre liberté et responsabilité mais aussi une tension permanente qui les oppose

►Commençons par noter qu’être responsable c’est d’abord et avant tout répondre à la question : suis-je ou non l’auteur de mes actes ?Sartre : «  Nous prenons le mot de « responsabilité » en son sens banal de « conscience d’être l’auteur incontestable d’un événement ou d’un objet ; Cette responsabilité est simple revendication logique des conséquences de notre liberté ». Etre libre c’est en effet non seulement avoir des droits mais aussi des charges : nous devons répondre de nos actes. Nous voilà d’emblée au cœur du sujet…

►Notons ensuite que les domaines empiriques d’application de la responsabilité sont globalement de deux ordres : 

Responsabilité civile : obligation de réparer dommage lorsque l’on a commis une faute, dans certains cas prévus par la loi (les Assurances peuvent prendre en charge cette responsabilité à notre place).

Responsabilité pénale : je suis puni pour un délit ou un crime commis

Responsabilité politique (constitutionnelle) : les Ministres sont responsables face au Parlement

 Il y a un sens beaucoup plus étendu que l’usage juridique classique : nous sommes globalement responsables de nos actes et de leurs conséquences, mais aussi et surtout responsables des autres quand ils sont à notre charge ou à notre soin. Ce sens peut même occuper tout le terrain de la philosophie morale, nous le verrons avec le « principe responsabilité » devant les générations futures de Hans Jonas ou la responsabilité devant autrui (tous les « autres ») chez Lévinas. Nous pourrions aussi citer Sartre, pour qui la responsabilité de chacun « engage l’humanité toute entière ». L’extension spatiale et temporelle de cette notion de responsabilité peut d’ailleurs être un problème que Ricoeur n’a pas manqué de signaler : jusqu’où doit s’étendre la responsabilité de nos actes ? « Entre la vison courte d’une responsabilité aux effets prévisibles et maîtrisables, et la vision longue d’une responsabilité illimitée… entre la fuite devant la responsabilité des conséquences et l’inflation d’une responsabilité illimitée, il faut trouver la juste mesure. »[1]

►Il ne peut y avoir de responsabilité personnelle (donc subjective) lorsqu’on agit dans un contexte de pure contrainte, où le sujet serait en face d’une situation qui n’offre aucune option alternative. A l’inverse il n’y a pas non plus de responsabilité sans l’existence d’un sentiment vécu d’obligation.

Etymologiquement, dérivé savant de responsus, participe passé de « respondere » au sens de « se porter garant ». Le responsable est celui qui se porte caution ; ce n’est pas de lui-même mais d’un autre qu’il répond. En ce sens, la responsabilité concerne moins un rapport avec soi-même qu’un rapport ouvert sur les autres où on se trouve concerné par eux. La responsabilité de celui qui « se porte garant » implique ici une relation de dépendance ou de pouvoir. La relation de causalité classique – je suis responsable de ce que je cause – serait ainsi une forme limitée et restrictive de cette forme de dépendance, qui suppose d’une manière ou d’une autre un statut s’inscrivant dans une hiérarchie, l’exercice d’un pouvoir  - parent/enfant, professeur/élève, patron/salariés, pilote d’avion/passagers, Etat/individu…etc. – qui donne à la personne concernée une responsabilité particulière (professionnelle, familiale, politique…) : elle est supposée se conformer aux devoirs et obligations liés à son statut, y compris l’obligation d’agir de façon « responsable », ce qui signifie ici de façon raisonnable et prudente (acception assez différente du sens classique).

►Lorsqu’on est garant d’autres, la responsabilité consiste en une prise de décision, au-delà du respect des normes : Sartre prend l’exemple d’un élève qui vient le voir pendant l’Occupation[2] pour savoir s’il doit s’engager dans les FFL ou rester auprès de sa mère affligée. Un choix que l’on ne peut prendre que seul, et qui est toujours « sans excuses ». Nous sommes « condamnés à être responsables » comme « nous sommes condamnés à être libres ». Pour y échapper,ainsi qu’échapper à l’angoisse liée à ce genre de décision dans ce contexte d’incertitude, nous faisons appel à ce que Sartre appelle « la mauvaise foi » dont les deux figures principales sont « le lâche » (celui qui se trouve toujours des excuses), et « le salaud » (celui qui se croit justifié depuis toujours), autrement dit deux figures qui sont des tentatives pour éviter de se confronter aux vertiges de la liberté et de la responsabilité qui va avec. Cette idée rejoint la notion de « phronesis »ou « prudence » aristotélicienne où la vertu consiste à délibérer, prendre une décision et agir au sein d’un monde incertain qui n’est pas entièrement réglé par la nécessité. C’est dans cette dimension de la contingence des « affaires humaines » que peut s’exercer la liberté humaine.

►Nous avons observé que répondre de ses actes avaient une double signification ; répondre devant qui ? Soi-même bien sûr. Mais la responsabilité renvoie sans doute toujours à un tiers : des normes sociales, morales ou juridiques, des Institutions (comme la Justice), Autrui et tous les autres. Nous retrouvons là les deux versants de la responsabilité : une responsabilité subjective qui est une responsabilité devant soi-même, ancrée dans sa liberté, et une responsabilité objective qui renvoie à un obligateur (la loi, une autorité, quelqu’un devant lequel je dois m’expliquer où me porter garant). Il y a donc une dialectique indépassable entre une responsabilité devant soi-même qui renvoie toujours à une altérité (à quelque chose d’autre que soi), quel que soit le nom qu’on lui donne (le Surmoi, la Loi, la voix de la conscience,  Autrui…ect.). Même dans le cas d’une responsabilité purement morale, celui qui est responsable devant lui-même répond au juge qu’il se donne, exprimant ainsi une scission ou un dédoublement à l’intérieur de lui-même. Cette obligation vécue suppose que cet autre s’offre à lui sous les traits d’un pouvoir légitime. Antigone peut être condamnée sur ordre de Créon, elle se sent responsable devant d’autres lois que celles du Roi. Elle n’a pas à répondre de son acte devant lui. Comme nous l’avons déjà observé, nous ne sommes responsables qui si nous nous voulons tels[3]. Lorsque le pôle subjectif est détruit, la responsabilité se dégrade en forme de contrainte unilatérale ; mais en l’absence du pôle objectif, c’est la négation de toute juridiction (refus d’être jugé) par un sujet qui se prend pour la mesure de toute chose.

►Enfin, nous ne devons pas oublier que la responsabilité se fonde sur le postulat de l’identité personnelle du sujet responsable. Contrairement au poète, « l’homme de l’éthique affirme « Je est le même »[4]. Autrement dit, l’éthique suppose d’une manière ou d’une autre une permanence substantielle, une continuité du sujet dans le temps. Elles se manifestent par le pronom personnel, mais aussi le nom (propre). En ce sens, le numérique et les réseaux sociaux en particulier détruisent le nom en favorisant l’expression anonyme ; or le nom est « inséparable de la confiance, la promesse et la responsabilité[5] ». L’anonymat si répandu aujourd’hui est une forme de déresponsabilisation où l’on se délie de toute obligation. A l’inverse l’acte de celui qui donne sa parole repose sur une obligation réfléchie.

En conclusion de cette présentation du concept de responsabilité, on peut constater à la fois le caractère inséparable de la responsabilité et de la liberté, mais aussi une tension constante qui semble les opposer : la responsabilité est bien « soudée » à la liberté, mais en même temps elle est synonyme de confrontation à une altérité, sous forme d’obligation devant un Tiers, qui vient contrarier ou bousculer une liberté qui ne peut se soutenir qu’à condition d’assumer les charges que la responsabilité lui impose. Comme le dit Lévinas, le repli sur soi d’une liberté égoïste se trouve mise à mal par une responsabilité, qui est pour lui la responsabilité inconditionnelle devant autrui, qui se manifeste à travers son visage.

Deux exemples où la responsabilité vient contrarier la liberté : la responsabilité inconditionnelle devant autrui et le « principe responsabilité »

Pour Lévinas, ma responsabilité devant autrui est première et vient bousculer ma liberté, égoïste par nature[6]. Je suis lié à autrui, à traversl’épiphanie de son visage, par une dette infinie qui fait de moi son « obligé ». Le visage d’autrui s’impose à moi comme un appel ; il me révèle son extrême vulnérabilité en même temps que son infinitude, mettant en question « cette sauvage et naïve liberté pour soi, sûre de son refuge en soi », au profit de l’accueil de « l’absolument autre ». Personne ne peut répondre à ma place. Le Moi ne prend pas seulement conscience de cette nécessité de répondre, comme s’il s’agissait d’une obligation ou d’un devoir particulier dont il aurait à décider, mais il est dans sa position même responsabilité de part en part. Il n’est pas possible de se dérober à cette responsabilité, car nous ne pouvons pas ignorer autrui ou le ramener au même. La responsabilité devant autrui « vide le Moi de son impérialisme et de son égoïsme ». Autrui fait effraction dans le champ de ma liberté, il est celui qui m’oblige ou qui m’enjoint, celui devant lequel je dois répondre. Par là-même, il est dénonciation de la suffisance de la subjectivité. Avec Lévinas, le mouvement de moi à autrui, qui caractérisait jusque-là toute la philosophie du sujet, s’inverse en un mouvement qui part désormais de la prééminence d’autrui pour aller vers moi.

Un autre exemple de cette tension entre liberté et responsabilité concerne Hans Jonas  –contemporain de Lévinas ; n’oublions pas que ces auteurs écrivent après l’extermination de masse de la Shoah –  et sa réflexion sur le « principe responsabilité ». Face aux menaces que font peser sur l’humanité les nouvelles technologies, il est nécessaire de repenser le concept de responsabilité[7]. Alors que l’éthique traditionnelle se concentre sur la qualité morale de l’acte momentané lui-même, dans lequel on  doit respecter le droit du prochain qui partage notre vie, Hans Jonas s’intéresse aux actes (qui ne sont plus ceux d’un sujet individuel mais dont la dimension est collective) qui ont une portée causale incomparable en direction de l’avenir, cette portée étant selon lui irréversible. « Cela place la responsabilité au centre de l’éthique », une responsabilité élargie à l’humanité à venir. Là encore c’est la liberté prométhéenne, celle qui est intiment associée au pouvoir exercé par l’homme sur la nature[8], qui doit être jugulée par l’éthique de cette nouvelle responsabilité vis-à-vis des générations futures devant lesquelles nous devons répondre. 

Liberté et déterminisme : rappel

Nous voilà donc revenus au débat déjà exploré dans ce café philo qui oppose la philosophie de la liberté et celle du déterminisme[9]. Nous nous bornerons ici de relever les principaux arguments en faveur de chacune des thèses, de façon très schématique. Les philosophies dites de la conscience ne sont pas naïves au point de penser que les déterminismes n’existent pas ; il suffit de se référer à n’importe quels travaux scientifiques pour être convaincu que les lois de la causalité sont présentes dans la nature, et qu’elles permettent de rende compte de la plupart des phénomènes, phénomènes naturels mais aussi phénomènes sociaux ou psychologiques. Mais ces philosophies refusent de considérer ce déterminisme comme universel, notamment concernant les conduites et les actions humaines, et jugent nécessaire d’introduire une hypothèse complémentaire, celle du principe d’une volonté inconditionnée ou libre arbitre, seul capable de rendre compte de l’existence de la morale (c’est-à-dire un devoir-être indépendant de l’être ou de l’étant) et de la responsabilité en particulier. Car si « l’homme fait le mal par nécessité de nature »[10], comment lui attribuer une quelconque responsabilité ? Les arguments les plus significatifs en faveur de cette hypothèse du libre arbitre sont les suivants :

Comment maintenant les partisans du déterminisme s’opposent à une liberté qui serait synonyme de libre arbitre : nous citerons simplement ce texte de Spinoza utilisant la métaphore de la pierre : la liberté, entendue comme libre-arbitre, est une illusion de la conscience. Elle résulte en fait de notre ignorance des causes qui nous déterminent.

« Pour ma part, je dis que cette chose est libre et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée. Dieu, par exemple, existe librement (quoique nécessairement) parce qu’il existe par la seule nécessité de sa nature. De même encore, Dieu connaît soi-même et toutes choses en toute liberté, parce qu’il découle de la seule nécessité de sa nature qu’il comprenne toutes choses. Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité. Mais venons-en aux choses créées qui, toutes, sont déterminées à exister et à agir selon une manière précise et déterminée. Pour le comprendre clairement, prenons un exemple très simple. Une pierre reçoit d’une cause extérieure qui la pousse une certaine quantité de mouvement, par laquelle elle continuera nécessairement de se mouvoir après l’arrêt de l’impulsion externe. Cette permanence de la pierre dans son mouvement est une contrainte, non pas parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion de causes externes, et ce qui est vrai de la pierre l’est aussi de tout objet singulier, quelle qu’en soit la complexité et quel que soit le nombre de ses possibilités : tout objet singulier, en effet, est nécessairement déterminé par quelque cause extérieure à exister et à agir selon une loi précise et déterminée. Concevez maintenant, si vous le voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, sache, et pense qu’elle fait tout l’effort possible pour continuer de se mouvoir. Cette pierre, assurément, puisqu’elle n’est consciente que de son effort, et qu’elle n’est pas indifférente, croira être libre et ne persévérer dans son mouvement que par la seule raison qu’elle le désire. Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. C’est ainsi qu’un enfant croit désirer librement le lait, et un jeune garçon irrité vouloir se venger s’il est irrité, mais fuir s’il est craintif. Un ivrogne croit dire par décision libre ce qu’ensuite il aurait voulu taire. De même un dément, un bavard et de nombreux cas de ce genre croient agir par une libre décision de leur esprit et non pas portés par une impulsion. Et comme ce préjugé est inné en tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas facilement. »[15]

La liberté véritable pour Spinoza est donc une libre nécessité, que l’on peut traduire en disant qu’une chose est libre quand elle est cause d’elle-même. Dieu seul (ou la Nature) peut l’être en tant qu’il ne dépend de rien d’autre que de lui-même. Est libre celui qui est mû par une nécessité interne, conforme à sa nature. En revanche, toute chose finie – donc toute chose, excepté Dieu -, en tant qu’elle est soumise à des causes extérieures à elles, ne l’est pas (du moins totalement). L’illusion de cette liberté – qui nous fait croire que nous somme à nous seuls la cause de ce que nous faisons –comme l’ivrogne qui croit dire par décision libre ce qu’après il aurait voulu taire – est dû à l’ignorance des causes qui nous déterminent, comme la pierre qui roule dotée de conscience peut s’imaginer qu’elle est la seule « responsable » de ce mouvement, alors qu’elle se meut par l’effet de causes externes à elle-même. Toute chose particulière « est nécessairement déterminée par quelque cause extérieure à exister et à agir selon une loi précise et déterminée ». En réalité, l’homme n’est pas « un empire dans un empire », en tant que partie de la nature, il est soumis à ces lois comme n’importe quelle autre partie.

Deux conceptions de la responsabilité, l’une qui implique le libre-arbitre, l’autre non. Discussion

Théorie préventive et théorie rétributive

Essayons maintenant d’approfondir cette question de la responsabilité en montrant comment elle donne lieu à deux conceptions rivales aux enjeux importants quant à la question de savoir quelle est l’origine ou la source véritable de la responsabilité, et par conséquent aussi quant à la place et le sens du libre arbitre dans ces conceptions. Une première conception de la responsabilité se justifie par l’utilité de la sanction (c’est la théorie dite « préventive »), alors que sa concurrente défend l’existence autonome du concept de responsabilité[16] (théorie dite « rétributive »). La réflexion philosophique a toujours lié étroitement la responsabilité à la justification des sanctions. Selon la première théorie, la responsabilité se définit par les raisons justificatives de la sanction– qu’il s’agisse de l’éloge ou du blâme en morale ou de la peine en droit pénal –, qui sont essentiellement préventives. Le mal ainsi causé par le système de sanctions doit être proportionné au mal qu’il est censé empêcher (préventivement)[17]. Opposé à une telle conception qui entend absorber la notion de responsabilité dans les raisons justificatives de la sanction, la théorie rétributive  défend l’existence autonome du concept de responsabilité : « On n’est pas responsable d’un acte illicite parce qu’on est le sujet approprié d’une sanction, mais on est le sujet approprié d’une sanction parce qu’on est responsable de l’acte illicite[18] ». Généralement, cette idée est exprimée au moyen de la notion de mérite : une sanction n’est juste que si elle est méritée ; et une sanction n’est méritée que si l’agent est responsable de l’acte illicite. Nous faisons référence à ces débats philosophiques un peu « techniques » car ils renvoient à la question de l’existence du libre arbitre : la notion de responsabilité censée fonder cette notion de mérite est liée généralement à l’hypothèse du libre arbitre, que nous pouvons définir comme un principe inconditionné d’action, ou volonté libre, considéré comme seul capable de fonder et de sauvegarder une notion indépendante de responsabilité.  Nous savons qu’historiquement, les considérations théologiques ont joué un rôle non négligeable dans la défense de ce concept de libre arbitre : saint Augustin en particulier traite de cette question : il est nécessaire de préserver le Dieu créateur de la responsabilité du mal. Seule l’existence à l’intérieur de l’être humain d’une instance de choix inconditionné, fondement de sa responsabilité pleine et entière, permet de disculper Dieu. Tout en étant le créateur, il n’est pourtant pas responsable du mal… Seul l’homme est responsable du pêché qu’il commet.

Déterminisme et responsabilité : compatibles ou non ?

Mais revenons à l’hypothèse du déterminisme causal : tout le monde aujourd’hui s’accorde à reconnaître que nos actions sont déterminées en un certain sens. Face à un comportement attendu ou non, ne nous efforçons-nous pas de rechercher les éléments, connus ou ignorés jusque-là, qui vont nous permettre de le comprendre ? N’importe quelle approche relative aux sciences sociales ne s’inscrit-elle pas dans la recherche de causes ou de raisons capables de rendre compte de certains faits sociaux ou comportements ? Nous pouvons certes plutôt préférer l’hypothèse d’un « quasi-déterminisme », suivant en cela d’éventuels enseignements de la physique quantique et du fameux « principe d’incertitude » de Heisenberg : celui-ci postulerait qu’au plan macroscopique, il y a une possibilité résiduelle que des objets ne se comportent pas comme ils le font généralement… Il faut aussitôt préciser que sur le plan pratique ces possibilités résiduelles sont sans importance. La question posée est donc de savoir si cette hypothèse du déterminisme est compatible avec la responsabilité, ou si l’on pense au contraire que la notion de responsabilité nécessite l’hypothèse complémentaire de la possibilité, pour l’homme de faire des choix inconditionnés (libre arbitre)[19]. Les « compatibilistes » pensent que les actes déterminés par un ensemble de facteurs sur lesquels nous n’avons pas nécessairement prise (éducation, milieu social, dispositions diverses, ou simplement concours de circonstances) n’exclut pas la responsabilité de l’agent, puisque ce déterminisme laisse intact les notions d’action rationnelle, de délibération, de choix et de décision. Il y a responsabilité tant que l’individu n’est pas dépossédé de cette capacité de contrôle de ce comportement[20]. A l’inverse cette position est jugée inconsistante par leurs adversaires (« incompatibilistes ») : à partir du moment où on admet que nos actions sont déterminées ainsi, il faut admettre que nos décision et nos actes sont causalement déterminés comme n’importe quel élément de la nature, et qu’ils sont par principe (si l’on connaît l’ensemble des conditions antécédentes et si l’on dispose des lois adéquates) prédictibles. L’être humain croit choisir, mais un choix qui est aussi prédictible que les phases de la lune est une illusion de choix. Que la cause prochaine (s’inscrivant dans un enchaînement de causes) soit interne ou mentale – que l’être humain ait son principe d’action en lui-même (nous avons vu que c’était le cas avec Aristote), ne change rien : si ce dernier n’est rien d’autre qu’un « automate spirituel », il ne peut être responsable. Voilà donc exposée la problématique générale de notre question…

Un système de responsabilité en faveur de l’individu maître de ses choix… Responsabilité et autonomie

La question qui se pose aussitôt est la suivante : un tel déterminisme est-il compatible avec l’existence d’une responsabilité autonome, au sens où nous l’avons définie ? Celle qui est soudée à l’idée d’auteur de ses actes ? Nous avons vu que pour la philosophie de la conscience une telle compatibilité semble impossible… Une observation doit ici retenir notre attention : l’expérience subjective de la liberté n’est pas une illusion en tant qu’elle existe. Comment dénier l’existence d’une telle expérience ? La liberté d’action (le pouvoir de faire), en tant qu’elle est factuellement vécue, est une réalité irréductible. De même il est indéniable que nous voulons souvent ce que nous faisons, d’autant plus lorsque l’action est rationnelle, précédée éventuellement de délibération, de choix, de décision. Aristote a raison de considérer la délibération comme manifestation de la liberté humaine, même s’il a tort (du point de vue d’un Spinoza) de penser que cette délibération est la preuve d’une causalité humaine sous le régime de la contingence.  En ce sens, le déterminisme paraît compatible avec la responsabilité de l’agent. Spinoza fait une distinction claire entre vouloir quelque chose, y compris rationnellement, et considérer que ce vouloir est lui-même libre (au sens du libre arbitre). L’expérience quotidienne du libre arbitre où je me représente comme agent libre à l’origine d’une chaîne causale d’évènements est bien réelle, même si cette liberté n’est qu’une illusion. Il est important d’avoir en mémoire ce point avant d’aborder la question de la nature de notre système de responsabilité, qui semble reposer sur l’individu maître de ses choix : s’interroger pour savoir si une personne est responsable d’un acte particulier revient à se demander, selon Marc Neuberg[21], 1) si elle dispose des capacités cognitives et volitives lui permettant de comprendre certaines normes morales ou légales, et les appliquer dans des circonstances concrètes 2) s’il y a ainsi « un engagement cognitif et volitif minimum » qui se traduit par une action intentionnelle, avec la conscience de ses conséquences. Cela n’implique pas toujours que l’on agisse de bon gré, ni que nous désirions les conséquences de l’acte,  car nous pouvons aussi avoir une action intentionnelle sous la menace. Quant est-il d’un tel principe quand il s’agit d’actes commis par erreur, ignorance ou imprudence ? En effet, il arrive que les conséquences de nos actes ne soient pas intentionnellement voulues, et qu’elles résultent d’erreur, d’ignorance ou d’imprudence. Nous serons néanmoins jugés responsables de nos actes par référence avec « un homme avisé et prudent » qui aurait eu un comportement plus adapté[22]. La sanction (morale ou juridique) sera cependant personnalisée en fonction des caractéristiques personnelles (nous y reviendrons) de l’agent. Dans le cas d’imprudence en particulier, l’usage d’une telle norme de « l’homme avisé et prudent » suit une logique préventive comme principe régulateur du comportement. Qu’est-ce que montre un tel système de responsabilité, basé sur l’engagement cognitif et volitif d’une part, et la capacité de l’agent d’atteindre un certain niveau de prudence et de réflexion ? Un choix fondamental de ce système en faveur de l’individu maître de ses choix, capable d’orienter son comportement en conformité ou en accord avec un système de normes. Autrement dit, en faveur d’un individu « autonome ». L’autonomie est peut-être alors la valeur centrale du point de vue de la responsabilité, qui ne peut se confondre avec le libre arbitre… 

Dépasser l’opposition spéculative du déterminisme et de la liberté ?

Il est temps d’interroger cette opposition traditionnelle entre déterminisme et liberté[23]. Si nous pensons qu’un agent doive disposer du libre arbitre, c’est en raison, nous l’avons vu, du problème de l’imputabilité morale : il doit légitimement être tenu pour moralement responsable de ses actes, et donc avoir le contrôle sur sa conduite. Peut-on à l’inverse penser qu’il y a un déterminisme causal tout en préservant cette idée d’un contrôle de l’agent ? Une des dimensions du contrôle de l’action d’un agent est l’existence de plusieurs options possibles concernant cette action[24] (1), en particulier le fait de pouvoir ne pas l’avoir réalisée. Il est facile de démontrer[25] que l’hypothèse du déterminisme causal est incompatible avec l’existence de plusieurs options : nos futurs possibles doivent »dériver de notre passé réel », sont « des extensions de ce dernier », et cet agent ne pourra pas agir autrement qu’il n’agit. En ce sens, le déterminisme causal est rigoureusement contradictoire avec un libre arbitre qui suppose l’existence de ces différentes options possibles.Mais un autre type de contrôle de l’agent consiste non pas dans l’existence de ces options, mais dans le fait d’exercer un contrôle sur sa conduite, c’est-à-dire le fait que sa conduite provient authentiquement de lui-même (2). Une telle dimension du contrôle (2) qui n’implique pas l’existence d’autres options possibles (1) est compatible avec le déterminisme causal : le fait de ne disposer d’aucunes autres options possibles ne joue aucun rôle dans mes délibérations et mes actions, ce que John Martin Fischer nomme « le contrôle de direction ». L’absence d’autres options possibles (1) est ainsi sans rapport avec ce type de contrôle (2), et donc sans rapport non plus avec ce qui fonde ou pas  notre responsabilité morale. Mais Fisher continue de parler à ce propos « d’un certain type de libre arbitre »,  compatible avec ce second type de contrôle, semblant tenir à préserver son existence… Ne peut-on pas plutôt repenser le concept même de liberté ? La deuxième partie de l’argumentation me semble nous donner raison :

Si le déterminisme causal est compatible avec un certain type de liberté, que se passe-t-il dans l’hypothèse d’un indéterminisme causal ? Nous pourrions intuitivement penser que cette hypothèse est intimement liée à celle du libre arbitre, mais en réalité, elle montre surtout l’ambiguïté, voire l’incohérence associées au concept même : le libre arbitre comme volonté inconditionnée ou indéterminée (qui suppose un indéterminisme causal) renvoie en effet à de l’aléatoire, ce qui montrerait la proximité d’un tel concept avec celui d’acte gratuit, tel qu’on le trouve chez le personnage de Lafcadio dans « Les Caves du Vatican ». André Gide montre parfaitement qu’il n’y a pas d’acte gratuit et qu’il manifeste seulement la volonté de prouver sa liberté, le motif ici étant l’absence de motif. Selon Fischer, l’indéterminisme causal reviendrait à considérer que la conduite d’un individu serait similaire à ce que produirait un dispositif purement aléatoire de nombres (telle une série de nombres). Une telle hypothèse menace évidemment la liberté, sinon ces formes abâtardies que représentent l’acte gratuit ou la liberté d’indifférence. Comment l’aléatoire peut être compatible avec la puissance d’une volonté libre ? Nous pouvons à la lumière de cette réflexion mieux comprendre le malaise dans lequel nous plonge par exemple la conception de la liberté selon Hannah Arendt : la liberté est pure spontanéité de l’action, « miracle des commencements », sans qu’on  puisse la rattacher à une volonté préexistante ou un quelconque sujet-substrat, encore moins à un déterminisme, puisqu’elle est ce qui permet de s’en extraire « en créant quelque chose de nouveau dans le monde ». Une action qui est synonyme de liberté et qui n’est pas préexistante à un sujet, car c’est plutôt le sujet qui est l’enfant de l’action.  Hannah Arendt reconduit ici une conception de la liberté qui ne parvient pas tout à fait à se dégager du libre arbitre…. Car une telle « génération spontanée » de l’action ne peut tenir lieu d’explication. D’où vient cette liberté ? Le recours « au miracle des commencements » ne peut que nous laisser sur notre faim… Pour reprendre l’argumentation où nous l’avions provisoirement laissée, et conclure ce point, nous nous rendons compte que non seulement le déterminisme causal est compatible avec la liberté (pour notre part, nous ne parlerons plus de libre arbitre dans ce cas), mais aussi que l’indéterminisme causal[26] menace ce libre arbitre, ou plutôt en révèle la fragilité : un libre arbitre qui s’apparenterait désormais à un pur acte gratuit aléatoire (qui en réalité n’existe pas, André Gide le montre). Pour conclure, nous nous appuierons sur le propos du philosophe Pierre Zaoui[27] : il est temps en effet de distinguer les deux registres philosophiques où s’applique le concept de vérité : sur le plan pragmatique, qui peut sérieusement contester l’existence de la liberté (au sens du libre arbitre) ? Nous sommes libres de nos actes, libres de nos convictions et de notre parole si nous vivons en démocratie (dans certaines limites)… Le sentiment commun de liberté au sens où l’entend la philosophie de la conscience ne fait pas débat, il est de l’ordre de l’évidence, et nous devons en ce sens postuler la liberté. Plus, sur un plan anthropologique, nous pouvons dire avec Marcel Gauchet que nous sommes entrées dans une nouvelle ère de l’humanité marquée par ce qu’il appelle le principe de légitimité autonome, c’est-à-dire un principe de légitimité qui s’appuie sur la liberté égale des individus. Mais sur le plan de l’être (ontologie), il en va autrement si l’on est spinoziste : le sentiment de liberté renvoie alors à un état d’ignorance…. Mais n’y-a-t-il pas une autre liberté possible ? Une liberté qui n’aurait rien de commun avec le libre arbitre ? Mais tout d’abord la liberté n’a-t-elle partie liée avec notre pouvoir personnel ?

La liberté, c’est aussi un pouvoir que nous avons sur nous-mêmes et sur les choses du monde…. Ce qui dépend de moi, ce qui n’en dépend pas.

Peut-être avons-nous intérêt de revenir à la première des définitions de la liberté, celle que l’on trouve par exemple dans le Dictionnaire philosophique de Voltaire : la liberté est avant tout le pouvoir de faire ou de ne pas faire. Pas de liberté effective qui ne renvoie donc à un pouvoir et une capacité d’agir sur nous-mêmes ou sur le monde. La responsabilité est de ce point de vue la conséquence logique d’un tel pouvoir : d’une part, je ne peux pas faire n’importe quoi, et d’autre part, ma responsabilité sera nécessairement relative aux conséquences obtenues de mes actions. C’est logiquement une première question que nous devons alors nous poser en nous inspirant des stoïciens : qu’est-ce qui dépend de nous ? Qu’est-ce qui n’en dépend pas ? Ce précepte d’Epictète peut ici être fructueux à condition de le revisiter : la responsabilité du sage stoïcien siège dans la capacité de pouvoir distinguer ce qui est extérieur à nous, et donc ne dépend pas de nous (sur laquelle nous n’avons pas de pouvoir), de ce qui est intérieur à nous, c’est-à-dire le domaine de nos propres représentations, qui est le véritable terrain d’élection de l’exercice de la liberté humaine : nous avons la possibilité intérieure de les modifier. Mais en revanche nous sommes nécessairement passifs à tout ce qui nous est extérieur, et nous ne pouvons pas agir dessus. Cette pensée s’inscrit dans une vision de la nature et du monde entièrement gouvernée par la nécessité. La liberté consiste ainsi à « vivre en harmonie avec la nature », c’est-à-dire de participer de façon consciente et active à la raison universelle. Dans notre monde moderne et sécularisé, il ne peut qu’en être autrement : même si l’acquiescement au réel garde toute sa valeur, nous ne pouvons plus donner au conseil d’Epictète le même sens (les choses extérieures d’un côté, les représentations intérieures de l’autre). La leçon de lucidité est toujours salutaire et doit prévaloir, mais une nouvelle question peut être posée : qu’est-ce qui dépend réellement de nous, y compris et surtout sur le terrain d’actions possibles (ou non) que nous sommes capables d’initier dans notre environnement ? Quel est au juste la portée de mon pouvoir personnel sur cet environnement ? Comment et dans quelle proportion mobiliser mon temps et mon énergie, comment « m’investir », en fonction de la réalité de ce pouvoir ? C’est la réponse à une telle question qui permet de ne pas rester totalement impuissant face au problème d’une irresponsabilité théoriquement presque illimitée, comme l’observe finement Ricoeur[28]. Ma responsabilité sera proportionnée à la portée de ce pouvoir, aussi bien sur le plan individuel que sur le plan collectif et politique. La question est la même dans ce dernier cas : quelles actions sont possibles et efficaces pour des changements souhaitables ? Quelles actions prennent suffisamment en compte les contraintes du réel, de façon à pouvoir peser le plus efficacement possible sur ces changements ? Telles sont les questions de cette nouvelle responsabilité Si nous ne nous positionnons pas ainsi, nous sommes à proprement parler irresponsables… Cette conception d’une gestion de sa propre responsabilité dans la vie est finalement assez proche de la 3ème maxime cartésienne de sa morale provisoire[29], d’inspiration stoïcienne : confrontés à un certain nombre de maux et de contraintes –qui sont pour l’essentiel ceux du tragique de l’existence : le désamour, la solitude, la maladie, la guerre… -, et qui ne font qu’exprimer le hiatus entre mes désirs et la réalité, nous devons toujours prendre la pleine mesure du réel et de ce qu’il est en notre pouvoir de transformer. Puis agir sur ce qui est en notre pouvoir, et cesser de désirer l’impossible. Il ne s’agit ni de renoncer, ni de s’obstiner, mais de mettre son désir en accord avec la réalité. 

L’idée de liberté comme puissance d’agir, compatible avec un déterminisme absolu

Avec Spinoza, « la liberté est une perfection ». Que signifie cette formule un peu énigmatique ? La liberté consiste à exister et accroître, accomplir sa puissance propre, en lien avec le conatus[30]. L’homme n’est pas différent des autres êtres naturels, sa liberté est d’exister et d’agir par la nécessité de sa nature. Qui est pour lui celle de penser (pour le cheval, celle de courir). Mais seul Dieu (la Nature naturante) existe et agit par la seule nécessité de sa nature (il est entièrement cause de soi)[31]. L’homme, en tant qu’être déterminé et fini, ne peut connaître une liberté totale et absolue[32]. Cette conception inclut la critique du libre arbitre, qui est dû à la fausse conscience d’une liberté qui ne repose que sur l’ignorance des véritables causes de nos actions (cf. expérience de pensée du mouvement de la pierre). En revanche, nous pouvons comprendre cet asservissement, notamment par le biais de la science des affects[33], ce qui est libérateur et ouvre de nouvelles options d’existence. La véritable liberté pour l’homme consistera dans la recherche de son intérêt propre, individuellement en vivant sous la conduite de la raison[34], collectivement en obéissant à une loi raisonnable[35]. La manifestation d’une telle liberté, qui se traduit par une augmentation de puissance, est la joie. La grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés est celle d’une « vie girouette » tant qu’elle n’est pas libérée par la connaissance : beaucoup de joies passives ne sont pas durables et se retournent contre elles-mêmes, car elles sont relatives à de faux objets qui finissent par me détruire au lieu d’augmenter ma puissance d’agir (exemple de l’alcool). Une vie libérée par la connaissance nous conduit à être moins attaché et donc aliéné, mais du point de vue de Dieu (la Nature) tout reste entièrement déterminé. Le sage a davantage d’idées claires, mais à l’intérieur d’une aliénation toujours là. L’Ethique montre un chemin qui nous indique des formes de libération au sein d’une servitude native. La réponse typiquement spinoziste concernant ce chemin est la joie de connaître, joie active et non plus passive. « La compréhension de la nécessité du passé ouvre un maximum d’options possibles pour la nécessité du futur »[36]. En effet, se satisfaire de la nécessité n’implique nullement une forme de résignation. Plus on comprend, plus ou peut agir sans se fourvoyer ; il ne s’agit pas de se « changer soi-même», mais d’augmenter sa puissance d’exister. Pierre Zaoui nous indique alors, à ce point de l’argumentation, que Spinoza peut ouvrir d’autres voies que celle qu’il a explorée lui-même : nous concentrer sur les moyens qui vont nous permettre d’augmenter notre force d’exister, c’est peut-être aussi choisir « d’être fidèle à son désir »[37], en écartant certes les objets qui nous détruisent. Etre fidèle à son désir signifie identifier et s’accrocher à ce que l’on ressent comme une nécessité intérieure. Pensons au personnage d’Hernani, souvent cité comme incarnant une forme de liberté romantique, qui est pourtant comme le dit Victor Hugo « une force qui va », obéissant, comme Rodrigue dans Le Cid, à une nécessité intérieure qui la meut. Mais nous pourrions aussi citer certains athlètes qui sont comme des machines ou des animaux en soutenant une activité qui leur procure une joie intense. L’artiste aussi vit la force de ses expériences intérieures… Et nous avons tous l’expérience autour de nous ou en nous de ces joies durables[38] en tant qu’expression d’une nécessité qui nous habite. Pierre Zaoui reconnait que « c’est parfois dans la transformation en automate que l’on se sent le plus libre… La pensée de la pierre[39] a deux faces, celle d’un déterminisme intégral, mais aussi possiblement d’un intense sentiment de liberté… Peut-être que les moments où l’on se sent le plus libre sont les moments où on est le plus déterminé…». La figure de Nietzsche ne peut qu’apparaître ici comme l’héritière de ce mode de pensée : L’homme responsable ou l’homme libre est celui qui est capable de « tenir ses promesses » (parcours long, semé d’embûches, qui n’a rien de naturel, car l’homme est naturellement « oublieux »)[40] ; cela implique beaucoup d’intelligence et de savoirs pour  ainsi « disposer à l’avance de l’avenir ». C’est le lot d’un homme autonome, dont la liberté est associée à la puissance, « sentiment d’accomplissement parfait de l’homme ». Là encore la liberté est associée à la nécessité et à la puissance ; à la maîtrise de soi et des circonstances, mais aussi à une forme de nécessité qui nous meut. Il honore ou méprise autrui à l’aune de ce qu’il est. La responsabilité n’est pas également partagée dans ce cadre de pensée : hiérarchie affirmée entre ceux qui peuvent promettre, et ceux qui vivent de cette promesse.

D’une façon cette fois-ci plus globale, et quoiqu’on pense de cette pensée foncièrement inégalitaire et élitiste, nous pouvons affirmer que la thèse du déterminisme telle qu’elle peut être développée (différemment) chez Spinoza ou Nietzsche, avec la critique radicale du libre arbitre qui lui est associée, n’exonère absolument pas l’homme de la responsabilité, au contraire. Mais pour une telle pensée, la responsabilité est davantage une affaire de libération ou d’accomplissement personnels qu’un « statut » (juridique ou ontologique) qui me serait indéfectiblement attaché. Ainsi je suis toujours plus ou moins responsable selon le degré d’autonomie que j’acquière, et la façon dont je suis capable de renouer avec ma puissance propre et me déterminer moi-même. « Devenir ce que nous sommes » dit Nietzsche… « Retrouver une autorité de soi-même » nous propose Spinoza. « Ne pas céder sur son désir » prévient Lacan. De telles formules interrogent fortement le processus d’individuation lui-même, qui ne peut faire l’économie ni de la nécessité et de la puissance, ni de notre capacité à nous donner notre propre loi, qui n’est pas celle de l’impératif catégorique kantien, mais celle qui consiste à assumer ce que nous sommes et à se construire avec ce par quoi nous sommes passés et ce qui s’est passé en nous. En ce sens, nous parvenons à devenir plus ou moins responsables vis-à-vis de nous-mêmes et de notre vie, mais aussi devant les autres et les normes communes. Mais nous sommes toujours les auteurs de notre vie au sens où tout ce que nous vivons et ce que nous sommes nous appartient en propre[41], le cas-limite d’une telle affirmation étant celui d’une personne identifiée comme « aliénée », c’est-à-dire une personne dont cette disposition à considérer comme « sien » ce qui lui arrive s’en trouve durablement altérée.

Nouvelles donnes de la responsabilité dans le monde contemporain. La liberté aux dépens de l’esprit de responsabilité ?

Nous terminerons en abordant la question des rapports entre liberté et responsabilité sur le plan collectif en évoquant le contexte anthropologique des sociétés démocratiques contemporaines et son incidence sur ce que nous pourrions appeler « l’esprit de responsabilité ». L’avènement de la Modernité démocratique, en instituant une humanité qui doit désormais inventer collectivement l’avenir et se libérer des anciennes transcendances religieuses, développe l’autonomie individuelle de chacun, et par conséquent ouvre un champ de responsabilité sans commune mesure avec celui des sociétés traditionnelles qui la précédent. Une « société des individus » qui affirme les droits et l’égale liberté de tous les individus affirme par là même que chacun est, doit être, est supposé être responsable de son sort ou de sa vie, mais aussi de l’avenir de la société dans laquelle il vit. Le concept de citoyenneté traduit précisément cette dimension de responsabilité collective : reconnaître les individus comme citoyens est une tentative d’instituer des sujets responsables de la conduite politique de la société, même si cette « institution » peut être considérée comme une « fiction » symbolique utile[42]. Lorsque nous projetons la responsabilité sur des entités collectives telles que l’Etat, la société, le capitalisme, la mondialisation, l’immigration etc., nous ne devrions jamais oublier qu’ultimement nous sommes nous aussi par principe (c’est-à-dire en démocratie) responsables…  La responsabilité en ce sens doit être partagée entre des sujets individuels et des instances collectives, et c’est précisément dans la sphère publique qu’un tel partage peut –partiellement – opérer. Une citoyenneté passive se caractérise par une simple appartenance, alors qu’une citoyenneté active signifie, pour utiliser une expression spinoziste, une augmentation de la puissance d’agir, par l’intermédiaire de cette responsabilité partagée. « Ce qui est réel, bien sûr, c’est seulement un certain mélange, une certaine proportion de citoyenneté active et de citoyenneté passive »[43]. Il est cependant patent que notre modernité tardive semble avoir beaucoup de difficulté pour parvenir à articuler liberté et responsabilité individuelles et liberté et responsabilité collectives : nous vivons aujourd’hui un paradoxe poussé jusqu’à la contradiction entre une autonomie et une puissance individuelle qui se sont effectivement développées avec l’extension des droits et l’approfondissement de l’individualisation, et le sentiment d’une impuissance collective sur le plan de la conduite du cours du monde[44]. D’une part la « démocratie du privé » nous promet la jouissance de ses droits personnels sous le signe d’une indépendance individuelle déconnectée de l’obligation collective ; faire valoir ses droits et poursuivre ses intérêts dans le cadre d’une organisation collective sur laquelle on ne peut rien, qui est censé relever d’un automatisme bienfaisant (« le complexe juridico-technico-marchand »), puisqu’il permet le déploiement maxima des indépendances individuelles et des libertés de chacun. C’est le règne d’une autonomie individuelle associée à un manque total d’autonomie collective, qui se traduit en particulier par un « esprit de responsabilité » ou une citoyenneté déficients. Nous « adhérons à nous-mêmes » et avons de plus en plus de mal à nous décentrer pour investir un « sens du public » nécessaire à la prise de responsabilité collective. D’autre part, une telle tendance individualiste est bien sûr nourrie et entretenue – nous avons affaire à un processus de rétroaction positive bien analysée par la théorie de la pensée complexe – par la perception que nous avons d’un monde opaque et d’une complexité tels que ses fins semblent nous échapper et nous conduire dans un mur. Comme si nous étions pris au piège dans des mécanismes automatiques, organisations, structures dont la marche obéit à des lois de fonctionnement sur lesquelles nous n’avons pas prise. Ce sentiment ne fait que renforcer le repli sur soi, la défiance généralisée, le retrait de toute forme d’engagement, et les attentes populistes. Le paradoxe est total : ce qui s’est produit sous le signe de la promotion de l’autonomie et d’une responsabilité décuplée finit par se traduire par une irresponsabilité collective grandissante. L’autonomie individuelle finit par jouer contre l’autonomie collective. Entre une responsabilité illimitée qui ferait de chacun d’entre nous « la conscience du monde » (n’est-ce pas le prolongement logique de l’idéologie de « citoyen du monde » ?), et une déresponsabilisation massive, il devient de plus en plus urgent de retrouver une responsabilité propre, mesurée, mais ambitieuse. Qui soit à la mesure précisément du pouvoir que nous exerçons sur la nature aujourd’hui, à l’ère dite « anthropocène ». Le « principe responsabilité » de Hans Jonas est en l’occurrence on ne peut plus d’actualité… Mais la réalisation d’un tel « programme » nécessite que nous parvenions à surmonter cette désarticulation ou disjonction entre l’instance individuelle et l’instance collective, autrement dit que notre liberté individuelle puisse à nouveau se convertir en pouvoir collectif (c’est en principe l’équation de la démocratie). Saurons-nous faire un meilleur usage des moyens dont nous disposons –peut-être pour la première fois dans l’histoire nous sommes véritablement libres - pour nous rendre davantage maîtres du fonctionnement de notre démocratie et de l’orientation de notre avenir ? Telle est peut-être l’enjeu d’une nouvelle responsabilité en direction de l’avenir.

                              Daniel Mercier, novembre 2018



[1] « Le juste », Paul Ricoeur

[2] « L’existentialisme est un humanisme »

[3] Dictionnaire de Philosophie, Encyclopédie Universalis, article « responsabilité »

[4] Idem

[5] Lire à ce sujet le livre deBYUNG-CHUL HAN, « Dans la nuée »

[6] « Humanisme de l’autre homme », Emmanuel Lévinas

[7] « Le Principe responsabilité », Hans Jonas. Il fait ici en particulier référence aux possibilités génétiques de transformation de la nature de l’homme.

[8] Que l’on pourrait résumer par la fameuse phrase : l’homme « maître et possesseur de la nature »

[9] « Déterminisme et liberté », conférence Université Populaire de Narbonne, avril 2013

[10] Spinoza, Lettre à Oldenburg, 1676

[11] « Les principes de la philosophie », Descartes

[12] « Julie ou la nouvelle Héloïse », Rousseau

[13] « Ethique à Nicomaque », Aristote

[14] « L’existentialisme et un humanisme »

[15]Spinoza, Lettre à Schuller, trad. R. Misrahi, coll. « Bi-bliothèque de La Pléiade », Gallimard, 1954, pp. 1251-

[16]Lire article « Responsabilité » de Marc Neuberg, dans le Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale

[17] En particulier Bentham, philosophe anglais (1748 – 1832), et tous les philosophes utilitaristes qui l’ont succédé

[18]Une telle conception est beaucoup plus « intuitive » pour nos représentations intellectuelles « continentales », ce qui n’est sans doute pas le cas du côté de la philosophie analytique anglo-saxonne

[19] Lire article de Marc Neuberg sur la responsabilité, in Dictionnaire d’Ethique

[20] Nous reviendrons sur ce point

[21] Article « Responsabilité » Dictionnaire d’éthique

[22] C’est en effet la norme utilisée dans le droit pénal

[23] Lire à ce sujet « Libre arbitre et déterminisme » de John Martin Fisher, in Dictionnaire d’Ethique

[24] Cette hypothèse des multiples options possibles et la seule qui est étroitement associé au libre arbitre.

[25] Idem

[26] Ce qui signifie strictement que le déterminisme causal est faux

[27] Les chemins de la philosophie, « Spinoza et la libre nécessité »

[28]Page 2 du présent texte : « …entre la fuite devant la responsabilité des conséquences et l’inflation d’une responsabilité illimitée, il faut trouver la juste mesure. » 

[29] « Discours de la méthode », Descartes

[30] Effort pour persévérer dans son être

[31] Ce que Spinoza appelle « la libre nécessité »

[32] Ce qui suit s’appuie sur l’intervention du philosophe Pierre Zaoui, Les chemins de la philosophie (France Culture), « Spinoza et la libre nécessité ».

[33] Le rapprochement avec la psychanalyse est ici évident. Lacan était un grand lecteur de Spinoza

[34] L’Ethique

[35] Traité théologico-politique

[36] Pierre Zaoui, Les chemins de la philosophie, « Spinoza et la libre nécessité »

[37] Nous retrouvons là la formule de Lacan, qui résume selon lui l’éthique de la psychanalyse : « Ne pas renoncer à son désir »

[38]En tant que passives, ces joies sont toujours susceptibles de se retourner contre elles, d’où le projet spécifiquement spinoziste de la joie de connaitre comme pensée juste de la puissance) 

[39] Référence ici au texte de Spinoza précédemment cité sur l’impulsion qui fait rouler la pierre… 

[40] 2ème Dissertation de la Généalogie de la Morale

[41] N’est-ce pas au fond la définition la plus profonde de ce qu’est l’identité personnelle : la permanence de soi à travers la « mienneté » (Ricoeur) ?

[42] Lire à ce sujet texte de Etienne Balibar « Irresponsabilité de la politique, responsabilité du citoyen ? », dans le compte-rendu du 8ème forum Le Monde Le Mans (1997) intitulé « De quoi sommes-nous responsables ? ». Il s’agit de la fiction civique par excellence, le mythe vital de l’existence démocratique, « la construction d’un espace pour la rationalité ». 

[43] Idem

[44] Nous pouvons ici nous référer aux analyses de Marcel Gauchet

  • Responsabilité juridique :
  • Responsabilité morale :
  • Le témoignage de l’expérience : l’expérience du doute lui-même nous apprend l’existence de la liberté. Comment en effet pourrions-nous prendre la décision de « nous empêcher  de croire ce que nous ne connaissions pas encore parfaitement bien » sans elle ? Nous reconnaissons Descartes[11]… Il s’agit également d’un argument déterminant pour JJ. Rousseau, qui parle d’un sentiment intérieur irréductible à tout raisonnement[12]. D’une façon plus générale, l’expérience subjective de la liberté, à partir de la pensée, de la délibération, de la décision, est d’une certaine façon irrréductible à toute objection
  • La capacité et la possibilité de délibérer sur des choses en faveur de décisions et d’actions : cela montre que ces choses n’obéissent ni au régime de la nécessité, ni à celui du hasard. Il y a donc des choses qui dépendent de nous et de notre liberté. Il faut donc faire une place à la causalité humaine sous le régime de la contingence. Certes on ne délibère pas sur des vérités mathématiques, pas plus sur des évènements climatiques, qui obéissent à des lois, que nous les connaissions ou non. Pas davantage sur l’ensemble des affaires qui concernent les hommes : « aucun Lacédémonien ne s’avisera de délibérer sur les instituions les meilleures pour les Scythes ». mais, en revanche, nous délibérons au sujet des actions humaines qui dépendent de nous. Nous reconnaissons ici Aristote[13].
  • L’action humaine, contrairement à la rigidité de l’action animale, fait preuve d’une grande plasticité et souplesse. Elle est pour cette raison souvent imprévisible et confrontée à des options multiples, d’où l’existence de la délibération. Elle est moins déterminée par des causes que par des motifs et des raisons diverses… Les décisions de l’homme dépendent donc de son entendement et de sa volonté, et cela n’est possible que si l’on fait l’hypothèse du libre arbitre. Cette argumentation très fine est celle de st Thomas d’Aquin.
  • Le postulat de la liberté comme postulat de la raison pratique. L’argument qui est apparu décisif dans l’histoire de la pensée est celui de Kant : même si la preuve infaillible de l’existence de la liberté n’existe pas, son postulat est nécessaire pour fonder la morale et le droit (et donc aussi la responsabilité). L’existence des normes dans ces domaines est un fait : nous faisons la différence entre le permis et l’interdit, le souhaitable…etc., c’est-à-dire un devoir être qui se distingue de ce qui est. Certes nous sommes déterminés en tant qu’être empirique par des intérêts, des désirs, des motifs divers, des inclinations naturelles, mais la seul existence du « tu dois » par l’intermédiaire de la loi morale suffit à poser l’existence d’une telle liberté comme être raisonnable. En tant qu’être sensible, nous sommes effectivement un fragment du déterminisme propre à l’ordre « phénoménal », mais nous appartenons également à un autre ordre « nouménal », celui de la moralité ou « règne des fins ». Juste une petite remarque qui anticipe sur un développement ultérieur : dans la conception kantienne, la liberté, à travers le respect et l’obéissance en raison à la loi morale, semble rejoindre une forme de nécessité morale qualifiée du terme étrange de « causalité libre », qui me paraît entrer en tension avec ce que nous avons appelé jusqu’à présent le libre arbitre… Le devoir est la forme sous laquelle s’impose à nous la loi morale grâce à l’autonomie de la volonté. Nous ne pouvons pas sous cet angle confondre l’autonomie de la volonté kantienne avec une volonté inconditionnée.
  • Nous ne sommes pas des choses…Enfin dans le prolongement de cette philosophie kantienne, l’existentialisme sartrien nous soustrait à toute détermination au profit d’un « être en projet » ou « pour soi », qui en tant que conscience, contrairement à une chose, est toujours responsable de ce qu’il est, et, à travers lui, de tous les hommes. La responsabilité totale de notre existence repose sur nous car « nous sommes condamnés à être libres »[14] . Exister, du latin « existare », qui signifie « sortir de », c’est sortir de soi, être toujours dans un ailleurs que l’on vise. Le choix est originel et détermine les orientations que l’on prend.