l'éthique peut-elle commander le droit ?

CAFE PHILO SAMEDI 14 MARS 2015 – SORTIE OUEST (Eglise Saint Felix)

 

 

Présentation du sujet

 

 

L’éthique peut-elle commander le droit ?

Nous vivons aujourd’hui dans une société où le droit a une place de choix : l’Etat de droit a fait la preuve empirique de son universalisme, malgré la résistance du fondamentalisme religieux, principalement islamique ; le droit est sans cesse invoqué, y compris pour critiquer la loi et la puissance publique, toujours soupçonnées de ne plus être l’expression de la volonté générale ; le pouvoir des juges est sans cesse sur le devant de la scène médiatique et politique ; enfin, l’extension des droits individuels est continue (cf. récemment le « mariage pour tous ») ; la loi semble de plus en plus vouloir encadrer ou réprimer les comportements jugés problématiques ou franchement « mauvais » : tabagisme, alcoolisme, harcèlement moral ou sexuel, prostitution...etc., et accompagner juridiquement les conséquences des bouleversements biotechnologiques (clonage, prélèvement d’embryons, manipulations génétiques...). Bref, pour beaucoup, ce « retour du droit » est au service d’une éthique démocratique, et semble plaider pour une réponse de fait positive à la question posée... Pourtant, longtemps les juristes ont refusé cette « allégeance » du droit à l’éthique, et prétendu que le domaine juridique était indépendant et ne devait chercher sa justification qu’à l’intérieur de lui-même... Comment rendre compte alors de la situation décrite ? Comment comprendre réellement les rapports entre éthique et droit ?  Doit-on penser qu’il y a deux sortes de droit, le « fonctionnel » et le « fondationnel », et qu’aujourd’hui ils ne font plus qu’un ?  

 

Ecrit philo

« L’éthique peut-elle commander le droit ? »

 

Quelques ouvrages utiles pour réfléchir...

 

- Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale (sous la direction de Monique Canto-Sperber), article sur le Droit, article sur « les droits »

- Cours de Marcel Gauchet à l’EHESS sur la radicalisation de la modernité et la crise de la démocratie (qui se déroule en ce moment)

- « Notions de Philosophie III », Justice et Egalité, Alain Boyer

- « Théorie de la Justice », John Rawls

- « La théorie pure du droit », H. Kelsen, 1934

- « Qu’est ce que le droit ?», PUF Que sais-je ?

 

► Présentation

 

► Autre remarques et questions...

 

► Le retour du droit ?

 

► La question des sources du droit

 

► Le positivisme juridique

 

► Un monde de normes qui pose nécessairement la question de la légitimité de celles-ci...

 

► Le moment juridico-politique de la modernité : la révolution du droit naturel moderne

 

  • Un nouveau principe de légitimité
  • Le passage du droit divin au droit moderne
  • Un « jus-naturalisme » qui a besoin de se renouveler. L’embarrassante question du « droit naturel »
  • Le néo-contractualisme de John Rawls et l’éthique communicationnelle de Habermas
  • Le juste ou le bien ?

 

► La pensée moderne a cependant besoin du droit positif pour l’actualisation de l’éthique 

 

► Le retour du droit : l’histoire de la modernité comme réduction de l’écart entre le droit fonctionnel et le droit fondationnel. La période contemporaine comme  « second moment des droits de l’homme » ? Marcel Gauchet

Présentation

La question de savoir si l’éthique « peut » commander le droit en appelle aussitôt une autre qui lui est associée : « doit »-elle commander le droit ? Autrement dit, il y a une question de fait (commande-t-il ? Peut-il commander ?) et une question de droit (au sens de devoir être)

Cette question peut par ailleurs signifier deux choses différentes mais complémentaires :

 

  1. Le droit est-il un domaine indépendant ayant en lui-même sa propre justification, ou bien prend-il sa source et son sens dans l’éthique ? Question principielle dont la question suivante est une conséquence particulière :
  2. L’éthique peut-elle (et doit-elle), dans certaines circonstances, prévaloir sur le droit si celui-ci ne répond pas à des exigences éthiques suffisantes ? Des comportements de désobéissance civique peuvent-ils dans ces cas être légitimes ?

 

Cette question pose évidemment la question difficile de la nature de l’un et de l’autre et des rapports qu’entretiennent l’un et l’autre, et en particulier celle du « statut » philosophique du droit. Nous sommes donc dans le domaine de la philosophie du droit. 

 

Sur la distinction de la morale et de l’éthique, cf. texte précédent sur « Existe-t-il des valeurs morales universelles ? » qui présente l’analyse de Ricoeur sur le sujet. Nous noterons simplement l’origine commune de l’une et de l’autre[1]. Nous n’introduirons pas ici de distinction tranchée entre les deux, et  nous retiendrons la définition de l’éthique retenue par Ricoeur : le terme d’éthique sera réservé pour la visée d’une vie accomplie sous le signe des actions estimées bonnes : « visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes ».

Pour sa part, le fait du droit est connu : c’est une technique de régulation des rapports sociaux qui fixe à l’aide d’un ensemble de normes les modalités de l’être ensemble dans un groupe humain donné.

 

Il faut commencer par délimiter les champs respectifs de chaque domaine en faisant ressortir les ressemblances et les différences. L’un comme l’autre sont « normatifs », c’est-à-dire qu’ils reposent sur des règles ou des lois. Ils sont prescriptifs au sens où ils définissent des obligations. Obligation morale qui se veut absolue, inconditionnelle, et qui relève d’une contrainte intérieure provenant de la conscience ; obligation juridique, relative à un système de lois reposant sur une Constitution, dont la contrainte provient d’une autorité extérieure, et qui peut-être d’ordre physique. A l’inverse, un acte accompli de force perd toute valeur morale. L’une et l’autre se préoccupent des rapports entre les hommes. La morale dans leur dimension individuelle. Le droit dans leur dimension « sociétaire » et collective. L’une s’adresse à chacun, l’autre à tous les autres. La première se veut une sphère indépendante de la politique, la seconde est au service de la politique et sa vocation est instrumentale, c’est-à-dire que le droit est un outil au service du bien public. En cela, il semble pouvoir rejoindre d’une certaine façon une perspective morale... Le droit et la morale disent le permis et le défendu, mais l’éthique nous dit ce qu’il faut faire ou ce qu’il serait préférable de faire (et non le droit). Enfin notons la distinction philosophique classique de Kant entre ce qui relève de la moralité et ce qui relève de la légalité : rester dans la légalité ne signifie pas nécessairement avoir un comportement moral : si je ne vole pas au Supermarché par peur de me faire prendre, mon comportement est conforme à la loi mais n’est pas spécialement moral. 

 

Un autre point commun entre la morale et le droit : l’existence de conflits de normes ou d’interprétation de ces normes en fonction des situations rencontrées. Dans le champ juridique, il y a un ensemble de règles explicites et de sanctions, et des litiges sur l’interprétation de ces règles dans une situation déterminée, qui nécessite une institution judiciaire comme arbitrage impartial de ces litiges de façon à choisir la réponse la plus équilibrée et la plus « juste » (notons encore l’utilisation d’une notion morale). Dans le cas de conflit de valeurs morales, il appartient à ce que Ricoeur appelle « la sagesse pratique » de prendre la meilleure décision en tenant compte « des circonstances et des conséquences ». Mais nous devons évoquer aussi la possibilité de conflit entre la loi positive et la loi au sens éthique ou divin.

La tragédie antique Antigone illustre de façon exemplaire ce conflit des devoirs, et cette antinomie interne au droit qui va être pour longtemps une caractéristique de l’existence juridique de l’homme : Antigone transgresse la loi de la Cité et l’autorité de Créon en voulant enterrer son frère au nom d’une loi qu’elle considère supérieure, le droit naturel de l’homme à la sépulture, d’origine divine. Au-delà de l’image du tyran abusant de son pouvoir, c’est la scission de la loi entre deux sources s’opposant irréductiblement qui est mise en scène.  La tragédie d’Antigone peut à ce titre résumer à elle-seule notre sujet...

 

Autre remarques et questions...

  • On aperçoit déjà que le droit ne peut être totalement indifférent ou imperméable aux préférences éthiques. Les lois ne sont pas indépendantes des mœurs et reflètent sans doute des préférences morales et politiques : interdiction ou autorisation de l’avortement, de la chasse, de la corrida...etc. Elles sont dépendantes et donc relatives aux différents espaces culturels dans lesquelles elles se manifestent.
  • Doit-on considérer par exemple l’acte de payer ses impôts comme un acte éthique ? Et peut-il y avoir à certaines occasions contradiction entre prescriptions juridiques et prescriptions éthiques ? Ces questions sont importantes car nous savons certes intuitivement quand nous avons affaire au droit : ce qui distingue l’injonction par le percepteur de payer mes impôts d’une injonction quelconque (par ex, celle du voleur qui me demande mon argent !), c’est bien sûr son caractère obligatoire : « je dois ». Mais d’où vient cette obligation ? Pourquoi les règles du droit sont obligatoires ? Parce qu’elles sont justes ? Bonnes ? Parce qu’elles émanent du pouvoir politique ? Parce qu’elles sont assorties de sanctions en cas d’infraction ? A quelles conditions dois-je considérer comme légitime cette obligation ? Peut-il être légitime de ne pas payer ses impôts[2] ? C’est la nature du droit qui est ici en question, et donc aussi ses rapports avec le niveau de l’éthique.

Cette question de la nature ou de la définition du droit a des conséquences pratiques immédiates : l’Allemagne nazie faisant de la critique du régime un acte criminel, et de la délation une obligation ; cette femme qui a obéit à la loi nazie en dénonçant son mari, et qui est jugé après la guerre pour cet acte, doit-elle être condamnée ? Suivant la conception que l’on a du droit, la réponse sera différente...

Si je l’acquitte car elle s’est conformé au droit en vigueur, quelque soit par ailleurs le jugement moral que l’on peut porter sur ses motivations (haine par exemple) : je défends l’indépendance du droit par rapport à l’éthique

Si je pense que cette loi nazie si contraire à l’éthique n’en est pas une, et que nous avons non seulement le droit mais aussi le devoir de lui désobéir, je condamnerais la dénonciatrice. Nous verrons plus loin que la question est plus complexe...

 

  • L’Etat, le droit et l’Etat de droit. La question des rapports entre l’Etat et le droit est difficile : est-il la source du droit, ou sa souveraineté dépend-elle du droit, extérieur et supérieur à lui (ce qui la relativise, pour le moins) ? L’Etat de droit répond en quelque sorte à cette question en se posant lui-même comme créé par le droit ou limité par lui. Ce qui introduit la référence à une instance de droit extérieure au droit positif qu’il édicte...Nous reviendrons sur cette distinction.

Nous terminerons cette présentation par une observation en forme de constat :

 

Le retour du droit ?

Le modèle institutionnel de l’Etat de droit semble avoir fait la preuve empirique de son universalisme : il semble aujourd’hui être une référence, malgré la résistance d’un fondamentalisme religieux, principalement islamique.

Mais cela ne se traduit pas par plus de confiance dans la loi et dans la puissance publique, au contraire... La loi est toujours soupçonnée de ne plus être l’expression de la volonté générale, mais celle d’une volonté partisane, d’une majorité politique passagère... Mais cette tendance est sans doute inhérente à cette situation de primauté du droit. Celui-ci est de plus en plus considéré comme extérieur et supérieur à l’Etat, d’où un contrôle juridictionnel, depuis la seconde guerre, de la « constitutionnalité » des lois plus ou moins inspiré du modèle américain. Référence à des principes « à valeur constitutionnelle » le plus souvent non écrits... Le retour du droit s’apparente donc à une « crise de la loi » qui favorise « un gouvernement des juges ». Pour beaucoup ce retour du droit au service d’une « éthique démocratique » s’apparente à un retour d’un « droit naturel », malgré le caractère aujourd’hui un peu désuet de cette notion.

Dans beaucoup de domaines, la loi s’avère de plus en plus pénétrée d’éthique, s’appuyant parfois sur des comités d’éthique, pour accompagner les bouleversements biotechnologiques, intervenant directement dans la régulation de certains comportements individuels jugés problématiques ou « mauvais » (comme le tabagisme, le harcèlement sexuel, la prostitution, le commerce des organes, l’alcoolisme...etc.), mais aussi étendant les droits individuels (mariage pour tous, nouvelle loi en préparation sur l’assistance de fin de vie...) Mais là encore, sans que les décisions de l’Etat ne suscitent à chaque fois une contestation de leur « bien-fondé » dans l’opinion publique... Devant ce retour du droit (quelle est la nature de ce droit ?), dont les rapports avec l’éthique semblent aujourd’hui avérés, ne faut-il pas mieux clarifier la distinction du juridique et de l’éthique, et surtout se poser la question philosophique de leurs rapports, tant il semble impossible de définir l’un indépendamment de son rapport à l’autre. Dans cette analyse, nous rencontrerons nécessairement  les droits de l’homme, référence incontournable de notre modernité, et de la « radicalisation » de celle-ci, qui marque selon Marcel Gauchet la période contemporaine.

 

La question des sources du droit

Depuis le début de notre réflexion, cette question est latente : car l’obligation juridique se distingue bien d’une obligation morale absolue ; payer ses impôts renvoie certes à une obligation relative à une norme supérieure qui est celle de la loi de finance mais il ne s’agit pas d’une obligation morale. On peut imaginer en effet un système moral contenant une norme prescrivant de ne pas payer l’impôt s’il sert à des actions injustes... Il peut arriver que des prescriptions éthiques soient en contradiction avec des prescriptions juridiques. Une norme, quel qu’elle soit –normes morales, religieuses, juridiques – ne se définit pas par son contenu ou le type de sanction prescrite en cas de désobéissance, mais par sa conformité à un système de normes ou système normatif. Ainsi une norme concrète renvoie à une Loi, qui elle-même renvoie à une Constitution. Mais au-delà, ne doit-on  pas présupposer une « norme fondamentale » qui fonde une validité des normes particulières ? N’existe-t-il pas aujourd’hui une référence éthique commune servant d’idéal régulateur à tout système de droit ? C’est en effet une réponse possible (nous y reviendrons), mais elle n’est pas la seule : d’autres thèses mettent en valeur la dépendance du juridique par rapport à d’autres réalités dont il serait dépendant. Nous n’en retiendrons que trois ici, bien que la troisième (la thèse hégelienne) pose une relation forte entre droit et éthique.

  • L’analyse marxiste du droit comme superstructure, et donc reflet plus ou moins maquillé des rapports sociaux et de production. Le droit est alors l’expression d’une domination de classe à travers l’exploitation de la force de travail par le capital. Marx dénoncera avec d’autres non seulement le caractère abstrait et formel du droit, mais aussi sa fonction de « masquage » des rapports sociaux. En posant les individus comme formellement égaux, il s’agit de cacher les inégalités réelles. Voile la réalité matérielle d’une société organisée par la domination de la classe bourgeoise. Nous avons affaire à des systèmes de normes juridiques contingents, historiquement et socialement situés, c’est-à-dire inséparables de ce type de société et de ce pouvoir représentatif propres aux démocraties bourgeoises, qui devront disparaître pour laisser place à des systèmes de normes entièrement nouveaux avec la Révolution. Il est important de comprendre, à ce moment de la deuxième moitié du XIX siècle, « la profondeur de la disqualification du droit par l’histoire (Marx n’est pas le seul) pour apprécier la réhabilitation du droit dont nous sommes témoins aujourd’hui »[3] (nous y reviendrons). A travers cette question, c’est aussi celle de l’existence ou non de la dimension universalisable des droits de l’homme qui est aussi posée.
  • L’ancrage du droit dans les us et coutumes d’un peuple : nous avons observé que l’on ne pouvait pas considérer le droit comme totalement indépendant des mœurs d’une société. « L’école historique du droit », en Allemagne, en réaction aux idéaux universalistes de la Révolution française qui pense les droits comme un devoir-être posé par une volonté souveraine, affirme sa volonté de l’ancrer dans la facticité des mœurs d’une communauté qui préexiste à l’individu, et participe de « l’esprit du peuple ». Le droit est fondamentalement coutumier. Une conception du droit qui conduit comme la précédente à une forme d’historicisme et de relativisme.
  • Le droit étatique comme objectivation dans le réel des normes subjectives de la moralité (Hegel, « La philosophie du droit »). Cette objectivation de la morale subjective, en elle-même inefficace et dont l’exercice se nourrit même de son inefficacité (pas de charité sans pauvreté...), Hegel l’appelle « l’éthicité ». Le droit en disant la loi et en énonçant des prescriptions valables pour tous, réalise en quelque sorte la morale et permet un déploiement du rationnel dans le réel, condition d’une véritable vie éthique. La liberté elle-même qui définit l’humanité « n’est effective que lorsque la loi positive rend son exercice possible en le limitant ». Cette position hégelienne et profondément moderne, et s’inscrit dans le prolongement, malgré la critique qu’il lui adresse, de l’aménagement du rapport entre juridique et éthique opéré par le contractualisme des Lumières, sur lequel nous reviendrons.

 

Dans ces trois orientations, une constante : le droit ne possède aucune consistance ontologique en tant que tel, pour n’être qu’une simple expression (trompeuse pour le marxisme) d’un processus historique dont l’élément central est tantôt les conditions matérielles d’existence, tantôt les us et coutumes, tantôt encore  la réalisation de la conscience de soi dans l’histoire réelle. C’est contre cette tendance que les juristes vont réagir : le positivisme juridique a pour vocation d’établir une science du droit qui restaure son entière autonomie par rapport à toute autre instance.

 

Le positivisme juridique

Les positivistes soutiennent l’indépendance du droit par rapport à la morale. Non pas qu’il ne soit pas influencé par les préférences morales de ses auteurs, mais le concept de droit ne peut être défini par référence à la morale, mais seulement par l’autorité de celui qui l’énonce ou par son efficacité. La conformité à la morale ou à l’éthique n’est pas un critère pour définir ce qui est du droit. En retour, la qualification de droit n’est pas un jugement moral et n’implique pas que les règles en question soient justes. Le positivisme en vient logiquement à prescrire l’obéissance au droit à partir du moment où il est posé, donc la soumission au pouvoir tel qu’il est. H.  Kelsen, considéré comme le plus grand juriste du XX siècle (il a écrit « La Théorie pure du droit »,1934) refuse de définir le juridique en fonction des exigences éthiques, et propose une définition exclusivement descriptive (et non prescriptive) : le juridique se définit subjectivement comme la marque d’une intention de commandement adressée par un gouvernant à un gouverné, et objectivement comme ce qui est conforme aux normes juridiques en vigueur, et pose les conditions de compétences pour pouvoir gouverner juridiquement de façon non illégale, ce qui suppose l’existence d’une norme positive fondamentale selon laquelle, l’ordre constitutionnel peut se déclarer juridique (et non équivalent à n’importe quel ordre mafieux). Dans ce cadre, le gouverné ne peut disposer d’aucune norme méta-positive pour éventuellement contester et se délier de son obligation d’obéir

Une telle optique risque de conduire à réduire  la puissance étatique à la dimension de la contrainte, en négligeant la question du caractère juste ou injuste de l’ordre juridique, et de surestimer le droit de l’Etat par rapport aux seuls droits subjectifs de l’individu.  La supériorité du légal s’impose ici sur le juste. On est ainsi amenés à voir « objectivement » du droit dans tout ordre de contrainte étatique, qu’il soit démocratique-libéral, stalinien ou nazi. Toute considération morale doit ainsi être exclue de la théorie du droit. Ce qui conduit par exemple à ne voir dans la Résistance qu’un seul acte de terrorisme, selon la qualification « juridique » que le gouvernement de Vichy retenait contre elle. La question de savoir si l’on sort du droit ou non quand on désobéit à une loi que l’on considère injuste, n’a peut-être pas d’incidences pratiques ; les positivistes diraient en effet que l’on a des raisons légitimes de sortir du droit au nom d’une norme éthique supérieure ; et qu’une telle position a le mérite de préserver la spécificité de l’instance juridique par rapport à toute autre instance. Mais alors  cela donne la possibilité au citoyen de s’extraire (en fait si ce n’est en droit) du droit (en désobéissant) à chaque fois qu’il l’estime contraire à la morale. L’efficacité du droit, condition de sa validité, va donc dépendre des différentes conceptions de la justice des administrés... Or... « mieux vaudrait ancrer le droit positif dans une sphère normative moins relative qui ne laisserait pas à chaque citoyen le loisir de s’en extraire selon son bon plaisir, tout en lui garantissant une justice qui serait objectivement attestée... et non pas tautologiquement prétendue par l’auteur même du droit positif qu’est l’Etat » (Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale). Le relativisme du point de vue positiviste peut naturellement nous amener à penser que le moment moderne des droits de l’homme doit se mesurer à l’aune d’une histoire et d’une culture par définition particulières, et qu’ils ne sont qu’une conception parmi d’autres des droits. C’est une dérive que l’on peut qualifier d’historiciste du droit positif.

Une version démocratique du positivisme peut être en accord avec l’idée que le droit se fonde avant tout sur l’autorité qui l’édicte.  Si en effet celle-ci est légitimée par le principe démocratique de l’élection par le peuple de ses représentants, l’ordre juridique trouve sa source dans la souveraineté du peuple, et nous serions alors en droit de dire que « le peuple à tous les droits »..., affirmant du même coup qu’il ne saurait y avoir de limites à la démocratie : qui donc que le peuple peut décider de ce qui est légal ou illégal ? « Limiter la démocratie, c’est la détruire » (JJ. Rousseau). Nous savons les dangers d’une telle affirmation : un gouvernement élu démocratiquement a-t-il le droit d’opprimer une minorité, de voter des lois anti-juives ou d’ouvrir des camps de concentration ?  Comment sortir alors de cette difficulté ? Il me semble qu’André Comte Sponville tente de le faire en restant dans le cadre du positivisme juridique : il propose à la suite de Pascal l’hypothèse de la distinction des ordres. Ordre technico-scientifique, ordre juridico-politique, ordre moral, ordre spirituel et/ou religieux. Le principe de cette distinction est l’indépendance rigoureuse de chacun des ordres, obéissant respectivement à des logiques qui leur sont propres[4]. Une conséquence de cette indépendance des ordres est que par exemple l’ordre juridico-politique ne peut modifier une exigence morale de l’ordre correspondant (autrement dit le droit n’a pas tout les droits, même lorsqu’il émane d’un pouvoir démocratique). Par ailleurs, la morale ou l’éthique s’ajoute à la loi, et créé plus de devoirs que la loi n’en impose. Ainsi c’est en se limitant l’un l’autre qu’une régulation opère sur l’ensemble en permettant d’éviter les excès.  L’ordre juridique, comme dans la conception positiviste, reste donc ancrée dans la seule contrainte étatique, d’où toute référence au juste et à l’injuste est proscrite. Cependant, lorsque Sponville cherche une définition du droit, il se réfère à Epicure, qui écrit : « Le droit, selon sa nature, est la règle de l’intérêt qu’il y a à ne pas se nuire mutuellement ». Nonobstant la modestie de cette conception attachée au droit, n’y-a-t-il pas ici une référence explicite à une norme éthique (ne pas porter dommage à autrui) ? Peut-on vraiment l’éviter ? Par ailleurs, le modèle apparemment simple de l’indépendance des ordres apparaît d’une complication insensée lorsqu’il s’agit d’entrer dans les détails de leurs régulations réciproques... Peut-on vraiment penser que seul existe le droit positif à l’exclusion de toute référence extérieure au droit ? N’y a-t-il pas un lien étroit entre l’élaboration du droit et des valeurs comme le bien ou le juste[5] ?

 

Un monde de normes qui pose nécessairement la question de la légitimité de celles-ci...

Il y a du droit comme de la  morale parce que le monde humain-social a pour propriété d’être un monde de normes. Un monde qui ne se contente pas d’être, mais qui est agencé par un devoir être. Il s’ordonne en fonction de normes qu’il se donne, d’intentionnalités objectivées. Il s’auto-définit par des choix, prescriptions et interdictions. « C’est par ce travail qu’il y a un soi comme rapport à soi placé sous la définition d’un devoir être » (Marcel Gauchet). Il n’y a pas de monde humain hors de la référence à des règles susceptibles de valoir pour tous. Le champ des normes est plus large que celui du droit et de la morale : il englobe ce troisième secteur déjà évoqué, qui leur est intermédiaire, celui des mœurs. Celui-ci concerne les règles et habitudes de comportements et les appréciations que nous portons sur elles. Il est intéressant de constater que la morale comme le droit entretiennent des relations étroites avec les mœurs. Ceux-ci relèvent de rapports interpersonnels qui n’appartiennent pas à la moralité, ni au droit mais relèvent « d’une objectivation d’un devoir être quant à ce que les membres d’une collectivité se doivent les uns les autres. »(Marcel Gauchet)

Le droit, en tant que système de normes, regarde les modalités de l’être ensemble. Il y a du droit parce que les communautés humaines ont à déterminer leur ordre par des règles et des normes. Mais nous ne pouvons pas occulter la question de la légitimité ou de la justification de ces règles... Et c’est là que commence la difficulté... Qui « commande » la nature de ces lois ?  Y-a-t-il quelque chose au dessus ? Nous savons que pendant longtemps c’est la religion qui apportait une légitimité surnaturelle... Et maintenant ? Cette notion de légitimité, dit Marcel Gauchet, n’est pas aimé des juristes : penser qu’il ya une source suprême du droit accessible à tous est « susceptible de jeter le trouble dans les opérations des professionnels du droit ». Et pourtant la question du fondement apparaît incontournable : un système normatif quel qu’il soit comporte deux nécessités : un système de lois empiriques qui règle notre vie en société et les rapports sociaux ; c’est pour le droit, ce qu’on appelle le droit positif. Mais aussi l’identification de ce qui est légitime ; c’est le droit fondationnel. Deux registres du droit qui ont chacun leur raison d’être. Le second est plus théorique ou philosophique et regarde les fondements d’un ordre juste. Les réponses ont été diverses : ordre du cosmos, de la raison divine, de la nature des choses... Le droit comme discipline s’intéresse essentiellement à la connaissance du légal ; mais celle-ci ne doit pas être confondue avec l’identification du légitime, qui concerne la philosophie du droit. Car un devoir être s’explique, se justifie. D’où viennent ces règles ? En vue de quoi sont-elles formées ? Derrière tout système de règles, ne doit-il pas y avoir la réponse à leur pourquoi ? Il n’y aura fondamentalement que deux types de réponse : où elles viennent d’au dessus de nous, ou elles viennent de nous. La légitimité religieuse a écrasé le fait du droit dans sa nature propre, en en faisant un dérivé (comme d’ailleurs à sa façon le marxisme). Le positivisme a souhaité installé le droit comme une science refusant  de se poser la question de la fondation. Il nous faut à présent assumer le fait du droit comme dimension constituante de l’être ensemble et nous poser la question de savoir sur quelle légitimité il peut reposer. Y a-t-il, au-delà de la diversité des systèmes de droit, des principes communs (comme les droits de l’homme) ? Est-il possible de postuler à l’existence d’un « noyau dur » ou d’un « invariant universel », en dehors de l’espace et du temps, du droit ? Une « essence » du droit indépendante de ses applications empiriques ? Et ce fondement est-il « moral » ? N’assistons -nous pas aujourd’hui à une universalisation progressive des droits de l’homme dans le monde, servant de base à l’élaboration de nouveaux systèmes de droit, plus conforme à l’idéal démocratique ? Il est nécessaire ici de revenir au moment fondateur de la modernité pour commencer de répondre à ces questions. Il y a un rejet contemporain de théories qui, se réclamant de la science du droit, autonomisent le juridique par rapport à l’éthique. Le projet des Modernes sera au contraire d’avoir un modèle normatif humaniste, articulé sur l’éthique des droits de l’homme, pouvant servir d’instance critique universelle donnant la possibilité au citoyen de pouvoir adhérer rationnellement ou désobéir légitimement à l’ordre de contrainte étatique. La pensée contemporaine chemine donc vers le retour plus ou moins avoué d’un jus-naturalisme moderne largement réinterprété, et rejette le positivisme juridique.

 

Le moment juridico-politique de la modernité : la révolution du droit naturel moderne

Un nouveau principe de légitimité

Nous devons à Marcel Gauchet l’analyse de ce qui se joue de fondamental dans l’avènement de la modernité, du point de vue qui nous intéresse ici : un nouveau principe de légitimité de l’être ensemble qui va finir par se concrétiser sous la forme des D de l’H. La seule source du droit devient l’individu et ses droits incompressibles. Ce principe est le nouveau principe de composition du collectif, dont la légitimité est désormais pensée sous les traits de l’immanence, à partir des droits premiers détenus par les individus sur la base de leur indépendance originelle. Le collectif cesse de dominer les composantes individuelles, ce sont celles-ci qui précédent le tout. Le collectif est supposé résulter de l’accord de ces composantes et de la mise en commun de leurs droits.  Cette fiction va finir par se concrétiser sous la forme des Droits de l’Homme.

 

Le passage du droit divin au droit moderne

Cette révolution du droit naturel moderne ne s’explique qu’en fonction de la révolution politique antérieure, et de la constitution de l’Etat moderne (1600) qui se fait contre les Eglises. L’Etat souverain de droit divin est investi par Dieu, sa légitimité religieuse est supérieure à celle des Eglises . Cette lutte des légitimités est le point de départ de la révolution du politique de l’Etat moderne. Si celui-ci se pose comme fondé à se subordonner les églises selon le principe « l’église est dans l’Etat », il reste cependant fragile, et relève d’un bricolage théologique conjoncturel : c’est cette précarité du droit divin, cet Etat comme « machine à délier le ciel et la terre », que va faire éclater la révolution anglaise. C’est une révolution traditionaliste dirigé contre la monarchie absolue de droit divin. Hobbes en bon partisan de celle-ci (révolutionnaire réactionnaire) prend acte de l’insuffisance de cette légitimation, et invente le schème contractualiste. Si l’on veut armer l’Etat souverain d’une légitimité supérieure, il faut un autre fondement : un pacte originel passé entre les individus capables de tuer dans l’œuf la guerre de tous contre tous, et celles des opinions religieuses, et ainsi garantir la sécurité de chacun. Chez Hobbes (choix pour le modèle absolutiste), chaque individu « abandonne son droit de se gouverner lui-même », et échange cetteliberté contre la protection du souverain. L’enjeu de ce principe contractualiste est bien sûr considérable si on le juge par ses conséquences historiques ! C’est un principe alternatif au principe de droit divin. Il n’y a que deux possibilités : ou bien la justification vient de l’extérieur et de l’antérieur, ou bien elle est immanente, de l’intérieur de l’espace humain. Elle est concevable que sous l’aspect des droits détenus originellement du seul fait de leur existence par des individus posés indépendamment les une des autres et également libres. Il n’y a en droit que des individus également libres. C’est la source primordiale du pouvoir. Il n’y a pas d’autre alternative : droit de Dieu ou droits de l’homme.

 

Un « jus-naturalisme » qui a besoin de se renouveler. L’embarrassante question du « droit naturel »

Même si la conception « classique » du droit naturel traverse les âges de l’Antiquité (Socrate, Aristote) jusqu’à Thomas d’Aquin, en passant par Rome (Marc Aurèle, Cicéron), une rupture s’instaure avec les Modernes : le droit naturel s’émancipe progressivement de sa signification théologique mais aussi téléologique. C’est la liberté de chaque être humain quel qu’il soit qui va devenir le principe fondateur de tout le droit 

Kant : « la liberté est l'unique droit originel revenant à chaque homme en vertu de son humanité », et la vie sociale implique « la limitation de la liberté de chacun à la condition de son accord avec la liberté de tous, en tant que celle-ci est possible selon une loi universelle. ». La filiation qui existe entre les « droits naturels » et les « droits de l’homme » est maintenant reconnu par beaucoup, sinon par tous. Comment ne pas faire en effet le lien avec La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui expose solennellement « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs... ». Et dont les fameux articles premier, troisième, et quatrième affirment respectivement :  

- « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ».

 - « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».

- « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

Le lien entre droit naturel et éthique est étroit : le droit naturel apparaît comme une éthique objective et universelle, c’est « l’éthique de l’espèce humaine » ; violer un droit naturel est donc immoral.

Même si aujourd’hui, malgré son rejet au XIXème siècle au nom du droit positif mais aussi de l’Histoire, le jus-naturalisme fait relativement consensus, il a du être sensiblement renouvelé philosophiquement. L’idée de droit naturel semble s’imposer si l’on veut résister au positivisme juridique et à la réduction du droit au fait. Mais la notion de droit naturel à l’inconvénient d’asseoir sa pertinence sur un supposé état de nature (les théories du contrat social de Grotius à Locke en passant par Hobbes et Rousseau) à qui l’on peut faire dire ce que l’on veut, et au sein duquel existeraient des « droits naturels » qui risquent d’être en réalité le simple « droit du plus fort ». Que peuvent être des « droits » indépendamment de toute règle sociale, sinon comme le disait Nietzsche après Pascal, la seule reconnaissance de forces réelles qui sont à l’œuvre (pour Pascal, les lois elles-mêmes ne sont que la traduction juridique d’un rapport de force inégal en faveur des puissants). Il est clair que nous ne revenons pas, avec l’actuelle résurgence du point de vue du droit, à cette vision antéhistorique du temps. Le droit naturel  s’inscrit dans une pensée de l’origine où il s’agit de trouver dans un état de nature hypothétique la norme primordiale qui servira de fondation à la société (pensons au deuxième Discours de Rousseau). Si retour du droit il y a, c’est un droit sans la nature. Nous avons le contenu du droit subjectif sans le support qui a permis de l’élaborer. Mais cela rend plus problématique l’entreprise de fondation elle-même... Même s’il renvoie à une norme supérieure, le fondement du droit doit rester de l’ordre de la convention et du discutable, et ne peut plus reposer uniquement sur une « nature » humaine éternelle : que substituer au contractualisme dont on hérite, en l’absence de toute référence à un quelconque « état de nature » ou « nature humaine » ? Comment concevoir des droits subjectifs, c’est-à-dire des droits absolument inhérents à la personne, hors de toute référence à un état de nature  ou à une nature humaine (et donc à partir d’un passage de l’état de nature à l’état social) ? C’est la problématique de Rawls ou de Habermas.

 

Le néo-contractualisme de John Rawls et l’éthique communicationnelle de Habermas

Avec John Rawls, c’est un schéma de type néo-contractualiste qui est mobilisé afin de montrer qu’un accord peut être établi entre des sujets raisonnables sans qu’il soit besoin d’hypothèses héroïques sur la nature humaine. Il est possible d’arriver à un accord sur la conception du juste, des fondements du droit et de la citoyenneté. Ainsi c’est à partir d’un calcul concernant l’intérêt bien compris de chacun sous une « position originelle » (hypothèse dite du voile d’ignorance), où il est ignorant de sa position dans le monde réel, que la « Théorie de la justice » installe deux principes, couvrant respectivement  la plus large extension des droits et libertés compatible avec la liberté formelle des individus et la répartition des inégalités de richesses pour le plus grand profit des plus défavorisés. La justice est ainsi le principe régulateur du vivre ensemble et des institutions.

Habermas pour sa part considère que l’entreprise fondationnelle de Rawls est encore trop enfermée dans la seule position d’une conscience auto-constituée parlant au nom de la raison et s’intéresse davantage aux formes de l’intersubjectivité dans le milieu de la communication ; plutôt que d’imaginer un colloque singulier sous « le voile d’ignorance », il fait de cette « expérience de pensée » une discussion réelle, et cherche à définir les conditions communicationnelles permettant de trouver une entente, c’est-à-dire une « éthique communicationnelle » propre à élaborer intersubjectivement des normes juridiques contraignantes. En conclusion, il s’agit de comprendre que le retour prôné du « droit naturel » ne peut plus se faire sans la déconstruction de la vision naïve de l’individu solitaire à l’état de nature véhiculée par les Lumières, et doit intégrer les acquis de la pensée contemporaine, en particulier de la philosophie du langage qui a considérablement changé la donne en ce qui concerne les prétentions de la Raison et la notion corrélative de souveraineté du sujet... Mais la grande continuité de ce mouvement se réclamant du droit naturel est évidemment la primauté des droits de l’homme.

 

Le juste ou le bien ?

Nous pouvons penser avec Rawls que la question du juste est nécessairement convoquée par la définition et  l’exercice du droit, et que cette notion est fondamentalement éthique. Mais cela signifie-t-il que tout le domaine de l’éthique soit concerné... Il me semble y avoir deux normes morales fondamentales qui sont différentes  quelque soit la perspective morale que l’on adopte : le juste et le bien (cf. définition de Ricoeur). Contrairement à ce qu’affirme Kant, nous sommes conduits à penser que dans les sociétés modernes légalité et moralité entretiennent des rapports étroits de complémentarité à travers la question de ce qui est juste. L’Etat de droit est sans doute, de ce point de vue, une forme d’aboutissement. A condition d’y joindre l’Etat social qui a pour tâche de concrétiser et de matérialiser l’effectivité des droits, sans laquelle de tels droits risquent de rester formels (nous allons y revenir). Il y a dans ce domaine encore beaucoup de « pain sur la planche » ! En revanche, l’autre dimension de l’éthique me semble foncièrement étrangère au droit : plutôt affaire d’éthique personnelle, les différentes conceptions du bien doivent pouvoir s’exprimer et nous guider en étant protégées par l’Etat (jusqu’à la limite où elles ne menacent pas l’ordre public). Le droit est juste au sens où il protège cette liberté là. Ce qui implique impérieusement une stricte neutralité de l’Etat quant aux choix effectués par les uns et les autres. La justice rejoint ici la laïcité. Le bien est subjectif et renvoie à l’idée de pluralité humaine. Le « monisme » d’un bien unique porté par l’Etat et s’imposant à tous est rigoureusement incompatible avec le pluralisme inhérent à nos sociétés démocratiques. Le droit, en se préoccupant du juste et de l’équitable, peut certes contribuer à créer et faire vivre des règles de fonctionnement de la vie en commun qui favorise la réalisation des projets de vie de chacun (le terrain d’application du bien poursuivi...). C’est la grande distinction opérée par John Rawls dans « Théorie de la Justice » : tout en affirmant le pluralisme des conceptions du bien et la neutralité de l’Etat démocratique, il pense cependant qu’il peut et doit parvenir à un accord sur la conception du juste : car quelque soit le projet de vie ou l’idée du bonheur de tel ou tel, il y a des « biens sociaux premiers » qui sont la condition de possibilité de la réalisation de ces projets personnels (dans le même sens, Amartia Sen parle de « capabilité ») , et sur lesquels tout le monde est en accord :  les libertés, les possibilités réellement offertes à chacun, les revenus, mais aussi évidemment les droits.

Nous pouvons observer que si la distinction entre les valeurs du juste et du bien revêt ici une importance considérable en matière de conception de l’Etat et de son rôle, la dimension de neutralité de l’Etat est cependant complexe : comme cela a été dit, L’Etat et le droit ne sont pas concernés par « la vie bonne », portée par des convictions intimes,  au sens où Ricoeur peut en parler, sous peine de se confondre avec un Etat totalitaire... En revanche la notion de « bien public » les concerne directement. Celle-ci contient un aspect technique, mais pas seulement : « D’un point de vue formel, le bien propre du public consiste dans l’établissement d’un milieu favorable au développement de la personnalité et des activités légitimes de chacun au sein du groupe : besoins d’ordre, de coordination, de service, par quoi se définit le bien public. Mais celui-ci n’est pas chose purement technique, il est en relation étroite avec une certaine conception de l’homme et de ses fins. Mais il y a une historicité et une relativité du bien public selon l’histoire et la psychologie des peuples, de leur genre de civilisation et de culture. ».

C’est ainsi que nous pouvons retrouver, corrélativement à la justice sociale, l’idée de « biens sociaux premiers ». Pour J. Rawls, la justice sociale est un moment essentiel de la liberté individuelle.  Il réconcilie ainsi le libéralisme politique avec les droits sociaux. Ce n’est certainement pas un hasard si en 1848 s’ajoute la Fraternité au couple Liberté/Egalité de 1789 proclamant la loi égale pour tous, qui ne concerne « que » les droits subjectifs et formels. L’apparition des droits sociaux appelés « droits-créances », critiqués par les libéraux comme Tocqueville ou Hayek car relevant d’une philosophie sociale qui s’éloigne de l’individualisme classique, viennent de faire leur apparition... Finalement, la notion de « biens sociaux premiers » permet de faire le pont entre le juste et le bien, et résoudre la difficile équation d’un Etat qui se doit d’être neutre par rapport à la question du Bien mais qui est pourtant soucieux du « bien public ».

 

La pensée moderne a cependant besoin du droit positif pour l’actualisation de l’éthique :

Son application, dans les termes de l’école du droit naturel, suppose – via le contrat social – une compréhension et une connaissance des dispositions détaillées qu’est censé commander sa propre nature, qui est loin d’être effective. De fait l’instance éthique de la plupart des Modernes (Voltaire, Rousseau, Diderot, Montesquieu) se résume à une série limitée de maximes très générales, vagues, indéterminées, qui ne peuvent servir de point d’appui à la moindre règle de vie commune.

Par ailleurs, peut-on compter sur la dynamique d’une discussion intersubjective « exempte de domination » (Habermas) pour l’interprétation concertée des commandements de la raison, étant donné l’égoïsme et la méfiance mutuelle auxquelles conduisent les passions ? Même Locke rejoint Hobbes pour constater l’état de guerre qui ne peut que résulter du conflit des interprétations que l’intersubjectivité ne peut manquer d’engendrer. Seul la construction d’un agent extérieur, produit artificiel du contrat social, peut imposer sa compréhension de la loi naturelle, et ainsi donner naissance à la souveraineté étatique et à la positivité de la loi civile (Locke, Deuxième traité du gouvernement)

Pour rendre effectif le caractère obligatoire de la loi, le rapport monologique de soi à soi, ou même intersubjectif de soi à autrui, ne peut suffire : une obligation, une norme au sens directif du terme, ne peut naître que de l’extériorité d’une volonté de commandement exprimée par un supérieur à un subordonné, c’est-à-dire dans une situation de gouvernement politique établi. Il peut s’agir d’un droit divin positif, comparable dans sa forme à la « Loi » révélée, que Hobbes conserve tout en remplaçant le Dieu surnaturel par un « Dieu mortel » qu’il appelle « l’Etat-Leviathan », figure abstraite produite par l’artifice du contrat social. Mais il peut s’agir aussi d’un principe de légitimité non plus hétéronome mais autonome selon lequel seuls les individus également libres peuvent être les co-auteurs de cette autorité. Le collectif est alors supposé résulter de l’accord de ces composantes et de la mise en commun de leurs droits.  Cette fiction va finir par se concrétiser sous la forme de la démocratie des  Droits de l’Homme. Mais dans chacun des cas, le droit positif étatique, en imposant sa souveraineté conventionnelle, édicte les dispositions imposées par la loi naturelle, et par là-même l’actualise dans la conscience de chacun. En ce sens, la loi positive est, selon Rousseau, le seul authentique « code moral » permettant à l’humanité d’advenir. Il est remarquable de noter que Marcel Gauchet prendra à la lettre cette idée d’une application progressive de la légitimité de principe des droits subjectifs à la réalité du système juridique positif : toute sa réflexion vise à montrer comment opère un tel processus historique. Car selon lui, il aura fallu plus de 200 ans pour que le principe théorique de légitimité des droits se concrétise et se réalise complètement dans le droit positif.

 

Le retour du droit : l’histoire de la modernité comme réduction de l’écart entre le droit fonctionnel et le droit fondationnel. La période contemporaine comme  « second moment des droits de l’homme » ? Marcel Gauchet

Il est temps maintenant, en forme de conclusion, de refermer la boucle et de revenir au constat initial évoqué : nous avons intuitivement le sentiment de vivre une époque où le droit apparaît omniprésent. En réalité, l’humanité a vécu très longtemps sous le clivage de deux droits séparés et hétérogènes : le droit positif et le droit naturel d’origine surnaturelle. Il y avait donc du droit positif, laïc et séculier (le droit romain peut en fournir le cadre), comme technique de gestion des rapports sociaux, qui était placé sous l’égide d’un droit supérieur, la raison divine traduite en loi naturelle, et qui était l’expression de « l’adaptation de cet ordre parfait (l’ordre divin) aux imperfections de l’ici-bàs et à la corruption de la nature humaine ». Mais cet écart ne va pas cesser de se réduire durant les développements de la modernité. Sur le plan théorique d’abord (la résorption de l’un dans l’autre a été définitivement consommé avec Rousseau) ; mais surtout sur le plan pratique : la radicalisation progressive de la modernité, jusqu’à son ultime aboutissement aujourd’hui, peut se lire sur cette dimension de la concrétisation progressive des droits et de l’identification en un seul droit des deux types de droit (fonctionnel et fondationnel)

 

La concrétisation progressive des droits et la rationalisation des systèmes juridiques

Durant ces deux derniers siècles, nous avons assisté à une progressive matérialisation et entrée dans la réalité de ce principe de légitimité. En deux temps. Au départ, il s’agit d’une construction livresque et très théorique à travers les différents travaux des « contractualistes » : schématiquement, figure absolutiste du contrat chez Hobbes, figure libérale chez Locke, et figure démocratique chez Rousseau. A l’arrivée, tous les changements intervenus vont finir par rendre plausible l’application de ces principes sous l’égide des droits de l’homme : c’est le tournant des années 1970 que Marcel Gauchet va appeler « le second moment des droits de l’homme ». Avec la révolution française, l’irruption des droits de l’homme dans le réel débouche sur le renversement de la monarchie. C’est le moment politique des droits de l’homme. Leur cible principale est le pouvoir ; Ils consacrent la  souveraineté du peuple, le principe de citoyenneté[6]. Il faut commencer par établir l’égalité en droit des personnes, c’est-à-dire détruire la colonne vertébrale de l’ancienne société : la hiérarchie des statuts sociaux et des ordres juridiques. Ce principe de l’égalité en droit s’imposera comme le plus immédiatement universalisable des droits de l’homme. « Il faudra un bon siècle pour que ses corrélats s’installent dans les têtes et dans les moeurs». Mais l’égalité en droit deviendra la pierre angulaire des systèmes juridiques positifs. Elle permet de lier le principe de légitimité aux systèmes légaux. Cette égalité en droit est rapidement adoptée car c’est la condition de la rationalisation des systèmes juridiques.  Rationalisation qui suppose l’uniformité des règles : la même loi doit s’appliquer à tous. Cette rationalisation est l’une des grandes aspirations des Lumières, et c’est Bonaparte qui lui donnera son aboutissement : c’est la fameuse codification du droit ; au lieu de règles éparpillées sans autre justification que l’usage, la tradition, la coutume, le Code lui substitue un exposé motivé et systématique des lois[7]. Ce qui permet de parler du droit moderne comme d’un droit rationnel sous l’égide du principe d’égalité devant la loi. « Il y a un lien profond entre cette rationalisation du droit positif et l’inspiration sous-jacente du principe de légitimité moderne » ; on peut montrer que ce travail de rationalisation est inséparable (aussi positif soit-il) de la logique intellectuelle du point de vue individualiste qui est celui des droits de l’homme. Mais à l’époque (Napoléon) ce lien reste caché, inavoué, refoulé. Car Marcel Gauchet nous explique que le XIX siècle a été marqué par une apparente disqualification du droit moderne, qui va préparer en réalité le retour du droit. Il faut regarder de plus près cette subtile dialectique... C’est le siècle en effet où va se déployer ce qu’il appelle le point de vue de l’Histoire, pour lequel la dynamique du devenir de l’individu de droit considéré isolément, au fondement du contrat social,  fait figure d’une fiction irréelle et vouée au passé. Les juristes ne veulent pas entendre parler des droits de l’homme, et critique de façon radicale le rationalisme juridique du XVII et XVIII siècles. Cette critique sera amplifiée du fait de la révolution industrielle qui met la question sociale au premier plan. Les grandes critiques de cette conception sur le plan philosophique viennent de Hegel et Marx ; pour ce dernier, comme nous l’avons dit, il ne s’agit pas seulement d’une erreur intellectuelle, mais l’abstraction de l’individu de droit relève d’un illusionnisme qui masque la réalité des rapports sociaux. En posant les individus comme formellement égaux, il s’agit de cacher les inégalités réelles. Seule la révolution pourra réduire cet écart. La profondeur de cette disqualification du droit n’a de pareil que dans la façon dont la société a donné peu à peu consistance en réalité à cette figure de l’individu de droit.

C’est en particulier après 1945, qu’un second cycle du principe de légitimité moderne apparaît sous les traits du « moment social des droits de l’homme ». Il y a un regain d’intérêt pour le « jus-naturalisme » après la seconde guerre mondiale avec la nécessité d’établir les fondements d’un droit juste. La redéfinition de l’individu de droit passe par la connexion des droits formels et des droits réels dont l’Etat social est la réalisation exemplaire. L’individualisme classique devient aussi un individualisme social. L’individu de droit abstrait a besoin de se concrétiser pour pouvoir effectivement exercer ses droits ; il n’existe pas comme une sorte de robinson isolé indépendant de la société, mais, tout en représentant le principe fondateur du collectif, il est aussi et en même temps le produit  de celui-ci. Autrement dit, une clause tacite de légitimité nouvelle est adjointe au contrat social : la société produite de la sorte est simultanément la société dans l’obligation de produire les individus. « C’est le cercle tacite de la légitimité nouvelle ». L’Etat social est chargé de « fabriquer » progressivement des individus de plus en plus concrets au sens où ils doivent pouvoir exercer effectivement leur indépendance (matériellement et intellectuellement). Ce second moment des droits de l’homme passe pour ainsi dire inaperçu, comparé au caractère spectaculaire du premier. Le lien entre individualisme pratique et individualisme juridique reste très communément ignoré.

« La spécificité de notre individualisme (qui vient de très loin) est d’être à la fois un individualisme juridique et un individualisme social. La portée structurelle de l’évènement s’en éclaire. Le droit est bien plus ici qu’une technique de régulation des rapports sociaux. Il engage la structuration de l’être ensemble ; car définit un principe de composition de tout collectif possible. Par société des individus, il faut entendre non pas seulement une société où il y a des individus, dont les membres se comportent idéologiquement de manière individualiste, mais la société qui se pose pratiquement en tant que société, comme société composée uniquement par des individus de droit, seul fondement admissible de tout lien ». Sur le terrain pratique, les manifestations concrètes de ce mouvement sont nombreuses : désinstitutionnalisation de la famille, reconnaissance des droits des femmes et des enfants, révolution psychologique modifiant le rapport des êtres à eux-mêmes, aux autres et au collectif. Sur le terrain juridique, nous assistons selon Marcel Gauchet à une transformation du système de droit au sens où la vieille distinction entre droit naturel et droit positif a cessé d’être pertinente. Les droits de l’homme sont entrés dans le droit positif. Sont devenus des droits fondamentaux. Le droit fondationnel a pris le pas sur le droit fonctionnel. Nous avons pour la première fois affaire à d’authentiques systèmes de droits rationnels. Ce moment est aussi important que le moment de codification engagé au XVIII. Il a transformé du dedans l’esprit de la démocratie : démocratie des droits de l’homme dont la pierre angulaire et l’Etat de droit. Une de ses conséquences est la place éminente prise par le pouvoir judiciaire qui s’impose comme le pouvoir exemplaire. Il est le plus adéquat aux attentes d’une démocratie des droits individuels.[8] Nous terminerons en citant encore une fois Marcel Gauchet qui définit ainsi ce second cycle historique des droits de l’homme, le premier étant celui qui a conduit de la révolution théorique du droit naturel moderne à sa concrétisation pratique de la révolution des  droits de l’homme au XVIII siècle : « il y a inscription du spéculatif dans la réalité sociale. Le droit fondationnel commande au droit fonctionnel. Il faut reconnaître dans cette révolution de la légitimité un mouvement qui vient des débuts de la modernité. » [9]

Nous ne pouvons pas terminer cet exposé sommaire de la thèse de Marcel Gauchet sans ajouter aussitôt que pour lui cette absolutisation des droits individuels – aboutissement logique de la « radicalisation de la modernité » - est problématique car elle va de paire avec une forme « d’impuissance démocratique » quant à l’exercice collectif de gouverner, ces droits individuels ayant de plus en plus de mal à s’inscrire dans une volonté générale censée porter le pouvoir de tous. Cette démocratie dont le centre de gravité penche de plus en plus lourdement du côté de la prééminence du droit serait source d’une « désarticulation de ses composantes internes » (que sont le droit, le politique, et l’Histoire) et conduirait à un processus d’autodestruction de la démocratie elle-même... La puissance de l’individu est symétrique à l’impuissance du politique. La logique du droit poussée jusqu’à son terme débouche sur « l’utopie d’une juridicisation intégrale et sans reste de l’espace social ». Utopique au sens où il sera toujours traversé par des Etats aux intérêts particuliers, par des rapports de forces politiques et sociaux, des dynamiques de conflits. Comment faire pour que la démocratie ne se retourne pas contre elle-même, et (re)trouver une société qui ait globalement et collectivement prise sur elle-même, tel serait le nouveau défi intellectuel, pratique, politique que nous devrions affronter aujourd’hui.  Nous ne pouvons ici développer davantage cette analyse, mais augurons que la prochaine conférence de Marcel Gauchet à Colombiers la complètera et l’approfondira.   

 

 

 

 

 

 

 

                                                                 Daniel Mercier, le 01/03/2015

 

 



[1] Elles désignent toutes deux, l’une en grec et l’autre en latin,  la manière réglée dont les hommes vivent, et ne sont pas indépendantes des mœurs et des appréciations que nous portons sur elles

[2] En 1846, l’Américain Henry David Thoreau refuse de s’acquitter de ses impôts. Pas question pour lui de financer la guerre engagée contre le Mexique et un gouvernement tolérant l’esclavage dans les Etats du sud. Il passe une nuit en prison et en sort grâce à sa tante, qui verse la somme réclamée malgré ses protestations. Quelques années plus tard, Thoreau revient sur cet épisode dans un livre, « La Désobéissance civile »...

 

[3] Marcel Gauchet

[4] Définition d’un ordre chez Pascal : ensemble homogène et autonome, régi par des lois, se rangeant dans un certain modèle, d’où dérive son indépendance par rapport à un ou plusieurs autres ordres.

[5] Ce lien restant bien entendu à définir...

[6] Une des questions épineuses, et qui trouve sa réponse définitive longtemps après est : qui sont les citoyens ?

[7] C'est donc Napoléon Bonaparte qui lance un mouvement de codification de grande ampleur et crée le code civil français en 1804, puis les codes impériaux : code de procédure civile (1806), code de commerce (1807), code d'instruction criminelle (1808) et code pénal (1810).

[8] Le pouvoir modèle a été pendant longtemps le pouvoir législatif puis le pouvoir exécutif...

 

[9] Ce mouvement de « rattrapage » du droit positif s’opère dans les trois registres traditionnels du droit naturel : les droits fondamentaux avec les droits sociaux, les droits culturels (inséparable d’une démocratie culturelle : lire à ce sujet le livre de Alain Touraine : « Egaux et différents. Pouvons-nous vivre ensemble ? »), le droit cosmopolitique ou « droits des gens », particulièrement important aujourd’hui puisqu’il concerne non seulement le droit des individus par rapport aux Etats mais aussi les droits de la société internationale des Etats sur les Etats particuliers.