"Refonder le contrat social : une urgence aujourd'hui ?"

 
 

 

CONFERENCE DEBAT avec Yves Michaud

 
 

 vendredi 17 mars 2017 18h30  à la salle du temps libre de Colombiers

 

Le sujet : 

   « Refonder le contrat social une urgence aujourd'hui  ?» 

 
 

Présentation du sujet

 A quoi bon un contrat social ? L'idée ne tombe pas du ciel. Elle est  apparue en Europe au moment des guerres de religion (XVIème  siècle) et aussi pour répondre à la question : à qui doit-on obéissance  ? Face aux conflits religieux qui font retour et à la pluralité des  autorités (familiales, locales, communautaires, nationales,  supranationales), l'idée de contrat social reprend aujourd'hui du sens  et de l'urgence. Mieux, elle peut être mise à jour et approfondie dans  le sens d'une citoyenneté renouvelée.
 

 Bio

 Yves Michaud a enseigné la philosophie aux universités de Clermont-  Ferrand, Montpellier, Rouen, Berkeley, Édimbourg, Tunis et Sao  Paulo, puis à Paris Sorbonne.

 Dans le cadre de son activité de critique d’art, il a été directeur de  l'École des Beaux Arts à Paris de 1989 à 1996.

 Il a été le concepteur et l'organisateur de L'université de tous les  savoirs, une université populaire libre faisant le bilan des  connaissances actuelles (www.utls.fr).

 Ses domaines de travail sont la philosophie politique, l'esthétique, l'art contemporain et la philosophie de la culture.

Son avant-dernier livre Narcisse et ses avatars (Paris, Grasset, 2014) examine en vingt six rubriques (abécédaire) les basculements de notre société, depuis A comme Avatar jusqu'à Z comme Zapper en passant par P comme People et Q comme Quantifier.

Son dernier essai, Contre la bienveillance (Paris, Stock, 2016) prend à bras le corps les trois défis de la politique actuelle: la montée du fondamentalisme religieux, celle des populismes, la faillite des politiques internationales idéalistes.

 

Résumé de la conférence

                 

Résumé par  Marie Pantalacci et Daniel Mercierle  31/03/17

 

Yves Michaud part d’un constat : la République est en danger et peut-être sur le point de se décomposer (incivisme sous toutes ses formes, fondamentalisme religieux et terrorisme, flux des réfugiés sans politique concertée....), avec des réactions diverses qui sont autant de problèmes : soit une politique populiste de l’outrance, soit un conformisme idéaliste...Il est urgent d’en appeler au contrat social, à la philosophie des Lumières(Rousseau, Locke...), à la notion de « puissance souveraine », au serment de loyauté...

L’effondrement du contrat social entraine la violence. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, mais se manifestent de nombreuses peurs découlant d’une triple crise : crise de la démocratie qui apparaît sous la forme de la cacophonie et du populisme de droite comme de gauche; crise du civisme : zones de non droit, fraude sous toutes ses formes, « casseurs » qui provoquent et détruisent des biens ; crise de la citoyenneté : attentats commis par des nationaux au nom de croyances religieuses. Ces crises vont perdurer avec l’important problème des mouvements migratoires, qui ne s’arrêteront pas.

C’est la crise de notre conception de l’appartenance à une communauté républicaine surtout : nous bénéficions de la démocratie et de la solidarité sociale en naissant sur le territoire, de nombreux services et prestations en tant que citoyens, sans en avoir pleine conscience, sans  payer de prix en retour...Nous nous plaignons parfois d’être citoyens (notamment des nuisances bureaucratiques qui y sont associées…). Certains citoyens sont même en dissensus complet avec la communauté.... Si la définition de la démocratie est, comme le dit Claude Lefort, un système qui finit par trouver des consensus, une telle situation pose problème…  Il semble urgent de redécouvrir ce qu’est la puissance souveraine, de refonder la communauté républicaine.

 Les sociétés deviennent de plus en plus complexes, et si l’Etat s’ingère de plus en plus dans la vie de chacun, il délègue tellement ses fonctionsqu’il n’apparaît plus nettement comme puissance souveraine, d’où des conflits incessants administratifs et constitutionnels. Le pouvoir souverain est par ailleurs ébranlé par les revendications individuelles et de groupes ; au nom du multiculturalisme et du respect des particularités, chacun demande l’application de droits particuliers, ce qui va être source d’inégalités. On assiste à une pulvérisation de la notion d’égalité. Par ailleurs la souveraineté de la république est limitée  par des obligations européennes ou supranationales auxquelles le souverain s’est lui-même soumis... L’exemple de la déchéance de nationalité est significatif : son refus est lié à un ancien traité de New York qui n’a d’ailleurs jamais été ratifié. Deux formes d’attaque des sociétés : l’une « par le bas », l’autre « par le haut »...

Prendre du recul est nécessaire, et c’est le rôle de la philosophie !

Les difficultés auxquelles nous faisons face ressemblent à celles que les théories du contrat social du XVIIème siècle ont cherché à résoudre. Elles ont répondu à deux questions urgentes : 1) A qui doit-on obéir ? Son seigneur ? Le Parlement de la ville ? Le Roi ? L’empereur romain ? Le Pape ? 2) Comment faire face aux guerres religieuses ? Comment sort-on de l’état de nature qui est un état de violence où l’on ne peut plus se fier à rien, ni à personne ?

Au-delà des différences selon les auteurs, toutes ces théories ont des points de convergence et peuvent être regroupées autour d’une réponse commune (Yves Michaud précise que Jean Bodin écrit 4 ans après la saint Barthélemy, et que Rousseau que l’on cite toujours n’est que le dernier de ceux qui ont travaillé sur cette question, après Althusius, Spinoza, Locke…) : pour sortir de l’état de nature, pour échapper à la mort, à la violence quotidienne, pour être en sécurité, il est nécessaire d’obéir à un souverain,  sur la base de volontés expresses. Obéir au souverain, c’est obéir à nous-même en tant qu’on fait partie de la communauté. Le souverain, c’est la volonté de ceux qui décident de former un peuple. Il s’agit de fonder la sécurité (qui est finalement la question essentielle du contrat social) en fondant le souverain, la puissance souveraine. Celle-ci réunit les individus en un « corps politique » ; fondation d’un droit souverain comme constitution de la communauté politique ; entrer dans la République signifie obéir à soi-même. La fusion des volontés particulières devient ainsi la volonté de tous: le pouvoir du corps politique se constitue et devient celui de la multitude agissant  comme une seule âme (Spinoza)... Une limitation à cette puissance :l’individu peut exercer son droit naturel de résistance, mais à ses risques et périls. 

Nécessité d’opérer un traitement de la religion : les théories du contrat doivent traiter la question du problème religieux. Elles y répondent selon deux axes : soit la religion doit être étroitement contrôlée par le pouvoir souverain, et devient par là-même une religion d’Etat. Soit en opérant une critique radicale du dogme religieux, avec l’idée qu’on peut croire ce que l’on veut, mais sans interférer sur le politique. La religion doit rester une affaire de for intérieur.

     Il est très important de revenir à des conceptions contractualistes, qui développent une conception forte du souverain par rapport aux ferments de division que sont les convictions religieuses ou le multiculturalisme : l’appartenance à la communauté doit entrainer la soumission au pouvoir souverain. Les revendications personnelles ou communautaires,  doivent s’arrêter aux limites imposées par le pouvoir souverain, c’est-à-dire où commencent les principes de la communauté. Il s’agit également de détailler les principes de celle-ci : liberté, égalité, fraternité (Y. Michaud propose de substituer à ce dernier terme « solidarité ») Ce sont de bons principes, mais qu’en est-il réellement dans la France d’aujourd’hui ? Des problèmes se posent :

-          « Elle est à défendre à tout prix ». Liberté de mouvement, de pensée, d’expression... Certes, et  en même temps, il y  une politique de fichage, de contrôle de l’Etat...

-          En ce qui concerne l’égalité, on se rend compte que plus on en détaille les conditions et on cherche à en faire « une égalité sur mesure », moins on a d’égalité... L’égalité des chances est l’élément le plus important, or elle  n’est pas assurée par le système éducatif...

-          La solidarité serait un principe préférable à celui de fraternité. Cette solidarité est celle des transferts sociaux (qui sont considérables : 52% du PIB…). On constate surtout une grande difficulté, bien française, de lisibilité en ce domaine...Par ailleurs, on constate aussi que l’Etat de droit profite surtout à ceux qui ont beaucoup d’argent...

 

Yves Michaud donnera quelques réponses ou préconisations face aux questions posées :

·         Revoir l’école : Les moyens y sont, les professeurs sont de bons professionnels ; il y aurait à revoir les programmes, ainsi que la bureaucratie (qu’il qualifie de « lunaire »).

·         La laïcité à la française est trop emberlificotée ; on peut reconnaitre les particularités certes, mais dans le respect de la République.

·         La montée du populisme semble aller de pair avec la médiocratisation des partis politiques. S’agglomèrent des fractures sociales qui ne se regroupent pas. Nous avons aujourd’hui un prolétariat de la fonction publique (ex des catégories C et D). Certains métiers exposent à l’insécurité (ainsi, 1/3 des jeunes profs votent Front National). L’électorat communiste est devenu en majorité FN....Il ne faut pas stigmatiser tous ces gens qui ne sont pas vraiment des « fachos » ; ils se sentent en grande insécurité, et de fait chez les profs, le moindre incident peut dégénérer...

·         Le système fiscal français est totalement illisible, ainsi que les aides sociales. Un impôt pour tout le monde, réellement progressif serait préférable.

·         En ce qui concerne le problème de l’argent : Globalement, nous avons en France une trop grande tolérance aux abus, ce qui est grave. Il est indispensable d’y mettre fin.

·         Par ailleurs le cumul des fonctions est inadmissible en politique. La question de la formation des hommes politiques se pose : ne faudrait-il pas supprimer l’ENA ?

·         Il nous faut réfléchir sérieusement aux moyens de mettre fin à la corruption. De même, un contrôle du capitalisme de spéculation s’impose.

·         Pour la mise en œuvre d’un contrat social refondé,  une éducation à la citoyenneté  est indispensable, éducation dans laquelle  bien  évidemment les droits et les devoirs sont à mettre en lien.