La philosophie pour tous - Septembre 2004 

Maison du Malpas Colombiers

 

 

LA « PHILOSOPHIE POUR TOUS » A LA MAISON DU MALPAS ( COLOMBIERS )

( septembre 2004)

 

Cette année encore, le Café Philo Sophia va ouvrir ses portes à la Maison du Malpas. La sortie de la philosophie hors des murs du lycée et de l’université est maintenant un véritable phénomène de société : cafés-philo, ateliers philo pour les enfants qui se développent notamment à l’école primaire, multiplication des publications d’ouvrages philosophiques à l’adresse d’un public non initié, et création de la première Université Populaire de Philosophie à Caen par le philosophe Michel Onfray. Midi Libre a demandé à Daniel Mercier, animateur du café-philo et président de l’association Philo Sophia, de s’exprimer sur l’organisation de ces discussions philosophiques qu’il anime régulièrement depuis maintenant plus de 6 ans.

 

ML : Le café-philo va donc aborder une nouvelle saison à partir du 11 septembre ; quel bilan faites-vous de l’année écoulée ?

Un cap a été franchi cette année en terme d’affluence : c’est chaque mois entre 50 et 6O personnes qui participent au « café » ; La conférence que nous avons organisée en janvier sur le thème «  laïcité et pluralité culturelle » et qui a réuni beaucoup de monde a contribué à nous faire connaître davantage. Il s’agit d’un public assez divers d’un point de vue social ou professionnel ; nous regrettons malgré tout que les jeunes ne soient pas suffisamment représentés. Les participants se renouvellent beaucoup et nous avons chaque fois des « nouveaux » ; cela nous convient tout à fait car c’est le signe que ce lieu demeure très ouvert. Il nous faut maintenant veiller à ne pas dépasser ce  nombre : au delà, la discussion deviendrait difficile. Je voudrai souligner aussi le soutien sans faille de notre Communauté de Communes  et en particulier l’excellent accueil qui nous est réservé à La Maison du Malpas. Sans doute parce qu’ils considèrent que cette activité va dans le sens du développement culturel et contribue, entre autres choses, à faire vivre des espaces d’échanges et de rencontres, de plus en plus indispensables selon nous dans la société d’aujourd’hui.

 

ML : Pouvez-vous rappeler brièvement la manière dont fonctionne votre café-philo ?

Le deuxième samedi du mois à 18h, nous proposons donc un espace public de discussion à visée philosophique où chacun peut venir, pendant deux heures environ, exercer sa réflexion et la confronter à celles des autres sur des thèmes collectivement choisis. Une animation particulière, qu’on pourrait caractériser comme un « accompagnement » philosophique des propos tenus, et des règles de fonctionnement précises garantissent un droit égal à la parole et la nature philosophique de cette réflexion, ceci dans un climat de confiance et de respect mutuel. La convivialité est également privilégiée : pendant la pause, les personnes se rencontrent autour d’un verre de vin du « terroir » offert par la Maison du Malpas et peuvent continuer leurs échanges de manière informelle. Il va sans dire qu’aucune connaissance de la philosophie n’est nécessaire pour participer ; tous ceux qui sont simplement désireux de partager leurs interrogations sur l’existence et le monde qui les entoure sont les bienvenus.

 

ML : Quelles sont, selon vous, les motivations des participants ? Pourquoi viennent-ils ? Qu’est-ce qui explique ce succès ?

C’est un lieu de rencontres où l’on vient parler et écouter autrement qu’à l’habitude : il y a peu de « joutes oratoires », une volonté commune de mieux comprendre plutôt que de convaincre à tout prix, le sentiment d’avoir sa place et d’être entendu si je le souhaite, une distance par rapport aux réactions « viscérales » qui permet de trouver une certaine sérénité dans l’échange.

 Ensuite, je crois que c’est un moment stimulant pour la pensée de chacun ! Au lieu de recevoir des pensées « prêt-à-porter », pré-digérées, chacun est sollicité à réfléchir par lui-même et à mettre ses idées à l’épreuve de celles des autres. La mise en valeur et la reconnaissance de ce droit et de cette compétence à exercer sa pensée est, selon moi, un puissant facteur de motivation.

 Beaucoup de personnes viennent aussi pour s’enrichir et même apprendre, s’alimenter de tout ce qui se dit. Le café-philo est un lieu de partage où du « savoir » circule, un peu dans la tradition des Universités Populaires qui revendique l’idée d’un élitisme ouvert à tous, comme le disait récemment Michel Onfray, ce philosophe qui a démissionné de l’Education Nationale pour ouvrir la première Université Populaire de Philosophie à Caen. Et bien sûr il y a aussi le regain de la philosophie qui marque cette dernière décennie : nous vivons une époque où s’affaissent les grands dogmes, les grandes visions plus ou moins messianiques, une époque habitée par de grandes incertitudes sur l’avenir ; nous savons aujourd’hui que rien n’est « écrit » nulle part et que notre responsabilité personnelle et collective et par conséquent très grande. Nous savons aussi désormais que ni la science, ni la domination technique, ni la mondialisation du marché, ne constituent des réponses satisfaisantes à notre quête du bonheur pourtant de plus en plus affirmée. C’est dans ce vide que vient se revitaliser la philosophie.

Enfin nous ne pouvons pas parler des motivations sans parler du plaisir de la rencontre ! Face à la prolifération des biens matériels, ce bien « relationnel » qu’est la rencontre est un élément de motivation essentiel…Le « vivre ensemble » aujourd’hui passe par la constitution volontaire de tels réseaux coopératifs, en dehors des réseaux marchands, aussi bien d’ailleurs dans le cadre du temps libre que dans celui du temps de travail ; Jacques Attali en parle très bien dans son dernier livre « La voie humaine ».

 

ML : Quelle est la spécificité d’un café philosophique ? Ne pourrait-on pas, plus simplement, parler d’un «café-débat » ?

En tant qu’animateur, je fais ce que je pense savoir faire (ma formation initiale est philosophique) et surtout ce qui m’intéresse ! Ceci dit, je suis bien sûr très favorable au développement d’autres formes comme le « café-citoyen », le « café pédagogique » ou encore le « café-psy », à condition de préciser à chaque fois ce que l’on fait exactement. A mon sens, la spécificité d’un café-philo tient à plusieurs choses : d’abord ce n’est pas une discussion ordinaire où le but premier serait de persuader ; ici, la rhétorique est au service de la recherche d’une vérité, d’ailleurs jamais conquise définitivement. Ensuite on va devoir dire non seulement « je pense que », mais aussi et surtout « à partir de quoi je pense que », « qu’est-ce qui légitime ce que je dis ? ».Troisièmement, il n’y a pas de discussion philosophique qui ne parte pas d’un étonnement ou d’un questionnement premier ; en particulier d’une réflexion sur soi, sur son expérience, c’est à dire sur ce qu’on est entrain de dire ou faire. Si ça n’est pas le cas, il est vain de prétendre à une quelconque démarche philosophique. Enfin la spécificité peut-être la plus importante de la réflexion philosophique est la suivante : elle vise la totalité du réel, les problèmes humains dans leur globalité, et non un champ particulier du savoir. Une des raisons du succès de la philosophie aujourd’hui est qu’elle s’oppose à l’hyperspécialisation et aux cloisonnements disciplinaires fréquents dans les sciences actuellement. Cette ambition d’appréhender la réalité dans sa globalité est constitutive de la philosophie. Ces quatre caractéristiques fondamentales d’une discussion philosophique peuvent aider à mieux cerner le sens de notre activité. Je pense d’ailleurs que les participants habitués à cette orientation seraient très déçus si nous changions de cap !

 

Connaissez-vous déjà les sujets qui seront abordés durant cette nouvelle année ? Comment ceux-ci sont-ils choisis ?

Nous recueillons toutes les propositions de sujets à partir du mois de mai. Cette année, la récolte a été abondante et nous avons été obligés de faire un tri important ; neuf sujets ont été retenus. D’autre part, comme chaque année, une conférence sera organisée en février à Colombiers. L’intervenant sera probablement l’anthropologue et philosophe Bruno Etienne mais le thème n’est pas encore arrêté. Le premier café-philo du 11septembre aura pour sujet : « le naturel est-il préférable à l’artificiel ? ».

 

MD : Pouvez-vous nous donner un avant-gôut de ce dont il sera question ?  

 

Le naturel se rattache bien sûr à l’idée de nature, qui est un référentiel incontournable de la plupart des philosophes ; elle désigne à la fois les propriétés essentielles de l’ensemble des êtres (leur « essence » ou leur « nature »), le principe  qui organise l’ensemble de ce qui existe selon un certain ordre (les « lois de la nature »), et enfin ce qui se fait sans intervention de l’homme. A l’opposé, se trouve son double symétrique, l’artificiel, qui est au contraire le résultat d’une action humaine et relève plutôt du domaine de la contingence et du hasard que de celui de la nécessité. Cette notion de l’artificiel est souvent connotée négativement dans l’imaginaire humain comme factice, inauthentique. C’est en ce sens que l’on peut entendre aujourd’hui la multiplication des appels au retour du naturel : la médecine, l’alimentation, la cosmétologie, l’architecture même doivent être « naturels »…Cette « mode » doit bien sûr aussi être mise en perspective avec le caractère agressif et parfois destructeur de certaines interventions humaines : armes bactériologiques ou chimiques, « vache folle », pesticides, trou dans l’ozone ou autres pollutions…Qu’est-ce que signifie, ou cache, ce désir de Nature ? N’y a-t-il pas dans notre imaginaire une référence secrète à une sorte d’Age d’Or qui consacre l’harmonie originelle de l’homme avec l’univers, de sa nature avec la Nature ? Qu’en est-il de la réalité ? Ne sommes nous pas en présence d’un mécanisme de divinisation de la Nature ? Ne peut-on pas au contraire réhabiliter « l’artificialisme » contre le « naturalisme » ? Enfin dernière question, mais qui pourrait précéder toutes les autres, la nature, ou du moins l’idée que nous nous en faisons, existe-elle ? Peut-on penser, avec un philosophe comme Clément Rosset, que l’idée de nature est conceptuellement vide et insaisissable mais traduit à l’inverse un grand désir d’ordre, de nécessité et de justification du réel, et donc en fin de compte un refus du caractère irrémédiablement factice et hasardeux de l’existence ?

J’espère que ces quelques éléments de réflexion peuvent mettre en appétit et donner envie de venir poursuivre la discussion !