"Croire ou savoir ? "
Le vendredi 21 novembre 2025
à 17h45 à la Médiathèque de Maureilhan.
sur le sujet : "CROIRE OU SAVOIR ? "
PRESENTATION DU SUJET.

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CAFE PHILO SOPHIA à lamédiathéque de Maureilhan VENDREDI 21 NOVEMBRE 2025.
" Croire ou savoir ? "
1- Ne sommes-nous pas condamnés à croire un grand nombre de choses en l’absence d’un savoir véritable ? Tocqueville : « Il n’y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d’autrui, et qui ne suppose beaucoup plus de vérités qu’il n’en établit. » Nous ne pouvons pas passer notre temps à douter alors que nous sommes confrontés la plupart du temps à des contextes d’incertitude : les croyances sont donc une nécessité vitale indépassable.Si nous devions toujours savoir pour agir et décider, il y a beaucoup de chances pour que nous restions paralysés ! ● Même quand il s’agit de savoirs dûment étayés (par exemple l’énoncé suivant) : « ce pont résistera sans problème au passage des véhicules et ne s’effondrera pas », la plupart des usagers ne connaissent strictement rien dans le domaine de la construction des ponts, et se reposent (font confiance) sur l’autorité du savoir de l’ingénieur qui l’a construit.
2- Qu’’est-ce qu’une croyance ? Attitude d’acceptation, assentiment donné à un énoncé tenu pour vrai. On peut les distinguer selon le degré de certitude (du doute jusqu’à la conviction intime) sur le versant subjectif, et selon le degré de réalité qui s’attache à la chose crue (du possible jusqu’au véritable, en passant par le vraisemblable et le probable) sur le versant objectif. Mais le degré de certitude de la croyance ne correspond pas forcément à son degré de réalité, et celui qui croit confond souvent les deux : on tient souvent pour vrai ses croyances. ● Avant que la science n’ait établie que la Terre tourne autour du soleil, nous croyions que c’était l’inverse, et nous avions de très bonnes raisons pour penser que cette croyance était un véritable savoir : chaque soir, on voit bien le soleil disparaître et chaque matin, on le voit revenir, c’est bien la preuve qu’il bouge ; et « si c’était la Terre qui bougeait, on le sentirait… ». ● Distinction classique entre le sens faible et le sens fort de la croyance : « je crois que… », et « je crois à » ou « je crois en ». Je crois qu’il va venir (mais je n’ai aucune certitude) ; je crois en ta fidélité, en votre innocence, en Dieu : cette croyance comporte un engagement de tout l’être dans ce en quoi l’on croit. Henri Atlan dit qu’il y a un usage du langage qui nous fait associer la croyance à Dieu, alors que c’est proprement un usage « extraordinaire » par rapport à d’autres types de croyances, dans la mesure où celle-ci ne porte pas sur des faits…
3- Croyance-opinion (sens faible de la croyance) : d’un certain côté elle est un non-savoir (opposition classique entre croire et savoir). Un savoir est en principe reconnu universellement valable pour tous, et il est possible de dire quelles en sont les conditions objectives – c’est-à-dire à quelles conditions un savoir peut être reconnu comme tel (la possibilité d’un savoir scientifique en particulier repose sur de telles conditions)… L’opinion est une croyance adoptée sans examen critique. ● Mais d’un autre côté, il y a des opinions vraies ou « droites » et des opinions fausses, et les premières tiennent une place intermédiaire entre l’ignorance et la science. Pour Aristote une opinion droite a un rapport avec le probable et le vraisemblable, mais il s’agit d’une opinion non justifiée. ● On constate en conclusion que cette réflexion sur l’opinion, qui au départ s’appuie sur l’opposition radicale entre croire et savoir, montre que cette distinction n’est pas si tranchée qu’il n’y paraît au premier abord…
Soit on insiste, à propos du phénomène des croyances, sur l’assentiment actif et volontaire, soit au contraire sur le fait qu’elles dérivent plus spontanément d’associations d’idées en vue de s’orienter dans la vie et agir. ● Pour Descartes à la suite des stoïciens (courant rationaliste), cet assentiment actif renvoie à la faculté de jugement, et il est davantage qu’une simple croyance. L’assentiment serait donc du côté d’un jugement volontaire et éclairé, alors que la simple croyance serait renvoyée à la doxa au premier sens platonicien. Mais l’erreur est rendu possible par la dissociation entre une volonté infinie (pouvoir absolu de pouvoir dire oui ou non) et un entendement fini (ma capacité de comprendre) : je peux affirmer ce que je veux (c’est ma liberté absolue) en l’absence de véritables raisons, et me tromper ; mais j’ai aussi la capacité à ne pas m’en tenir à la réception passive d’opinions infondées… ● En revanche, la philosophie du « belief » (croyance) de Hume (courant empiriste) s’éloigne de la notion d’assentiment volontaire au profit de croyances spontanées inséparables d’une propension à l’action. Elles sont le fruit d’expériences vécues ou d’enquêtes plus actives… Il est indéniable, comme le montrent les pragmatistes à la suite de Hume, que beaucoup de croyances se forment inconsciemment sans l’aide d’un assentiment actif, et il est difficile de pouvoir dire « les raisons » véritables de celles-ci… Ces deux options philosophiques différentes rendent compte chacune à leur manière de la réalité des croyances, selon un continuum entre des jugements qui mobilisent la raison et des croyances plus ou moins conscientes qui ne passent pas par un assentiment actif.
4- La disposition à la croyance (Hume, Ramsey, Ryle, Peirce). Il y a en effet un nombre très grand d’actions au quotidien qui reposent sur des croyances plus ou moins tacites ou volontaires, et qui sont influencées par deux facteurs : ce qui nous apparaît comme probable (estimation de la probabilité de l’évènement, étayée sur la suite de nos expériences), et aussi ce qui nous pousse à agir conformément à nos désirs. On croit également ce que l’on veut croire, mais pas le plus souvent par un acte volontaire, mais de façon inconsciente, comme objet d’espoir ou de crainte. ● Remarque : L’inévitable « hiatus » qui existe entre notre désir et le réel (sans doute démultiplié à l’ère de l’individualisme), est le point de départ de la thèse du sociologue contemporain Gerald Bronner[1] sur la « post-réalité » qui succéderait à la post-vérité… ● Peirce a étudié les mécanismes de formation de ces croyances et met en valeur une tendance à « la fixation de la croyance » : Il est difficile d’abandonner une croyance et nous avons tendance à croire ce que nous croyons déjà. Cette tendance se décline de trois façons : 1) tendance au conformisme (prime à l’orthodoxie). 2) Les habitudes jouent également un grand rôle - « qui sans violence, sans art sans argument nous fait croire les choses… » (Pascal) -. 3) croire ce qui est agréable à la raison sans le soumettre à l’épreuve des faits... ● Nous ajouterons un quatrième mécanisme psychologique mis en évidence par la psychologie contemporaine : nous avons également une propension à retenir ou refuser une proposition de manière à ce qu’elle ne contredise pas nos croyances déjà là, et ne viennent pas contrarier un équilibre acquis souvent fragile (cf. les travaux autour de la « dissonance cognitive »). C’est ainsi que nous pouvons avoir le désir de croire tout en sachant en même temps que ces croyances sont fausses (il m’aime, alors que je sais qu’il ne m’aime pas). Nous pouvons rapprocher ce phénomène de fausses croyances de « la mauvaise foi» sartrienne, qu’il définit comme « ne pas croire ce que l’on croit »… ● Nous sommes loin des croyances intentionnelles et explicites, elles n’affleurent même pas toujours à la conscience. En réalité, un grand nombre de facteurs sont responsables de nos croyances (religieuses ou non), tels que la peur, le besoin de certitude, le désir d’éternité, l’espérance, la pression exercée par l’entourage, le préjugé…etc., si bien que « nous nous trouvons en train de croire, nous ne savons guère pourquoi ni comment » (Williams James). Nous pourrions aussi ajouter cette remarque d’Etienne Klein : « notre cerveau a une nette préférence pour le faux », ce qui explique en partie la grande crédulité des esprits…
5- Croyance-foi : c’est le sens fort de la croyance. Il faut préciser avec HenriAtlan que cette notion de « foi » est liée aux « professions de foi » inséparables des trois monothéismes (c’est l’engagement du croyant qui passe par l’énoncé : « Oui, Seigneur, je crois »). Et nous pêcherions par ethnocentrisme ou européocentrisme en élargissant cette réalité à l’ensemble des pratiques cultuelles et rituelles dans l’ensemble du monde, ce que pourtant nous n’avons pas manqué de faire en englobant toutes ses pratiques sous le terme de religion… Henri Atlan distingue à ce propos trois régimes de croyances religieuses : celle qui correspond à la profession de foi des monothéismes, celle qui désigne des représentations collectives culturelles organisées autour de rituels et de mythes, et enfin les « expériences mystiques », sauvages ou non, spontanées ou artificielles (utilisation de produits). ● La croyance-foi n’a pas grande valeur scientifique : ce qui est subjectivement tenu pour vrai (par et pour moi) ne peut être considérer comme objectivement vrai (par et pour tous) que s’il se soumet aux conditions requises pour être une véritable connaissance, ce qui ne peut pas être le cas d’une profession de foi. Le domaine de la croyance religieuse ne peut concurrencer celui de la science, et constitue un domaine à part qui peut trouver des justifications d’un autre ordre (nous verrons lesquelles)…
6- Les limites d’une approche des croyances par les causes : nous avons jusqu’à présent surtout parler des causes de la croyance, et non de son rapport à la vérité. Le danger d’une approche des croyances par les causes (exclusivement) serait alors d’abandonner toute référence à la rationalité de nos choix de vie… Nous dispenser d’interroger les croyances sur lesquelles sont construits ces choix, n’est-ce pas rester enchaîné dans la Caverne de Platon, adopter sans réflexion les préjugés du sens commun, les croyances de son temps et de son pays, les habitudes de pensée etc. ? Un esprit imperméable au doute est dogmatique, et surtout « borné, adhérent, étroit » (Russel). ● A l’inverse, le respect du pluralisme des convictions – par ailleurs indispensable en démocratie -, ne doit pas nous conduire à penser que tout se vaut sur le marché des opinions, et nous devons pour nous-mêmes exercer notre raison critique. Il y a en la matière deux partis pris à éviter : le parti pris étroitement rationaliste qui voudrait exclure toute considération psychologique ou sociologique de son approche de la croyance, et le parti-pris « naturaliste » qui n’envisage la croyance que comme le produit passif de causes objectives (psychologiques, sociologiques, socio-politiques).
7- S’interroger sur la valeur de vérité des croyances ?
Il va de soi que pour beaucoup de croyances, une éthique est nécessaire pour confronter ses croyances, autant que nous le pouvons, aux connaissances auxquelles nous avons accès. Par exemple, le jugement antisémite ou raciste doit être combattu non seulement au nom de la morale mais aussi parce que nous savons qu’il ne repose sur aucune connaissance objective. ● Mais la croyance religieuse semble échapper à une telle vérification dans la mesure où l’on admet qu’elle est irréductible à toute connaissance scientifique, et inaltérable à tout argument de raison. La question de la vérité ne se poserait donc pas pour elle ? Pourtant un philosophe anglais, Clifford, dans la continuité de la lutte des Lumières contre l’obscurantisme, pose le fameux principe : « il est toujours, partout et pour tout le monde mauvais de croire quoi que ce soit sur la base de preuves insuffisantes ». Est-ce applicable aux croyances religieuses ? Il y a deux façons de répondre à cette question, de sens différent :
►Il paraît très discutable de faire à sa guise l’économie de la vérité sous prétexte que la croyance répond à notre besoin d’espérer pour être heureux… Le décalage qui existe entre la faiblesse des raisons (au sens de la rationalité) et la force de la croyance s’explique par la force des désirs… Le désir –désirer par conséquent que la proposition concernée soit vraie - est à ce titre un puissant ferment de l’illusion, encore davantage que l’ignorance (Freud). Il ne discrédite pas sa validité, mais l’affaiblit en ne prenant pas vraiment en compte la réalité pour ce qu’elle est. La croyance à ce titre nous parle davantage de nous que de ce sur quoi elle porte (Freud). Pour Clément Rosset qui reprend cette idée, nous sommes là confrontés à la fragilité humaine par excellence : nous avons le plus grand mal à supporter le réel tel qu’il est, et ses conséquences. D’où la tentation de créer des « doubles » où les choses se passent conformément à nos désirs. Dans le même sens, le matérialisme historique, qualifie l’idéologie religieuse « d’opium du peuple » visant à détourner son attention des véritables problèmes économiques et sociaux au profit d’une autre monde « où les derniers seront les premiers ». ● Si nous voulons prendre au sérieux les croyances et pas seulement comme les signes ou les symptômes d’autre chose que d’elles-mêmes, nous nous devons de penser que le « vouloir-croire » ne peut pas à lui seul tenir lieu de raisons valables.
►Mais d’un autre côté, nous ne pouvons pas ne pas distinguer les registres dans lesquels la question des croyances se pose : il y a des croyances dans l’activité scientifique (à titre d’hypothèses – croyances lucides dans ce cas, car l’on sait que ce n’est pas nécessairement vrai - , ou suite à des découvertes qui nous font penser de telle ou telle façon –dans ce cas, on croit parfois savoir et l’on se trompe…), des croyances métaphysiques ou philosophiques (comme par exemple l’existence de la liberté ou de l’immortalité de l’âme), des croyances liées aux représentations collectives d’une culture particulière (dont les croyances religieuses), nos opinons ou convictions personnelles sur le monde tel qu’il va (nous ne sommes jamais allés sur la lune, ou encore les fruits de la science sont des productions culturelles comme les autres, mais aussi le vaccin a sauvé un grand nombre de personnes etc.), les croyances factuellesdu quotidien (il va pleuvoir, Pierre ne viendra peut-être pas, le pont est solide), et enfin les croyances religieuses sous la forme de profession de foi. ●Le rapport qu’entretiennent toutes ces croyances avec la vérité est très différent selon le cas. Et nous devons nous méfier ici du préjugé scientiste à la manière de Clifford qui considère que la rationalité scientifique est la seule justification de toute croyance. Comment par exemple pourrait-on disqualifier le rapport animiste à la nature de certaines sociétés amazoniennes au nom de la seule rationalité scientifique ? Cela n’empêche pas que certaines croyances, contrairement à ce qu’un relativisme radical nous conduirait à penser, sont plus justifiées que d’autres, les croyances/savoirs scientifiques étant de ce point de vue à privilégier, sans qu’il y ait pour autant une garantie de vérité. ● Concernant les croyances religieuses, la question de leur justification se pose également en d’autres termes : La croyance religieuse n’est pas plus réfutable qu’elle est argumentable, encore moins prouvable. Et elle renvoie au moins autant à une règle de conduite (par exemple croire au Jugement Dernier) qu’à un énoncé théorique. « La foi est moins un savoir que quelque chose comme une règle d’action et de vie» (W. James)
Mais alors, s’il faut aller chercher la justification des croyances dans leur valeur pratique, qu’en est-il de leur valeur de vérité ?
8- En quel sens peut-on parler de « vérité » concernant des croyances religieuses ?
►L’approche pragmatiste : Une approche semble concilier à la fois l’anthropologie des causes et la rationalité philosophique : la réponse empiriste et pragmatique de Williams James[2]. La vérité des croyances se mesure par leur fruit (Williams James). Une croyance peut être vraie « si nous savons où elle va et où elle nous mène », et si « nous reconnaissons l’arbre à ses fruits ». Peu importe l’origine de la croyance, seul importe son résultat, et comment elle est capable de nous faire agir (l’action pouvant même conduire à réaliser ce à quoi je crois). La religion pour les pragmatistes se justifie ainsi pour des raisons pratiques. ● Ce qui rend apte une proposition à être considérée comme vraie est « sa valeur fonctionnelle en tant qu’instrument pour la satisfaction d’un besoin vital ou pour l’accomplissement d’activités indispensables ». Voilà une nouvelle manière, assez différente de celle qui est en jeu dans la méthode empirico-logique propre aux sciences, d’envisager le rapport à la vérité (bien que cette dimension soit bien présente dans la science : sa réussite et la validité de ses énoncés est en lien direct avec leur efficacité technologique en particulier). La vérité n’est pas quelque chose qui est mais quelque chose qui se fait… ● Par ailleurs, il est vrai que les croyances expriment peut-être davantage des « formes de vie » transmises par des traditions mythiques et/ou religieuses, que des énoncés théoriques… La vérité des croyances est donc évolutive ou historique en fonction des contextes de vie sociale, et se concilie fort bien avec le respect contemporain du pluralisme en matière de religions. ● Cette approche est intimement associée à la force du vouloir-croire qui est en définitive l’alpha et l’oméga de la croyance, et la justifie.La foi en un Témoin qui nous permet de croire en un autre monde, sans contredire l’ordre naturel, est capable de le compléter et fait que la vie est plus digne d’être vécue.
►L’argument de « l’expérience » : le recours à l’expérience, en dehors de toute référence aux dogmes et à la théologie de telle ou telle religion, est régulièrement invoqué par ceux qui veulent témoigner de la validité de leur croyance : « nul ne peut nier l’expérience que j’ai vécu ». Nul ne le peut en effet. Mais comme le dit Freud, rien alors ne peut autoriser qu’une telle croyance puisse faire autorité, comme c’est le cas pour le savoir scientifique : à la différence de ce dernier qui est partageable et sur lequel la communauté de savants s’est accordée universellement, l’expérience du sacré relève d’une expérience privée avec Dieu (éventuellement) ou un « au-delà » particulier, ne l’est pas : un observateur extérieur ne peut rien dire, faute de critères objectifs qui montreraient la réalité de l’objet de cette croyance. ● Par ailleurs le fait, comme le dit André Comte Sponville[3], de ressentir quelque chose de plus qu’humain ou au-delà de l’humain, n’est pas la preuve qu’un tel besoin doive être satisfait (ce que promet la croyance). La force de l’expérience (d’une certaine façon indiscutable) constitue également sa principale faiblesse (enfermement dans le « vécu » personnel). ● En revanche, l’expérience du sacré apparaît comme un fait anthropologique et psychologique universel, probablement lié à une propriété neuropsychique propre à l’espèce humaine (Henri Atlan, Croyances). En témoigne les expériences subjectives d’états de conscience modifiés, qu’ils soient spontanés ou provoqués, mystiques ou pathologiques… ● Nous pouvons donc étendre cette dimension de l’expérience à des représentations et des conduites collectives bien réelles et présentes sur tous les continents. Il y a bien une « vérité » anthropologique des croyances religieuses au sens de « l’homme, animal religieux », mais qui ne préjuge en rien de leurs vérités rationnelles.
9- « On s’exposerait à des catastrophes de la pire espèce si on essayait de se défaire de la notion de vérité ou de l’accommoder à sa convenance » (Bertrand Russel[4]).
►« Savoir réellement c’est accepter de savoir peu » (Bertrand Russel) : Il faut se rendre à l’évidence qu’il y a « bien peu de choses démontrées » (Pascal déjà le constatait…), et nous devons faire une distinction ferme entre le peu que l’on sait et tout ce que nous aimerions savoir et que nous ne savons pas… ● Mais il y a une zone « grise » intermédiaire où nous allons trouver tous les degrés du vraisemblable, du probable, du cohérent, de l’intéressant…etc. Sans cette « zone grise » que deviendrait la philosophie ? Là où les savoirs profanes (scientifiques) sont incapables de nous aider, en particulier pour tout ce qui concerne l’orientation de nos vies (le souci de soi, la morale, la politique), des « croyances rationnelles » doivent se déployer. Non infirmables expérimentalement comme des propositions scientifiques, elles sont davantage exposées aux risques du dogmatisme et doivent accepter de se soumettre à une « éthique du bien penser » (Edgar Morin) : auto-examen permanent, rigueur, lucidité, probité intellectuelle… ● Mais surtout tenir le plus grand compte des vérités factuelles (des faits) (Arendt) : nous avons tendance à développer une méfiance naturelle envers des faits qui n’entrent pas dans le giron de nos perceptions ou de nos explications du monde, d’où une tentation de prendre de la liberté avec les faits jusqu’à ne plus savoir au juste ce qu’ils sont…
►La croyance n’est pas la chose crue : Quel que soit notre degré d’engagement intellectuel et affectif, ne jamais le confondre avec une vérité en réalité toujours devant nous (jamais possédée) : assumer le statut de croyance de sa croyance, c’est-à-dire ne jamais croire que l’on sait quand nous ne savons pas. C’est-à-dire ne pas prendre nos idées pour les choses, nos perceptions du réel pour le réel lui-même. Dérive malheureusement fréquente, et qui fait le lit du dogmatisme, et par conséquent aussi du fanatisme et des violences meurtrières. ● En ce sens, une expérience fondée sur une forme de révélation, en dehors de tout processus d’établissement d’une certaine objectivité, coure le risque d’entretenir un rapport inconditionnel et définitif à son objet, en oubliant la conscience de son caractère incertain, d’autant plus incertain qu’il ne relève pas d’un savoir rationnel.
►Ne pas se défaire de la notion de vérité… Nous sommes des machines à construire du sens… Notre souci d’explication à tout prix, de trouver des raisons à toute chose, même à n’importe quoi est une tendance naturelle de notre esprit : elle consiste à tout assimiler en donnant un sens à tout, y compris à l’évènement fortuit. Deux voies depuis les grecs se partagent cette visée : le logos et le muthos, la connaissance acquise rationnellement d’une part, la croyance en la vérité de récits à interpréter parlant à l’imagination et transmis par la tradition. ● Cette opposition prendra ensuite la forme d’une opposition entre la Raison et la Foi. Aujourd’hui, en l’absence de grands récits(religieux comme laïcs) reconnus sur le monde et son avenir , se multiplient, sur les cascades informatiques des réseaux sociaux, des « story-tailing » de toute nature véhiculant la plupart du temps une avalanche d’informations amplifiées, déformées ou fausses sur le monde.N’est-il pas urgent,dans ce contexte de la désinformation, de se souvenir de cette ligne de démarcation, même relative, entre savoir et croyance ? Et ainsi lutter sans relâche contre la dissolution du vrai et du faux ? ●Certes,nous savons aujourd’hui que les progrès spectaculaires de la connaissance nous amènent paradoxalement à mesurer l’étendue de notre ignorance, et à faire le deuil d’une vérité ultime des phénomènes. ● Mais il y a une tendance de plus en plus forte à confondre deux choses (Jacques Bouveresse[5]) : renoncer à trouver une vérité qui serait complète et définitive, et se défaire de l’idée de vérité elle-même (nihilisme) et de l’espoir de la trouver, même jusqu’à un certain point. Il est pourtant important de continuer à penser la vérité comme quelque chose qui ne dépend pas de nous, et à distinguer le mensonge de la vérité, même partielle. Comment sinon se protéger de la tyrannie, de l’injustice, de la violence, de l’arbitraire, sinon au nom de certaines vérités (comme par exemple la supériorité incomparable d’une éthique du respect d’autrui garantie par un régime démocratique sur une morale oppressive fondée sur une idéologie totalitaire) ?« On s’exposerait à des catastrophes de la pire espèce si on essayait de se défaire de la notion de vérité ou de l’accommoder à sa convenance » (Bertrand Russel)
10- Quel bon usage des croyances ?
Henri Atlan s’interroge à la fin de son livre sur les Croyances : quel fil d’Ariane peut nous faire avancer dans le bon usage des croyances ?Comment éviter aussi bien le scepticisme ou le relativisme radical, mais aussi la dogmatique religieuse aussi bien que scientiste (tout discours autre que scientifique est frappé de nullité…) ? Il nous propose une leçon de pragmatisme et de relativisme tempéré… ● Tout d’abord, nous devons comprendre que nous percevons et connaissons le monde qui nous entoure par l’intermédiaire de tout notre corps et notre esprit (rationalité et affects mêlés), à travers des croyances en héritage de notre éducation, de notre langue, de circonstances particulières de notre existence, de pratiques devenues des habitudes. ● En ce sens le mouvement naturel va plutôt du faire et de la pratique (qui sont lourds de croyances pratiques concernant notre vie) vers les croyances théoriques explicitées dans des énoncés… « Faire, c’est croire », suivi éventuellement de « réfléchir et de comprendre ». La Bible fait dire aux Hébreux quand ils vont recevoir les commandements de la Loi : « Nous ferons et nous comprendrons ». C’est dans cet ordre que s’effectue aussi bien l’histoire de l’humanité (phylogénèse) que le développement de l’enfant (ontogénèse). Il y a une précédence chronologique et logique de l’action sur la croyance théorique. ● Mais nous devons tout autant utiliser nos croyances comme des outils de questionnement pour nous rapprocher de savoirs de plus en plus certains, à l’instar du scientifique dont les croyances sont là pour interroger le réel et confirmer ou infirmer des hypothèses. Autant que faire se peut, ne pas nous contenter de cette forme de « pensée au repos » que constituent nos croyances, mais de s’en servir dans la perspective active de recherche de connaissances à travers de nouvelles expériences. Ici, la raison et l’expérience doivent cheminer ensemble. Il s’agit « de faire jouer ensemble la raison et l’expérience, suivant des règles différentes, à la recherche de vérités adaptées à différents domaines »… ● La distinction la plus pertinente n’est pas entre croire et ne pas croire, mais entre « le sot crédule et l’intelligent avisé » (Le Livre des Proverbes). « Le sot croira n’importe quoi, l’avisé comprendra vers quoi il pose son pied »
Daniel Mercier, le 29/12/2018