"Internet nous aide-t-il à penser ?"

 

Samedi 13 octobre 2018 à 17h45 à la Maison du Malpas

Le Sujet

"Internet nous aide-t-il à penser ?"

 

Présentation du Sujet

 

 « INTERNET NOUS AIDE-T-IL A PENSER ? »

Depuis les années 8o, a commencé une révolution numérique dont les conséquences sont vertigineuses, mais qui nous restent en grande partie opaques… Nous savons qu’elle affecte profondément nos modes de vie et nos pratiques sociales. Qu’en est-il de la pensée ? Internet nous rend-il plus, ou moins intelligents ? Que devons-nous retenir ? L’eldorado de l’information et de la connaissance, l’augmentation considérable des capacités de notre cerveau, la puissance nouvelle de la mise en réseau des individus, ou bien le règne de la « distraction perpétuelle », la difficulté de plus en plus grande à l’attention et à la concentration, à « la lecture d’étude » ? Platon caractérisait dans le Gorgias l’invention de l’écriture du terme grec « pharmakon », signifiant à la fois poison et remède… Peut-on en dire autant de l’Internet ? Devons-nous distinguer l’instrument de l’usage que nous en faisons ? En même temps, la technique est-elle neutre ? N’induit-elle pas, de par sa nature spécifique, des usages particuliers ? Bref, examinons de plus près les deux faces de ce « pharmarkon », et ses effets sur nos processus de pensée.

 

Ecrit philo

 

« Internet nous aide-t-il à penser ? »

Nous sommes entrés dans les années 80  dans ce qu’il est convenu d’appeler la révolution  numérique. Troisième révolution après celle de la machine à vapeur, puis de l’électricité, elle bouleverse les technologies des communications, mais plus largement l’ensemble de nos modes de vie et de nos pratique sociales. Troisième révolution aussi après l’invention de l’écriture, puis l’invention de l’imprimerie. Dématérialisant les supports de connaissances, s’affranchissant de l’espace et du temps, certains parlent de révolution cognitive affectant nos mécanismes de pensée. Quoiqu’il en soit, la « révolution de l’information » (autre expression utilisée) a donné une place à Internet en quelques années si importante que l’on redoute parfois davantage une coupure de réseau à une coupure d’eau ou d’électricité…  Les prospectivistes d’antan n’avaient pas, loin s’en faut, imaginé ce qu’offre la Toile : les possibilités d’accès, de diffusion, et d’échange d’information mettent le monde à portée de souris, dissolvent les distances et font de l’instantanéité la règle. Réserver une chambre d’hôtel, passer une commande, consulter la météo ou les nouvelles locales se fait sur Internet de la même manière dans sa ville et aux antipodes. Mais Internet change également notre rapport à la connaissance : véritable eldorado de la connaissance, il semble qu’il n’y a qu’à se pencher pour ramasser. De plus, il ne s’agit pas que d’avoir accès à un simple document électronique, mais aussi à une communauté d’informations, de connaissances, d’expériences, matérialisée par des blogs, des forums ou des groupes de messageries instantanées. En rendant ainsi accessible une multitude d’informations, Internet modifie profondément notre relation au savoir. Chaque grande révolution technologique fait ressurgir toujours un peu les mêmes questions : avant Internet, l’invention de l’écriture avait déjà soulevé les craintes d’un certain nombre de penseurs ; dans le Phèdre de Platon par exemple, Socrate se livre à une attaque en règle contre l’écriture. Il reconnait bien sûr qu’elle facilite la remémoration, mais il craint que l’on se repose de plus en plus sur les mots écrits, sur la masse des informations stockées sur le papier, comme substitut de la connaissance réelle. Platon utilise un terme grec sur lequel nous devrons revenir pour caractériser le phénomène de l’écriture : elle est un « pharmakon », c’est-à-dire à la fois le poison et le remède, le problème et la solution. Peut-on en dire autant d’Internet ? Beaucoup moins critique, Google, par la voix de Marissa Mayer, considère que l’Internet « a mis l’ingéniosité et la pensée critique à l’avant-garde et a relégué la mémorisation des faits à l’exercice mental ou au divertissement ; il créé le sentiment que « tout est connaissable ou trouvable – pour autant que vous pouvez trouver le bon outil ou vous connecter aux bonnes personnes. ». Mais d’autres, nous le verrons, portent un jugement beaucoup plus négatif, comme par exemple Nicolas Carr dans son célèbre essai « Internet nous rend-il bête ? », où cet écrivain considère que la révolution numérique a altéré très profondément notre capacité à l’attention soutenue et à la concentration,  particulièrement mobilisé dans la lecture, au profit d’un régime de « distraction perpétuelle »… Mais une telle conséquence est-elle inhérente à la nature de l’outil numérique, ou plutôt à l’usage qui en est fait ? Se pose alors la question de la « neutralité » culturelle des techniques, et de cette technique en particulier. Nous devrons donc nous interroger sur toutes ces questions. Mais au préalable, qu’entend-on généralement par « penser » dans la question de ce soir (Internet nous aide-t-il à penser ?)

En quel sens parlons-nous de « penser » ?

Deux écueils à éviter : les définitions trop larges ou polysémiques, comme par exemple celle proposée par Descartes dans les Méditations : « Qu’est-ce qu’une chose qui pense : c’est une chose qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine et qui sent », mais aussi une définition trop restrictive et particulière. Nous retiendrons deux conceptions complémentaires, celle du philosophe pragmatiste John Dewey, et la belle et courte définition de Platon. Dewey distingue quatre types d’acception du terme, de la plus étendue à la plus restreinte, la dernière étant celle qui nous intéresse ici : affirmer, admettre, adopter une chose peut relever d’une simple opinion, mais aussi d’une pensée réfléchie qui implique un enchaînement et non une simple succession, des inférences tirées de l’expérience (et non de simples préjugés). Voilà la définition qu’il propose : «  Résultat de l’examen serré, prolongé, précis, d’une croyance donnée ou d’une forme hypothétique de connaissances, examen effectué à la lumière des arguments qui appuient celles-ci et des conclusions auxquelles elles aboutissent » (« Comment penser ? », chapitre 1). Les « processus secondaires cachés » derrière l’acte de pensée sont selon lui l’incertitude, le besoin d’investigation, et la confrontation avec une difficulté, un problème à résoudre…  Pensons maintenant  à Platon et à sa définition bien sur moins « pragmatique », pour qui la pensée est « ce dialogue silencieux de l’âme avec elle-même » : elle est retour sur soi, examen de ses opinions, interrogation en faisant soi-même les questions et les réponses. Elle est donc par nature dialogique – le dialogue intérieur est intériorisation du dialogue avec les autres -, et pose indirectement la grande question des rapports de la pensée avec le langage. Nous savons aujourd’hui qu’il n’y a pas de pensée indépendamment du langage, et que celui-ci est beaucoup plus que le simple moyen d’expression d’une pensée qui serait déjà là, mais une sorte de transcendantal de la pensée, c’est-à-dire sa condition de possibilité même (lire par exemple à ce sujet le remarquable petit livre de Clément Rosset : «  Le choix des mots »). D’où l’importance de l’écriture et de la lecture, pratiques privilégiées dans le maniement du langage, dans la formation et le développement de la pensée.

L’écriture, la lecture, et la formation de l’esprit

 Si le langage est probablement génétiquement inscrit dans l’évolution de l’espèce (cf. Les travaux de Chomsky), il n’en va pas de même pour l’écriture et la lecture, qui correspondent à une invention culturelle et à un apprentissage de l’esprit non génétiquement programmé. La culture écrite produit un immense changement[1] : elle permet de rassembler la connaissance, autorise les généralisations, les analogies, les inférences, les déductions. Le développement de l’écrit offre par ailleurs à tout le monde des moyens efficaces pour acquérir les savoir produit par les générations précédentes. Cette possibilité de transmission est décisive car elle permet d’avancer et de faire des progrès d’une génération à l’autre (ce qui est beaucoup plus compliqué avec une tradition exclusivement orale). La lecture est également un outil de pensée très important, et que l’on peut résumer par ce qu’on appelle « le principe proustien » : dans « Sur la lecture », », Proust parle de « ce miracle fécond d’une communication au sein de la solitude ». Maryanne Wolf commente ainsi : « Observer ce qui se présente devant nous et ensuite éprouver le désir de penser par nous-mêmes, d’interpréter, d’analyser, d’apposer un regard critique – c’est tout cela que j’appelle la lecture profonde». Avec la lecture, on peut aller au-delà de tout ce que l’auteur nous a donné pour être capable de produire nos propres pensées. Pour conclure sur ce point, l’écriture et la lecture apparaissent indispensables à la formation de l’esprit, et ne peuvent que s’apprendre socialement (pas d’innéité dans ce domaine) par des pratiques d’entraînement. Non seulement elles sont en première ligne dans le processus de la transmission et de l’héritage, mais elles sont en elles-mêmes des outils d’approfondissement de la pensée. Ces deux dimensions sont étroitement intriquées.

Changements introduits par l’Internet – Ressources et dangers pour la pensée…

« Petite Poucette »[2]: lecture critique. Une vision trop optimiste (« Petite Poucette » est-elle vraiment comme Michel Serres l’affirme ?) ?

Selon MS, toute révolution technologique, en tant qu’elle est extériorisation d’un certain savoir (comme par exemple la roue dans nos machines), est une libération. Petite Poucette, quand elle ouvre son ordinateur, se retrouve devant, pour ainsi dire, « sa tête elle-même », elle tient là dans ses mains « sa cognition jadis interne », une tête à la fois bien pleine (en raison de la réserve énorme d’informations, la mémoire étant objectivée dans les puces des ordinateurs) mais aussi bien faite (les logiciels réalisent des opérations logiques intégrant des équations différentielles très difficiles[3]…). C’est comme si nos anciennes facultés, celles jadis décrites dans nos anciens manuels de philosophie (mémoire, imagination, raison), étaient sorties de notre tête pour entrer dans cette boîte cognitive ainsi objectivée : « De notre tête osseuse et neuronale, nôtre tête intelligente sortit. Entre nos mains, la boîte-ordinateur fait fonctionner, en effet, ce que nous appelions jadis nos « facultés » : une mémoire, plus puissante mille fois que la nôtre ; une imagination garnie d’icônes par millions, une raison aussi, puisque autant de logiciels peuvent résoudre cent problèmes que nous n’eussions pas résolus seuls. ». Cette tête cognitive objectivée est libératrice : elle désencombre notre tête pouvant désormais se consacrer à l’essentiel : la pensée créatrice, inventive. Le vide provoqué est ici synonyme de liberté et de créativité.Ecoutons attentivement : elle n’a plus « à travailler dur pour apprendre le savoir, puisque le voici, jeté là, devant elle, objectif, collecté, collectif, connecté, accessible à loisir, dis fois déjà revu et contrôlé… ». Vraiment ? La présence de toutes ces données emmagasinées dans la boîte peut-elle nous dispenser de devoir s’approprier personnellement le savoir ? N’est-ce pas une illusion ? C’est sur ce point nodal que se polarise les divergences. Le savoir était déjà stocké et classé dans toutes les bibliothèques et laboratoires du monde entier, depuis l’invention de l’imprimerie. Ce qui pouvait faire dire à Montaigne qu’il vaut mieux une tête bien faite à une tête bien pleine, c’est-à-dire à un savoir accumulé, car désormais en effet rien ne sert d’apprendre par cœur Thucydide ou Tacite si l’on pratique l’histoire… Il est indéniable que l’accès à ce savoir se trouve radicalement facilité avec l’invention du web. Mais aujourd’hui pas davantage qu’à l’époque de Montaigne, cela ne peut signifier « la fin de l’ère du savoir », comme l’affirme MS… La « tête bien faite » de Montaigne passe précisément par l’appropriation personnelle du savoir, comme nous aurons l’occasion d’y revenir. Si le professeur dans son amphithéâtre peine à se faire écouter et si sa voix est couverte par les bavardages, nous dit MS, c’est parce que « ce savoir énoncé, tout le monde l’a déjà. En entier. A disposition. Sous la main. Accessible par Web, Wikipedia, portable, par n’importe quel portail. ». Nul n’aurait plus besoin, des « porte-voix d’antan », c’est-à-dire de portes-voix de l’écriture (ce qui a été écrit). La pensée semble ainsi radicalement séparé des savoirs et « des processus de connaissances – mémoire, imagination, raison déductive, finesse et géométrie -. Mais qu’est-ce qu’une pensée qui fonctionne à vide, qui ne s’alimente pas des connaissances de son temps ? Et qu’est-ce qu’un savoir qui ne vit pas grâce et à travers une pensée singulière en acte ? L’enseignant est-il seulement « un porte-voix » ? Ne doit-on pas plutôt considérer que sa parole est déjà une pensée en acte, qui ne se résume pas à la simple répétition des livres ? MS n’est pas loin d’assimiler l’enseignant à un « perroquet »… Or il y a déjà dans la parole de l’enseignant (du bon enseignant…) un traitement cognitif des informations et un exercice du jugement de deuxième degré qui porte précisément sur les savoirs stockés (que l’on peut considérer alors de premier degré). Il est pour cette raison excessif de considérer l’enseignant comme un simple livre qui pourrait parler… Mais, il est en revanche opportun de montrer la pléthore d’offres qui, avec le Net, vient concurrencer la parole enseignante, et faire de sa prestation une offre quelconque pouvant devenir très relative, voire dérisoire, sur ce marché du savoir. Toujours est-il que pour MS, le savoir était vécu comme quelque chose de transcendant et qui s’imposait à des corps inclinés et soumis devant lui. La pédagogie incriminée est ici celle « du prétoire vers le juge… de l’église vers l’autel… », dans le cadre « d’institutions-casernes ».Or aujourd’hui, Petite Poucette aurait « les poches pleines de savoirs », et se libèrerait de ces chaînes… Ce tableau est-il vraiment conforme à la réalité ? Comment peut-on dire que le savoir ainsi distribué partout se répand aussi démocratiquement ? Nous ne devons pas connaitre les mêmes « petites poucettes » ! Celles que nous connaissons nous paraissent au contraire subir un mouvement de désintellectualisation, et l’exercice de la pensée ne nous apparait pas comme automatiquement associé à l’expansion extraordinaire des outils numériques. MS va jusqu’à penser que l’agitation de « Petite Poussette » en cours est due à sa passivité de « passagère », contrastant avec le caractère actif et attentif de la « conductrice » qu’elle est sur son portable ou son ordinateur. La « voix de son maître » ne doit plus avoir cours désormais, au profit d’une classe où tout le monde est professeur, c’est-à-dire « retrouve la gestuelle du corps-pilote »…Le vide du cerveau est libérateur pour de nouveaux usages : nous pouvons enfin nous concentrer sur l’intelligence inventive. Telle est la conclusion de cette thèse.

La réponse plus nuancée  de Bernard Stiegler[4].

Le numérique inaugure une nouvelle forme d’écriture et toute nouvelle forme d’écriture pose la question de ses usages. Cette dépossession d’un certain nombre d’outils par externalisation (automation appliquée aux processus cognitifs, le tout à la vitesse de la lumière), et donc aussi du savoir, doit être ressaisi selon lui, et contrairement à MS, comme un processus de « prolétarisation » et d’aliénation, le « travailleur n’étant plus que le serviteur de la machine ». Toute la question est de savoir dans quelle mesure nous sommes capablesd’une réintériorisation de ce savoir extériorisé ? Car c’est notre pensée elle-même que nous risquons de perdre là, comme Socrate s’inquiétait de perdre la mémoire avec l’écriture. Mais pour BS, pas de fatalité : je peux aussi augmenter mon autonomie grâce aux automates et augmenter mon individuation[5]. Mais la nouvelle disponibilité du cerveau[6] risque d’être captée par les industries de divertissement. Selon BS, si les parents ont de grandes difficultés aujourd’hui pour éduquer leurs enfants, c’est parce que l’attention des enfants est capté par des systèmes qui les prive de leur autorité, et le phénomène est le même pour les enseignants ou même les hommes politiques. Nous voyons que le pharmakon, à la fois poison et remède, se transforme ici en « pharmacos », bouc émissaire, la technique étant  censée détruire les savoirs. La réappropriation d’une véritable pensée, d’une « pensée par soi-même », passe par une réorientation sociale des usages d’Internet où ce sont les usagers qui devront produire eux-mêmes les modèles (contrairement à des modèles-pseudo-sociaux comme celui de Facebook). Bref, la technique n’est pas toxique en soi, mais nous n’avons pas été capable jusqu’à aujourd’hui de la socialiser correctement… Nous avons évoqué l’importance du phénomène de l’attention… N’est-il pas déterminant dans le processus de pensée ?

« Arme de distraction massive » : « Internet rend-il bête ? » (Nicholas Carr[7])

Voilà ce que dit cet auteur[8] : « C'est bien sûr à une révolution technique et informationnelle que nous assistons avec Internet. Mais c'est surtout à une révolution dans notre cerveau ! Vous aviez l'habitude de lire tranquillement et de façon linéaire un livre sur lequel vous portiez toute votre attention. Cela pouvait durer des heures pendant lesquelles vous, lecteurs, vous immergiez dans le monde singulier d'un auteur, en y mettant toute la concentration que vous désiriez. Regardez maintenant ce qui se passe quand vous vous connectez à Internet. Vous zappez de page en page par des liens qui vous promènent ici et là, et pendant ce temps vous êtes aussi bombardés de messages, parfois d'alertes vous informant qu'un mail vient de vous arriver ou qu'une nouvelle récente vient de mettre un blog ou un site Web (sur un flux RSS) à jour... ». Jusqu'à très récemment, la capacité à se concentrer dans la lecture, pour tout apprentissage, a été au cœur de notre mode d'éducation. Que va-t-il se passer maintenant que des professeurs d'université - même en littérature - ne parviennent plus à faire lire leurs étudiants (Guerre et Paix, À la recherche du temps perdu... c'est bien trop long). Internet va-t-il nous rendre bêtes, comme le laissent entendre certaines études ? Comment les générations futures vont-elles penser ? Tel est l’enjeu décisif de notre question… mais reprenons plus méthodiquement ce que nous dit Nicholas Carr. Ce n’est pas un hasard si l’Internet a pu être considéré comme l’outil de la distraction perpétuelle par excellence. Pour plusieurs raisons : une étude comparative de la compréhension écrite d’un texte suivant qu’il s’agit d’un livre classique ou d’un hypertexte où sont incrustés une série de liens vers d’autres documents montrent que celui-ci affecte négativement l’attention : le cerveau s’arrête. Pourquoi y-a-t-il renvoi vers ce texte ? Faut-il cliquer ? Petites distractions qui amenuisent nos capacités à mémoriser et à apprendre par le biais de la lecture. Trop d’informations saturent notre mémoire à court terme et nous empêchent de former des souvenirs à long terme. Plus globalement, entre les mails, les alertes et, pour certains, les messages sur les sites de partages sociaux (Twitter, Facebook...), nous sommes bel et bien entrés dans l'ère de la distraction perpétuelle. S’il est vrai que la lecture a une influence déterminante sur les structures d'activité dans notre cerveau, on ne peut alors s'empêcher de se demander si cette perturbation de l’attention à long terme ne risque pas d’avoir des conséquences négatives sur l’exercice de la pensée. Nous savons par exemple que les « multitasking[9] » obtiennent des tests de cognition nettement moins bons que ceux qui sont exclusivement concentrés sur une seule activité. Ceux-là finissent par ne plus distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas et ne s’intéressent vraiment qu’à ce qui est nouveau… Il y a une tendance à accumuler autant d’informations que possible, sans hiérarchie. Le peu que nous savons du cerveau nous apprend que la capacité à former des souvenirs dépend de notre degré de concentration et d’attention. Si vous êtes dispersés et absorbez trop d’informations en même temps, il est difficile de se prêter à des formes de pensée plus profondes, plus conceptuelles. L’enjeu de l’éducation scolaire est alors de faire en sorte que les élèves aient la possibilité de s’engager dans une pensée de type « contemplatif », c’est-à-dire  pouvoir se retrouver seuls avec leurs pensées, se concentrer, absorber des informations de manière lente et redondante. Une certaine mise à distance des nouvelles technologies est donc souhaitable, sans pour autant perdre l’efficacité de ces dernières pour d’autres types de tâches… Par ailleurs, il faut mettre l’accent sur la consommation d’énergie mentale dépensée à « surfer » sur le web – une information par e-mail ici, une vidéo sur Youtube par-là, un twitt ailleurs. Cette activité peut être génératrice d’un certain épuisement, et elle peut vite devenir addictive, les individus internautes étant toujours à la recherche des meilleures récompenses[10]. La fameuse « boîte de Skinner[11] », conçu dans les années 1930, met à jour les phénomènes de la dépendance et montre en particulier que les plus irrésistibles des récompenses ne sont pas celles qui reviennent invariablement mais celles qui arrivent au hasard. Ainsi, peut-on cliquer toute la journée à la poursuite de ces dernières… Deux phénomènes peuvent ainsi être distingués : l’attention approfondie et l’hyper-attention. Katherine Hayles, professeure de littérature à la Duke University, en Caroline du Nord, a constaté, il y a quelques années, qu'elle ne parvenait plus à faire lire un livre de Faulkner à ses étudiants. Ces accros du Net ne font pas preuve d’attention approfondie mais bien d’hyper-attention, caractérisée par des changements soudains d’objectifs et de tâches, une préférence pour les flux multiples d’informations, la nécessité d’un haut niveau de stimulation et une faible tolérance à l’ennui. Elle en a écrit un article[12] dans lequel elle distinguait l'attention approfondie de « l'hyperattention ».Nous voyons à travers cet exemple à quel point les usages d’Internet sont déterminants. Certaines pratiques exclusives peuvent en effet conduire à l’effondrement d’un certain type d’attention et à la pensée morcelée. Sans être un Cassandre du Net, force est de constater que plus on clique, moins on pense… En effet plus je réponds aux diverses sollicitations (hypertexte, mail, tweet, Facebook… n’est-ce pas ce qui se passe le plus régulièrement ?), moins je prends le temps de me concentrer sur une seule question. La lecture en jeu ici n’a rien de commun avec la lecture telle que quelqu’un comme Sénèque pouvait la définir : elle était pour lui un exercice spirituel préparant à la méditation[13]. Il conseille de recopier sur des tablettes des extraits des textes lus, de les classer, de bien les digérer, afin de les faire passer « dans notre intelligence, non dans notre mémoire. ». Merveilleuse définition d’un certain type de lecture, que nous pourrions appeler « lecture d’étude », qui n’a pas grand-chose de commun avec la « lecture de consommation »[14], certes compatible avec la lecture d’information, mais qui est non linéaire et fragmentée.

La question soulevée sur la perturbation des capacités d’attention et de concentration provoquée par des pratiques d’Internet qui s’avèrent dominantes est la plus préoccupante sans doute. Mais nous n’avons pas le droit d’opposer comme inconciliables l’attention nécessaire pour la lecture « à l’ancienne » et une lecture zapping où la dispersion est antagonique avec une concentration soutenue sur une seul chose. En effet, il est possible de concilier les deux : Alain Giffard[15] observe, rejoignant notre expérience commune (la mienne en tout cas), que les lecteurs numériques confirmés peuvent continuer d’aimer la lecture « à l’ancienne », tout en aimant naviguer sur Internet. « Ils ont appris à suspendre la navigation et à clôturer un texte pour se con­centrer. Ils savent imposer des détournements de la technique permettant de reconstituer la lecture d'étude. ». Qu’il s’agisse d’une lecture numérique ou dans un autre cadre (celui d’une lecture papier), la lecture à l’ancienne est toujours possible. Mais rien ne nous permet d’affirmer qu’il en va de même pour le jeune lecteur débutant, même si nous manquons encore de recul. La lecture de référence risque, pour beaucoup de ceux qui ont grandi devant un ordinateur, d’être ce que Bernard Stiegler appelle « la lecture industrielle », ce qui peut entrer directement en conflit avec les exigences de l’école. C’est pour lutter contre ce danger que Alain Giffart et Bernard Stiegler et toute la communauté qui s’est formée autour de l’association Ars Industrialis, « une association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit », veulent promouvoir l’intervention de la puissance publique afin d’impulser d’autres usages du web. Pour l'instant, les politiques se sont limitées à favoriser l'accès à Internet et à offrir des débits de connexion toujours plus importants. Mais pour quoi faire ?

Pour revenir maintenant sur les mérites d’Internet, il faut insister une nouvelle fois sur la façon dont il permet un accès facile et immédiat à une extraordinaire diversité d’idées et d’information. Cette extension de l’information était déjà le but des premières tablettes d’argile, mais elle devient vertigineuse avec cet outil. Ces nouvelles techniques ont par ailleurs permis une collaboration et des interactions beaucoup plus effectives et faciles à très grande échelle. Mais il faut reconnaître aussi que l’augmentation vertigineuse et inégalée de la capacité expressive de chaque être humain qui tend à faire remplacer les professionnels des médias par des milliards d’amateurs, ne peut que faire baisser considérablement le niveau de la pensée publique[16]. Par ailleurs, si au départ d’Internet, l’espérance d’origine libertaire était forte pour « hâter la chute  des ayatollahs, des mollahs, des papes, des télévangélistes et tous ceux qui exercent le pouvoir grâce au contrôle des esprits crédules[17] », elle est bien vite tombée avec le changement d’échelle dans l’usage de l’Internet, et le populisme semble avoir remporté spectaculairement la partie…

La question qui se pose est finalement la suivante : face à l’immédiateté de l’information, les individus ne sont-ils pas enclin à croire en la suffisance de celle-ci et à se contenter d’une collecte superficielle ? La question est donc plus éthique que cognitive… Prennent-ils conscience de la nécessité d’intérioriser, et peu importe ici la technique en jeu, une discipline exigeante d’analyse critique et de pensée par inférence ? Maryanne Wolf définit cette pensée par inférence comme « le processus grâce auquel le lecteur va au-delà de la surface du texte, établit la différence entre l’explicite et l’implicite, et accède ainsi au sens profond de ce qu’il lit ». Nous retrouvons là le fameux « principe proustien » qui suppose, pour relier ce qu’on lit à ses propres pensées, et aller au-delà du texte, que nous avons des connaissances et des pensées à l’intérieur de nous-même… Cela nous rappelle que l’appropriation personnelle du savoir n’est pas un luxe mais une nécessité incontournable dans la formation de ce que nous sommes, cela quel que soit l’outil.

Neutralité de la technique ?

Si nous considérons la technique comme un outil « d’amélioration du cerveau » parfaitement neutre, notre question de ce soir n’a de sens que par rapport aux usages que l’on fait d’Internet, et non par rapport à l’outil en tant que tel. Chacun alors s’accorde à reconnaître les potentialités exceptionnelles d’un tel outil, à charge pour chacun mais aussi pour la société toute entière, dont la responsabilité en termes de politique publique est évidente, de développer des usages « intelligents »… Mais cette question de la neutralité des techniques et loin d’être simple. Les travaux de Régis Debray sur « la médiologie » montrent comment les nouvelles techniques de l’écran et de l’informatique créent une nouvelle culture (qu’il nomme la vidéo-sphère)[18]. Peut-être même que la dimension culturelle du monde technique contemporain consiste précisément à se penser comme la seule réponse objective possible, au-delà de toute orientation culturelle, à tous les problèmes auxquels l’humanité est confrontée. Cette idéologie trans-humaniste née dans la Silicone Valley porte un nom : le « solutionnisme » : le développement technoscientifique résoudra tous ces problèmes, et cela dans un dépassement de l’homme lui-même. S’il est vrai que l’homme est « formateur de monde », toutes les révolutions techniques, et la révolution numérique en particulier, ne génèrent-elles pas un changement culturel complet ainsi qu’une « certaine idée de l’homme » ?  Ceux qui croyaient à la neutralité de la technique en sont pour leur frais : elle n’est pas qu’un instrument au service de fins qui seraient étrangères à elle-même, mais au contraire elle a de fortes incidences sur le type de société qu’elle contribue à construire, et en particulier quand elle s’érige en valeur absolue !  Marcuse affirmait que la technique était en elle-même un « projet socio-historique », au sens où elle contient en elle-même la fin en vue de laquelle elle s’applique. Heidegger avait déjà mis en relief « l’essence métaphysique de la technique », dans le sens d’un rapport spécifique à la nature… En tant que médiation entre l’homme et la nature, la technique participe activement à la formation d’un monde. Son autonomie est par ailleurs remarquable : par un effet « boule de neige » qui semble irrépressible, elle semble être à elle-même son propre maître, et s’auto-développer sans qu’elle soit contrôlée au nom de fins humaines. Mais il ne s’agit pas non plus de réifier ou « fétichiser » la technique et d’en faire le nouveau dieu qui dicterait nos conduites, comme une sorte de « fatum » sur lequel nous n’aurions aucune prise. Cependant, ne jamais oublier de la penser dans l’ensemble anthropologique dont elle est partie prenante. Conséquence d’en telle perspective : le changement des usages d’une technique n’est jamais indépendant d’un changement anthropologique plus global… Les critiques qui sont faites habituellement sur l’outil Internet pointant en effet des dérives possibles, restent superficielles tant que nous ne faisons pas la différence entre l’instrument extraordinaire que représente Internet, et les représentations et pratiques sociales qu’il peut véhiculer aujourd’hui, et qui sont en lien avec le changement anthropologique plus profond qui le soutient…. Pour ce faire, revenons à cette fameuse « Petite Poucette » devant son ordinateur…

Internet ne peut nous dispenser de l’appropriation personnelle du savoir

L’externalisation du cerveau humain dans la boîte de l’ordinateur ne risque-t-il pas de nous inciter à croire que le savoir est là à disposition, et qu’il s’agit d’aller le chercher « dans la boîte » lorsqu’on en a besoin ? C’est bien vrai d’une certaine façon : comme le dit Marcel Gauchet[19]« le savoir cesse d’être constitutivement à soi, il devient ce qui est fondamentalement hors de soi, le problème, à partir de là étant d’apprendre à le mobiliser et à le manier. » C’était auparavant  une construction par le dedans, la « tête bien faite » représentant cette capacité à l’intérioriser et à l’organiser. Aujourd’hui, « l’idéal est devenu de le laisser à l’extérieur de l’individu en se contentant de lui fournir les clés d’accès. Rien de plus frappant à cet égard que l’effacement de la figure du savant au profit de la figure du chercheur : l’opérateur du savoir a remplacé son détenteur ». 

L’idée que le savoir est maintenant extériorisé, simple instrument, sorte d’appendice technique à la disposition de l’individu, et non plus la condition de la constitution même de cet individu et de son émancipation, conduit à un processus de désintellectualisation. Faut-il apprendre, alors que le savoir est maintenant externalisé et objectivé dans l’ordinateur ? En ce sens, Internet n’a pas de responsabilité particulière en tant qu’outil, sinon qu’il propose les moyens d’une matérialisation de l’extériorisation de ces savoirs, et se fait par conséquent le relais d’un profond changement anthropologique en faveur de l’autosuffisance de ce nouvel individu pour lequel le savoir n’est plus ce qui le construit : « A quoi bon se pénétrer de savoir, s’il n’est plus de l’ordre d’une intelligibilité à conquérir pour son propre compte, mais de l’ordre d’un fonctionnement extrinsèque, dont il suffit d’acquérir le maniement. ». 

Mais nous savons bien que cette théorisation est fallacieuse : Internet n’a en aucune manière permis de se dispenser du savoir, contrairement à ce que semble penser également Michel Serres : ce qui est accessible sur la Toile, même disponible en permanence, a besoin d’être appris de la même façon qu’il l’était avec les bibliothèques.  Posséder tous les livres du monde, comme pouvoir accéder à tous les sites du monde, ne peut se substituer à la connaissance. La disponibilité des mémoires externes que permet Internet place cette question de l’appropriation au centre du débat, car acquérir des connaissances conduit effectivement à les structurer au moyen de catégories, qui ont une structure complexe et sont liées les unes aux autres. Avoir accès à l’information ne dispense nullement de l’apprentissage au contraire : l’information apprise –effectivement facilement disponible sur Internet – n’a souvent d’intérêt que par ce qu’elle structure mentalement. De plus,  de la même manière que l’on peut apprendre seulement ce que l’on est prêt à comprendre, c’est-à-dire ce pour quoi l’on a construit les structures cognitives adéquates, on ne peut rechercher que ce pour quoi l’on a identifié les dimensions pertinentes de recherche : l’espoir est ténu de trouver une information pertinente sans connaissance du domaine. Ainsi s’amorce un phénomène circulaire, cercle vicieux ou cercle vertueux selon son sens d’expansion, qui rend la connaissance d’autant plus accessible qu’elle est déjà riche, et d’autant moins qu’elle est lacunaire. Une métaphore intéressante d’Internet en tant que mémoire externe pour chaque individu est celle d’une couche supplémentaire autour d’un tronc d’arbre : si le tronc est large, la couche ajoute un périmètre important, si le tronc est rachitique, l’ajout est mineur.

C’est la raison essentielle qui explique pourquoi Internet, contrairement à des idées pourtant répandues, n’a en aucune manière permis de réduire le fossé entre les « nantis culturels » et les autres : l’appropriation personnelle du savoir continue d’opérer de manière encore plus discriminante qu’auparavant. Ce n’est pas ici la maîtrise purement « technique » de l’outil qui est ici en cause, mais l’utilisation d’Internet requiert beaucoup de compétences pour rechercher, trier traiter l’information, et ces compétences sont très connectées au cheminement dans ces systèmes de significations qui constitue l’univers de la connaissance. La pratique du copier-coller, que connaissent très bien les enseignants, n’est pas à disqualifier à priori (sauf dans le cas de procès pour faux et usage de faux), mais elle s’avère déficiente et inadaptée dans l’immense majorité des cas, témoignant d’une absence d’assimilation, d’appropriation personnelle. Philippe Meirieu, figure de la pédagogie française, résume le problème ainsi :« Internet…est précieux car il permet de préciser, de mieux contextualiser, d’approfondir. Mais cette recherche est subordonnée à la capacité à disposer de modèles mentaux qui créent les cadres dans lesquels cette recherche s’inscrit. Or Internet ne fournit pas les cadres mentaux permettant de classer, de comprendre, d’organiser les informations qu’il fournit ». Ces modèles, c’est l’éducation qui peut les apporter. En fin de compte, on trouve sur Internet à la mesure de ce qu’on peut déjà connaître. Comme le disait très bien le sociologue de l’éducation qu’était Bourdieu, toute offre supplémentaire de biens culturels, si elle ne s’accompagne pas d’un travail sur la demande, augmente les inégalités. Il en va d’Internet comme du musée, d’un livre, ou d’un spectacle vivant. L’école est le lieu privilégié où ce travail sur la demande peut se faire. Mais la demande ici ne concerne pas tant comment bien utiliser Internet, que la demande de formation et de savoir plus globale…

En conclusion…

Nous évoquerons en conclusion la position de Bernard Stiegler, philosophe spécialiste des mutations induites par les technologies numériques, qui milite pour un changement des politiques publiques en matière d’Internet. Il insiste régulièrement sur le caractère de « pharmakon » d’Internet, comme le disait Platon à propos de l’écriture, à la fois remède et poison. Le Net nous rend plus intelligents, augmentent nos « capabilités »[20], notamment en nous « réticulant » (mise en réseau), et en même temps nous affaiblit et nous fait régresser, dans un mouvement d’addiction collective dont il est difficile d’échapper. Cette régression est due selon lui à l’orientation libérale des plateformes comme Facebook, Twitter ou Google qui confisque en quelque sorte l’outil à leurs seuls profits… Comme çà a été le cas en son temps pour la Télévision qui s’est mis de plus en plus à vendre « du temps de cerveau disponible ».  Il pense par conséquent que comme la TV, le Net est victime d’une économie de marché, cette fois-ci pilotée par les Big Data, et qui repose sur la désinhibition des pulsions. Dans ce contexte, les individus et les organisations sociales qui tentent de s’approprier l’évolution foudroyante des technologiesarrivent toujours trop tard  et sont dans une immense impuissance. C’est le fameux concept de « disruption »… Désinhibition des pulsions et impuissance combinées sont générateurs d’importants désordres mentaux. Pour en revenir au Net, Bernard Stiegler pense qu’une « nouvelle économie contributive » est possible, et que l’Europe doit reprendre l’initiative est créer de nouvelles plateformes « qui amènent les gens à délibérer ensemble et non à être pilotés par des algorithmes ». Il s’agirait de développer toute les potentialités du web dans le sens de l’individuation. L’Institut de recherche et d’innovation qu’il dirige a lancé en ce sens une expérimentation en Plaine Commune dans la région parisienne…

La technologie numérique relève du « pharmakon » grec, et ne doit pas devenir « pharmakos », autrement dit l’objet bouc-émissaire de toutes les plaintes. D’où la nécessité impérieuse d’un changement d’orientation…

 

[1]Maryanne Wolf, américaine, spécialiste du développement de l’enfant et directrice du centre de recherches sur la lecture et le langage de l’Université de Tufts, près de Boston. Lire Philo Magazine septembre 2012 « Pourquoi nous n’apprendrons plus comme avant »

[2] « Petite Poucette », livre de Michel Serres sur les bouleversements provoqués par la révolution numérique sur les esprits de la jeune génération.

[3]Nous pourrions discuter ici de l’équivalence que MS semble faire entre la pensée et le calcul. Nos activités intellectuelles peuvent-elles être comparées aux performances informatiques de Google ? Un algorithme est « un énoncé d’une suite d’opérations permettant de donner la réponse à un problème». Ces machines numériques ne sont pas des êtres pensants qui pensent pour nous ; ce sont des procédés qui produisent des résultats de calcul sans personne pour calculer ni penser. Nous ne devons pas craindre que nos machines nous dépossèdent de la pensée – mais peut-être avoir peur qu’elles nous incitent à cesser de penser par nous-mêmes. Nous reviendrons sur ce point…

[4]Bernard Stiegler, docteur de l'Ecole des hautes études en sciences sociales est directeur de l'Institut de recherche et d'innovation (IRI), créé à son initiative au Centre Georges-Pompidou au mois d'avril 2006.
Il est également président d'Ars Industrialis. Connu notamment pour son fameux concept de « disruption ».

[5]L'individuation est le processus psychologique qui fait d'un être humain un « individu » singulier et irremplaçable

[6] Souvenons-nous de la déclaration de Patrick Le Lay, Président de TF1, sur la vente de « temps de cerveau disponible »

[7]Auteur américain qui a publié des livres sur la technologie, les affaires et la culture. Celui-ci a été salué par la critique. Cf. à ce sujet son interview dans Philo Magazine de septembre 2012

[8]Cf. interview qui lui est consacré dans Philo Magazine de septembre 2012

[9]Multitasking est un terme anglophone qui prend sa source dans l’ingénierie informatique, désignant un type de système d’exploitation dit multitâche, capable de traiter en même temps plusieurs programmes informatiques. Il a ensuite été décliné pour s’appliquer à l’humain, désignant désormais le fait de pratiquer plusieurs activités en même temps et plus précisément d’utiliser plusieurs moyens de communication de manière simultanée.

[10] Pour ce qui suit, lire Télérama du 24/07/2009 « Internet rend-il bête ? »

[11] Psychologue américain behavioriste, auteur notamment de la théorie du conditionnement opérant.

[12]Cet article a été longuement commenté par Bernard Stiegler dans son livre « Prendre soin de la jeunesse et des générations ». Elle préconisait de construire un pont entre l'hyper-­attention et l'attention approfondie, et a tenté depuis de l'expérimenter en s'appuyant sur certains jeux vidéo, qui nécessitent de faire cohabiter ces deux types d'attention.

[13] Sénèque, Lettre 84 à Lucillius

[14]N’oublions pas queces parcours de lecture sont repérés grâce aux cookies implantés sur nos ordinateurs ; Google tire des informations sur nous qu’il échange contre de la publicité)

[15]Spécialiste des technologies de l'écrit. Président de la Mission interministérielle pour l'accès public à l'internet

[16]« Le fait de pouvoir s’exprimer spontanément devant des millions de personnes par le biais des réseaux sociaux favorise l’invasion des imbéciles ». Umberto Ecco

[17] Richard Dawkins

[18]Régis Debray qualifie les techniques d’ « embrayeurs culturels »

[19]« Conditions de l’éducation », 2008

[20] Concept emprunté au penseur et économiste indien Amartya Sen