L'universalisme républicain est-il conciliable avec les particularismes ? 2

 

CAFE PHILO SOPHIA

 
 
 

Samedi 24 mars à 10h30 à la médiathèque Samuel Beckett de Sérignan

Le Sujet

"L'universalisme républicain est-il conciliable avec les particularismes ? "

 

Présentation du Sujet

 

« L’universalisme républicain est-il conciliable avec les particularismes ? »

 

Une question apparemment « théorique », mais aux prolongements concrets et très actuels : quelle laïcité aujourd’hui dans notre République ? Henri Péna Ruiz abordera directement ce sujet brûlant, mais il n’est pas inutile, au préalable, de poser la problématique philosophique sous-jacente à cette question : la critique de l’ethnocentrisme occidental et de l’européocentrisme par Claude Lévi-Strauss lors de son grand discours à l’Unesco en 1952 (« Race et Histoire ») avait sonné le glas de notre prétention à représenter l’Universel. L’enrôlement de notre République dans la colonisation ne faisant que renforcer la critique… Mais ne peut-on pas penser à rebours que les principes qui fondent notre idéal républicain sont à vocation universelle et transcendent la réalité empirique de l’appartenance ethnique, religieuse ou sexuelle des individus concrets ? Comment distinguer entre une revendication universaliste légitime et l’hégémonie d’une communauté aux dépens d’autres, et qui se cache derrière les oripeaux de l’universalisme ?

 

 

Ecrit philo

 

Lecture présentation café philo :« Une question apparemment « théorique », mais aux prolongements concrets et très actuels : quelle laïcité aujourd’hui dans notre République ? Henri Péna Ruiz abordera directement ce sujet brûlant, mais il n’est pas inutile, au préalable, de poser la problématique philosophique sous-jacente à cette question : la critique de l’ethnocentrisme occidental et de l’européocentrisme par Claude Lévi-Strauss lors de son grand discours à l’Unesco en 1952 (« Race et Histoire ») avait sonné le glas de notre prétention à représenter l’Universel. L’enrôlement de notre République dans la colonisation ne faisant que renforcer la critique… Mais ne peut-on pas penser à rebours que les principes qui fondent notre idéal républicain sont à vocation universelle et transcendent la réalité empirique de l’appartenance ethnique, religieuse ou sexuelle des individus concrets ? Comment distinguer entre une revendication universaliste légitime et l’hégémonie d’une communauté aux dépens d’autres, et qui se cache derrière les oripeaux de l’universalisme ? »

Il s’agit donc de préparer la discussion sur la laïcité avec HPR par le biais ou la clé d’entrée philosophique que constitue notre sujet de ce matin, la laïcité pouvant apparaître en effet comme une tentative de résolution équilibrée des tensions existant dans notre république entre l’universel et le particulier

1- L’universel et le particulier : c’est-à-dire ?

L’universel : 1) sens faible. Empiriquement ou factuellement, telle chose a tendance à se passer toujours ainsi. C’est une question de fait. 2) sens fort : avant toute expérience, nous pensons à priori que telle chose doit se passer ainsi parce qu’elle est nécessaire. C’est une question de droit. Exemple de la DUDH : 1) ses principes ont tendance à s’universaliser dans le monde (de facto). 2) elle implique une prescription fondée sur une nécessité de principe : il doit en être ainsi. Le particulier : les particularismes sont inhérents à toute expérience hulaine incarnée, en tant qu’elle se manifeste dans des circonstances de temps et de lieu contingentes. On parlera ainsi des particularismes propres à un groupe humain donné, en termes de traits ethniques, religieux, culturels, sociaux…etc. L’humanité est à la fois une ou commune à tous les êtres qui partagent cette condition, et en même temps plurielle puisqu’elle se manifeste concrètement à travers une grande diversité de cultures particulières.

2- La critique de l’ethnocentrisme et le relativisme de Levi Strauss

Race et Histoire marque une date importante : il y a un avant et un après Levi Strauss. Ce dernier s’en prend en effet à un présupposé de notre pensée et de notre civilisation occidentales qui se sont longtemps présentées comme universel : présupposé évolutionniste qui considèrent que chacune des cultures de la planète réalisent en quelque sorte un certain degré d’universalité au-delà de leurs différences, et que la nôtre serait un étalon en tant qu’elle se retrouverait au sommet de cette évolution. C’est ainsi que la « supériorité » occidentale pourrait justifier un mouvement de colonisation et d’assimilation culturelle sur toute la planète. Levi Strauss déconstruit ce qu’il appelle « le préjugé ethnocentriste », qui est d’ailleurs partagé par tous les groupes humains, et qui consiste à juger des autres cultures à partir des critères qui sont prévalents dans la nôtre : par exemple pour nous, le développement technologique et économique. En ce sens une réflexion sur une société future devrait avant tout s’intéresser, au contraire, à ce que d’autres ont pu réussir alors que nous l’avons manqué… Ce préjugé est très répandu chez certains hommes politiques : citons par exemple la déclaration de Claude Guéand en 2012 qui avait fait couler beaucoup d’encre : « Toutes les civilisations ne se valent pas », sous-entendant que la nôtre était supérieure à toutes les autres, ou encore celle du chef d’entreprise Begbeder qui lui a fait écho : « Quelle civilisation a permis une élévation de niveau de vie par un facteur 1000 depuis deux siècles ? ». Leçon de relativisme salutaire grâce à Levi Strauss : voir l’Autre avec les yeux du Même nous a conduit dans le passé à détruire des cultures traditionnelles au nom de la suprématie de notre civilisation et de nos techniques, ou encore au nom de la suprématie de la race blanche… mais le relativisme n’a-t-il pas aussi ses limites ? Doit-on s’interdire de porter le moindre jugement, notamment par rapport à des actes inhumains ou barbares ? L’absolutisation des différences peut nous empêcher de porter le moindre jugement normatif sur tel ou tel aspect d’autres cultures ou de la nôtre…

3- Le sens commun de l’humain et les droits de l’homme

N’y-a-t-il pas un au-delà (ou un en deçà) des différences culturelles, un « sens commun de l’humain » qui peut nous servir de référence ? Non pas un socle universel à toute l’humanité, que certains pourraient prétendre posséder aux dépens d’autres, mais un « idéal régulateur » qui nous sert de lanterne et éclaire l’horizon, et au nom duquel on peut « lever de l’universel » (François Jullien) pour combattre tous les actes qui dérogent à ce sens commun, en particulier ceux qui vitrifient le lien humain qui nous réunit, déniant l’humanité qui nous constitue pour nous « liquider » purement et simplement. Le commun dont il s’agit ne s’arrête à aucune appartenance établie, transcende tout particulier. Il nous conduit à ne pas verser dans un relativisme paresseux où tout se vaut, sans pour autant tomber dans un universalisme facile. Disposition véritablement civilisatrice, éthique, qui nous pousse à accueillir l’altérité de l’autre dans un mouvement d’élargissement et d’extension compréhensifs qui transcende toute communauté particulière. « Sens commun de l’humain », « égard pour autrui », peu importe le nom qu’on donne à cette disposition humaine qui finit par nous mener à l’idée des droits de l’homme  comme pierre angulaire civilisatrice… Est-ce le cas ? Oui et non. Non : ils sont le fruit d’un terreau culturel particulier (l’Europe occidentale) qui comporte un grand nombre de « partis-pris » culturels et civilisationnels, qui ont été très bien montrés par François Jullien. Ces droits de l’homme ont également été historiquement instrumentalisés et associés dès le départ  à  l’expansion colonialiste. Oui : même s’ils sont une version culturellement déterminée de la vieille Europe, l’idéal ou le principe incarné par ces Déclarations a vocation à l’universel. Reprenons le sens faible et le sens fort du concept d’universel : 1) l’extension mondiale des valeurs de la démocratie est un fait. Qui aujourd’hui dans le monde peut refuser la proposition démocratique (du moins de façon déclarative) ? 2) Universalisation nécessaire des droits de l’homme comme principe transculturel, qui doit valoir pour tous et toutes les cultures. Il y a en ce sens une part d’inconditionné en eux, ils sont « vecteur d’universel ». Mais à la condition qu’aucune société ne prétende en être la détentrice, pas plus que de « LA » civilisation. Personne en effet ne peut considérer en être dépositaire ou représentant, nous dire au nom de ces droits comment nous devrions vivre ensemble. Il s’agit d’un « universel négatif » au sens où il nous dit ce qui est interdit ou condamnable. Ils ne sont sans doute pas les seuls à pouvoir jouer ce rôle (pensons par exemple à l’ancestrale « Règle d’or »), mais leur élaboration et leur abstraction leur permet de pouvoir jouer un rôle opérationnel à l’échelle de sociétés entières.

4- L’universalisme républicain

L’universalisme républicain à la française a consisté dans la prétention à faire valoir sur la planète entière la prévalence universelle de l’égalité, de la liberté et de la fraternité, au-delà des appartenances particulières et partisanes. La « citoyenneté », qui est constitutive de la Nation, se définit par la participation de tous à la chose publique (« res publica » en latin), dans un horizon universaliste. Cela ne signifie pas que l’expérience française n’est pas solidaire d’une histoire nationale dans un petit coin du monde (et donc contingente), mais ce qui compte n’est pas cette particularité mais les principes qui la fondent, qui eux sont à vocation universelle. Cet individu citoyen est d’abord juridique et politique, mais va prendre consistance au cours des deux derniers siècles pour devenir un individu de chair et de sang, réalité tant psychologique que sociale.  Cette notion d’individu citoyen transcende l’existence empirique concrète d’individus enracinés ethniquement, religieusement, socialement, sexuellement. Il est en cela « universel ». C’est la spécificité de notre modèle républicain : son universalisme, radicalement antithétique avec les anciens modèles des sociétés holistes et traditionnelles (cf. par exemple la société des castes en Inde, aux antipodes de « l’individu universel », puisque l’individu est entièrement défini, en ce qui concerne ses droits et ses devoirs aussi bien que l’éthique qui est censé le conduire, par ses appartenances de caste).

5- La République et les différences

La tension qui va ainsi travailler nos sociétés apparaît dès lors clairement : tension entre d’un côté des individus empiriques particuliers qui vivent sous le régime de la diversité et de l’inégalité, et de l’autre côté des individus citoyens abstraits qui ont vocation à l’universel. Ces tensions se manifestent de deux façons : tension entre l’égalité de droit et les inégalités de fait ; pendant 150 ans, tentative de la République –ponctuée par de nombreuses luttes sociales – pour réduire les écarts entre l’égalité proclamée et les inégalités de condition sociale (droits sociaux, droits des femmes, droits des peuples). Sans doute pas à la hauteur des attentes, loin s’en faut… Mais tension également entre l’individu abstrait et public, et l’individu psychologique, concret et privé. Il s’agit en réalité des deux faces d’un même processus évolutif et social-historique (La Modernité), mais cela n’exclut pas les nombreuses difficultés à coexister entre eux…

Ces tensions se traduisent en particulier par la confrontation entre un « universalisme » ayant tendance à refouler tout particularisme hors de l’espace public (notamment religieux et plus particulièrement musulman), et à vouloir  soumettre la communauté minoritaire, sous-couvert d’universalisme républicain, à la culture de la communauté hégémonique d’une part, et d’autre part il y a en face un multiculturalisme qui privilégie au contraire les différences culturelles, risquant par là-mêmede fragmenter les communautés et d’affaiblir l’idée de citoyenneté commune.

6- La question est finalement de savoir comment nous devons traiter les différences,

ceci dans la perspective de « faire société ensemble ». Nous pouvons montrer qu’il y a trois façons de procéder qui relèvent toutes les trois de l’ethnocentrisme, et qui sont donc problématiques :

Stigmatiser ou disqualifier les différences : regarder l’autre avec ses propres lunettes raciales ou culturelles → racisme, xénophobie

Absolutiser les différences (souvent la réciproque de la stigmatisation). Ce « différentialisme » rend très difficile la possibilité de rencontres véritables autour d’un horizon commun, mais aboutit à une juxtaposition d’univers culturels s’ignorant mutuellement et ne communiquant pas. Il se traduit souvent par une obsession de l’identité collective qui trahit une conception essentialiste de la culture pensée comme un blog homogène et fixe. L’homogénéité culturelle est un fantasme et éventuellement une menace quand elle est instrumentalisée, mais ne correspond pas à la réalité des cultures vivantes.

Nier ou occulter les différences : occultation des différences concrètes entre individus au profit de leur participation à une humanité et une citoyenneté communes. Le danger : à vouloir réduire toutes les différences (sexuelles, ethniques, cultuelles…) à l’Un universaliste, ne risque-t-on pas, sous-couvert d’universalisme, de faire prévaloir ses propres valeurs et normes communautaires, ceux de la communauté qui est hégémonique ? «  Lorsque la communauté est hégémonique, on ne parle plus de communauté » dit finement Derrida… C’est ce qui arrive lorsque l’on prétend incarner un universalisme autoproclamé, au lieu de considérer celui-ci comme un idéal qui montre le chemin. Alors l’idéal d’universalité finit par se confondre avec la défense des normes culturelles, des traditions, des mœurs particulières d’une communauté hégémonique : l’universel, c’est nous ! Ce que Baubérot (« Les sept laïcités françaises ») appelle « la laïcité identitaire » qui confond la laïcité avec une politique d’assimilation culturelle (par exemple des français de confession musulmane), pervertissant ainsi la lettre et l’esprit de la Loi de 1905 qui garantit et protège l’expression des libertés, y compris religieuses, dans l’espace public. C’est une instrumentalisation illégitime de la laïcité. L’universel républicain est un idéal moral et civilisationnel, aucune culture particulière ne saurait le posséder ou l’incarner.

A partir de là, un certain nombre d’observations peuvent être faites pour introduire de façon consistante la question de la laïcité à partir d’une telle réflexion philosophique sur les relations de l’universel et du particulier

7- Il n’y a que des versions particulières ou culturelles de l’universalisme

La France a mené sans nul doute un combat exemplaire à partir de la Révolution française et de la Déclaration des Droits de l’Homme, au nom des idéaux de l’universalisme, et le pays qui a sans doute poussé le plus loin ces principes, notamment en ce qui concerne l’indépendance d’une autorité politique séparée de toute référence religieuse… « Avant-garde du vaisseau de l’humanité » disait le grand Michelet à propos de la France sur ce terrain.Depuis, ces principes se sont imposés à peu près dans tous les pays occidentaux, mais à leurs façons, dans des traductions culturelles différentes selon les contextes et les histoires particulières. Conclusion : il n’y a que des versions particulières de l’universel. L’abstraction de l’universel, en se concrétisant progressivement dans le réel, ne peut que prendre des formes particulières au temps et à l’espace dans lequel il se concrétise… Ainsi nul ne peut prétendre incarner à lui seul cet universel. Même si la France a été exemplaire dans ce combat, elle ne peut manifester dans la réalité qu’une version historiquement et culturellement déterminée de cet universalisme, qui tient à la spécificité de son histoire nationale (marquée en particulier par l’héritage de la monarchie absolue).

8- Un peu d’histoire sur le sens profond de la laïcité

Avant la révolution française, la pensée unique catholique – expression du pouvoir central et de son bras armé l’Eglise catholique – nous dit comment penser, dire, croire, et contrôle la vie sociale de la naissance jusqu’au cimetière. D’où les nombreuses guerres, persécutions, crimes perpétrés contre ceux qui refusent de se soumettre à ces idées. La Révolution va instaurer la Loi républicaine souveraine et universaliste, au sens où elle s’applique à tout individu indépendamment de ses convictions religieuses. Les tensions avec la Loi religieuse (particulière) qui conteste la prééminence de cette Loi républicaine, et refuse de perdre la main mise sur le pouvoir temporel, vont devenir de plus en plus vives. Toute l’histoire de la République depuis la première déclaration des D de l’H peut s’interpréter comme la tentative de résoudre ce conflit de la façon la plus intelligente possible et la plus durable, ceci jusqu’à l’élaboration de la Loi de 1905, qui s’attèle au problème suivant :élaborer un cadre juridique et politique qui protège le pluralisme des convictions (religieuses, entre autres), et affirme en même temps la prééminence des valeurs républicaines.  Cette loi s’appuie sur l’article 10 de la DDH : « Personne ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu qu’il ne trouble pas l’ordre public ». La loi de 1905 comporte donc deux volets indissociables : séparation de l’Etat et des Eglises (« indépendance et émancipation réciproque de l’Etat et des Eglises »,AbdennourBidar), mais aussi protection du pluralisme des convictions (religieuses ou non). Elle répond à la question : « Comment faire société pacifiquement dans le cadre d’une telle diversité d’opinions et de convictions, tout en respectant les règles et les valeurs de la République Une qui rassemble?La République et ses valeurs représentant « le commun » qui doit nous unir.

9- Le vote de la Loi de 1905, aboutissement de combats violents entre plusieurs conceptions de la laïcité :

Conception séparatiste (celle qui a prévalue, défendue par Aristide Briand et Jean Jaurès, mais aussi Ferdinand Buisson qui défendait une autre conception du séparatisme), conception antireligieuse (Maurice Allard), conception gallicane (Emile Combe). Jean Baubérot dénombre aujourd’hui 7 laïcités françaises (types idéaux, mais la réalité des expressions de la laïcité est « impure »), donc trois nouvelles par rapport à celles déjà citées : la laïcité concordataire (régime d’Alsace-Lorraine), la laïcité ouverte, la laïcité identitaire. Cette dernière se traduit par un glissement à droite du concept, et semble contradictoire avec la lettre et l’esprit de la loi de 1905 : le combat de la laïcité devient un combat culturel et civilisationnel, au nom de la défense de la culture de la communauté nationale et de ses racines chrétiennes. Va dans le sens d’une forme d’assimilationnisme culturel. Les oripeaux de l’universalisme sont alors instrumentalisée : le citoyen abstrait de la République devient l’occidental blanc, européen et français, et nous devons avant tout défendre ce que nous sommes…

10- Cependant, il est indéniable en revanche que la laïcité est secouée aujourd’hui par des vents puissants, et que l’apparition de l’Islam sur la scène sociale et politique pose de nouveaux problèmes. Les occulter comme l’a fait longtemps une certaine gauche bien-pensante  qui n’a su répondre qu’en brandissant le triple spectre de l’amalgame, du racisme et de l’islamophobie (cf. à ce sujet le livre de Gilles Kepel, « La fracture »), n’est pas responsable… Pour anticiper sur ces nouveaux défis que HPR ne manquera sans doute pas de relever, encore quelques remarques conclusives…

Conclusion

Ne pas confondre tous les combats : le combat juridique et politique des règles du jeu en matière de protection et d’exercice des libertés (qui est spécifiquement celui de la laïcité), mais aussi le combat en faveur de l’intégration et contre les dangers du séparatisme culturel, qui est réel dans certains endroits, et enfin le combat féministe contre la domination sexiste. On ne peut pas tout faire porter à la laïcité.

La seule chose qui doit nous réunir : le sentiment politique de former un peuple de citoyens. C’est la seule vocation universelle de la République. L’enjeu est clair : parvenir à faire adhérer les nouveaux venus à l’idée civique de construire une société avec des gens différents en transcendant tous les particularismes, et en direction d’une émancipation du genre humain. Tels sont les idéaux de la République. Mais celle-ci a-t-elle encore un tel pouvoir d’entraînement, interroge Régis Debray. Peut-elle retrouver la valeur symbolique et quasi mythologique qui parlait aux cœurs des français ?

La laïcité telle qu’édictée par la Loi doit-elle changer pour limiter les libertés religieuses dans l’espace public ? C’est le sens de certaines propositions aujourd’hui : interdiction du salafisme, du burkini, du voile à l’université et pourquoi pas dans l’espace public, des repas de substitution dans les cantine scolaires…etc. Certains parlent de « laïcité de combat ». Est-ce compatible avec l’esprit de la laïcité ? L’Etat doit-il intervenir davantage dans l’organisation des religions (rapprochement ici avec la conception gallicane) : cf. par exemple la mission de Chevènement (mission pour la fondation d’un Islam de France) ? Peut-il, comme le préconise le philosophe Yves Michaud, être à l’initiative d’un « contrat de refondation du pacte Républicain » où les jeunes français à partir de 16 ans devraient s’engager solennellement sur un certain nombre de principes fondateurs ?

Nous voyons bien que toute la question semble tourner autour du dosage de l’équilibre entre universalisme et particularisme : ni multiculturalisme anglo-saxon, ni assimilationisme qui est le refus du pluralisme, essence de la démocratie.Personne ne peut prétendrepar ailleurs être le détenteur d’un universalisme établi (le comble d’une société particulariste, affirme Kambuchner, dans un article sur la culture, in Notions de Philosophie III) . Il est vrai que la Loi de 1905, qui incarne un tel équilibre, ne parvient plus aujourd’hui à empêcher un véritable apartheid social et culturel dans certains coins de France qui fissure la société française. Elle est sans doute nécessaire mais loin d’être suffisante. Mais faut-il la mettre en cause ? La neutralité et la position de surplomb de la République apparaît de plus en plus comme un garde-fou salutaire à toutes les dérives qui voudraient imposer une chape de plomb culturelle quelque peu totalitaire visant à éradiquer tout marqueur identitaire de l’autre ou de « l’étranger »… Certains vont même jusqu’à regretter nostalgiquement l’emprise des droits de l’homme, qui serait « l’obstacle principal à la lutte contre l’islamisation de la société » (Paul Sicard, dans un article du Figaro de septembre 2017). En ce sens, seul l’universalisme républicain semble pouvoir nous protéger contre la guerre des particularismes.

                                                                                                      Daniel Mercier, le 20/03/2018