" La démocratie : quelles maladies ? Quels progrès ?"

 

Samedi 14 septembre 2019 à 17h45 à la Maison du Malpas

Le Sujet

"La démocratie : quelles maladies ? Quels progrès?"

 

 
 

Présentation du Sujet

 

"La démocratie : quelles maladies ? Quels progrès?"

 

 

La démocratie est en crise. Pourtant il n’y a pas si longtemps, quand le mur de   Berlin est tombé, on pensait qu’elle était définitivement victorieuse de ses ennemis   héréditaires, la tyrannie et les totalitarismes, et qu’elle était le cadre incontournable   pour penser l’avenir de nos sociétés…. Aujourd’hui, l’état des lieux de la démocratie   est plutôt préoccupant : le divorce entre les « gens d’en bas » et les élites, la crise de   la représentation et la défiance vis-à-vis de la politique et de ses professionnels, , le   terrorisme comme menace extérieure qui cherche régulièrement à la déstabiliser,   aidé  au moins objectivement par une forme de cynisme intérieur, sous la forme d’un   soupçon généralisé contre les institutions démocratiques, et qui s’accompagne   d’explosion de violences, un sentiment de profonde impuissance ressenti du côté des   citoyens quant à la capacité de la démocratie à résister à une mondialisation souvent   vécue comme négative, comme si aucune alternative n’était possible. Impuissance ou dépossession sans doute encore plus aigües devant les risques écologiques maintenant à notre porte… Enfin, dernière grande inquiétude : le sentiment d’un « chez soi » menacé, même si certains persistent à penser que ce n’est pas « politiquement correct » de le reconnaître…  Notre tableau ne serait pas complet si nous ne faisions pas mention d’un populisme qui semble avoir le vent en poupe, et de régimes de démocratie dites « illibérales » (par exemple la Russie), caricatures de démocratie certes, mais qui prétendent être des modèles devant la faiblesse des nôtres… Nous ne pouvons rester sans réponses devant pareil constat… Nous parlerons avec Frédéric Worms de « maladies chroniques de la démocratie », au sens où les problèmes de la démocratie sont structurels à la démocratie, et que la tâche de cette dernière n’est pas de les éradiquer comme des maux qui seraient extérieurs à elle-même, mais de les contenir sans arrêt de telle sorte qu’elles ne franchissent pas des « seuils critiques ». Mais il faut bien reconnaître que c’est le cas aujourd’hui… Prenons donc le temps de mieux comprendre ce dont il s’agit…

Daniel Mercier

 

Ecrit philo

« La démocratie : quelles maladies ? Quels progrès ?

 

INTRODUCTION

Il est difficile aujourd’hui de nier la crise que traversent nos démocraties occidentales. Pourtant, la démocratie se présentait, il n’y a que quelques décennies (la chute du mur étant de ce point de vue une date symbolique), comme la grande gagnante des combats qu’elle a longtemps menés contre ses ennemis héréditaires, la tyrannie et les totalitarismes, et comme le cadre incontournable dans lequel penser l’avenir de nos sociétés.  Certains avaient même annoncé la fin de l’histoire (Fukuyama) avec la victoire définitive de la démocratie libérale. Mais cette dernière ne tarde pas à montrer ses fragilités, tant du côté de sa cohésion interne et de l’adhésion des dits citoyens, que du côté extérieur des Etats dont les régimes politiques dénoncent la faiblesse des démocraties classiques et prétendent exercer une démocratie dite « illibérale », au nom de l’efficacité politique et du raffermissement identitaire (comme par exemple la Russie ou la Turquie…).

Pour tempérer cette dimension négative, ajoutons que certes nos démocraties sont éloignées de l’idée de démocratie idéale, mais que nous ne pouvons cependant pas ne pas reconnaître la réalité –certes partielle – de la nature démocratique des sociétés dans lesquelles nous vivons. Un simple regard sur d’autres sociétés qui n’ont pas encore véritablement  accédé à ce régime, et qui n’ont pas connu un processus historique d’approfondissement de la démocratie tel que celui qu’ont traversé nos vieilles démocraties occidentales, devrait nous convaincre de l’effectivité –même relative – de cette façon de vivre démocratique. La critique est certes salutaire, mais nous éviterons de parler comme les cyniques[1] de démocratie comme illusion ou échec, au sens où elle serait impuissante à régler les problèmes ou à pouvoir générer un quelconque progrès. En ce sens le cynisme, cousin germain du populisme, est un des dangers mortels pour elle. Méfions-nous des critiques trop négatives, au nom d’un progrès ou d’un bonheur total, qui ont souvent été les prémisses d’un fiasco non moins « total »[2]… Suivons plutôt ceux dont la critique est empreinte du bonheur qui la fonde et qui l’habite - conscients de la fragilité et du caractère précieux ce qu’ils ont à défendre -, et qui sont toujours prêts pour construire le cadre le plus juste, et à lutter contre les obstacles qui s’y opposent.  Il y a des critiques qui asservissent et d’autres qui libèrent. Les premières sont celles de ceux « qui se défient et se défont de tout »[3]. Mais les secondes relèvent d’une vertu essentielle de la démocratie : sa capacité d’autocritique ; par définition, une société démocratique a le droit mais aussi le devoir de critiquer ses propres institutions, dont la nature est précisément de protéger ce droit et de permettre la possibilité de cette critique d’elles-mêmes. Il s’agit donc ici d’exercer un tel droit et de se demander comment, en même temps qu’elle se développe et s’approfondit depuis plus de deux siècles, la démocratie en vient à devenir ce qu’on peut appeler une « coquille vide », un « théâtre d’ombre », « s’évider », « perdre sa substance »[4]… Mais peut-être plus fondamentalement se demander aussi si les êtres humains sont capables de la démocratie auxquels ils aspirent[5]. Et dans quelles limites ? C’est au fond la question fondamentale qui creuse jusqu’à l’extrême l’obstacle auquel se confronte l’aspiration démocratique…

1- La démocratie : une idée simple et un problème

1-1 Une idée simple : le pouvoir direct (kratos) par et pour le peuple (demos), autrement dit la souveraineté du peuple. Au-delà des différents types de pouvoir - pouvoir d'un seul (monarchie), pouvoir de quelques-uns (oligarchie), pouvoir de tous (démocratie), cette dernière se distingue comme pouvoir du peuple ou «gouvernement des gouvernés» : ceux-là sont à la fois objet et sujet du pouvoir. Mais la démocratie est aussi un problème car cette idée simple est en fait difficilement applicable dans la réalité, et pour commencer dès l’avènement de la démocratie dans la cité athénienne[6]. Marcel Gauchet parle à ce sujet « de la trompeuse simplicité des promesses du peuple souverain ». Finalement toute l’histoire de la démocratie n’est-elle pas une réflexion en acte sur cette redoutable question qui est l’exercice de la souveraineté ? De par sa nature, elle est traversée par des tensions qui peuvent vite devenir des contradictions et qui la fragilise.

1-2 Le choix de la représentation

Dès le départ donc, et même concernant les pouvoirs de la cité (et non ceux de la Nation), la démocratie directe n’a jamais été réalisée à cause de la taille de la cité (pourtant beaucoup plus petite que la Nation moderne !), de l’instabilité congénitale de ce système, et des compétences limitées du citoyen. Même JJ. Rousseau, fervent adepte de l’idée démocratique qui est très proche de la radicalité de son fameux « Contrat Social », reconnaît qu’il n’y a point de véritable démocratie directe et « qu’un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes mais à des Dieux ». Pour cette raison, c’est la démocratie représentative qui s’est imposée progressivement, c'est-à-dire un régime où la volonté des citoyens s’exprime par la médiation des représentants sélectionnés par le peuple. Mais Rousseau a toujours été hostile au système représentatif qui, selon lui, ne garantissait pas que la volonté des représentants soit fidèle à la volonté générale (qui est pour lui l’expression du peuple souverain). Le transfert de souveraineté aux élus a toujours été objet à débat, mais ce système va pourtant s’imposer grâce à un certain nombre de mérites : la prise en compte nécessaire de la division du travail, la délibération qui va contribuer à la formation de la volonté générale ; celle-ci va rendre obsolète en particulier le mandat impératif et la révocabilité des élus qui fait courir le risque à l’élu d’être « pied et poing lié » aux intérêts particuliers de ceux qui l’ont élu. La représentation est assurée par la tenue d’élections : un régime sera également démocratique quand ses représentants n’hériteront pas de leurs charges, mais seront élus et leur programme soumis à l’approbation des électeurs. Parmi les autres attributs incontournables de la démocratie, citons l’existence de partis politiques (qui sont les instruments indispensables de l’exercice de la démocratie par rapport à l’impuissance de l’individu isolé), la liberté d’expression et d’organisation, la séparation des pouvoirs, et bien sûr les Droits de l’Homme, droits imprescriptibles attachés à chaque individu : Déclaration des Droits de l’Homme du 24 juin1793 et Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, considérées aujourd’hui comme les fondements ou principes premiers de la démocratie, symbolisés en France par la fameuse trinité « Liberté, Egalité, Fraternité ».

1-3 Une fragilité congénitale ?

Platon est le premier à avoir identifié avec une rare lucidité les faiblesses de la démocratie[7]. Ce n’est pas parce qu’il n’était pas favorable à un tel régime que l’on doit oublier la pertinence de ses critiques… Au contraire. En comprenant mieux les mauvais penchants de ce régime, il doit aider à sa consolidation… Le désordre, la démagogie, et l’impuissance étaient selon lui ses dangers les plus significatifs. Tout d’abord, au nom de la liberté et de l’égalité, tout le monde a le droit de faire selon son bon plaisir, ce qui rend la vie intenable. L’autorité et la hiérarchie sont sans cesse contestées, en particulier par la jeune génération : les élèves n’acceptent pas l’autorité de leurs maîtres, et ceux-ci sont tentés de « se répandre en gentillesse et en amabilités auprès des jeunes » ou de les imiter, « par crainte de paraître antipathiques et autoritaires ». Selon lui, la liberté démocratique aboutit en général à son contraire, la tyrannie. On offre alors le pouvoir à un homme providentiel, ou à une institution dominée par une classe ou par des savants, pour éviter l’anarchie. Ensuite, la démagogie et la médiocrité s’imposent : abandonnée à sa propre liberté, la population tombe « sous la coupe de mauvais échansons et s’enivre du vin pur de la liberté, dépassant les limites de la mesure ».Les démagogues offrent aux citoyens les discours qu’ils ont envie d’entendre, et mettent en accusation les pouvoirs en place… S’il est vrai que le meilleur est associé au plus grand nombre à qui cela plaît, alors la flatterie des pulsions intimes de l’électeur est sûre de triompher, comme par exemple la xénophobie ou le rejet des institutions. La tyrannie de l’opinion et de la majorité sera ensuite reconnue par Tocqueville comme un danger de la démocratie. Enfin, une troisième difficulté menace la démocratie selon Platon : « l’émiettement de l’autorité entre un grand nombre d’individus » rend le corps politique faible. « Le gouvernement de la multitude » ne permettrait pas de trancher sur des dossiers importants et serait condamné à l’impuissance. Le contexte économique actuel de mondialisation rend plus que jamais actuel un tel reproche : les gouvernements élus sont coincés entre la puissance des marchés financiers ou de la Banque Centrale Européenne qui dictent leurs « lois », et réduisent la marge de manœuvre des Etats, mais aussi un peuple de plus en plus irritable : le retrait récent de la taxe carbone sous la pression de la rue est un exemple saisissant de cette difficulté. Ainsi selon Platon, les démocraties seraient des régimes faibles incapables de prendre des décisions courageuses et d’imposer des sacrifices aux citoyens… Bien sûr, nous le verrons, nous ne devons pas prendre les jugements de Platon pour argent comptant, et assumer ces imperfections qui sont aussi synonymes de force à certaines conditions et certaines périodes de l’histoire : la démocratie est par nature indéterminée, incertaine, inachevée, mais ses faiblesses peuvent se transmuer en forces lors d’effervescences créatrices décisives et de possibles inattendus (comme par exemple l’émergence de représentants inattendus), ou encore lorsque les citoyens se rassemblent librement pour défendre la République.

1-4 La démocratie et l’auto-limitation du pouvoir du peuple par le peuple

Les abus de pouvoir concernent toute forme de pouvoir, y compris la démocratie. La relation de pouvoir est vitale et nécessaire, qu’il s’agisse du pouvoir du gouvernement et de tout autre type de pouvoir, comme par exemple l’institution des soins, ou encore celle de l’éducation. Mais cette relation dissymétrique est habitée par un danger intime, une « maladie »[8] propre, le risque d’abus et de violation (par exemple le danger de maltraitance dans les institutions de soins…).Il y a bien sûr les abus de pouvoir qui peuvent transformer la démocratie en tyrannie (étouffement des libertés individuelles), mais aussi ceux qui expriment les divisions et les violences internes au sein du peuple.En ce sens, et contrairement à ce que l’on pourrait penser spontanément, « le peuple n’a pas tous les droits »[9], et la démocratie est également un régime qui protège le peuple contre lui-même et les divisions et violences internes qui l’habitent nécessairement. Une des principales fonctions de la démocratie est de nous protéger de toute forme de violence intérieure, y compris de celle qui peut être exercée par le peuple lui-même et en son nom. En ce sens, elle est un pouvoir qui s’auto-limite : « la démocratie est le pouvoir du peuple limité par le pouvoir du peuple contre lui-même »[10]. C’est par la représentation démocratique de la division que l’on peut discuter et éviter de s’entretuer… La démocratie se traduit ainsi par une institution de la représentation des conflits. D’une manière plus globale, c’est la Constitution, mais aussi un certain nombre « d’autorités indépendantes »qui fixe les limites à l’intérieur desquelles le pouvoir peut s’exercer légitimement. Ce sont précisément ces limites constitutionnelles qui définissent aussi la vraie nature de la démocratie, et pas seulement le « pouvoir de tous »…  N’est-ce pas finalement l’essence de l’Etat de droit que cette référence ultime à un « droit fondationnel[11] » au-delà de tout pouvoir, dont le pouvoir lui-même dépend ?Et n’est-ce pas l’absence d’un tel Etat de droit qui caractérise les démocraties dites « illibérales » ( Russie, Turquie, Brésil…etc.) ?

1-5 L’« antinomie de la démocratie » : La problématique articulation de l’individuel et du collectif.

La modernité démocratique introduit non seulement une véritable révolution politique mais aussi une profonde mutation anthropologique : pour la première fois dans l’histoire, les hommes ne se soumettent pas à « l’étreinte des dieux » : la loi est produite par les hommes et n’est plus l’expression de la volonté divine. Ils doivent désormais inventer leur avenir, et le pouvoir ne peut procéder que d’individus également libres. Avec les Droits de l’homme, l’individu de droit devient le principe universel premier de la démocratie. Nous pouvons à partir de là mieux comprendre ce que nous avons appelé avec Marcel Gauchet[12] « l’antinomie de la démocratie », autrement dit une tension, voire une contradiction, qui est propre à cet univers anthropologique de la démocratie : il n’y a au départ que des individus séparés ou détachés déjà constitués comme tels –n’est-ce pas par exemple le point de départ de toutes les théories du contrat social ? -, nulle autorité transcendante, religieuse ou non, ne peut prétendre désormais antécéder et dominer la société. Dès lors, l’atomisation ou la déliaison de ces individus devient un  problème : « comment faire tenir ensemble des individus qui ne se soumettent plus ?» résume bien le psychanalyste Marie Jean Sauret. Cette question est au centre de la réflexion de Marcel Gauchet, et devient particulièrement aigüe avec les derniers développements de la Modernité, qui consacre ce qu’il appelle la société ou le règne des individus. Il faut bien ici faire la différence entre l’implicite et l’explicite : avec la démocratie est posé un lien politique individualisé dont les termes liés sont antérieurs au lien, de telle sorte que le lien ne peut procéder que de leur libre volonté de se lier, ce qui est radicalement nouveau dans l’histoire de l’humanité (dans la société traditionnelle, le lien est posé avant les termes liés, et s’imposent à eux, sans qu’ils aient prise sur sa teneur, le contenu du lien tombe avant et au-dessus). Le lien précède et englobe les acteurs. Mais ne nous y trompons pas : tous les travaux des sciences humaines concordent à ce sujet[13], l’être-ensemble est premier, le politique est premier. Autrement dit pas d’être humain constitué, pas de sentiment d’exister, sans la précédence d’un être-ensemble, d’une coexistence soutenue par une culture des institutions…etc. Le paradoxe est là : le principe de légitimité autonome des sociétés reposant sur les droits des individus et eux-seuls n’est possible que parce qu’existe un lien plus profond dans l’implicite[14] ; ils sont liés en fait, tenus ensemble, mais d’une manière qui ne leur apparaît plus, qui ne les contraints pas directement, de telle sorte qu’ils disposent d’une marge de manœuvre pour définir leurs rapports dans l’explicite, selon le droit. Les citoyens sont liés d’un lien invisible qui leur laisse la liberté de définir leurs rapports en conscience, comme s’ils n’étaient pas liés au départ, dans la limite où cette définition explicite n’entame pas la réalité de leur lien implicite. On comprend mieux alors en quoi ce paradoxe ou cette antinomie entre individu et société peut être problématique pour le fonctionnement de la société ; on peut formuler la question ainsi : comment obtenir, à partir de cette irréductible pluralité d’existences séparées, « une somme collective viable » ? Selon Marcel Gauchet, les sociétés modernes ont répondu jusqu’à présent de deux façons opposées : la première, qui a marqué de son empreinte les deux tiers du XXème siècle, est celle de la négation totalitaire de l’individu au profit « des-masses-qui-font-l’histoire », et qui a débouché sur les totalitarismes, une des dérives pathologiques de la démocratie. Mais un autre type de réponse s’affirme depuis quelques décennies (début des année 80) : celle du libre marché et du contrat, c’est-à-dire d’une société comme libre association de monades individuelles. Marcel Gauchet appelle ce type de démocratie « la démocratie du privé » : le collectif n’est plus considéré comme existant indépendamment des êtres quile composent, il est le simple dérivé et prolongement de la société civile[15]. Il n’existe que des individus réels et leurs intérêts particuliers, et la sphère publique n’est plus au mieux que l’instrument des demandes émanées de la sphère privée. Mais en réalité, l’intérêt collectif n’est pas la simple somme des intérêts individuels privés. Ce qui est nié dans l’idée libérale comme réponse globale (au dilemme de la démocratie selon Gauchet), c’est l’instance spécifique du politique, ce qui s’appelle en démocratie la souveraineté collective. Certes la composante libérale de la démocratie est incontournable, mais elle doit être associée à une autre composante tout aussi consubstantielle à l’idée démocratique, « le gouvernement de soi par soi » propre à une véritable souveraineté. Dans le cas contraire, nous assistons à une disjonction ou désarticulation entre l’individuel et le collectif (nous y reviendrons dans le diagnostic). 

1-6 La nature dialogique de la démocratie

Nous utilisons ici un concept cher à Edgar Morin, celui de « la dialogique », qui signifie le caractère d’une part complémentaire et inséparable, et d’autre part antagoniste, des termes concernés.

1-6-1 Egalité, fraternité, liberté : Edgar Morin insiste en particulier sur les rapports dialogiques de la figure trinitaire égalité/liberté/fraternité[16]. Chacune de ces notions est à la fois dans une relation complémentaire et antagoniste avec les deux autres (relation dialogique) : l’égalité imposée tue la liberté sans réaliser la fraternité ; la liberté seule tue l’égalité et la fraternité. Pour que la fraternité puisse se développer - c’est ce qui assure le lien communautaire vécu entre citoyens, et peut-être plus profondément le lien qui permet la construction du commun -  il faut réguler la liberté et réduire l’inégalité. En effet, un des paradoxes importants de la démocratie, est que l’attribution d’une « égale » liberté à tous (définie comme un droit inaliénable) va introduire un mouvement, une dynamique dans l’histoire, telle que des inégalités de richesse importantes vont pouvoir se manifester ; c’est d’ailleurs un trait du libéralisme dont l’histoire, je le rappelle, est inséparable de celle de notre démocratie (il en constitue une composante fondamentale)… Comment donc activer de manière dialectique et équilibrée ces trois leviers, c’est sans aucun doute un problème essentiel de la démocratie…

1-6-2 Entre consensus et conflictualité : la démocratie repose sur un consensus et se nourrit du dissensus. En effet, la possibilité même du fonctionnement démocratique repose sur le consensus du plus grand nombre possible de citoyens adhérant aux principes démocratiques de résolution pacifique des conflits par la discussion et la délibération, qui doivent permettre à la parole rationnelle et au « meilleur argument » (Habermas) de s’imposer. Rappelons-nous ce que disait Marcel Maussen conclusion de son Essai sur le don, où il reprend la symbolique des Chevaliers de la Table Ronde : il a fallu commencer par poser les lances et se réunir autour d’une table, instaurer un espace de paix et de paroles[17] pour transformer les combats physiques en débats d’idées. Ce « pacte » est en réalité non seulement l’acte de naissance de la démocratie, mais aussi « l’acte fondateur de toute humanité » (Marcel Mauss). En ce sens, la démocratie est sans doute l’outil le plus efficace qui soit pour lutter contre la violence[18]. En revanche, elle suppose, comme on vient de le dire, un consentement préalable à ces « règles du jeu » et aux institutions qui les garantissent. Nous reviendrons sur ce point fondamental car il s’avère aujourd’hui que ce consentement ou cette adhésion est problématique… Quoiqu’il en soit et pour revenir sur la dimension dialogique de ces rapports entre consensus et conflictualité, c’est précisément un tel consensus qui permet la diversité des opinions et ses conflits, par ailleurs  consubstantiels au bon fonctionnement démocratique. La démocratie nourrit et se nourrit en effet du pluralisme et de la libre confrontation d’idées et d’intérêts parfois très divergents, voire contradictoires. Elle ne doit pas être la dictature de la majorité mais respecter le droit des minorités à l’existence et à l’expression. «  Tout comme il faut préserver la diversité des espèces pour sauvegarder la biosphère, il faut protéger celle des idées et des opinions, ainsi que la diversité des sources d’informations, pour sauvegarder la vie politique. »[19]

2- L’intérêt du concept de « maladies chroniques »[20]

Les pathologies de la démocratie ne viennent pas de l’extérieur, comme un fléau qui viendrait s’attaquer au « corps pur » et en bonne santé d’une démocratie sans défaut. C’est ce que montre avec force Frédéric Worms dans son livre, et qui doit nous aider à mieux comprendre ce qui se passe réellement : les problèmes de la démocratie, comme nous venons de le voir, sont structurels à la démocratie. Cela signifie qu’il n’y a pas de démocratie sans les problèmes qui vont avec ; il faut en quelque sorte prendre l’eau du bain avec le bébé ! Comme la vie qui est une lutte permanente contre la mort, le sens de la démocratie est également de lutter contre des problèmes dont elle est à la fois le remède et la potentielle victime. Autrement dit, il n’y a pas une démocratie idéale d’un côté qu’il s’agirait de conquérir, et de l’autre une réalité catastrophique qui ne serait qu’une illusion de démocratie. S’il y a un sens de l’ histoire, ce n’est pas celui de la voie vers la perfection, ou au contraire vers le pire, mais une histoire non écrite ou inscrite d’avance (au sens de l’ascension vers une fin ultime à atteindre malgré les obstacles), faite de progrès concrets mais aussi de régressions comme fruit de nos actions. Il n’y a qu’une démocratie en acte qui est là pour lutter contre un certain nombre de problèmes chroniques. Elle est à la fois le problème et la solution, le malade et son médecin.Maladie chronique, parce que la démocratie est mortelle comme nous le sommes nous-mêmes, ce qui ne signifie pas que nous sommes mourants ! Mais surtout chronique au sens de variable : autrement dit, il y a des degrés de la maladie qui permettent de vivre avec, avec des crises possibles et des rémissions possibles. La question essentielle étant la question des seuils ou des pics : jusqu’à quels degrés nous pouvons vivre sans trop de difficulté avec la maladie, ou ce qui revient au même à partir de quels degrés nous risquons d’entrer dans une crise qui menace réellement la démocratie… A la lumière des tensions ou contradictions qui habitent la démocratie et que nous avons évoquées en première partie, quelles sont les « maladies chroniques » qui connaissent aujourd’hui des « poussées inquiétantes », telle sera l’objet de notre réflexion suivante. Ce nouveau modèle de soin à partir de la notion de « maladie chronique » doit nous aider à mieux comprendre la politique et la démocratie : il s’agit non pas de guérir mais de contenir une maladie en deçà de seuils critiques qui rendraient la vie possible jusqu’à la mort. Contenir la maladie de façon à permettre le retour à la vie dans son expansion, contre ce qui vient la diminuer et la détruire. L’appel à cette image de la maladie chronique est plus qu’une métaphore, comme on vient de le voir. Il s’agit en réalité de maladie chronique de l’humanité elle-même, qui comme telle n’est pas à proprement parler guérissable, et sur laquelle nous allons bien sur revenir… La démocratie est une technique pour traiter les maux de l’humanité, selon Frédéric Worms, qui développe une approche essentiellement éthique sur ce sujet[21].

3- Un « état des lieux » inquiétant

Il est temps de dresser très sommairement un tableau clinique de l’état de notre démocratie. Et pour commencer les principales manifestations symptomatiques de la crise qu’elle traverse, qui sont bien connues

3-1 Le divorce entre « le bas » et « le haut », les gens d’en bas et « les élites », semblent désormais consommé. Les élites politiques, mais aussi économiques, médiatiques et culturelles, sont vécues comme totalement étrangères aux préoccupations populaires, et sourdes aux besoins venant du « terrain », selon l’expression consacrée. Ils sont soupçonnés d’être plus soucieux de leur réélection que de l’intérêt général, et proches des puissances de l’argent. La corruption n’est pas loin… Ainsi les citoyens se reconnaissent demoins en moins dans « le jeu de rivalité mimétique » des professionnels de la politique[22], et se sentent dépossédés de la voix qu’ils expriment en glissant un bulletin dans l’urne. Nous retrouvons-là un thème cher à Hannah Arendt, la critique de la« partitocratie », la privatisation monopolistique de la vie politique par ce qu’elle appelle « les partis machines » qui finissent tous par se ressembler, selon un processus mimétique.D’où la désaffection électorale massive, et d’une façon générale le scepticisme ambiant sur la capacité de la classe politique de répondre aux problèmes posés.Plus grave encore, ce sont les institutions démocratiques qui semblent faire les frais d’un tel divorce : une défiance massive s’exprime, sur les réseaux sociaux en particulier, par rapport aux institutions. Qu’il s’agisse des institutions républicaines, comme aussi celles de la presse et des médias, des Partis politiques, mais aussi de l’éducation, de la Justice ou encore de la Police ou de la Gendarmerie… Nous reviendrons sur ce mal, correspondant à une certaine forme de cynisme, qui représente un danger mortel pour la démocratie. Le philosophe Alexandre Koyréécrivant une « Introduction à la lecture de Platon » prévient : «Faites attention : ne laissez pas le mépris de la loi s'installer au sein de l'Etat. Le mépris de la loi est le poison qui dissout la cité ! Le mépris de la loi conduit à l'anarchie et celle-ci conduit en droite ligne a la tyrannie.»[23]. Le mépris des lois et le soupçon généralisé sur les institutions vient ruiner le principe même de la démocratie. A ne pas confondre bien sûr avec la critique, qui est dans l’ADN de cette dernière… Ce cynisme engendre un certain retour de la violence intérieure, attisée souvent par la menace bien réelle d’une violence extérieure, comme aujourd’hui le terrorisme. Cette menace extérieure est instrumentalisée par certains au point de confondre souvent la réalité et le fantasme. Cette manière de « mettre de l’huile sur le feu »[24]peut dans certaines circonstances se traduire en guerre civile, en abus de pouvoir. Cette violence intérieure de plus en plus palpable est sans doute le symptôme le plus préoccupant et traduit le franchissement d’un seuil critique.

3-2 Dans ce climat général, le discrédit profond porté sur notre régime démocratique s’accompagne de plus en plus d’un regard plutôt bienveillant sur des alternatives qui mettent plus ou moins radicalement en cause le fonctionnement représentatif classique[25] : une majorité de français serait favorable à des comités populaires de citoyens tirés au sort et chargés de contrôler l’action des élus locaux, ou encore à des référendums d’initiative populaire réguliers. Le retour des formules de la démocratie directe fait florès sur Internet[26]. Dans cet esprit, le fonctionnement de la démocratie athénienne est très souvent invoqué… Le point commun de telles visions est le rejet du politique comme dimension extérieure et séparée de la société civile, ainsi que la formule de la représentation, principe même de la démocratie des Modernes. Mais par ailleurs, d’autres propositions veulent améliorer le caractère représentatif des élus, au sens d’une meilleure « figuration » des représentants : stricte parité homme/femme, quotas pour la représentation des minorités visibles, et plus globalement représentation plus fidèle de la population.

Enfin apparaît sur la scène publique des mouvements (les Gilets Jaunes en sont un exemple frappant) qui ne sont ni de droite ni de gauche, qui ne se réfèrent à aucune tradition du mouvement ouvrier - comme par exemple le conseillisme de Rosa Luxembourg, qui a incarné un temps l’avant-garde révolutionnaire, l’aile gauche du mouvement ouvrier, antiparlementaire et donc contre la procédure de représentation) – et qui développent des pratiques de contestation violente des institutions, et des formes de démocratie directe (sur les ronds-points par exemple). Nous voulons dire par là que les défiances ou attaques portées sur les formes actuelles de démocratie ne se réfèrent pas pour autant à un référentiel ou un projet alternatifs, tels que ceux portés par le marxisme révolutionnaire contre « la démocratie bourgeoise ». L’idéologie spontanée de ce mouvement est celle du « ras-le-bol » généralisé et du rejet des élites, d’où la difficulté pour s’entendre sur des revendications ciblées, ou même pouvoir dialoguer avec les dites élites. Enfin, la méfiance viscérale pour toute représentation empêche toute espèce d’organisation et de délégation. Comme le dit Marcel Gauchet, nous sommes en présence d’un nouveau mouvement des « sans-culottes »…

3-3 Ce tableau « clinique » ne serait pas complet si nous ne faisions pas mention du sentiment d’impuissance face à l’exercice de la démocratie. L’action des politiques semblent dans l’incapacité d’influer de façon significative sur l’avenir de la société, en particulier sur les deux grands sujets qui, aujourd’hui, préoccupent le plus les gens : l’écologie et les inégalités sociales. Tout d’abord, nous constatons régulièrement une désynchronisation entre l’exercice de la démocratie et la prise de décisions, dont la temporalité est relativement lente en raison des nécessaires délibérations et compromis, et la vitesse accrue du mouvement économique mondialisé et de la finance, désormais numérisés, et de nos vies en général. Désynchronisation ou décalage qui contribue à accentuer le caractère suiviste de l’exercice de la démocratie par rapport à l’économie. La première semble de plus en plus à la remorque de cette dernière. Mais peut-être plus fondamentalement, l’adaptation semble le maître-mot du moment politique que nous traversons[27] : c’est l’adaptabilité face au changement qui est sans cesse préconisée, et nous devons être plus mobile, plus flexible pour supporter l’accélération des flux imposés par la mondialisation[28]. Il n’y aurait pas d’alternative sur la direction à prendre ; il faut « maintenir le cap » coûte que coûte, c’est en tout cas le discours sans cesse tenu à droite et à gauche par ceux qui se présentent comme des partis de gouvernement. Ce sentiment d’impuissance et de dépossession qui nous habitent, tant en ce qui concerne l’impuissance des politiques dans l’action menée que de notre propre impuissance à se faire entendre par eux, nourrit profondément le manque de confiance que nous avons déjà souligné. 

3-4 Enfin, nous ne pouvons pas oublier un autre symptôme, même si celui-ci n’est pas considéré comme « politiquement correct » par certains : le sentiment d’un « chez soi » menacé[29]. Cette forme de violence vécue doit bien sûr être conjoncturellement référée à l’existence du terrorisme qui sévit, instrumentalisé par des personnes mal intentionnées (qui en effet ne se privent pas d’attiser le feu…). Certes alimenté par les mouvements migratoires, de plus en plus nombreux à cause de la guerre, l’instabilité politique, mais aussi la misère économique qui sévissent au Moyen Orient et en Afrique, ce sentiment est plus globalement le résultat des bouleversements et de l’accélération des flux qu’ont connus nos sociétés. Alors qu’il y a cent ans, trois générations successives pouvaient partager une expérience commune du monde, le monde change aujourd’hui plusieurs fois en une seule génération… Aux USA, un homme de niveau d’études supérieures change en moyenne onze fois de métier dans sa vie. De tels changements ne peuvent qu’impacter le sentiment d’identité personnelle et celui d’être « chez soi ». Mais la résurgence de la revendication identitaire est également en lien avec la planétarisation d’une culture de masse comme produit de la société de la technique et de l’économie[30] : à Paris comme Hanoï, le mode de vie tant à s’uniformiser, en même temps que les cultures locales s’affirment en retour, et les fractures s’accroissent entre les milieux urbains des grandes villes et les milieux de la ruralité et des petites villes. La vocation naturelle de la démocratie, comme le montre Alain Touraine, est de devenir culturelle au sens de faire coexister pacifiquement la diversité des cultures, dans le respect des valeurs de la République (laïcité), mais les tensions identitaires que nous venons d’évoquer, qui recouvre également des questions essentielles de disparité sociale, mais aussi un problème spécifique avec l’Islam et sa capacité à être soluble ou non dans la République, ne sont pas pour rien dans la crise d’une démocratie qui peine à les résoudre dans le sens d’une vivre ensemble pacifique. La montée des intolérances, des replis sur soi, des intégrismes divers, en sont le lot.

4- Eléments de diagnostic

Ce rapide « état des lieux », simple inventaire non exhaustif de quelques manifestations de la crise, ne peut tenir lieu de diagnostic. Celui-ci s’appuie nécessairement sur l’analyse des causes, et il serait bien prétentieux de vouloir livrer une version définitive d’un tel diagnostic… Nous nous contenterons ici de mentionner trois analyses philosophiques d’orientation différentes mais non contradictoires à mon sens, qui permettent d’aborder le sujet de trois points de vue différents : La première approche, celle de Frédéric Worms[31], est avant tout éthique. La seconde, celle de Marcel Gauchet, est une réflexion de philosophie politique s’appuyant sur l’histoire. La troisième est de nature sociologique (Harmut Rosa). L’intérêt d’une telle présentation est de montrer comment ces analyses font résonance entre elles (ou pas) et entrent en dialogue avec ce qui a été identifié comme « problème » en première partie… Comme nous l’avons dit, la notion de « maladie chronique » s’avère ici féconde, nous assistons en effet à une forme de « pic » ou de « crise » de maux qui sont par ailleurs latents et inséparables d’une démocratie qui est à la fois la maladie et le remède contre la maladie.

4-1 La démocratie, la violence, la confiance, et l’égalité (Frédéric Worms)

4-1-1 La réflexion de Frédéric Worms concernant les maladies de la démocratie part d’une réalité anthropologique fondamentale : l’existence de la violence entre les êtres humains, qui peut être extérieure entre des groupes distincts, comme par exemple entre sociétés, mais qui vient aussi de l’intérieur : il n’ya pas que la violence entre « nous » et « eux », mais il y a aussi la violence entre nous et à l’intérieur de moi. Même les relations d’amour, nous le savons, sont ambivalentes et ne sont donc pas exemptes de violence. La fraternité elle-même peut être fratricide… Nous ne développerons pas ici les sources anthropologiques d’une telle violence, mais de nombreuses théories convergent sur cette conclusion (les pulsions d’agressivité chez Freud, la violence sociale ancestrale chez Maffesoli, la violence mimétique chez René Girard…etc). Kant est peut-être le philosophe qui a le mieuxfait la synthèse du problème : l'humanité est traversée par deux tendances internes et contradictoires ayant la même source : la liberté. D'un côté une tendance à la sociabilité par laquelle la liberté a besoin de la société humaine pour s'épanouir et réaliser des formes de bonheur. De l'autre côté, cette même liberté conduit à s'opposer à d'autres hommes, à l'égoïsme et à la guerre. A partir de là, deux conceptions de l'histoire sont possibles : soit une philosophie dialectique de l'histoire ou l'opposition des contraires finit par être dépassée vers une synthèse heureuse de la paix et de l'harmonie (c'est Hegel et Marx à sa suite). Soit il y a, sur fond de cette «insociable sociabilité», une lutte permanente entre ces deux tendances, un danger permanent de la domination et de la guerre, et une urgence constante de la sociabilité et de la paix. En ce sens nous vivons toujours dans les déchirures de la liberté.C’est l’option retenue par Frédéric Worms.

4-1-2 Face à ce mal endémique de l’humanité, la démocratie est sans doute la seule réponse, au moins sur le plan politique : tout gouvernement (monarchique par exemple) est censé me protéger vis-à-vis de l’extérieur, mais la démocratie est le seul régime à lutter sur les deux fronts extérieur et intérieur. Cette violence intérieure peut être exercée par le peuple lui-même, en son propre nom. Nous avons montré de quelle façon un Etat de droit répond à une telle menace : la démocratie n’est pas seulement le pouvoir du peuple, mais elle est « le pouvoir du peuple limité par le pouvoir du peuple contre lui-même », autrement dit un pouvoir qui s’autolimite : en représentant les divisions – institution de la représentation des conflits, comme par exemple le Parlement – on évite de se faire la guerre, mais aussi par une Constitution qui fixe des limites qui valent pour le pouvoir lui-même. La référence au peuple n’est pas le tout de la démocratie, loin de là… Mais on peut d’ores et déjà voir à quelle difficulté nous nous retrouvons confrontés : La démocratie est en effet possible, comme le disait Rousseau, que si « chacun renonce individuellement à la violence préalable pour rentrer dans le pacte social » ; Le problème est précisément là : cette condition de la démocratie n’est jamais définitivement acquise, et la maladie est toujours potentiellement présente : on peut toujours rompre le pacte… La démocratie est sans doute le meilleur rempart contre cette violence (intérieure en particulier), mais cette dernière est aussi le problème et la maladie toujours possible de la démocratie. Et nous connaissons aujourd’hui une situation où notre démocratie a franchi un cap critique : certes elle doit lutter contre la violence extérieure que constitue le terrorisme, mais elle est aussi l’objet d’attaques violentes du côté de ceux qui comptent bien instrumentaliser le terrorisme pour l’affaiblir et la déstabiliser. On assiste à un retour de la violence intérieure.

4-1-3 En ce sens, le cynisme dans sa version moderne (et non pas antique) peut être une maladie mortelle pour la démocratie, et la conscience lucide de ce problème fait partie du remède : cependant la lutte personnelle et collective contre le cynisme ne doit pas pour autant nous faire oublier que la liberté d’opinion et d’expression est le principe premier de la démocratie, et la meilleure défense contre le risque qui la menace toujours, celui de la tyrannie. Cette liberté nous protège contre les abus de pouvoir et les tentatives de violation intérieure, et nous permet de critiquer les institutions, ce qui est au cœur même du principe démocratique.. . Mais en revanche la critique devient cynique quand elle devient soupçon généralisé, non plus pour défendre la démocratie, mais contre elle. Mise en cause de ses principes et de son cadre même, comme si celui-ci n’était plus le cadre neutre qui permet d’encadrer l’ambivalence des relations humaines ainsi que la possibilité de la critique et de l’accord. Au fond, la paix relative que doit permettre l’exercice démocratique repose sur une condition fondamentale : la confiance. Celle-ci est au cœur des institutions mais aussi de la vie humaine : ce sont les relations entre les individus qui nous apportent la confiance, à commencer par l’amour inconditionnel au début de la vie. A travers ces relations, nous vérifions nos capacités à surmonter nos ambivalences et la violence interne à ces relations en nous parlant (et non dans le déni de la réalité de cette ambivalence). Ce qui fournit le cadre de la confiance en politique, ce sont les institutions, à commencer par la première d’entre elles, la liberté d’expression, qui fixe le cadre commun et les règles pour l’expression des opinions contraires et des conflits, y compris lorsqu’il s’agit de critiquer cette institution elle-même. Avec le cynisme, nous retrouvons la critique de la décadence de la démocratie chez Platon, qui glisse vers le despotisme par la démagogie et l’anarchie. La pente fatale de la démagogie consiste à instiller la discorde, la peur et la haine, avec son lot d’erreurs et de mensonges. Cette violence intérieure est objectivement réactivée par la violence extérieure du terrorisme, nourrissant un racisme qui n’a par ailleurs jamais disparu, car il est aussi un des maux récurrents de la démocratie. Mais elle est aussi idéologiquement agitée en brandissant la réalité ou le fantôme des menaces extérieures. Le racisme est une autre maladie de la démocratie, qui maintenant ne s’en tient plus à la dimension biologisante initiale (la hiérarchie des races), mais revêt d’autres traits culturels, religieux. Il est le déni de l’ambivalence humaine, celle des autres comme la sienne, de notre diversité intérieure, au profit d’une identité essentielle et absolue, d’un seul bloc ; il est aussi le déni de toute complexité, de toute individualité, attribuées à l’autre. Ce danger guette chacun, y compris les victimes du racisme. La démocratie est en effet le seul remède, mais elle est loin d’être immunisée contre lui ! Elle est un remède par son ouverture radicale et universelle (les droits humains), mais aussi parce qu’elle sait le danger permanent qu’il représente dans toute communauté humaine, et qu’elle institue son interdiction par la loi. Racisme et terrorisme se nourrissent l’un l’autre au sens où ils essentialisent l’ennemi (mais aussi soi-même) : l’ennemi n’est pas celui qui fait ceci ou cela, mais celui qui est ceci ou cela. Le terrorisme ravive ce qui vient contredire les démocraties de l’intérieur, en particulier le racisme. C’est la raison pour laquelle il est difficile de lutter contre le terrorisme en évitant tout ce qui peut réactiver le racisme. Nous verrons dans la dernière partie la réponse apportée par Frédéric Worms.

4-1-4 L’autre maladie mortelle que la démocratie a de plus en plus de mal à contenir est l’ultra-libéralismeet le déni d’interdépendance.L’ultralibéralisme est pour FW un déni de l’interdépendance entre les êtres humains : Il est indéniable que les millions d’actes commis chaque minute par les êtres humains sur la planète sont reliés entre eux de façon indéfectible. Ceci dans tous les domaines et pas seulement sur le terrain économique. Les sociologues ou les économistes appellent cela la division internationale du travail, les philosophes font plutôt référence à des formes de coopération sociale… Cette interdépendance et cette solidarité de fait vaut aussi bien pour les problèmes que pour les solutions : la pollution et le réchauffement climatique en sont des exemples probants, puisque nous sommes en même temps ceux qui avons créé cet état des choses, et les seuls à pouvoir y porter remède. Que nous le voulions ou non, nous sommes les uns les autres dans une dépendance vitale, seuls les humains peuvent venir secourir et soutenir d’autres humains. En réalité, l’interdépendance relationnelle est à la fois créatrice et destructrice. Créatrice en tant qu’elle est responsable de la formation d’individus libres et responsables, ouverts sur le monde et les autres. Destructrice, dans la mesure où la violation peut venir s’immiscer dans toutes les relations, y compris au sein de celles qui se proposent de remédier à la fragilité humaine (comme par exemple l’éducation ou le soin). D’où, encore une fois, la centralité des droits humains sur le plan juridique pour pouvoir lutter contre ces violences intérieures.

Cette interdépendance est si évidente qu’elle se fait oublier dans nos relations et dans nos vies, comme si elle n’existait pas. Cette forme d’ingratitude serait « le fruit le plus empoisonné » de nos vies humaines… Notre façon de penser la société est symptomatique à ce sujet : nous partons des individus déjà là, indépendants et séparés, pour remonter aux formes de coopération sociale, ce qui est erroné et dangereux : c’est l’interdépendance humaine[32] qui est première. Nous ressentons paradoxalement ce profond sentiment d’interconnexion et de solidarité avec les autres, alors que nous éprouvons en même temps un tout aussi profond sentiment d’impuissance et de passivité par rapport à ce que nous sommes collectivement. La mondialisation est associée à une séparation et une atomisation très importante des individus : toutes leurs actions sont menées séparément et n’ont pas d’autres motifs que la poursuite d’intérêts individuels.On va même jusqu’à critiquer dans la démocratie la prise en charge d’une interdépendance ou d’une solidarité au nom de ce même ultralibéralisme (c’est le cas lorsqu’on critique les démarches qualifiées péjorativement d’assistanat). Cette forme de césure profonde entre l’interdépendance objective universelle et un sentiment d’interconnexions qui ne dépendent pas de nous, s’explique par « un déni d’interdépendance » et une réduction de toutes les dimensions concrètes de ces relations à la seule économie, qui devient le modèle général des relations entre les êtres humains. Et pourtant, l’écologie, le milieu, la qualité de vie, les bien premiers[33], les besoins humains fondamentaux (comme la reconnaissance), la paix, l’exigence de justice (sociale en particulier) sont des dimensions tout aussi importantes… Toutes ces dimensions de la vie et du pouvoir sont finalement niées au profit d’une liberté individuelle de défense de ses intérêts érigée en absolu.

4-1-5En conclusion, nous voyons comment tous ces ingrédients constituent un cocktail explosif, certes spécifiques par rapport à ceux des années 1930 en Europe[34] : le Président Trump est sans doute celui qui concentre le mieux tous ces ingrédients, mais nous retrouvons approximativement la même configuration dans d’autres pays, au-delà de leurs différences : désignation d’un bouc-émissaire – postulat de l’unité du peuple – défiance se reportant massivement sur les institutions. Le succès du populisme est la rançon d’une telle convergence des dangers : c’est la revendication du peuple (censé ne faire qu’un, alors qu’il est divers) contre les institutions démocratiques.Le plus grave est sans doute la critique et la défiance des institutions qui ont justement pour fonction de prendre en charge la division ou dissension intime, et les relations de confiance entre les êtres humains, relations qui sont dès lors « minées » par ces attaques permanentes… Cette subversion de l’intérieur des institutions peut être mortelle… Nous ajouterons que la démocratie est aussi la justice sociale, et que le suffrage universel qui organise le désaccord politique ne règle pas tous les problèmes de violence intérieure. Depuis plus de deux siècles, il s’avère que la démocratie a combattu contre toute sorte d’injustices : en faveur des droits sociaux, contre les discriminations de toute sorte. Mais le combat est loin d’être terminé, et la période contemporaine est marquée par la création d’une « valeur ajoutée » qui est de moins en moins partagée et qui profite toujours plus aux plus riches. Parmi les causes de violence extérieure et intérieure, le creusement des inégalités sera probablement la plus explosive. Derrière les inégalités, la misère sociale et culturelle, qui est elle-même une violence faite aux personnes[35], et qui génère à son tour de la violence…

4-2  L’impuissance démocratique et la déliaison des collectifs (Marcel Gauchet)

Si nous sommes en proie d’un malaise profond dont le cœur est le sentiment de dépossession et d’impuissance, c’est qu’il s’est produit un changement dans la démocratie, une révolution invisible dont les acteurs ne se rendent pas compte : si on essaie d’en trouver le centre, nous parlerons d’une nouvelle lecture des droits de l’homme : signifiant en 1789 la prise du pouvoir politique par le peuple, ils vont devenir, après le moment proprement social de la démocratie (après 1945), les droits fondamentaux de l’individu, l’idée juridique de la démocratie va supplanter son idée politique. « Il n’y a en droit que des individus également libres », ce qui n’est pas sans poser problème, comme nous l’avons déjà montré, par rapport à la question du collectif : comment articuler ensemble des libertés égales ? Tout lien légitime doit passer par un contrat librement consenti entre ces individus posés comme indépendants, et par la constitution d’un Etat de droit pour protéger ces libertés.Ce qui se voit dans notre monde contemporain, c’est une chose et une seule qui a monté en puissance au point de paraître occuper toute la place : le vecteur du droit, sous ses deux aspects, sociologique et politique : sociologiquement, c’est la montée en puissance de l’individualisation ; politiquement, l’avènement d’une nouvelle démocratie, la démocratie des Droits de l’homme (effectuation de son principe premier : des individus libres et égaux). Mais la préoccupation de départ qui était au début du XIXème siècle l’organisation du Tout est devenue celle de l’indépendance des parties. Nous pouvons parler d’un divorce entre la liberté et le pouvoir : nous sommes de plus en plus libres au plan individuel, conformément à ce que Benjamin Constant définissait comme « liberté des modernes »[36], mais cette liberté compte de moins en moins dans le façonnement du destin collectif. Nous avons de moins en moins de pouvoir collectivement parlant. C’est en quoi la démocratie perd son sens car elle est proprement la conversion de la liberté de chacun en pouvoir de tous. C’est le résultat de la mise au centre des droits privés de l’individu. L’époque est caractérisée par une tendance à l’économicisation orientée essentiellement vers les intérêts particuliers, dans une sorte de connivence entre les libertés individuelles et le déploiement de la puissance économique, en lien avec la mondialisation, et ses conséquences sur la vie en société, en particulier ce sentiment d’impuissance politique face à la puissance de l’économie dont le fonctionnement semble complètement autonome et automatique. Au fond, il y a deux idées de la démocratie en tension : une première conception libérale, celle de la démocratie « minimale », considère le pouvoir politique comme simple dérivé de la société civile et de ses besoins particuliers, et qui consiste à « représenter les différents conflits d’intérêts qui traversent cette société de façon à arbitrer, réguler, agréger ces intérêts particuliers pour élaborer des compromis viables. Nous pouvons parler à ce sujet d’une « gouvernance » où ce qui est central est davantage « plus de pouvoir pour chacun » en vertu de la souveraineté de l’individu, que « plus de pouvoir pour tous », qui devrait être la formule de la République : une deuxième conception de la démocratie en effet considère comme centrale la souveraineté collective, le public, et l’intérêt général, qui n’est plus pensé comme la simple somme des intérêts particuliers. Non plus une adaptation « progressiste » au monde tel qu’il va et à ses contraintes, mais un « gouvernement de soi par soi » qui exige une forme d’autonomie lui permettant de peser significativement sur le destin de la société, et de répondre à la question : « que voulons-nous être et devenir ? ». En réalité ces deux composantes, libérale et républicaine, sont inséparablement les piliers de la démocratie. La composante libérale est elle-aussi une dimension fondamentale de la Modernité démocratique : la société doit désormais libérer toutes les initiatives individuelles au sein de la société civile, qui permettent de construire collectivement l’avenir. Mais dans la période contemporaine, le déséquilibre est patent : la première composante libérale s’est imposée massivement aux dépens de la seconde. La communauté politique devient dans ce contexte une société de marché. Les choix politiques se calquent sur les modèles économiques, et les gouvernants deviennent les gardiens de la règle du jeu. Il ne s’agit plus alors de gouvernement avec unevisée d’ensemble, mais de « gouvernance »… Ce qui va donner une prise sur nous aux « marchés », c’est que nous faisons appel à eux. …Un peu comme si (ainsi que l’avait fait remarquer Bossuet) nous protestions contre des conséquences dont nous chérissons les causes…Dans cette démocratie minimale, le politique comme instance extérieure s’éclipse derrière « la » politique : la démocratie du privé ne s’inscrit plus dans l’histoire de l’Etat-nation, immergée qu’elle est dans la puissance d’un présent qui rend très difficile la représentation d’un avenir collectif. L’autorité publique n’est plus comprise comme l’autorité indispensable au gouvernement humain. Mais l’histoire n’a pas disparu et nous rappelle à l’ordre : le paradoxe d’une liberté sans pouvoir assurée en commun est intenable à terme. Et la mondialisation est travaillée par une autre contradiction : elle ne peut se développer économiquement que sur la base de l’infrastructure politique assurée par les Etats Nations (contrairement à l’opinion la plus courante) : administration, règles de droit, infrastructure des voies de communication, protection des ressortissants du pays…etc). Certes, nous avons le sentiment que le capitalisme global a neutralisé les démocraties nationales et semblent entrer en contradiction avec la souveraineté des Etats nations, mais il ne peut en être ainsi dans la mesure où il repose ultimement sur l’organisation de ces mêmes Etats-Nations…

4-3 Des contraintes structurelles plus fortes que l’exercice démocratique…

La troisième approche que nous voulons mentionner est très différente des deux autres au sens où elle met en relief une maladie qui n’est pas interne à l’histoire et aux approfondissements de la démocratie en tant que telle, mais qui lui est au contraire exogène en tant qu’elle relève plus globalement de cette formation sociale particulière qu’est la Modernité tardive, venant en quelque sorte saper les fondements de cette dernière de manière radicale. Dans ses deux grands ouvrages[37], Harmut Rosa met en lumière une dimension essentielle de la société moderne, à travers son concept de « stabilisation dynamique ».De quoi s’agit-il ? Les sociétés modernes sont en quelque sorte condamnées à reproduire leur structure par un mouvement dynamique d’accroissement toujours plus rapide. Autrement dit une société est dite moderne (au sens de la modernité tardive) lorsqu’elle est systématiquement tributaire –pour pouvoir se maintenir et durer – de l’accélération, de la croissance et de la densification de l’innovation. Un processus de dynamisation qui se définit comme une augmentation quantitative par unité de temps (ce qui est la définition même de l’accélération). Le problème générateur de crises apparaît aussitôt : dans la perspective des crises écologiques qui se profilent à l’horizon du XXIème siècle, la contrainte de croissance matérielle des sociétésapparaît comme un élément hautement problématique… Mais elle génère également une difficulté difficilement surmontable : cette triade d’impératifs (croissance-accélération-innovation) entraîne non pas une hausse continue des vitesses, des volumes de production, et des rythmes de transformation, mais une spirale de surenchère : d’année après année, il faut se montrer plus rapides, efficaces, innovants, bref nous devrons toujours être meilleurs pour maintenir notre  place dans le monde[38]. Année après année, la performance requise devient toujours plus difficile et exigeante. C’est une escalade aveugle – et cela peut se décliner au niveau collectif comme de celui de chaque individu – où les efforts ne sont jamais prometteurs de soulagement, mais au contraire d’une aggravation encore supplémentaire du problème à venir. Nous ne pouvons pas ne pas mettre en lien cette dynamique de la modernité avec les analyses de Karl Marx ou de Max Weber sur le capitalisme[39]. Le maintien systémique du statu quo concerne tous les domaines de la vie sociale : production, consommation, culture, sciences, recherche, techniques, politique, éducation, soins… mais aussi les aspects les plus quotidiens de nos vies. Les conséquences de ces contraintes structurelles sont multiples et affectent la vie sociale de différentes manières, mais nous nous limiterons à évoquer leur impact sur le terrain politique du fonctionnement démocratique : leur non-respect entraîne aussitôt des risques de pertes d’emploi, de faillites d’entreprises, de hausse des dépenses sociales, qui peuvent à leur tour conduire à des crises de la dette et du budget…etc. Cette course à l’accroissement se fait bien entendu dans un contexte de concurrence toujours plus élevée. La concurrence entre les partis politiques elle-même reproduit cette course à celui qui promet de faire plus et de faire mieux (croissance économique, nombre d’emplois, amélioration de la qualité de l’air, de la sécurité, de la situation des retraités etc.). Nous pouvons également noter que l’éloge économique et politique de la concurrence et de l’accroissement souvent entendu repose toujours sur la conviction qu’elles mettront une plus grande part de monde à notre portée, et jamais sur la prise en compte de la qualité de la relation (au monde). Elles incitent à vouloir avoir les choses sans cesse sous contrôle et à notre disposition, et génèrent beaucoup d’inquiétudes et d’angoisses dans ces contextes compétitifs. Mais revenons à la crise qui sape les fondements mêmes d’une telle formation sociale : la force de ces contraintes est telle que nous allons dans le mur malgré toutes les prises de conscience écologiques : Consommation, exploitation et dévastation partielle de la planète, autant de preuves d’une escalade qui ne parvient pas à ralentir… La consommation de pétrole brut continue d’augmenter chaque année (les performances d’accroissement mobilisent avant tout une énergie physique qui est encore largement une énergie-carbone). Les politiques des gouvernements de telles sociétés sont mises au service de cette logique d’activation : les réformes du marché du travail, les accords de libre-échange, la législation sur l’aide sociale, la politique en matière d’éducation ou de retraite visent à ce processus d’activation auprès de chacun d’entre nous. Une volonté politique qui peut apparaître au bout du compte un peu monomaniaque (quoi que nécessaire si l’on raisonne dans le cadre des contraintes structurelles décrites), mais en réalité la contrainte de maintenir l’accroissement s’exerce si directement sur les gouvernements de la modernité tardive que toute opposition politique ou culturelle s’efface devant elle.Nous touchons là à une des causes principales de la crise de nos démocraties : une protestation très vive mais plus ou moins confuse et consciente de cet état des choses qui ne trouve pas de débouchés politiques, sinon dans la rue. Une telle situation entraîne des mouvements d’opposition extraparlementaires qui ignorent les clivages politiques droite/gauche, sur les places et les rues du monde entier. Les abstentions électorales atteignent des niveaux record, les gouvernements, obnubilés par ces impératifs d’accroissement, restant insensibles aux attentes des citoyens. Il ne faut pas oublier cependant que le maintien des objectifs passent aussi par les énergies psychiques (et pas seulement physiques) des sujets : ce sont eux qui doivent à la fois produire, traiter, et « consommer la croissance », l’accélération et l’innovation. Leur désir concernant « l’extension de leur accès au monde » (c’est un peu la devise de la modernité) est bien présent, une telle société ne pouvant évidemment pas se soutenir sans la participation et la motivation de ses membres. Ils ont incorporés ces logiques de concurrence et d’optimisation. Mais la crise (psychique) de la Modernité démocratique apparaît aujourd’hui à travers les symptômes du stress, dela dépression, de l’angoisse, du burn-out, ainsi que dans les troubles de déficit de l’attention et/ou d’hyperactivité (TDHA). Ils peuvent être interprétés comme une crise d’épuisement produite par le jeu de l’accroissement. En résumé, une crise majeure provoquée par les contraintes de la « stabilisation dynamique » propre à « la relation au monde » construite par nos sociétés de la modernité tardive.  Subjectivement, elle se traduit notamment par une forme de dissociation de soi avec soi-même[40]. Notre estime de soi dépend beaucoup de notre sentiment d’auto-efficacité personnelle dans des directions qui ont de l’importance pour nous, c’est-à-dire qui sont l’objet d’évaluations fortes. Or nous assistons à une césure de plus en plus fréquente entre des évaluations fortes (sensibles à la résonance)[41] et des pratiques orientées vers l’accroissement. Nous sommes par exemple convaincus que la préservation de la nature, des forêts, des océans, des glaciers, est d’une importance extrême, mais comment nos pratiques environnementales peuvent-elles être en accord avec ce jugement ? Une récente étude montre que ce sont les membres du parti écologique allemand (Die Grenen)  qui prennent le plus souvent l’avion, alors que ce sont eux aussi qui jugent négativement le fait qu’un nombre toujours plus grand de personnes ait les moyens de voyager en avion. Loin de nous l’idée de les discréditer ou de penser qu’ils sont hypocrites. L’explication est plus subtile : ils sont soucieux de l’environnement, mais dans leur action quotidienne (classes moyennes supérieures), les impératifs structurels d’accroissement prennent une telle importance que les orientations normatives n’entrent plus en ligne de compte. Il s’agit là d’une forme d’immunisation ou d’aliénation… Autre exemple : le fait que les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvresest contraire à tout principe de justice. Personne, pas même les partisans d’une politique néo-libérale, ne tient cette évolution comme souhaitable. Et pourtant partout dans le monde s’observe une désolidarisation progressive et un creusement des inégalités. En réalité, c’est la preuve que l’évolution des structures socio-économiques est devenue depuis longtemps imperméable aux évaluations politiques fortes des sujets. Et nous avons là peut-être une des causes les plus profondes de notre crise démocratique, qui rejoint l’analyse de Marcel Gauchet sur l’impuissance démocratique, et qui explique, comme nous l’avons dit, protestations dans la rue et désaffections électorales. Ce sont là les symptômes « d’une perte politique du monde » (Harmut Rosa). Il y a des impératifs muets agissant dans le dos des acteurs qui font perdre leur fonction de guides d’action à nos évaluations fortes[42].

5- Que faire ? Quels progrès ?

Contre le mythe d’un idéal démocratique réalisé ou de l’idée d’un progrès global et définitif qui permettrait un hypothétique dépassement des maladies de la démocratie, nous pensons avec Frédéric Worms que chaque progrès concret au nom de ses principes est un progrès absolu…mais certaines réponses semble croire dans la possibilité d’une tel dépassement et visent à vouloir simplifier la démocratie ou à se polariser sur une dimension… Pierre Rosanvallon analyse ces tentatives[43] (qui ont bien sûr diverses incarnations dans l’histoire de la démocratie).

5-1 Des fausses réponses

5-1-1 La démocratie constitutionnelle

La première consiste à mettre en question le double sens de la notion de représentation, à savoir celui de mandat, et celui de figuration (le parlement comme « image » fidèle de la population, et donc aussi de ses minorités visibles). La démocratie selon cette approche (libérale) ne saurait être soumise ni à l’un ni à l’autre. Le principe du mandat contraignant empêcherait la délibération commune des élus parlementaires. Quant à la figuration, la reproduction de la société dans ses différentes catégories, elle a du sens dans une société de corps comme la société traditionnelle –chaque corps pouvant être représenté -, mais elle n’a plus de sens dans la société des individus où chacun existe de façon singulière. Pour les tenants d’une telle analyse, la représentation est une procédure cognitive pour sélectionner les plus aptes à gouverner. Elle est une façon de mettre en communication les électeurs avec leurs élus, et de faire circuler l’information, les enquêtes d’opinion venant alimenter cette conception de la représentation. Cette « démocratie constitutionnelle » (assez proche de la nôtre ?), malgré sa dimension novatrice (l’approche critique de la notion de représentation est intéressante), est réductrice, puisqu’elle limite la démocratie à l’organisation d’un pouvoir parlementaire délibératif.

5-1-2 « Le pouvoir sans forme »

Une autre tentation est ce que Blanqui[44] appelait « le pouvoir sans forme ». C’est une théorie de la désinstitutionnalisation de la politique : le seul moment de réalisation de la démocratie est celui de l’insurrection. D’ailleurs, l’expression « la démocratie » (dans son acception habituelle) est un « mot en caoutchouc », et « vide de sens ». Il faut comprendre la politique comme une simple énergétique. Même si le mouvement des gilets jaunes ne revendique aucune orientation idéologique et ne se positionne pas sur l’échiquier politique droite/gauche, il relève implicitement et spontanément d’une telle « politique sans forme »…

5-1-3 Le bonapartisme

La troisième réponse se ferait en termes d’incarnation et d’autorisation : le « césarisme » de Napoléon III peut l’illustrer. C’est l’idée de l’homme/peuple qui incarne un peuple forcément Un et unanime. Le plébiscite est le moment rituel de la révélation de cette unanimité. Dans cette perspective toutes les interfaces sont muselées et critiquées, la presse comme les Partis politiques. Devant ce pouvoir plébiscité, toute entreprise privée doit s’effacer : par exemple les comités électoraux locaux sont considérés comme privés et sont interdits.

5-1-4 Le populisme

Là encore l’idée de peuple est simplifiée et devient un sujet évident en lui-même, dès lors qu’on donne congé aux élites, aux cosmopolites, et aux oligarches[45]. Ce qui fait la cohésion d’une société, c’est son identité et non la qualité de ses rapports sociaux, identité souvent définie négativement par ceux qu’il faut exclure. Le système représentatif est structurellement corrompu[46]. La puissance de vérité du référendum est affirmée. La société démocratique est une société d’homogénéité et non une société de la constitution du commun par la délibération.

5-1-5 Les totalitarismes

N’oublions jamais que le communisme comme le nazisme sont des tentatives de radicalisation et de simplification des formes démocratiques habituelles. En ce sens ils sont tous deux des productions de la Modernité de la première moitié du XXème siècle. Nous n’examinerons pas ici ses formes pathologiques particulières de la démocratie, mais dans ces deux cas, la représentation est considérée comme formelle et stérile, et remplacée par une forme d’égocratie en la personne du fürher ou du premier secrétaire du bureau politique du Parti : « la société, c’est moi ». Mais il est vrai qu’à l’inverse l’accomplissement ultime de la démocratie est son dépérissement (Lénine), à partir du moment où il n’y a plus de séparation entre le monde social et le monde politique, et où l’être collectif se signifie directement sans intermédiaire ou médiation… C’est la forme vivante et non plus institutionnelle de l’idéal démocratique accompli.

La simplification ou la polarisation sur une des dimensions de la démocratie, bien loin d’être un remède, n’accouchent que de nouvelles pathologies…En réalité, c’est dans le sens de la complication ou de la complexité que la démocratie peut répondre et contenir ses maladies chroniques.

5-2 Retour sur la question de la représentation

5-2-1 Pierre Rosanvallon  a raison de qualifier notre démocratie d’inachevée et de critiquer l’idée d’une démocratie par intermittence où il ne s’agirait que de se déplacer dans les isoloirs une fois tous les cinq ans[47]. A la suite du trop fameux Grand Débat[48] organisé par le Président de la République récemment, des formules visant à accroître la démocratie participative pour répondre à ce qu’il appelle lui-même « une crise de la représentation » sont proposées, comme la simplification du référendum d’initiative partagée, ou la mise en place prochaine d’une Convention citoyenne sur le climat. Bien sûr, toute une réflexion existe pour savoir comment nous pouvons impliquer et rendre plus actifs les citoyens dans l’élaboration des actions publiques, quelle que soit l’échelle concernée. Il faut davantage donner le sentiment d’une démocratie permanente, et démultiplier les formes d’expression des attentes du peuple et leur transmission dans le monde politique[49]. Les propositions dans ce sens existent.

5-2-2 Mais cela ne doit pas oblitérer la dimension centrale de la représentation en démocratie, contrairement à la confusion parfois savamment entretenue par certains. Peut-être même que cette question de la crise de la représentation, qui est une réalité, risque de nous induire en erreur quant aux véritables causes des maladies de la démocratie. Car plus de deux siècles de démocratie nous ont permis de comprendre en quoi le mécanisme représentatifdevait être défendu, et pourquoi en fin de compte existait, malgré cette crise de la représentation, un consentement désormais globalement acquis (ce qui n’a pas toujours était le cas) par rapport à cette procédure. Pourquoi ? La première raison est pour ainsi dire technique : la démocratie directe ne s’est exercée que dans des cités à taille très réduite, et en excluant une majorité d’individus. Elle paraît très difficile à mettre en œuvre dans des grands pays comme les nôtres, le risque étant un chaos pouvant se terminer en tyrannie (comme d’ailleurs Platon le prédisait !).  La seconde raison est brillamment résumée par Benjamin Constant[50] : la liberté des Modernes se décline avant tout en liberté privée qui donne priorité aux affaires et à la jouissance privés plutôt que de prendre directement en charge les affaires du pays. Les citoyens préfèrent à ce titre déléguer ce pouvoir, tout en souhaitant garder un contrôle permanent sur leurs représentants. L’évolution de nos sociétés modernes ne peut que lui donner raison, même si nous savons qu’une forme de despotisme démocratique peut naître sur le terreau de ce que Hannah Arendt appelait « le syndrôme du père de famille »[51]… Mais la troisième raison est de loin la plus profonde. Tout d’abord, insistons avec le philosophe américain pragmatiste John Dewey sur le fait que le moment le plus décisif pour une démocratie n’est pas celui du vote, mais celui du débat qui le précède : « Ce qui est le plus important, c’est que compter les voix oblige à recourir préalablement aux méthodes de discussion, de consultation et de persuasion. »[52]. Nous citons aussi en entier ce passage, très parlant à ce sujet :dans ce moment de la discussion, rien n’est plus important que les « débats préalables, la modification des points de vue pour satisfaire les opinions des minorités, le fait que ces dernières sont relativement satisfaites du fait même qu’elles ont disposé d’une chance et qu’il est possible qu’elles forment une majorité la prochaine fois. ». Or, contrairement à ce qui est dit la plupart du temps,la représentation, avec ce qu’elle implique en termes de choix des représentants, de campagne électorale, de programmes, de confrontation de points de vue, permet de faire le point à intervalles réguliers sur l’état de la société et de ses problèmes, même si des progrès sont encore possibles sur la question d’une participation plus active des citoyens. Cette forme de « médiation réflexive »[53], qui permet à certains moments un tel recul au milieu du flux des évènements, montre tout l’intérêt et la supériorité du système représentatif sur tout autre mode de gouvernement. Seule l’existence de ce tiers, pouvoir politique indépendant et séparé en quelque sorte de la société civile, permet une telle triangulation de la vie politique. Le pouvoir représentatif est ce tiers médiateur et démocratique entre le peuple et lui-même. Enfin, et toujours à des fins de médiation, ce que nous avons appelé la fonction de figuration de la représentation ne peut être écartée : une société a besoin de se « représenter » -au sens scopique de se regarder – pour faire régulièrement le point sur l’état dans lequel elle se trouve.

5-2-3 Le problème essentiel de la démocratie aujourd’hui est donc ailleurs… Rappelons-nous l’analyse de Marcel Gauchet, et la nécessité selon lui « de se resituer historiquement et stratégiquement » et de « réactiver à sa juste place le politique »[54]. Mais quel sujet politique pour les sociétés modernes d’aujourd’hui, s’il n’est plus possible de revenir à l’idée d’un principe de légitimité hétéronome propre aux sociétés traditionnelles, qui consacrait le caractère transcendant ou surplombant d’un pouvoir « plus haut que soi » ? La réponse à cette question passe, selon Marcel Gauchet, par la refonte philosophique du sujet politique moderne, encore très dépendant du modèle rousseauiste, qui relève encore de cet univers hétéronome : la figure de l’Un supérieur à toute volonté particulière, qui réalise l’union et même la fusion des hommes non plus avec Dieu mais avec la Volonté Générale, est une fiction qui relève d’une pensée de nature religieuse.En réalité, et l’histoire de la démocratie nous l’a appris, les opinions et les intérêts sont irrémédiablement divisés, et les grandes tendances idéologiques reflètent cette division : conservatisme (l’ordre) – libéralisme (la liberté) – socialisme (le changement social). Il ne s’agit donc pas de partir en quête de l’unité perdue, mais de nous libérer de cet « assujettissement à plus haut que soi » : cette forme nouvelle du « gouvernement de soi » sera d’essence relationnelle (au sens d’une mise en relation des options antagonistes), ouvrira sur un processus sans cesse à reprendre, sans résultat garanti, à la recherche de compromis dont la réussite dépendra de la qualité de la médiation accomplie. Nous commençons tout juste à entrer dans cette logique de coexistence et de médiation en vue de la recherche d’équilibres. D’où l’importance que nous devons accorder à la délibération, à la confrontation réglée des partis qui incarnent ces options antagonistes. « La démocratie est en train de découvrir que face à des vérités également légitimes, elle a avant tout une fonction médiatrice et de compromis »[55].

5-3 La confiance dans les institutions et la lutte pour l’égalité

Nous avons montré que face à ceux qui « jettent de l’huile sur le feu » et agitent la menace de la violence intérieure, nous devons invariablement revenir et s’en tenir au principe de la démocratie : celle-ci est avant tout des institutions, que l’on doit s’obliger à respecter, ce qui est parfaitement compatible avec nos droits inaliénables à la critique.  Cela commence par bien comprendre et prendre la mesure de la menace de cette violence intérieure, qui peut se traduire en guerre civile, en abus de pouvoir… Rappeler également que la démocratie est une lutte contre la menace anthropologique fondamentale : la dissension intime. Le troisième principe de notre devise républicaine, la fraternité, ne doit pas être compris comme un plus d’amour qui viendrait lutter contre des maladies qui sont extérieures à la démocratie – les violations internes sont les propres maladies de la fraternité en tant qu’elles sont fratricides -, mais comme un principe moral, social et politique, chargé de répondre à une division intérieure intime.   Tel est en substance le message éthique de Frédéric Worms. Il pose une question éthique tout aussi fondamentale : quelle est la capacité des êtres humains non pas à dépasser (c’est impossible), mais accepter et affronter cette ambivalence propre à notre nature humaine ? Bien souvent nous apportons une réponse négative à cette question en pratiquant le déni de cette ambivalence. Or il y a certes dans les relations humaines la menace de la violence, mais aussi de quoi lui résister : face à la clôture et à la haine, nous sommes capables d’accéder à ce qui est le principe de la démocratie, de la raison, de la société ouverte[56]. Il faut résister en particulier sur les réseaux à la diffusion du mensonge, du soupçon et du cynisme généralisé à chaque fois qu’une information est donnée, la plupart du temps au nom de la dénonciation du « système » ; de ce point de vue, la presse et les médias professionnels doivent jouer un rôle intermédiaire essentiel entre l’officiel et les sites parallèles. C’est, comme le fait Socrate, en discutant ensemble sur des sujets communs et du commun pour approcher la vérité que nous parviendrons à construire de la confiance autour d’un véritable bien, même à travers l’épreuve douloureuse du doute et de la critique. N’est-ce pas ce qui fait l’essence des institutions d’enseignement ? Mais en réalité, ce dialogue doit concerner tous les domaines de la vie.

La lutte contre le terrorisme est indispensable, mais elle doit être menée sans alimenter le racisme et sans le reproduire, autrement-dit sans reproduire l’essentialisme qui caractérise l’un et l’autre. C’est une ligne de crête difficile à tenir ;cela signifie se critiquer en même temps, en particulier être capable de se limiter. Frédéric Worms appelle cela l’institution de l’extrême : répondre de l’extrême mais ne pas répéter l’essentialisation : instituer l’acte comme extrême sans essentialiser son auteur.

Les institutions internationales doivent jouer un rôle fondamental : l’interdépendance mondiale sous le régime de l’ultralibéralisme se traduit toujours par des rapports de force et des possibilités de  violation entre humains appartenant à des Etats différents. Frédéric Worms suggère qu’il est peut-être temps de ne plus considérer celles-ci comme des violences externes - du point de vue de chaque Etat concerné, il s’agit d’un ennemi extérieur à combattre -, mais de répondre au défi de la mondialisation en luttant réellement contre une violence, désormais comprise comme intérieure, de l’humanité considérée comme un Tout sur la planète. Les institutions comme l’ONU ou les ONG sont concernées ; On ne doit plus considérer désormais les groupes humains comme extérieurs les uns des autres, et la guerre est comprise comme une violation intérieure des relations entre humains… Changement de perspective important certes, mais l’éthique de « citoyens du monde » peut-elle rivaliser avec la logique des Etats Nations, qui ont été eux-mêmes historiquement pour la plupart d’entre eux, la condition de possibilité de l’exercice démocratique ? Peut-on à ce point effacer les frontières nationales au nom d’un espace mondialisé d’individus ? Probablement que l’historien Marcel Gauchet critiquerait vivement cette approche exclusivement éthique du problème des relations internationales. Mais il est vrai que l’existence même de tribunaux internationaux, avec la notion de « crime contre l’humanité », est une timide avancée dans cette direction : la violence internationale qualifiée de violence interhumaine. De plus, la question se pose de plus en plus concernant les risques écologiques globaux, à certaines conditions. Ceux-ci doivent également être considérés comme des violations entre les humains, en tant que dégradation du monde commun. Les accords sur le climat sont des exemples, en tant qu'institutions capables de réaliser un accord entre tous les humains, et considérant que le non-respect des clauses équivaut à une violation intérieure de relations enfin formalisées permettant de considérer l'humanité comme un tout. C’est ni plus ni moins la question d’une démocratie mondiale qui est ici posée…

Enfin, nous ne ferons que répéter à quel point l’égalité est intimement associée à une relative « santé démocratique ». Tocqueville a toujours pensé que l’égalité était en quelque sorte l’Adn de la démocratie. Si nous continuons résolument le combat sur le plan de l’égalité civique : l’égalité des sexes, la reconnaissance des droits des minorités, le mariage pour tous, la PMA pour toutes les femmes, le débat autour du respect des animaux…etc., il en va différemment sur le terrain de l’égalité sociale, où les écarts ne cessent de croître. Voilà sans doute une situation  qui peut à tout moment se traduire en flambées de violence. Le Président de la République française (certains diront à tort ou à raison qu’il ne met pas en accord sa pensée avec ses actes, mais là n’est pas le sujet) prévient lors de son discours à Davos (janvier 2018) : s’il n’y a pas plus de partage dans la distribution de la « valeur ajoutée » dans notre économie,  c’est la sécurité du monde qui est menacée. La mondialisation sera de plus en plus refusée par l’ensemble des classes populaires et des classes moyennes, et les risques de violences, d’émeutes, de terrorisme, de nationalismes exacerbés, seront devant nous. De telles inégalités de revenus engendrent la fragmentation et le séparatisme sociaux, et s’opposent objectivement aux tentatives de vivre ensemble, ou plus exactement au projet constitutif de la démocratie de construire ensemble une vie commune, « communalité »[57] aujourd’hui fortement dégradée et qui est pourtant le ciment de la démocratie.

5-4 Les contours d’une société de la post-croissance…

Je terminerai volontairement cette conclusion autour de la question « que faire ? » en reprenant l’analyse de Harmut Rosa sur les contraintes structurellesde l’accélération, de la croissance et de la course à l’innovation, qui semblent faire courir nos sociétés démocratiques dans une escalade infernale du « toujours plus », d’autant plus problématique qu’elle entre frontalement en contradiction avec les limites naturelles de notre monde et conduit à une aggravation écologique insoutenable de nos conditions de vie future. S’il est vrai qu’un tel processus dynamique sape les fondements même de cette société de la modernité tardive, nous ne pouvons ici penser l’avenir à plus ou moins long terme que sur le mode d’une profonde transformation de ce paradigme.

Il faut remarquer que l’imaginaire culturel de la relation au monde à l’époque de cette modernité – « le désir de l’extension de l’accès au monde » - est tellement prégnant que tous les projets de réformes actuellement débattus s’inscrivent presque tout le temps dans le cadre même de cet imaginaire.« L’imagination, la vision et la libido restent concentrés sur la façon de savoir quelle sera la prochaine chose à atteindre et à conquérir ». Face à cela, la théorie de la résonance élaborée par Harmut Rosa propose un changement de paradigme culturel :ce n’est pas l’accès aux choses mais la qualité de la relation au monde qui doit devenir la norme de l’action politique et individuelle. Cette « qualité » ne se décline pas en termes d’accroissement mais dans la capacité  et la possibilité d’établir et de maintenir des axes de résonance. La relation de résonance et le contraire d’une relation instrumentale avec tel ou tel fragment de monde, qui se caractérise par une relation muette ou « froide », voire hostile, au monde. Cette relation de résonance, de son côté,  accroît notre puissance d’agir et, en retour, notre aptitude à nous laisser « prendre », toucher et transformer par le monde (les deux mouvements d’activité et de passivité sont inséparables ici). Il ne s’agit pas de vouloir supprimer toute relation instrumentale au monde, ce qui serait stupide : nous avons besoin du succès de la science, du droit, de l’administration, de la technique, de l’économie, qui instituent des relations volontairement distantes et refroidies » avec leurs objets, et qui sont d’ailleurs aussi la condition de l’accès à la résonance, car nulle résonnance n’est possible dans un contexte trop déficitaire en ressources. En ce sens, les relations instrumentales sont toujours nécessaires. Mais il s’agit d’inverser l’équilibre entre les deux. Aujourd’hui, l’orientation vers la demande de résonance n’est concédée qu’à l’état d’exception, confinée dans des « oasis », exploitée comme une ressource, ou transformée en désir d’objet. Une vie réussie consiste en une forme de relation au monde qui est, dans sa structure profonde, résonante. Mais un « changement de conscience » ne peut suffire, un dépassement de la logique d’accroissement est impensable sans la mise en œuvre de réformes institutionnelles radicales, notamment dans le domaine économique, car tant que l’accumulation du capital restera le véritable sujet de la relation économique au monde, les impératifs d’accroissement seront maintenus. Harmut Rosa propose ainsi une véritable démocratie économiquequi permettrait d’ajuster « les rapports économiques à la qualité des relations au monde »… Non qu’il ne puisse y avoir d’espace pour le marché et la concurrence, mais il doit être « radicalement limité ». Il ne s’agit pas non plus de préconiser une économie « stationnaire » ou de « décroissance », hostile à toute croissance, accélération ou innovation. Mais une « société de post-croissance » qui dépasserait le modèle de la « stabilisation dynamique » au sens où elle n’est plus contrainte à s’accroître afin de maintenir son statu quo institutionnel et assurer sa reproduction matérielle. Le hasard veut que Thomas Piketty vient de publier son deuxième ouvrage, aussi imposant que le premier, intitulé « Le capital et l’idéologie », dans lequel il fait des propositions visant à « dépasser le capitalisme » et que l’on peut opportunément rapprocher de la présente perspective, avec des mesures comme la cogestion dans les CA d’entreprise, la création d’un impôt progressif sur la propriété (qui est proprement révolutionnaire), la dotation d’un capital universel de 120000 E pour chacun à 25 ans, le relèvement des tranches supérieures de l’impôt sur le revenu, une carte-carbonne pour chacun afin de mesurer sa consommation et sa situation, l’insertion dans tous les traités commerciaux d’objectifs fiscaux et écologiques contraignants…etc.[58]. L’un et l’autre se situe toujours dans ce que nous pourrions appeler le projet normatif de la modernité, à savoir une société libérale, démocratique et pluraliste… Pour sa part, Harmut Rosa ajoute une importance particulière à une proposition : le revenu universel minimum garanti sans conditions, qui serait une façon de remplacer la lutte par la sécurité, et de mettre hors jeu « l’angoisse existentielle de la mort sociale », sans ébranler par ailleurs « la structure d’incitation positive de l’économie », ni enterrer la possibilité des « rapports libidinaux »[59] au travail. Le financement d’une telle mesure fait débat, mais l’impôt sur les successions serait pour HR à retenir[60]…Ce n’est pas le lieu ici d’entrer autant dans les détails, mais l’orientation suivie est toujours la même : il s’agit non seulement de lutter contre le paradigme de la stabilisation dynamique, mais ce faisant de s’attaquer aussi au creusement des inégalités. Il s’agit également de retrouver une démocratie politique plus « résonante », c’est-à-dire où l’action politique n’est plus dictée par la volonté de s’imposer contre les autres et contre le monde, mais par la vision d’une élaboration collective du commun, qui rejoint les analyses de Marcel Gauchet concernant la nécessaire métamorphose de ce qu’il appelle « le sujet politique de la Modernité ». On voit que ce nouveau modèle de post-croissance privilégie en particulier toutes les expériences intersubjectives de rencontres  et d’échanges au niveau de la vie locale comme nationale, expériences qui permettent de mesurer la valeur d’une auto-efficacité véritablement collective, et de faire vibrer nos cordes de résonances horizontales. Toutes ces initiatives courent bien sûr le risque de se faire éclipsées rapidement par ce que Max Weber appelait « la cage d’acier » des contraintes structurelles de notre société. Mais elles ont le mérite de maintenir vivant le désir d’une autre forme de relation au monde. Quoiqu’il en soit, le passage d’un type de société à l’autre ne répond pas à un plan de réformes clé en main. Pas plus ce passage à la post-croissance que le passage de la société du Moyen Age à celle de la modernité (qui a duré plusieurs siècles)… L’ensemble des leviers sont nécessairement actionnés dans une telle transformation : subjectifs, culturels et structurels, institutionnels, cognitifs, affectifs…  Mais l’essentiel sans doute réside dans la capacité à nourrir une vision de plus en plus sensible, palpable, d’une autre relation au monde. Et à mettre en concepts un tel désir, pour lui donner un nom. Si tu veux construire un bateau, dit l’adage, commence par éveillez en eux (ceux qui doivent le construire) « le désir de la mer infinie ».

 


[1] Non pas le cynisme de l’Antiquité mais le cynisme contemporain.

[2] « Les régressions totales se sont toujours faites au nom du progrès «total» », Frédéric Worm « Les maladies chroniques de la démocratie ».

[3]Frédéric Worms

[4] Ces expressions sont empruntées à Marcel Gauchet (« La démocratie contre elle-même »)

[5] N’oublions pas que Rousseau a toujours pensé qu’elle ne pouvait convenir qu’à des dieux… Cf. la suite.

[6]Lire à ce sujet le livre du danois Mögens H. Hansen : « La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène »

[7] La République, livre VIII. Résumé dans Philo Magazine « Le peuple a-t-il perdu le pouvoir ? », p 56/57, sur lequel nous nous appuyons.

[8] Cf. plus loin le concept de « maladie chronique » chez Frédéric Worm.

[9] Si l’on pose la souveraineté du peuple comme la source ultime de légitimité, on affirme du même coup qu’il ne saurait y avoir de limites à la démocratie : qui d’autre que le peuple peut décider de ce qui est légal ou illégal ? « Limiter la démocratie, c’est la détruire » (JJ. Rousseau).

[10] Frédéric Worm, conférence à Sortie Ouest en septembre 2017 « Les maladies chroniques de la démocratie »

[11] Marcel Gauchet distingue un droit fonctionnel et positif, et un droit théorique et fondationnel, celui des « Droits de l’homme », in « Le nouveau monde », Tome IV de l’Avènement de la démocratie. 

[12] « La démocratie contre elle-même »

[13] Lire en particulier « Où est passé le bien commun », qui fait en quelque sorte un « état de la question » à ce sujet.

[14] Les théories du contrat social repose en réalité sur la fiction d’êtres humains déjà constitués et indépendants dans l’état de nature. Fiction qui s’est certes avérée très féconde, mais qui doit être repensée à la lumière des sciences humaines contemporaines.

[15] Pour Marcel Gauchet, c’est « le » politique (à distinguer de « la » politique) qui est la véritable instance qui « tient ensemble » les individus, véritable puissance instituante du collectif.

[16]« Une Politique de civilisation », Edgar Morin et Sami NaÏr

[17]Marcel Maussen conclusion de son « Essai sur le don » affirme qu’il y a un acte fondateur de toute humanité et de toute socialité, qu’il décrit en ces termes :« Pour commercer, il fallut d’abord savoir poser les lances (…) c’est ainsi que le clan, la tribu, les peuples ont su – et c’est ainsi que demain dans notre monde dit civilisé les classes, les nations et aussi les individus doivent savoir – s’opposer sans se massacrer et se donner sans se sacrifier les uns aux autres (…) Les Chroniques d’Arthur (Marcel Mauss renvoie bien sûr aux Chevaliers de la Table Ronde) racontent comment le roi Arthur, avec l’aide d’un charpentier de Cornouailles, inventa cette merveille de sa cour : la « Table Ronde » miraculeuse autour de laquelle les chevaliers ne se battirent plus ». « Il est inutile d’aller chercher bien loin quel est le bien et le bonheur, il est là » dit Marcel Mauss, « dans la paix imposée, dans le travail bien rythmé en commun et solitaire alternativement, dans la richesse amassée puis redistribuée, dans le respect mutuel et la générosité réciproque que l’éducation enseigne. ».

[18] Cf. à ce sujet café philo « Pourquoi la violence ? Peut-on s’en débarrasser ? », sur le blog cafephilosophia.fr

[19] Edgar Morin, in « Une Politique de civilisation ».

[20]« Les maladies chroniques de la démocratie », Frédéric Worm

[21] A la différence par exemple de celle de Marcel Gauchet qui relève de la philosophie politique et de l’histoire

[22] Article d’Alexandre Lacroix dans Philo Mag n° 46 de février 2011 « Le peuple a-t-il perdu le pouvoir ? »

[23]Nous y reviendrons quand nous évoquerons avec Frédéric Worms la question de la confiance en démocratie.

[24] L’expression est de Frédéric Worms, à la conférence de Béziers de septembre 2017, sur « les maladies chroniques de la démocratie ».

[25] « Le peuple a-t-il perdu le pouvoir ? », Alexandre Lacroix, Philo Mag février 2011

[26]Cf. par exemple le succès d’Etienne Chouard sur Internet. Il a fait de nombreuses apparitions dans les meeting des « gilets jaunes », où il semble présenter ses idées comme tenant lieu de « théorie » du mouvement : son discours procède d’une dénonciation radicale d’une Représentation politique qui n’est que l’instrument d’une domination oligarchique et des intérêts du Capital. Il préconise donc un retour aux pratiques de la Cité athénienne : il faut supprimer l’élection au profit du tirage au sort.

[27]Lire à ce sujet « Il faut s’adapter. Sur un nouvel impératif politique », Barbara Stiegler.

[28] Cf. à ce sujet la thèse de Harmut Rosa sur la « stabilisation dynamique » et la logique d’accroissement sans limites.

[29] Lire à ce sujet « L’identité malheureuse » de Alain Finkielkraut

[30] Lire « Pouvons-nous vivre ensemble ? », Alain Touraine

[31] « Les maladies chroniques de la démocratie »

[32] Lire à ce sujet « Où est passé le bien commun » où l’on trouve notamment un état de la question concernant les travaux anthropologiques contemporains sur cette question

[33] Notion développée par John Rawls dans « Théorie de la Justice »

[34] Depuis quelque temps, le rapprochement entre notre période contemporaine et les années 1930 qui ont vu l’avènement du nazisme, est fréquent…

[35] Rompre le silence. Chercher la paix, Dossiers et documents de la Revue Quart Monde n° 20, Éditions Quart Monde 2012. https://www.atd-quartmonde.org/La-misere-est-violenceRompre-le.html

[36] « Liberté des Anciens et liberté des Modernes »

[37]« Accélération. Une critique sociale du temps » et son dernier livre « Résonance »

[38] « Courir de plus en plus vite afin de tenir notre place dans le monde », Harmut Rosa, « Résonance »

[39] Le premier avec sa théorie sur les mécanismes de l’accumulation du capital, le second avec les nouveaux impératifs d’optimisation, de rationalisation et de gains d’efficacité continus propres à l’homme moderne….

[40] Peut-être pourrions-nous parler de schizophrénie ?

[41] Nous n’avons pas abordé ici le concept central de « résonance », qui est le sujet essentiel du dernier ouvrage d’Harmut Rosa. Il sera analysé dans le texte suivant (« L’accélération de nos vies. Comment faire ? »)

[42]Cela ne concerne pas seulement notre relation politique au monde, mais aussi nos relations quotidiennes : combien de fois les activités jugés très importantes par les sujets – passer du temps entre amis, jouer au foot, faire de la musique, avoir une activité bénévole… - passent-elles à la trappe ? Nous pouvons certes penser qu’il s’agit en réalité d’un conflit entre nos jugements de valeurs et nos désirs véritables (ce qui peut être vrai aussi), mais l’explication de Harmut Rosa est plus intéressante : nous ne sommes simplement pas en résonance avec nos évaluations fortes (qui peuvent être souvent chronophages), happés par l’accélération et la consommation. Combien de fois avons-nous dit que nous allions mettre la pédale douce ou prendre du temps pour telle ou telle chose, et que nous avons été rattrapés par la réalité des faits ?

[43] « Les pathologies de la démocratie », conférence Université de Nantes, octobre 2011. Pierre Rosanvallon est un historien et intellectuel français. Il occupe depuis 2001 la chaire d'histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France tout en demeurant directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

[44] Révolutionnaire socialiste français du XIXème siècle

[45]Auguste Chirac est le grand penseur d’extrême droite du populisme en France.Journaliste, écrivain et auteur dramatique français, socialiste proudhonien et antisémite. Fin XIX, début XX

[46]Voir par exemple ce qu’en dit Etienne Chouard (sur Internet)

[47]Il faut d’ailleurs nuancer, vu le nombre d’élections auxquelles nous participons…

[48] Il ne s’est agi au mieux que d’une explication de texte sur la vision et les projets du Président de la République. Il est d’ailleurs prévu d’en faire autant pour expliquer la réforme des Retraites, même s’il s’agirait davantage de prendre le « pouls » descitoyens.

[49]Pierre Rosanvallon

[50]« Liberté des Anciens, liberté des Modernes », discours prononcé à l'Athénée royal de Paris, 1818

[51]« Qu’est-ce que la politique » ?, Hannah Arendt. Cf. à ce sujet mon texte sur le blog, « A quoi sert la politique ? » : Le syndrome du Père de famille désigne cette possible désertion du champ politique  au profit de préoccupations intégralement familiales et privées.Les vertus familiales sont certes forts appréciables dans la sphère privée, mais dévastatrices si elles occupent le spectre tout entier de l’existence

[52]« Le public et ses problèmes », John Dewey

[53] Marcel Gauchet

[54] Cf. plus haut

[55]Séminaire Marcel Gauchet, « Crise de la démocratie et radicalisation de la Modernité », 2016/2017

[56] Lire à ce sujet « Les deux sources de la religion et de la morale », Bergson, qui traite du clos et de l’ouvert.

[57] Concept repris par Pierre Rosanvallon, « La société des égaux ». La communalité est composée de participation, d’intercompréhension, et de circulation.

[58] L’OBS n°2861 du 5 au 11 septembre 2019

[59] L’expression est de Marcuse (« Eros et civilisation »)

[60] Celui-ci était retenue dans le premier livre de Piketty et non dans le second, comme d’ailleurs(je crois) l’idée du revenu universel garanti…